La Migration des cœurs

roman de Maryse Condé
La Migration des cœurs
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La Migration des cœurs est un roman publié en 1995 chez Robert Laffont, par l'écrivaine Maryse Condé.

Présentation modifier

En 1995, Maryse Condé publie, chez Robert Laffont, La Migration des cœurs[1],[2]. Pour écrire cette œuvre romanesque, l'écrivaine d'expression française s'est inspirée du roman d'Emily Brontë : Les Hauts de Hurlevent. Elle transpose les landes du Yorkshire, comté rural anglais du début du XIXe siècle, dans l'île de la Guadeloupe, à l'ouverture du XXe siècle. Ainsi, elle garde les mêmes personnages de Cathy et Heathcliff (qui devient Razyé) mais les transpose dans une identité créole[2],[3]. La famille Linton devient la famille De Linsseuil qui habite au domaine des Belles-Feuilles (et non plus Thrushcross Grange) et la famille Earnshaw devient la famille Gagneur qui habite au domaine de l'Engoulevent (comme Wuthering Heights). De ce fait, La Migration des cœurs peut être qualifié de réécriture postcoloniale[2],[3].

En 1998, sous le titre Windward Heights, le roman La Migration des cœurs est traduit en anglais par Richard Philcox, mari et traducteur de Maryse Condé[4].

Résumé modifier

Maryse Condé reste fidèle au roman de Brontë en racontant l'histoire de la revanche de Razyé sur la famille Linsseuil[3]. Mais, contrairement au récit de Brontë, Condé fait en sorte que Cathy et Razyé aient un enfant, Cathy II. Le secret de cette liaison est toujours gardé et c'est à cause de cela que Cathy II et Razyé II se marient : poussés par un amour inexplicable, ils se sentent attirés l'un vers l'autre. Par la suite de leur liaison, ils ont également un enfant, une petite fille qui s'appelle Anthuria.

Razyé II et Cathy II se réfugient au Roseau et c'est seulement après la mort de Cathy II que Razyé II rentre au domaine de l'Engoulevent avec sa fille.

Le roman se construit par les récits de plusieurs personnages.

Composition modifier

Le roman se compose de 41 chapitres et est divisé en cinq parties qui représentent chacune l'une des îles (Cuba, Basse-Terre, Marie-Galante, Roseau) où se déroule l'histoire.

Personnages principaux modifier

  • Anthuria : fille de Cathy II et Razyé II. Ce personnage n'existe pas dans le texte de Brontë.
  • Aymeric : mari de Cathy, reprend le personnage d'Edgar Linton de Brontë.
  • Cathy : Considérée comme une fille sauvage par sa famille, amante de Razyé, elle est mariée à Aymeric et surnommée "Man Razyé" dans le texte de Condé, ce qui veut dire Madame Razyé en créole.
  • Cathy II : fille de Cathy et Razyé, épouse de Razyé II.
  • Irmine Linsseuil : femme de Razyé , reprend le personnage d'Isabel Linton dans le texte de Brontë.
  • Justin-Marie : fils de Justin Gagneur, il reprend personnage d'Hindley dans le texte de Brontë.
  • Razyé : enfant trouvé par Hubert Gagneur, mais considéré comme un enfant naturel dans le texte de Condé. Il reprend le personnage d'Heathcliff dans le roman anglais. Condé a choisi ce prénom qui est une plante sauvage de Guadeloupe et renvoie ainsi aux landes du Yorkshire en Angleterre.
  • Razyé II, ou Premier-né : enfant de Razyé et de sa femme, Irmine Linsseuil. Il est l'époux de Cathy II qui est aussi sa demi-sœur.

Analyse modifier

Point de vue sur l'ordre social modifier

Dans ce roman, Maryse Condé reprend des thèmes abordés par le livre d'Emily Brontë dont elle s'inspire. Elle explore et approfondit les rapports de domination, qu'is soient sociaux ou raciaux, les empêchements à la mobilité sociale et une société caraïbéenne racialement divisée et imprégnée de préjugés racistes, installés par la diffusion d'idéologies esclavagiste et colonialiste[2]. À travers les interactions entre ses personnages noirs, métis ou békés, l'auteure expose des mentalités façonnées par un racisme devenu ordinaire, notamment l'intériorisation de représentations stigmatisantes par les personnes qui en sont victimes[2],[3]. En outre, elle donne une voix aux « invisibles » : les femmes et les enfants[3].

Choix du titre modifier

Dans un entretien de 2016 avec Françoise Pfaff, l'écrivaine explique le titre de son roman La Migration des cœurs : « J'ai vu dans ce titre une manière d'exprimer que l'histoire se répétait ; il y avait une première génération avec Cathy qui était aimée par Razyé et par de Linsseuil et une deuxième génération avec Cathy II, fille de Cathy, aimée par Premier-né[5]. »

Source d'inspiration modifier

Dans ce même entretien, Maryse Condé fait valoir la dimension caribéenne de son inspiration : « Je vois qu'une Antillaise, Jean Rhys, a écrit un livre La Prisonnière des Sargasses (traduction de Wide Sargasso Sea) à partir d'un ouvrage des sœurs Brontë, celui de Charlotte, intitulé Jane Eyre. À partir de cela, j'ai mieux compris ma passion pour Les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë[6]. »

Langue d'écriture modifier

La Migration des cœurs est un texte écrit en français mais il est caractéristique du style tout à fait singulier de Maryse Condé qui mélange français et créole guadeloupéen, sans glossaire pour le lectorat.

Exemples :

  • « Il lui traitait comme un jouet. Il lui appartenait, avec toutes les qualités des gros mots, les biguines les plus obscènes. Il se tordait à le voir danser en frétillant du bonda ou en pointant son sexe. Il l'encourageait à se déguiser en mas'à kongo ou en mas'à goudron[7]. »
  • « Elle se levait en fredonnant tel ou tel air de biguine. C'étaient des Ban mwen an ti bo ou des Doudou ki jou? pas jodi la! »
  • « Justin se tourna vers Razyé et lui cria comme à un chien: Dèro! Déro, mwen di-w! Mache! »
  • « Ce procédé relève d'une volonté de « dépayser le lecteur qui se rappelle que c'est une histoire guadeloupéenne à travers les sons, les métaphores, les images[8]. »

Ce mélange linguistique fait l'objet d'une revendication stylistique visant à affirmer son statut d'écrivaine dans le champ littéraire francophone. De son point de vue, « Il n'y pas le français. Il y a le français de Proust, de Chateaubriand, de Maryse Condé. J'ai dit clairement par la suite: 'Je n'écris ni en français, ni en créole, j'écris en Maryse Condé.' C'était une réponse aux angoisses que j'avais connues d'utiliser une langue qui ne m'appartient pas. Le français et le créole appartiennent à ceux qui les utilisent[9]. »

Notes et références modifier

  1. Laura Carvigan-Cassin (dir.) et José Jernidier (préf. Lyonel Trouillot), « Bibliographie de Maryse Condé », dans Sans fards, mélanges en l'honneur de Maryse Condé, Pointe-à-Pitre, Presses universitaires des Antilles, , 239 p. (ISBN 9791095177029, BNF 45635091).
  2. a b c d et e Anna Lesne, « Le préjugé racial effacé dans un classique anglais et sa réécriture antillaise », The Conversation, (consulté le ).
  3. a b c d et e Pascale Haubruge, « Maryse Condé et « La Migration des cœurs » : Emily Brontë en Guadeloupe », Le Soir, (consulté le ).
  4. Thomas C. Spear, « Maryse Condé », sur Île en île, (consulté le ).
  5. Françoise Pfaff, Nouveaux entretiens avec Maryse Condé : écrivaine et témoin de son temps, éditions Karthala, Paris, 2016 p. 122.
  6. Françoise Pfaff, Nouveaux entretiens avec Maryse Condé : écrivaine et témoin de son temps, éditions Karthala, Paris, 2016, p. 123.
  7. Maryse Condé, La migration des cœurs, Paris, éditions Robert Laffont, 1995, p. 29.
  8. Françoise Pfaff, Nouveaux entretiens avec Maryse Condé : écrivaine et témoin de son temps, éditions Karthala, Paris, 2016, p. 133.
  9. Françoise Pfaff, Nouveaux entretiens avec Maryse Condé : écrivaine et témoin de son temps, éditions Karthala, Paris, 2016, p. 64.

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Jihad Bahsoun, Réécriture et création dans La migration des cœurs de Maryse Condé, Paris, l’Harmattan, collections : Critiques Littéraires, 2016.
  • (en) Holly Collins, Towards a ‘Brave New World’ : Tracing the Emergence of Creolization in Maryse Condé’s Canonical Rewritings, Women in French Studies, vol. 23, 2015, p. 69-84.
  • Carla Fratta, Conjectures sur la genèse de La migration des cœurs de Maryse Condé, Francofonia, no 61, 2011, p. 163-172.
  • Rosemarie Fournier-Guillemette, (Dis)jonctions du postmoderne et du postcolonial dans la réécriture. La migration des cœurs de Maryse Condé et Wuthering Heights d’Emily Brontë, Figura, no 26, 2011, p. 41-57.
  • (en) Maria Cristina Fumagalli, Maryse Condé’s La migration des cœurs, Jean Rhy’s Wide Sargassos Sea, and (the possibility of) Creolization, The Journal of Caribbean Literatures, automne 2005, vol. 4, p. 195-213.
  • (en) Françoise Lionnet, Narrating the Americas : Transcolonial Métissage and Maryse Condé’s La migration des cœurs, Women in French Studies, special issue, 2003, p. 46-64.
  • Anne Malena, Migration littéraires : Maryse Condé et Emily Brontë, TTR : traduction, terminologie, rédaction, vol. 13, no 2, 2000, p. 47-74.
  • (en) Victoria Bridges Moussaron, A cahier of (Un)spoken Testimony : Maryse Condé and La migration des cœurs, The Journal of Haitian Studies, vol. 16, no 1, 2010, p. 165-177.