Modèle de Kuramoto

Le modèle de Kuramoto, proposé pour la première fois par Yoshiki Kuramoto (蔵本 由紀 Kuramoto Yoshiki)[1],[2], est un modèle mathématique utilisé pour décrire la synchronisation au sein des systèmes complexes. Plus précisément, il s'agit d'un modèle pour le comportement d'un grand nombre d'oscillateurs[3],[4] couplés. Sa formulation a été motivée par le comportement des oscillateurs dans les systèmes chimiques et biologiques, et il a trouvé de nombreuses applications dans les neurosciences[5],[6],[7] ou les oscillations dynamiques de la propagation d'une flamme[8],[9] par exemple. Kuramoto a été assez surpris lorsque le comportement de certains systèmes physiques, à savoir des réseaux de jonctions de Josephson, s’avéra suivre son modèle[10].

Cette image décrit la trajectoire de 100 oscillateurs dont les phases sont initialement uniformément réparties et avec des dérives tirées selon une gaussienne de moyenne nulle de variance .25. Le terme de couplage est de 0.6 Le bruit thermique est d'intensité 0.05. Le tout est intégré à l'aide d'un intégrateur d'euler.

Le modèle s'appuie sur plusieurs hypothèses, le couplage est ainsi supposé faible, les oscillateurs sont identiques ou presque identiques, et les interactions dépendent sinusoïdalement de la différence de phase entre chaque paire d'objets.

Définition modifier

Dans la version la plus populaire du modèle de Kuramoto, chaque oscillateur est considéré comme ayant sa propre fréquence naturelle intrinsèque et est couplé de manière égale à toutes les autres oscillateurs. Étonnamment, ce modèle non-linéaire peut être résolu exactement, dans la limite où N tend vers l'infini, grâce à une transformation astucieuse et l'application d'arguments d'auto-cohérence .

La forme la plus populaire de ce modèle est donc régie par les équations suivantes :

 ,

N est le nombre d'oscillateurs, de phase   et de fréquence propre   avec un terme de couplage K.


On peut ajouter un bruit pour chaque oscillateur. Dans ce cas, l'équation d'origine devient :

 ,

  est le terme de bruit. Si l'on considère le cas d'un bruit blanc, on a :

  ,
 

avec   désignant l'intensité du bruit.

La Transformation modifier

La transformation qui permet de résoudre exactement ce modèle (dans la limite où N → ∞) est la suivante :

Définissant les paramètres d'ordre r et ψ par

 .

Ici r représente la cohérence de phase de l'ensemble des oscillateurs et ψ est la phase moyenne. En multipliant cette équation par   on obtient pour la partie imaginaire l'équation :

 .

Ce qui permet de découpler les équations des différents oscillateurs. Les paramètres d'ordres gouvernent alors seuls la dynamique. Une transformation supplémentaire est généralement utilisée, afin de forcer la phase moyenne à demeurer nulle (i.e.  ) en se plaçant dans le référentiel lié à cette dernière. Ainsi les équations se résument à:

 .

Limite N infini modifier

Considérons maintenant la limite où N tend vers l'infini. Notons g(ω) la distribution des fréquences propres des oscillateurs (que l'on supposera normalisée), et   la densité d'oscillateurs de phase θ et de fréquence ω au temps t. Par normalisation, on a :

 

L'équation de continuité pour les oscillateurs implique

 

v est la vitesse de dérive des oscillateurs obtenue en prenant la limite N infinie dans l'équation transformée :

 

Pour finir, il faut adapter la définition des paramètres d'ordre à la limite continue   est remplacé par sa moyenne statistique sur l'ensemble des  ) et la somme devient une intégrale d'où :

 

Solutions modifier

L'état incohérent dans lequel tous les oscillateurs dérivent aléatoirement correspond à la solution  . Dans ce cas,    et il n'y a pas de cohérence possible entre les oscillateurs. Les phases se répartissent uniformément dans tout l'espace possible et la population est dans un état stationnaire statistique (et ceci bien que la phase de chaque oscillateur continue d'évoluer à sa fréquence propre ω).

Pour un terme de couplage K suffisant, une solution synchronisée est possible. Dans l'état entièrement synchronisé, tous les oscillateurs partagent une fréquence commune bien que leurs phases puissent être différentes.

Une solution pour le cas d'une synchronisation partielle correspond à un état dans lequel une fraction seulement des oscillateurs (ceux dont la fréquence propre est proche de la fréquence moyenne) se synchronisent ; les autres dérivant de manière incohérente. Mathématiquement, la distribution des oscillateurs est la somme de deux termes :

 

pour les oscillateurs cohérents, et

 

pour les oscillateurs libres. Cette limite apparaît lorsque  .

Variantes du modèle modifier

 
Différents motifs de synchronisation dans des réseaux bi-dimensionnels d'oscillateurs de type Kuramoto avec différentes fonctions d'interactions et pour différentes topologies de couplage. (A) Moulins à vent. (B) Vagues. (C) Chimères. (D) Combinaison de vagues et de chimères. La couleur indique la phase des oscillateurs.

Il y a deux types de variations possibles autour du modèle original présenté ci-dessus. On peut modifier la structure topologique du modèle ou bien modifier la forme fonctionnelle du terme de couplage du modèle.

Variantes topologiques modifier

Au-delà du modèle original basé sur une topologie complète, il est possible d'utiliser une approche similaire de champ moyen pour une topologie en réseau suffisamment dense (voir les sections transformation et limite N infini ci-dessus). On peut aussi étudier des modèles dans lesquels la topologie est locale, par exemple des chaînes ou des anneaux uni-dimensionnels. Pour de telles topologies dans lesquelles les couplages ne décroissent pas en 1/N, il n'est pas possible d'appliquer l'approche canonique de champ moyen, on doit alors se reposer sur des analyses au cas par cas en utilisant les symétries lorsque c'est possible, ce qui peut donner des intuitions pour en abstraire les principes des solutions générales.

Des synchronisations uniformes, en vagues ou en spirales peuvent être directement observées dans des réseaux de Kuramoto bidimensionnels avec des termes de couplages diffusifs. La stabilité des vagues dans ces modèles peut être déterminée analytiquement en utilisant les méthodes d'analyse de stabilité de Turing[11]. Les synchronisations uniformes tendent à être stables lorsque les couplages sont partout positifs tandis que des vagues apparaissent lorsque les termes de longues portées sont négatifs (couplage locaux inhibiteurs). Vagues et synchronisation sont connectées par une branche de solution topologiquement distinctes, nommées les rides[12]. Ce sont des déviations spatialement périodiques de faible amplitude qui émergent de l'état uniforme (ou des vagues) à travers une bifurcation de Hopf[13]. L'existence de telles solutions fut prédites par Wiley, Strogatz and Girvan[14] sous le terme de "multi-twisted q-states".

Variantes fonctionnelles modifier

Kuramoto choisit d'approximer l'interaction entre les phases de deux oscillateurs par sa première composante de Fourier, c'est-à-dire  , où  . De meilleures approximations peuvent être obtenues en incluant les termes d'ordre supérieur,

 ,

où les paramètres   et   doivent être ajustés. Par exemple, la synchronisation entre les éléments d'un réseau de neurones de Hodgkin-Huxley faiblement couplé peut être reproduite en utilisant des oscillateurs couplés utilisant les 4 premières composantes de Fourier de la fonction d'interaction[15]. L'introduction de termes supérieurs dans les interactions de phases peut aussi induire des phénomènes intéressants de synchronisation tels que les cycles hétéro-clyniques[16] ou des chimères[17].

Disponibilité modifier

  • la librairie pyclustering inclut une implémentation du modèle de Kuramoto et de ses variations en Python et en C++. Elle contient aussi des modèles d'oscillateurs sur réseaux (pour l'analyse de cluster, la reconnaissance de motifs, le coloriage de graphe et la segmentation d'image) basés sur le modèle de Kuramoto et l'oscillation de phase.
  • Master stability function

Références modifier

  1. Yoshiki Kuramoto, Lecture Notes in Physics, International Symposium on Mathematical Problems in Theoretical Physics, vol. 39, Springer-Verlag, New York, , p. 420
  2. Kuramoto Y, Chemical Oscillations, Waves, and Turbulence, New York, NY: Springer-Verlag,
  3. Strogatz S, « From Kuramoto to Crawford: Exploring the onset of synchronization in populations of coupled oscillators », Physica D, vol. 143, nos 1–4,‎ , p. 1–20 (DOI 10.1016/S0167-2789(00)00094-4, Bibcode 2000PhyD..143....1S)
  4. Juan A. Acebrón, L. L. Bonilla, Pérez Vicente, J. Conrad, Félix Ritort et Renato Spigler, « The Kuramoto model: A simple paradigm for synchronization phenomena », Reviews of Modern Physics, vol. 77,‎ , p. 137–185 (DOI 10.1103/RevModPhys.77.137, Bibcode 2005RvMP...77..137A, lire en ligne)
  5. D. Cumin et C. P. Unsworth, « Generalising the Kuromoto model for the study of neuronal synchronisation in the brain », Physica D, vol. 226, no 2,‎ , p. 181–196 (DOI 10.1016/j.physd.2006.12.004, Bibcode 2007PhyD..226..181C)
  6. M. Breakspear, S. Heitmann et A. Daffertshofer, « Generative models of cortical oscillations: Neurobiological implications of the Kuramoto model », Front Hum Neurosci, vol. 4,‎ (DOI 10.3389/fnhum.2010.00190)
  7. J. Cabral, H. Luckhoo, M. Woolrich, M. Joensson, H. Mohseni, A. Baker, M. L. Kringelbach et G. Deco, « Exploring mechanisms of spontaneous functional connectivity in MEG: How delayed network interactions lead to structured amplitude envelopes of band-pass filtered oscillations », NeuroImage, vol. 90,‎ , p. 423–435 (PMID 24321555, DOI 10.1016/j.neuroimage.2013.11.047)
  8. G.I. Sivashinsky, « Diffusional-thermal theory of cellular flames », Combust. Sci. and Tech., vol. 15, nos 3–4,‎ , p. 137–146 (DOI 10.1080/00102207708946779)
  9. D.M. Forrester, « Arrays of coupled chemical oscillators », Scientific Reports, vol. 5,‎ , p. 16994 (DOI 10.1038/srep16994, Bibcode 2015NatSR...516994F, arXiv 1606.01556)
  10. Steven Strogatz, Sync: The Emerging Science of Spontaneous Order, Hyperion, 2003.
  11. F. Kazanci et B. Ermentrout, « Pattern formation in an array of oscillators with electrical and chemical coupling », SIAM J Appl Math, vol. 67,‎ , p. 512–529 (DOI 10.1137/060661041)
  12. S. Heitmann, P. Gong et M Breakspear, « A computational role for bistability and traveling waves in motor cortex », Front Comput Neurosci, vol. 6, no 67,‎ (DOI 10.3389/fncom.2012.00067)
  13. S. Heitmann et B. Ermentrout, « Synchrony, waves and ripple in spatially coupled Kuramoto oscillators with Mexican hat connectivity », Biological Cybernetics, vol. 109,‎ , p. 1–15 (DOI 10.1007/s00422-015-0646-6)
  14. D. Wiley, S. Strogatz et M Girvan, « The size of the sync basin », Chaos, vol. 16, no 1,‎ , p. 015103 (DOI 10.1063/1.2165594, Bibcode 2006Chaos..16a5103W)
  15. D. Hansel, G. Mato et C Meunier, « Phase Dynamics for Weakly Coupled Hodgkin-Huxley Neurons », Europhysics Letters, vol. 23, no 5,‎ , p. 367–372 (DOI 10.1209/0295-5075/23/5/011, Bibcode 1993EL.....23..367H)
  16. D. Hansel, G. Mato et C Meunier, « Clustering and slow switching in globally coupled phase oscillators », Physical Review E, vol. 48, no 5,‎ , p. 3470–3477 (DOI 10.1103/physreve.48.3470, Bibcode 1993PhRvE..48.3470H)
  17. D.M. Abrams et S.H. Strogatz, « Chimera states for coupled oscillators », Physical Review Letters, vol. 93, no 17,‎ (DOI 10.1103/physrevlett.93.174102, Bibcode 2004PhRvL..93q4102A, arXiv nlin/0407045)