Lanceur super lourd

fusée utilisée pour transporter une charge utile dans l'espace supérieur à 50 tonnes

Un lanceur super lourd est un lanceur spatial capable de placer une charge utile de masse supérieure à cinquante tonnes en orbite terrestre basse[1]. Si le lanceur peut placer une charge utile inférieure à cinquante tonnes, on parle alors de lanceur lourd.

Le lanceur Saturn V (Apollo 11).
Maquette à l'échelle 1 de la N1.
La navette Columbia de STS-107 sur son pas de tir.
La Falcon Heavy.
Le SLS Bloc 1 d'Artemis 1.
Starship.

Historique des lanceurs super lourds modifier

Les premiers lanceurs lourds ont été développés pendant la Course à la Lune, au cours de laquelle les États-Unis et l'Union soviétique se sont affrontés pour être les premiers à envoyer un Homme de leur nationalité sur la Lune. Pour transporter les astronautes dans des vaisseaux spatiaux — de taille relativement grande et massive par rapport aux sondes lunaires — de la Terre à la Lune, il était nécessaire de développer des fusées de dimensions impressionnantes et de grande puissance. Les États-Unis développent la fameuse « Saturn V » de Wernher von Braun, lanceur emblématique du Programme Apollo, capable de placer jusqu’à 140 tonnes en orbite basse (LEO). L’Union soviétique développe quant à elle dans le plus grand secret la rivale de la Saturn V, la « N-1 » de Sergueï Korolev, capable de placer 95 tonnes en LEO. Pour des raisons politiques et techniques, les lancements de N-1 de 1969 à 1972 furent tous des échecs, le tout couronné par le succès de la mission américaine Apollo 11 lancée sur une Saturn V, durant lequel deux astronautes, Armstrong et Aldrin, marchèrent sur la Lune.

D'autres lanceurs super lourds, encore plus grands et plus puissants, ont été envisagés : le lanceur Nova, qui aurait pu placer 450 tonnes en LEO, était une évolution plus puissante de Saturn V et un choix potentiel de lanceur pour le Programme Apollo dans le cadre d'un scénario « Lune direct », qui fut abandonné au profit du scénario « rendez-vous orbital lunaire » (LOR) qui ne nécessitait que la fusée moins puissante Saturn V. D'autres fusées de la famille Saturn ont été étudiées mais abandonnées. Robert Truax, ingénieur chez Aerojet, développa en 1962 le « Sea Dragon », un lanceur dépassant la taille et la puissance de tous ce qui a été étudié jusqu’à maintenant : il devait placer 550 tonnes en LEO. Du côté soviétique, l'UR-700 de Vladimir Tchelomeï était un candidat de lanceur pour le programme lunaire soviétique, mais c'est la N-1 qui fut retenue. Tchelomeï a également développé l'UR-900, destinée à une mission vers Mars. À partir de 1973, avec l’envoi de Skylab par une Saturn V INT-21, plus aucun lanceur super lourd n'était en service pendant 8 ans.

Le programme Apollo a pris fin pour laisser place à l'ère des navettes spatiales. La navette spatiale américaine avait pour particularité d'être réutilisable : la navette et les boosters pouvaient être réutilisés, sauf le réservoir externe. L'ensemble était capable de placer 133,5 t avec l'orbiteur, mais la charge utile réelle était de 24 t maximum en LEO. En réponse à la création de la navette spatiale, l'URSS a développé Energuia, un lanceur capable de placer 105 t en LEO. Il existe sous plusieurs configurations, dont celle avec la navette spatiale soviétique appelée Bourane, capable de placer seulement 30 t en LEO. C'est encore aujourd'hui le deuxième lanceur de l'histoire avec la plus grande capacité après la Saturn V, ainsi que celui développant la poussée la plus importante, après le N1. Energuia ne volera que 2 fois, les deux fois avec succès, dont l'un des vols avec Bourane. Energuia et Bourane ont été abandonnés, principalement à cause de la chute de l'URSS qui a bouleversé le pays. La navette spatiale américaine, quant à elle, a continué sa carrière, mais a été retirée du service en 2011, à cause des accidents de Challenger et Columbia, qui ont remis en cause sa fiabilité.

La société SpaceX est fondée en 2002 par Elon Musk, devenu multimillionnaire en revendant l'entreprise PayPal. L'objectif d'Elon Musk est de concevoir des lanceurs capables de diminuer fortement le coût de mise en orbite et ainsi de permettre l'essor du spatial civil. Leur premier lanceur léger, Falcon 1, enchaine les échecs mais parvint néanmoins à s'en sortir avec 2 lancements réussis sur les 5. La société développe par la suite la Falcon 9, un lanceur partiellement réutilisable. Il sert notamment à l'envoi de satellite et à la mise en orbite de Crew Dragon à destination de la Station spatiale internationale. Le 6 février 2018, SpaceX réussit le lancement de son premier lanceur super-lourd Falcon Heavy, capable de placer 63 t en version consommable.

Pour le retour de l'Homme sur la Lune, la NASA met en place le programme Constellation, comprenant l'Ares I, IV et V, ces deux derniers étant des lanceurs super-lourds. Ils sont tous capable de placer respectivement 122 t et 188 t en LEO. Leurs conceptions repose sur la réutilisation de développements existants, en particulier des propulseurs d'appoint à poudre de la navette spatiale américaine. Début 2011, le programme Constellation prit fin. Le programme Artemis renaît des cendres de Constellation, avec notamment le développement du Space Launch System (SLS) qui a les mêmes bases de développement que ceux des Ares. Le SLS se décline sous plusieurs versions, dont la plus faible (Bloc 1) est capable de placer 95 tonnes en LEO et la plus puissante (Bloc 2) est capable de placer 130 t en LEO.

En 2011, la Chine qui prend de plus en plus de place dans le secteur spatial, annonce le développement du Long March 9, capable de placer 70 à 130 tonnes en LEO. Également, une version plus légère est envisagée, capable de placer 70 tonnes en orbite basse, similaire au Bloc 1 du lanceur américain Space Launch System. Côté Russie, un nouveau lanceur spatial super-lourd prend naissance, appelé Yenesei. Il est capable de placer 103 tonnes en LEO.

SpaceX développe à partir de 2017 le Starship, le lanceur super-lourd qui devient, lors de son premier vol le 20 avril 2023, la fusée la plus grande et la plus puissante à jamais avoir décollé et la première entièrement réutilisable. Le Starship est basé sur des travaux plus anciens de SpaceX sur un lanceur super-lourd.

Comparaison de quelques lanceurs super lourds modifier

Les masses indiquées dans les tableaux ci-dessous sont mesurées sur trois types d'orbites :

  • LEO : orbite terrestre basse (Low Earth Orbit) ;
  • GTO : orbite de transfert géostationnaire (Geostationary Transfer Orbit);
  • TLI : injection trans-lunaire (Trans-Lunar Injection).

Lanceurs opérationnels modifier

Lanceur Configuration Pays ou Agence multinationale Constructeur Masse sur
LEO
(t)
Masse sur
GTO
(t)
Masse sur
TLI
(t)
Coût
(millions US$)
Coût/kg
(LEO)
Coût/kg
(GTO)
Vols réussis/Nbre de vols total Statut
Falcon Heavy Consommable   États-Unis SpaceX 63,8[2],[3] 26,7[2],[3] 150[4],[5] 5/5 Opérationnel
Semi-réutilisable 57 16[6] 95[7]
SLS Bloc 1   États-Unis NASA 95[8] >27 1/1 Opérationnel
Starship Consommable   États-Unis SpaceX 250[9] 0/0
(orbital)

1/3
(quasi-orbital)

En cours de qualification
Réutilisable 100 à 150[9] 21[9]
avec ravitaillement 100 à 150 100

Lanceurs en développement modifier

Lanceur Configuration Pays ou Agence multinationale Constructeur Masse sur
LEO
(t)
Masse sur
GTO
(t)
Masse sur
TLI
(t)
Vol inaugural planifié Nbre de vols d'essais Statut
Starship sans ravitaillement   États-Unis SpaceX 100 à 250 21 2023 3 (quasi-orbital)
7 (suborbital)
En cours de qualification
avec ravitaillement 100 à 150 100
SLS Bloc 1B   États-Unis NASA 105 42 2027 0 Développement
Bloc 2 130 >46 2030 0 À l'étude
Longue Marche 10   Chine Académie chinoise de technologie des lanceurs (CALT) 70[10] 27 2027 0 Développement
Longue Marche 9 Consommable   Chine Académie chinoise de technologie des lanceurs (CALT)

130 à 140[10]

2028
à
2030
0 Développement
Semi-réutilisable 150[11] 50 à 53[11] 2028
à
2030
À l'étude
Ienisseï (en)   Russie RKK Energuia 103 2028 0 Développement reporté
Energia-3K[12]   Russie RKK Energuia 50 2027 0 Développement
Energia-6K[12] 88 2028 0
Energia-6KV[12] 108 2033 0
 
Comparaison des capacités des principaux lanceurs lourds avec le SLS pour des missions d'exploration du système solaire.

Lanceurs retirés du service modifier

Lanceur Pays ou Agence multinationale Constructeur Masse sur
LEO
(t)
Masse sur
GTO
(t)
Masse sur
TLI
(t)
Coût
(millions US$)
Coût/kg
(LEO)
Coût/kg
(GTO)
Vols réussis/Nbre de vols total Statut
Saturn V   États-Unis Boeing (S-IC)
North American (S-II)
Douglas (S-IVB)
118 à 140[13],[14] 45[13] 12/12 Retiré
Navette spatiale américaine   États-Unis Thiokol (SRBs)
Martin Marietta (ET)
Rockwell International (Orbiter)
24,5
(133,5 avec orbiteur)
3,8 300[15] 10 416[15] 50 874[15] 132/135[16] Retiré
Saturn INT-21   États-Unis Boeing (S-IC)
North American (S-II)
115,9[17],[18] 1/1 Retiré
Energuia   Union soviétique RKK Energia 105[19] 27 29 2/2[20],[21] Retiré
N1   Union soviétique 95 23,5 0/4 Retiré
N1F   Union soviétique 105 0/0 Annulé

Projets abandonnés modifier

Lanceur Pays ou Agence multinationale Constructeur Masse sur
LEO
(t)
Masse sur
GTO
(t)
Coût
(millions US$)
Coût/t
(LEO)
Coût/t
(GTO)
Vols réussis/Nbre de vols total Statut
UR-700M[22]   Union soviétique URSS 750 0/0 Projet abandonné
Sea Dragon   États-Unis Aerojet 550 0/0 Projet abandonné
Nova[23]   États-Unis NASA 450 0/0 Projet abandonné
UR-900[24]   Union soviétique URSS 240 0/0 Projet abandonné
Saturn C-8[25]   États-Unis NASA 210 0/0 Projet abandonné
Vulkan[26]   Union soviétique RKK Energuia 200 0/0 Projet abandonné
Ares V   États-Unis Alliant Techsystems
TBD
188 0/0 Projet abandonné
UR-700[27]   Union soviétique URSS 151 0/0 Projet abandonné

Articles connexes modifier

Notes et références modifier

  1. (en) NASA, « Draft Launch Propulsion Systems Roadmap: Technology Area 01 » [PDF], sur nasa.gov, (consulté le ).
  2. a et b Rémy Decourt, « SpaceX va faire décoller le Falcon Heavy, le lanceur le plus puissant au monde », Futura-sciences,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  3. a et b Version consommable : sans récupération des propulseurs d'appoint et des étages.
  4. « Falcon 9 Heavy Overview », SpaceX (consulté le ).
  5. Version réutilisable : avec récupération des propulseurs d'appoint et du premier étage par rétrofusées.
  6. Version semi-réutilisable : avec la récupération uniquement des propulseurs d'appoint latéraux par rétrofusées et sans récupération des étages.
  7. (en) Elon Musk, « Side boosters landing on droneships & center expended is only ~10% performance penalty vs fully expended. Cost is only slightly higher than an expended F9, so around $95M. », sur Twitter,
  8. (en-US) Philip Sloss, « Ten month schedule to ready SLS for Artemis 1 launch after Core Stage arrives at KSC », sur NASASpaceFlight.com, (consulté le )
  9. a b et c (en-US) Chris Bergin, « Starship conducts maiden launch - clears launch site and first stage flight », sur NASASpaceFlight.com, (consulté le )
  10. a et b (en-US) Andrew Jones, « China could shift to fully reusable super heavy-launcher in wake of Starship », sur SpaceNews, (consulté le ) : « While various figures have been published, the original, expendable Long March 9 is expected to be around 103 meters long, feature a 10-meter-diameter core and have a mass at liftoff of 4,140 metric tons, and be capable of lifting 140 tons to Low Earth orbit or 50 tons to trans-lunar injection. »
  11. a et b (en-US) Andrew Jones, « China’s super heavy rocket to construct space-based solar power station », sur SpaceNews, (consulté le ) : « Payload capacity would increase from 140 metric tons to Low Earth orbit (LEO) to 150 tons, from 50 tons to trans-lunar injection (TLI) to 53 tons »
  12. a b et c « Russia charts new roadmap to super-heavy rocket », sur russianspaceweb.com (consulté le ).
  13. a et b « Saturn V - Comparaisons avec d’autres fusées », sur Techno-Science.net (consulté le ).
  14. (en) « Alternatives for Future U.S. Space-Launch Capabilities », sur Congressional Budget Office (consulté le ).
  15. a b et c « Space Transportation Costs: Trends in Price Per Pound to Orbit 1990-2000 », Futron (consulté le ).
  16. Space Launch Report - Active Launch Vehicle Reliability Statistics
  17. (en) « Saturn-5 (2 stage) (Saturn-V) », sur Gunter's Space Page (consulté le ).
  18. « Saturn INT-21 », sur astronautix.com (consulté le ).
  19. « S.P.Korolev RSC Energia - Launchers », Energia.
  20. (en) Vassili Petrovitch, « Polyus Description ».
  21. (en) « Encyclopedia Astronautica - Energia », sur astronautix.com (consulté le ).
  22. « UR-700M », sur astronautix.com (consulté le ).
  23. « Nova », sur astronautix.com (consulté le ).
  24. « UR-900 », sur astronautix.com (consulté le ).
  25. « Saturn C-8 », sur astronautix.com (consulté le ).
  26. « Vulcain Description », sur buran.fr (consulté le ).
  27. « UR-700 », sur astronautix.com (consulté le ).