Lectio divina

exercice de lecture spirituelle

Lectio divina
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Lectio divina ou Lecture sainte.
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Situation
Domaine Christianisme

La Lectio divina (« Lecture sainte ») est une expression latine se rapportant à une méthode de prière développée par les Pères de l'Église[1] et inspirée du modèle judaïque PaRDeS. Partant de la lecture d'un texte à caractère spirituel, la Bible ou les œuvres d'auteurs chrétiens (lectio), elle se prolonge dans la réflexion sur ce même texte (meditatio), se poursuit par un dialogue avec Dieu (oratio) et se termine par une écoute silencieuse de Dieu (contemplatio)[2]. La Lectio divina se pratique seul ou en groupe.

Fondement : les quatre sens du PaRDeS modifier

Le modèle des quatre approches exégétiques traditionnelles vient du judaïsme rabbinique, qui se réfère aux niveaux d'interprétations possibles dans l'étude de la Torah : le PaRDeS. Cet acronyme est composé des lettres initiales de ces différentes approches[3] :

  • Peshat ou Pshat (פְּשָׁט), littérale[4]
  • Remez (רֶמֶז), allégorique[4]
  • Drash (דְּרַשׁ), homilétique[4]
  • Sod (סוֹד), mystique[4]

En d'autres termes, le Peshat (« dévêtir ») s'attache au sens simple, obvie, le Remez (« allusion ») au sens allusif, le Drash (« recherche ») au sens indirect, figuré et le Sod (« secret ») au sens ésotérique[5].

De même, la Lectio divina chrétienne se fonde sur la doctrine des quatre sens de l'Écriture[6] :

  • historique (sens littéral) : replacer l'écrit dans le contexte de l'époque ;
  • théologique (sens allégorique) : symbole de l'objet de la lecture ;
  • moral (sens tropologique) : considérer autrui comme un reflet de Dieu ;
  • mystique (sens anagogique)  : interprétation spirituelle.

Historique modifier

Introduction en Occident modifier

En Occident, les principes de la Lectio divina sont formulés vers l’an 220 par Origène.

Origène affirme que, pour lire la Bible avec profit, il est nécessaire de le faire avec attention, constance et prière[7], il insiste aussi sur l’importance de lire l’Écriture en prêtant attention à plusieurs niveaux possibles de significations.

Au IVe siècle la Lectio divina est introduite en Occident par Ambroise de Milan[8].

Augustin en fait un fondement de la prière monastique[9], laquelle est reprise par le docteur de l'Église Hilaire de Poitiers. Césaire d'Arles prône la Lectio Divina pour le clergé, ainsi que pour les laïcs[10].

Moyen Âge modifier

Les Pères du désert et les Pères de l'Église enseignent déjà l’opération de l’écoute et les deux temps de la Lectio[11].

Au VIe siècle, Benoît de Nursie introduit la Lectio divina dans la règle de saint Benoît[12],[13]. Bernard de Clairvaux, dernier des Pères de l'Église, en formalise l'importance chez les Cisterciens[14].

La systématisation de la Lectio divina en quatre étapes remonte au XIIe siècle. Vers 1150, Guigues II le Chartreux[15], un moine de l'ordre des Chartreux, a écrit un livre intitulé « l’échelle du moine » (Scala Claustralium), dans lequel il établit la méthode des quatre étapes : lecture, méditation, prière et contemplation[16]. La lecture cherche la vie bienheureuse, la méditation la trouve, la prière la demande, la contemplation la goûte (cf. Sources Chrétiennes no 163).

Dominique de Guzman, fondateur de l'ordre des Dominicains, élargit la pratique de la Lectio divina solitaire en Espagne à « l'itinérance communautaire[17]. »

Les coutumiers monastiques médiévaux laissent souvent entendre que le moine ne lit personnellement qu'un livre par an, ce qui suggère une ardeur intellectuelle moyenne ou un niveau culturel assez faible, et une technique de lecture lente, fondée sur la rumination de la Parole de Dieu, ressassement qui conduit le moine à la contemplation[18],[19].

Renaissance modifier

Jean de la Croix enrichit l'étape de la Contemplatio, au XVIe siècle[20].

Les réformateurs protestants comme Jean Calvin[21] en France et en Suisse ou Richard Baxter en Angleterre préconisent la Lectio divina[22].

Le théologien protestant August Hermann Francke a exposé la méthode de la prière méditative des Écritures dans son traité Kurzer Unterricht, wie man die Heilige Schrift zu seiner wahren Erbauung lesen sollte (« Comment lire les Saintes Écritures pour sa véritable édification »)[23].

XXe et XXIe siècle modifier

Au milieu du XXe siècle, il y a un renouveau de la Lectio divina, notamment en famille ou dans les groupes de prière[24]. En 1965, le concile Vatican II préconise dans la constitution Dei Verbum (par. 25 et 26) et l'exhortation apostolique Verbum Domini la Lectio divina non seulement pour le clergé, qui l'a toujours pratiquée, mais aussi pour l'ensemble des chrétiens[25]. Au siècle suivant, le pape Benoît XVI en est un fervent inspirateur[26]. Le , il la relance lors de la commémoration des 40 ans de la publication de Dei Verbum[27].

Les quatre temps modifier

Qu'elle soit pratiquée seul ou en groupe de prières, la Lectio est toujours préparée[3]. Des passages des saintes Écritures sont préalablement sélectionnés et le lieu choisi est propice à la prière. Certaines personnes pratiquent d’autres dévotions, comme la prière devant le Saint-Sacrement, l’eucharistie, ou la préparation à la Lectio divina.

Dans le film Des hommes et des dieux la deuxième séquence du film s'ouvre par la Lectio divina[28].

Ces moments sont décrits notamment par Guigues II le Chartreux (XIIe siècle), dans L’Échelle des moines[29] :

Lectio modifier

Avant de lire, il est important de se préparer progressivement à la transition entre l’état d’esprit normal et un état contemplatif et priant. Quelques moments de respiration profonde, régulière, et une prière courte invitant l’Esprit Saint à guider le temps de prière aide à se préparer et améliore l’efficacité de la Lectio.

Une fois la préparation terminée, il est temps de commencer la prière. Lire le passage lentement plusieurs fois.

Meditatio modifier

Réfléchir sur le texte du passage et sur la manière de l’appliquer dans sa vie. Réfléchir sur des expressions ou des mots spécifiques, semblant avoir une signification particulière. Cette lecture très personnelle de l’Écriture et son application à sa propre vie ne doit pas être confondue avec l’exégèse.

Oratio modifier

 
Moniale carmélite se livrant à une Lectio divina dans sa cellule.

Répondre au passage en ouvrant son cœur à Dieu. Cela n’est pas un exercice intellectuel, mais plutôt le début d’une conversation avec Dieu.

Contemplatio modifier

Écouter Dieu. C’est une libération de ses propres pensées, à la fois quotidiennes et saintes. Cela consiste à écouter Dieu nous parler. Ouvrir notre esprit, notre cœur et notre âme à l’influence de Dieu. Toute conversation doit autoriser les deux parties à communiquer, et cet acte, qui n’est pas particulièrement familier, permet de s’ouvrir à l’écoute de Dieu.

Notes et références modifier

  1. La Lectio divina au fondement de la spiritualité des Pères de l’Église et des moines
  2. S.B.E.V., « La Lectio Divina (ou "Lecture croyante" ou encore "Lecture sainte") », sur www.bible-service.net (consulté le ) : « La Lectio Divina (Lecture sainte), est une lecture croyante et familière, dans un climat de prière. Elle permet de se forger une mentalité biblique et d'accueillir le message de bonheur que Dieu nous transmet par le témoignage des croyants qui ont écrit la Bible. Il existe diverses manières de faire cette Lecture, mais elles reposent toutes sur une même exigence : rester proche du texte biblique. »
  3. a et b Daniel Sibony, Lectures bibliques : Premières approches, Odile Jacob, , p. 339
  4. a b c et d Francis Aylies, Les convertis, JC Lattès, , p. 33
  5. Patricia Hidiroglou, Les Rites de naissance dans le judaïsme, Les Belles Lettres, , p. 346
  6. Les 4 sens de l’Écriture et la Lectio divina. Sens cités dans la Lettre à Grégoire d'Origène
  7. Ghislaine Salvail, Au carrefour des Écritures : initiation à la Lectio divina, Médiaspaul, (ISBN 978-2-89420-211-1, lire en ligne), P30
  8. Enzo Bianchi, Prier la parole : Introduction à la Lectio divina, Albin Michel, , 192 p. (ISBN 978-2-226-33609-5, lire en ligne)
  9. Monique Vincent, Saint Augustin, maître de prière : d'après les Enarrationes in Psalmos, Editions Beauchesne, , 456 p. (ISBN 978-2-7010-1213-1, lire en ligne), P80 Augustin pose là les fondements de la « Lectio divina » qui deviendra la source quasi unique, ou du moins essentielle, de la prière monastique.
  10. F. Young, M. Edwards et P. Parvis, Studia Patristica : Augustine, Other Latin Writers, Peeters Publishers, (ISBN 978-90-429-1886-3, lire en ligne), P391 Césaire d’Arles encourageait le clergé et les laïcs à la Lectio divina. Par ce terme il comprend en principe la lecture de la Bible, parfois le chant des psaumes et aussi des œuvres des auteurs chrétiens. À cette Lectio divina l’évêque invite aussi les laïcs, y compris les gens de la campagne.
  11. Ils prient Dieu ainsi : « Donne ce que tu ordonnes, et ordonne ce que tu veux ». Cette maxime, mise dans l’ordre, offre les deux temps de la lectio : 1- « Dis-moi, par ta Parole, ce que tu veux de moi. » 2- « Donne-moi ton Esprit Saint pour mettre en pratique ce que tu veux de moi. »
  12. Philippe Rolland, L'Origine et la date des Évangiles : les témoins oculaires de Jésus, Saint-Paul, , 177 p. (ISBN 978-2-85049-588-5, lire en ligne), P49 Règle, Ch. 48
  13. Dom René-Jean Hesbert, Science et sainteté : L'étude dans la vie monastique par Dom Jean Mabillon, Nouvelles Éditions Latines (lire en ligne), p. XIII C’est cet effort, calme et paisible, régulier et persévérant, que saint Benoît demande à chacun des siens, en les astreignant quotidiennement à la « Lectio Divina », leur ménageant d’ailleurs à tous un temps notable chaque jour pour leur permettre de se tenir en contact avec la pensée de Dieu.
  14. Simon Icard, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709) : Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris, Honoré Champion, , 537 p. (ISBN 978-2-7453-2154-1, lire en ligne), Dans la vie du novice comme du moine,la Bible est, avec les Pères et la vie des saints, au cœur de la Lectio divina,et Bernard en est imprégné.
  15. Sr Pascale-Dominique Nau et Guigues II Le Chartreux, L’Échelle des moines, Lulu.com, , 44 p. (ISBN 978-1-326-14392-3, lire en ligne), P5 L’Échelle des moines de Guigues II le Chartreux (*1114 - + 1193), neuvième prieur de la Grande Chartreuse, est l’un des plus grands classiques de la littérature spirituelle occidentale. Depuis le Moyen Âge, sa méthode de lecture de la Bible inspire la Lectio divina. Dans Verbum Domini, au n° 86, le pape Benoît XVI, citant une lettre d’Origène, indique une des principales sources de Guigues :
  16. Sr Pascale-Dominique Nau et Guigues II Le Chartreux, L'Echelle Des Moines, Lulu.com, , 44 p. (ISBN 978-1-326-14392-3, lire en ligne), P6 Dans ce texte que Guigues écrivit probablement vers 1150 nous trouvons la première présentation systématique de la « Lectio Divina », c'est-à-dire la structure lecture-méditation-prière-contemplation, qui est devenu la forme classique de la lecture spirituelle de l’Écriture Sainte, sans cesse répétée tout au long des siècles jusqu’à aujourd’hui.
  17. Brian J. Pierce, « La Lectio Divina communautaire et la Prédication », Lectio Divina,‎ , P2 Saint Dominique recueille de la tradition monastique l’ancienne pratique de la Lectio Divina – Lecture priante de la Bible – et lui donne une forme nouvelle. Désormais ce n’est plus seulement la Lectio du moine solitaire qui se prolonge en silence dans une rencontre personnelle avec la Parole de Dieu. (lire en ligne)
  18. Léon Pressouyre et Terryl N. Kinder (dir.), Saint Bernard et le monde cistercien, CNMHS, , p. 123
  19. Daniel Faure, Véronique Rouchon-Mouilleron, Cloîtres : jardins de prières, Flammarion, , p. 19.
  20. Martine de Sauto, « Les pratiques de méditation aident à dégager l'accès au cœur profond », sur la-croix.com, (consulté le )
  21. Advocated by John Calvin in the 16th century, the practice of Lectio Divina has roots back to the ancient Jewish devotional practice of “haggadah” and is liked to the 3rd century Christian named Origen who encouraged Scriptural reading as a way to draw closer to Christ, “The Word of God”
  22. (en) Hughes Oliphant Old, The Modern Age, 1789-1889, Wm. B. Eerdmans Publishing, , 997 p. (ISBN 978-0-8028-3139-2, lire en ligne), P690 Such Puritans as Thomas Goodwin and Richard Baxter were high on his list. Whyte was one of the first to recognize the letters of John Knox and that great essay of Stephen Marshall, the Gospel Ministry of Sanctification', as the truest of Protestant lectio divina.
  23. August Hermann Francke: Kurzer Unterricht, wie man die Heilige Schrift zu seiner wahren Erbauung lesen sollte.
  24. Alain Bandelier, Je te pardonne : Le sacrement de réconciliation perdu et retrouvé, Editions de l'Emmanuel, , 203 p. (ISBN 978-2-915313-58-1, lire en ligne), P39 Y a-t-il un renouveau monastique ? en tout cas beaucoup de laïcs s’initient à la Lectio divina, véritable école de la foi.
  25. « Présentation de la Lectio divina », sur www.grenier-cistercien.fr (consulté le ), Et voilà rétablie la pratique de la « Lectio divina » que les moines et moniales, dans leurs monastères, eux, n'avaient jamais abandonnée.
  26. Benoît XVI, La Parole du Seigneur : Exhortation apostolique post-synodale : Verbum Domini, Fleurus, , 192 p. (ISBN 978-2-7189-0840-3, lire en ligne), La lecture orante de la Sainte Écriture et la « Lectio Divina »
  27. Dei Verbum N 25 « Je voudrais en particulier rappeler et recommander l’ancienne tradition de la Lectio divina : la lecture appliquée des Saintes Écritures accompagnée par la prière apporte ce dialogue intime dans lequel la personne qui lit entend Dieu qui parle, et dans la prière, lui répond en lui faisant confiance par l’ouverture du cœur. Si elle est effectivement mise en œuvre, cette pratique apportera à l’Église - J’en suis convaincu - un renouveau spirituel. »
  28. « Présentation de la Lectio divina », sur www.grenier-cistercien.fr (consulté le ), Il y a un lieu que l'on voit une seule fois : le scriptorium. C'est la deuxième séquence du film qui vient de s'ouvrir par le chant à la chapelle : « Seigneur, ouvre mes lèvres ». Sans transition, nous voici en ce lieu, peu éclairé, l'image est plutôt sombre mais on distingue très bien des moines. Chacun est assis à un pupitre, muni d'un livre dont l'un tourne la page... c'est le moment de la Lectio divina.
  29. Lettre sur la vie contemplative suivi de Douze méditations, Cerf, Sources chrétiennes, 1970.


Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Enzo Bianchi, Prier la Parole. Une introduction à la Lectio divina, Abbaye de Bellefontaine (Vie monastique 15), Bégrolles-en-Mauges, 1996, (ISBN 2-85589-972-9)
  • Enzo Bianchi, Écouter la Parole. Les enjeux de la Lectio divina, Lessius (Le livre et le rouleau 28), Bruxelles, 2006, (ISBN 978-2-87299-154-9)
  • Benedetto Calati, La “Lectio divina“ nella tradizione monastica benedettina, Bendictina 28, (1981) : 407-38.
  • Jacques Kahn et Bernard Poupard, Lire et prier les Écritures. La tradition monastique de la Lectio divina, Éd Lumen Vitae, coll. écritures, n° 15, 2010, 217 p. (ISBN 978-2-87324-381-4)
  • Jean Khoury, Lectio divina à l'école de Marie, Docteur Angélique, 2008. (ISBN 978-2952731539)
  • Sr Pascale-Dominique Nau, Quand Dieu parle : Saint Jean de la Croix et la Lectio divina (Saint-Sébastien, Espagne, 2009).
  • Lectio divina est aussi une collection de livres aux Éditions du Cerf créée en 1946

Articles connexes modifier

Liens externes modifier