Omelette de la mère Poulard

Spécialité culinaire normande du Mont-Saint-Michel

Omelette de la mère Poulard
Image illustrative de l’article Omelette de la mère Poulard
Omelette de la mère Poulard, aux légumes et saumon.

Lieu d’origine « Hostellerie de la Tête d'or » de la Mère Poulard, puis « À l'omelette renommée de la mère Poulard » du Mont-Saint-Michel en Normandie.
Créateur La Mère Poulard
Date Vers 1873
Place dans le service Plat principal
Température de service Chaude
Ingrédients Œuf frais et beurre salé de Normandie
Mets similaires Omelette, soufflé, œufs brouillés, œufs brayons
Accompagnement Légumes, champignon, lard, pomme de terre, saumon, coquille Saint-Jacques...
Classification Cuisine normande

L’omelette de la mère Poulard est une spécialité culinaire traditionnelle emblématique de la cuisine normande, créée par la mère Poulard (1851-1931) pour son auberge du Mont-Saint-Michel, à base d'omelette soufflée aux œufs frais et beurre salé de Normandie, quelquefois additionnée de crème fraîche, généreuse, baveuse et très aérée[1], cuite au feu de bois de cheminée, et dégustée dans le cadre du Mont-Saint-Michel[2].

Histoire modifier

La mère Poulard crée cette spécialité normande emblématique et réputée (tenue secrète) de son auberge « Hostellerie de la Tête d'or » de 1873 du Mont-Saint-Michel, puis de « À l'omelette renommée de la mère Poulard » ouverte en 1888, plat facile copieux, savoureux et rapide à préparer à toute heure pour les innombrables pèlerins affamés de ce haut lieu touristique mondial, arrivés, à l'époque, à toutes heures au gré des marées basses « En un tour de main d'une suprême élégance, madame Poulard avait confectionné une omelette rosée, baveuse, fumante et savoureuse à souhait, et qu'elle offrait elle-même à ses hôtes. Son omelette a largement dépassé la réputation de ses autres plats pourtant fameux »[3]. « On ne peut se rendre au Mont-Saint-Michel sans aller goûter l'omelette » lit-on dans les gazettes parisiennes. Bientôt, on accourt, anonymes et hôtes illustres, princes et rois, diplomates et savants, hommes politiques et vedettes se pressent près de l'âtre des Poulard[4].

Une bonne omelette classique modifier

 
Auberge « La Mère Poulard » du Mont-Saint-Michel.

Selon l'historien André Castelot (1979), le secret culinaire de cette omelette réside « principalement dans l'emploi d'une poêle à long manche placée sur un bon feu de bois. De ce fait l'omelette cuit de tous les côtés »[5]. Il poursuit : « on a parlé de quelques blancs d'œufs battus en neige et ajoutés aux œufs entiers », « d'un verre de crème dans les œufs ». À quoi la mère Poulard répondait « j'aurais perdu tous les blancs, quant à la crème pure invention, ce qui est vrai est que nous avons le meilleur beurre du pays »[5]. À l'origine il ne s'agit pas d'une omelette soufflée.

Ces omelettes aux blancs en neige serait inspirées selon le célèbre critique gastronomique Curnonsky, d'une recette du roman La Rabouilleuse (1842)[6] d'Honoré de Balzac : « Il a découvert que l'omelette était beaucoup plus délicate quand on ne battait pas le blanc et les jaunes ensemble avec la brutalité que les cuisinières mettent à cette opération. On devait, selon lui, faire arriver le blanc à l'état de mousse, y introduire par degré le jaune… » (Un ménage de garçon, chapitre V, Horrible et vulgaire histoire). En réalité les omelettes avec apport de blanc en neige sont une vieille tradition déjà citée par les auteurs culinaires Menon (1742), ou Pierre-Joseph Buc'hoz (1780)[7],[8]. Dans la cuisine genevoise c'est une omelette au plat déjà en 1814[9]. Auguste Escoffier (1934) nomme une omelette dans laquelle entre du blanc en neige omelette mousseline[10].

 

Lorsque le restaurateur parisien Robert Viel écrit à la mère Poulard pour lui demander la recette secrète de son omelette, celle-ci lui envoya cette réponse [11]:

« Monsieur Viel, voici la recette de l’omelette : je casse de bons œufs dans une terrine, je les bats bien, je mets un bon morceau de beurre dans la poêle, j’y jette les œufs et je remue constamment. Je suis heureuse, Monsieur, si cette recette vous fait plaisir. »

— Annette Poulard

Notoriété, célébrité modifier

 
Auberge « La Mère Poulard » du Mont-Saint-Michel.

En 1884, le journaliste Jules Prével écrit dans son journal Le Figaro qu'il existe au Mont-Saint-Michel d'autres merveilles tout aussi inoubliables: les omelettes de Mme Poulard[12]. Rapidement c'est la célébrité. Le Figaro propose alors de renommer le mont Saint-Michel « Mont Poulard » (1890)[13]. En 1888, Mme Poulard fait 40 omelettes de 30 œufs chaque jour, succès qui la contraint à déménager, la maison perd son caractère d'auberge et un concurrent, M. Larroumet, s'installe dans son ancien local tandis que la dissension durable s'installe dans la famille Poulard[14]. L'animosité est entendue jusqu'au parlement de Paris qui intervient dans la restauration du Mont Saint Michel[15]. En 1889, la maison Poulard Ainé (« Maison de 1er ordre, réputée pour sa bonne tenue et l'affabilité de ses propriétaires renommée pour la délicieuse omelette de Mme Poulard aîné ») est contrainte à la publicité[16]. Ce qui augmente encore la notoriété: « on trouvera bientôt des omelettes Poulard au sommet de l'Elbrouz » (1893)[17].

 
Préparation de l'omelette vigoureusement battue en cul de poule.

À la fin du siècle, l'omelette Poulard dépasse les Poulard : « La renommée de Poulard est européenne. Mais quel Poulard ? Il y a Poulard aîné ou Poulard-omelette. Il y a Poulard jeune, qui est omelette aussi. II y a Poulard-confiance. Il y a encore Poulard-souvenir, mais celui-ci n'est pas aubergiste. Il y a aussi Ridel, vieil émule de Poulard, et dont la réputation est également universelle. Il y a de plus Duval [ ]. Pour nous, homme de tradition, nous voulûmes Poulard. Mais quel Poulard ? Un de nos bons amis prétend que nous n'avons pas choisi le Poulard authentique et que l'omelette que nous avons mangée, confectionnée, nous l'attestons, par les soins d'une Ridel, épouse d'un Poulard, était une omelette usurpatrice. Mais nous ne nous rendons pas. Nous soutenons mordicus que l'omelette était excellente » (1896) [18].

 
Quelques œufs frais de Normandie.

L'expression mère Poulard apparaît en 1920[19]. L'omelette de la mère Poulard est à sa notoriété maximale dans l'apogée gastronomique (1921-1936) avant un nouveau sommet en 2013[20]. Au point qu'elle devient un rituel voire un luxe : « ...l'auberge de la mère Poulard si renommée pour ses omelettes. Mais Yves ne s'arrêta pas là. Il n'était pas avare, mais seul, il ne voulait pas payer trois fois sa valeur une omelette » (1938)[21]. Le dessinateur et scénariste Christophe la mentionne dans les aventures de La Famille Fenouillard, lors de son passage au Mont-Saint-Michel.

L'omelette de la mère Poulard actuelle modifier

Sa préparation fait l'objet à ce jour d'un véritable spectacle touristique, à l'entrée de l'auberge « La Mère Poulard » du Mont-Saint-Michel, devant les clients[22] : des batteurs en costume traditionnel perpétuent la technique historique de la Mère Poulard, en fouettant longuement des œufs en rythme d'un tempo mélodieux et entraînant[22], pour y incorporer un maximum d'air, avec un long fouet dans un grand cul de poule en cuivre[23]. Puis elles sont cuites au beurre salé dans des poêles à long manche au feu de bois. Elles peuvent êtres nature, ou agrémentées de légumes, champignon, lard, pomme de terre, saumon, ou coquille Saint-Jacques

 
Cuisson traditionnelle à la poêle à long manche, au feu de bois.

Frederick Elles et Sacha Sosno dans leur 99 Omelettes originales donnent une recette personnelle d'Omelette à la poulard (1976)[24]:

« Séparez les blancs des jaunes. Battez-les séparément au fouet. Faites grésiller le beurre, jetez-y les jaunes salés et poivrés. Incorporez immédiatement une bonne cuillerée de crème double battue elle aussi. Puis ajoutez les blancs. Mélangez en remuant la poêle sur le feu toujours vif. C'est l'omelette la plus facile du monde à faire et à rater mais, réussie, elle est exceptionnelle par son aspect un peu soufflé, par sa légèreté et sa saveur. »

Notes et références modifier

  1. Dans la recette originale de la mère Poulard, on n'ajoute pas de crème fraîche, pas plus que le blanc et le jaune ne sont battus séparément. Annette Boutiaut insistait, en revanche, sur le fait qu’elle ne lésinait pas sur le beurre, d’excellente qualité, et auquel elle ne laissait jamais prendre couleur.
  2. [vidéo] Recette : L'omelette de la Mère Poulard - Archive INA sur YouTube.
  3. Émile Couillard, La Mère Poulard, p. 12.
  4. « La mère Poulard : l'histoire », sur lamerepoulard.com (consulté en ).
  5. a et b André Castelot, L'histoire à table: Si la cuisine m'était contée..., (Perrin) réédition numérique FeniXX, (ISBN 978-2-262-08466-0, lire en ligne).
  6. Titre définitif d’Un ménage de garçon.
  7. Menon, Nouveau traité de la Cuisine, Paulus du Mesnil, (lire en ligne), p. 223.
  8. Buchoz, Histoire Generale et Economique des Trois Regnes de la Nature, (lire en ligne), p. 401.
  9. La cuisinière genevoise: enseignant les manières de préparer toutes sortes de viandes [...], (lire en ligne), p. 96
  10. Auguste Escoffier, Ma cuisine. 2 500 recettes, (lire en ligne), p. 120 et 121.
  11. Thierry Marx et Bernard Thomasson, Chefs à la carte, Éditions du Seuil, (ISBN 978-2-02-137557-2, lire en ligne).
  12. Jules Prével, « Le Figaro du 29 juillet 1884 », sur Gallica.
  13. Compagnie de Jésus, « Études religieuses, historiques et littéraires / par des Pères de la Compagnie de Jésus », sur Gallica, (consulté le )
  14. « Le Panthéon de l'industrie janvier 1893 », sur bnf
  15. « La Justice / dir. G. Clemenceau ; rééd. Camille Pelletan », sur Gallica, (consulté le ).
  16. Le Mont Saint-Michel et ses merveilles : L'abbaye, le musée, la ville et les remparts / par l'ermite de Tombelaine..., (lire en ligne).
  17. André Blaz, « Chronique », sur bnf.
  18. Marius Sepet, En congé : promenades et séjours, (lire en ligne).
  19. (en) « Google Books Ngram Viewer », sur books.google.com (consulté le ).
  20. (en) « Google Books Ngram Viewer », sur books.google.com (consulté le ).
  21. Claude Merand, Deux dames en noir, FeniXX réédition numérique, (ISBN 978-2-402-33160-9, lire en ligne)
  22. a et b [vidéo] Les omelettes La Mère Poulard, cuites au feu de bois - manger Mont Saint Michel sur YouTube.
  23. Olivier Mignon, À la découverte du Mont-Saint-Michel. Guide de la baie, du village et de l'abbaye, Siloë, , 135 p. (ISBN 978-2-84231-110-0), p. 44.
  24. Frederick Elles et Sacha Sosno, 99 omelettes originales, (lire en ligne).

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