Enfant endormi

croyance en la possibilité d'un "endormissement" du fœtus prolongeant la grossesse au-delà de la limite acceptée par la médecine moderne
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Un enfant endormi (arabe : راقد (raqed) ou راگد (raged)[1], berbère : bou-mergoud) est, selon une croyance présente dans certaines parties du monde musulman, un fœtus qui a suspendu ou ralenti son développement dans l'utérus de sa mère, prolongeant la grossesse au-delà de la période approximative de neuf mois communément admise par la médecine moderne. Il serait possible d'endormir, par voie de sorcellerie blanche, un enfant dont la mère ne souhaite pas la naissance immédiate, en particulier quand le mari est absent pour une longue période. Ce mythe a connu une nouvelle jeunesse avec l'émigration massive des hommes qui ont laissé sur place leurs épouses.

Aire modifier

Cette croyance est présente dans le Maghreb, en particulier au Maroc, mais aussi à Mayotte[2].

Fiction juridique modifier

Cette croyance n'est pas seulement d'ordre populaire, mais est acceptée et commentée dans la législation islamique : elle constitue ainsi une fiction juridique utile pour éviter, d'une part, l'institution d'enfants naturels, privés de filiation (la filiation s'établissant de façon patrilinéaire), en particulier en cas d'absence du mari (décès ou voyage), mais aussi en cas de divorce.

D'autre part, cette croyance permet à une femme qui est visiblement enceinte et accouche, de ne pas être accusée de fornication si elle est célibataire (jamais mariée, divorcée ou veuve), ou d'adultère si elle est éloignée de son mari depuis plus de neuf mois. L'adultère étant souvent puni de mort, la cellule villageoise se protège ainsi contre une déstabilisation trop importante en « fermant les yeux » lorsque la femme en question occupe une position sociale établie.

Selon les écoles juridiques, la durée présumée de la grossesse peut être plus ou moins longue : les hanafites considèrent que la grossesse peut durer deux ans ; les chaféites et les hanbalites quatre ans, et les malékites de quatre à cinq ans[3].

En droit positif, la Moudawana (au Maroc) donne une période d'un an (article 154). Le Code de la famille algérien et le Code du statut personnel tunisien le fixent désormais à dix mois.

Dans la culture modifier

Ce mythe est le thème principal du roman L'Enfant endormi de Noufissa Sbaï, publié en 1987[4], et du film L'Enfant endormi de Yasmine Kassari, sorti en 2004.

Références modifier

  1. (ar) Halima Abrouk, « الراگد'.. هل يصدق المغاربة 'أسطورة الجنين النائم'؟' », sur maghrebvoices.com,‎ .
  2. Cadou 2005.
  3. Barraud 2010.
  4. Mohand Améziane Bellagh, « Noufïssa Sbaï, l'Enfant Endormi, Edina, Rabat (Maroc), 1987 », Horizons maghrébins : Le Droit à la mémoire, nos 12-13,‎ , p. 170–171 (lire en ligne).

Bibliographie modifier

Sources primaires :

  • Tahar Abbal, « De l'enfant endormi à l'adolescent » (interview d'une sage-femme thérapeute traditionnelle marocaine), Métisse, Association internationale d'ethnopsychanalyse, vol. 4, no 1,‎ (lire en ligne).

Sources secondaires :

  • Émilie Barraud, « La filiation légitime à l'épreuve des mutations sociales au Maghreb », Droit et Cultures, vol. 59, no 1,‎ , p. 255–282 (DOI 10.4000/droitcultures.2118, lire en ligne).
  • Éléonore Cadou, « Le statut de l'enfant dans l'Océan indien : L'enfant mahorais », Revue internationale de droit comparé, vol. 57, no 2,‎ , p. 291–343 (DOI 10.3406/ridc.2005.19352).
  • Joël Colin (préf. Camille Lacoste-Dujardin, sous la direction de Pierre Erny), L'enfant endormi dans le ventre de sa mère : Étude ethnologique et juridique d'une croyance au Maghreb (texte remanié d'une thèse de doctorat en ethnologie, no 1994STR20037, Institut d'ethnologie, Strasbourg-II, 1994), Perpignan, Centre d'études et de recherches juridiques sur les espaces méditerranéen et africain francophones (CERJEMAF) et Presses universitaires de Perpignan, coll. « Revue d'histoire des institutions méditerranéennes » (no 2), , 383 p. (ISBN 2-908912-53-8).
  • Joël Colin, « Au maghreb un contre-pouvoir du côté des femmes : L'enfant endormi dans le ventre de sa mère », L'Année sociologique, vol. 53, no 1 « Le droit au féminin aujourd'hui »,‎ , p. 109–122 (DOI 10.3917/anso.031.0109, lire en ligne).
  • Joël Colin, chap. 5 « Au Maghreb, “l'enfant endormi” dans le ventre de sa mère », dans Anne-Marie Moulin (dir.), Islam et révolutions médicales : Le labyrinthe du corps, Marseille/Paris, IRD/Karthala, coll. « Hommes et Sociétés », , 405 p. (ISBN 978-2-7099-1721-6 et 978-2-8111-0850-2, lire en ligne), p. 145–156 [lire en ligne].
  • Corinne Fortier, chap. 9 « Filiation versus inceste en islam : Parenté de lait, adoption, PMA, et reconnaissance de paternité. De la nécessaire conjonction du social et du biologique », dans Pierre Bonte (dir.), Enric Porqueres i Gené (dir.) et Jérôme Wilgaux (dir.), L'argument de la filiation : Aux fondements des sociétés européennes et méditerranéennes, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, coll. « Méditerranée-sud », , 473 p. (ISBN 978-2-7351-1336-1), p. 225–248 [lire en ligne], § « Du biologique plus ou moins social », p. 241–242 [lire en ligne].
  • Corinne Fortier, chap. 6 « Les ruses de la paternité en islam malékite : L'adultère dans la société maure de Mauritanie », dans Islam et révolutions médicales (op. cit.), , p. 157–181, § « Des délais de grossesse salvateurs », p. 161–162 [lire en ligne].
  • (es) Araceli González Vázquez, « La idea del “niño dormido” (raqed) : Embarazo, estrategias sociales femeninas e Islam en el norte de Marruecos », El Pajar, Cuaderno de Etnografía canaria, no 25,‎ , p. 167–175.
  • (nl) Willy Jansen, « Het Slapende Kind : De maatschappelijke betekenis van een oud geloof », dans Ed de Moor (dir.), Sander de Groot (dir.), Henk Maier (dir.) et Lourina de Voogd (dir.), Vrouwen in het Midden-Oosten, Bussum/Nimègue/Anvers, Het Wereldvenster/MOI-Publicaties/Standaard, coll. « Nabije-Oostenreeks », , 277 p. (ISBN 90-293-9808-6), p. 113–133.
  • (nl) Willy Jansen, « Mythe of macht? Langdurige zwangerschappen in Noord-Afrika : Slapende kinderen », Tijdschrift voor vrouwenstudies, vol. 3, no 2,‎ , p. 158–179 (lire en ligne).
  • Nefissa Zerdoumi (préf. Maxime Rodinson), chap. 2 « L'enfant “endormi” : Rāgad ou bou-mergoud », dans Enfant d'hier : L'éducation de l'enfant en milieu traditionnel algérien, Paris, Maspero, coll. « Domaine maghrébin » (no 6), , 303 p. (BNF 35434139), p. 70–71 [lire en ligne].