La Bonne Âme du Se-Tchouan

Pièce de théâtre de Bertolt Brecht (1938-1940)

La Bonne Âme du Se-Tchouan
Titre original
(de) Der gute Mensch von SezuanVoir et modifier les données sur Wikidata
Format
Langue
Auteur
Genres
Sujets
Morale, vertu, conditions de vie (d), sociétéVoir et modifier les données sur Wikidata
Personnage
Shen-Té (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Date de création
Date de parution

La Bonne Âme du Se-Tchouan (en allemand : Der gute Mensch von Sezuan) est une pièce de théâtre écrite par Bertolt Brecht, commencée en 1938 au Danemark, achevée en 1940 en Suède, avec l'aide de sa collaboratrice Margarete Steffin.

Critique de la religion et du capitalisme, remise en valeur du principe des vertus des Lumières, la pièce met en scène le dilemme d'une jeune fille souhaitant faire le bien, mais dès lors victime de la malice et de l'égoïsme de ses concitoyens, et devenant elle-même corrompue par la nécessité de survie et le système économique capitaliste.

Synopsis modifier

Résumé modifier

Trois dieux voyagent dans la fameuse région reculée de Chine, le Se-Tchouan (Sichuan). Ceux-ci font la rencontre de Wang, un marchand d'eau, à qui ils demandent un gîte. Wang, après de nombreuses tentatives vaines auprès de la population, pense à Shen Té, une jeune prostituée. Elle accepte de loger les trois dieux pour la nuit.

Pour la récompenser, les dieux lui donnent de l'argent, ce qui permet à la jeune femme de racheter un débit de tabac. C'est alors que les ennuis vont commencer : passer par-dessus la misère, c'est aussi l'affronter. Shen Té va ainsi trouver peu de clients, mais beaucoup de mendiants et des commerçants peu scrupuleux face à qui, magnanime, elle ne parvient pas à refuser l'hospitalité ou les factures qui lui sont tendues.

Ne pouvant plus assumer ses engagements, Shen Té se fait passer pour un prétendu cousin, Shui Ta, censé être un excellent et redoutable homme d'affaires.

À chaque fois que Shen Té sera en difficulté, elle fera appel à ce cousin. Et elle le fera de plus en plus car lui seul parvient à maintenir la rentabilité de l'établissement.

Scènes modifier

Prologue modifier

Le jour de la venue des dieux, le marchand d'eau Wang attend aux portes de la ville afin de les accueillir. Il est le seul qui reconnaît les dieux. Étant éreintés par leur long voyage, ils demandent à Wang de leur trouver un logement pour la nuit. À ces mots, Wang demande à plusieurs personnes s'ils seraient prêts à héberger les dieux, mais il ne rencontre que des refus. Au bord du désespoir, il le demande à la prostituée Shen Té, qui est prête à accueillir les dieux. Ceux-ci sont séduits par la gentillesse de Shen Té, et après qu'elle leur a parlé de son métier et des problèmes d'argent qu'elle rencontre, ils lui payent l'hébergement. Avec l'argent qu'elle reçoit, elle a de quoi racheter un petit débit de tabac et promet aux dieux de continuer à être une bonne âme.

Tableau 1 : un petit débit de tabac modifier

Shin, l'ancienne propriétaire du débit de tabac, apparaît. Depuis qu'elle lui a racheté son commerce, Shen Té lui donne tous les jours un pot de riz, ce que Shin juge comme une évidence. Bien que Shen Té n'ait pas encore réalisé de revenus, Shin lui demande de lui prêter de l'argent. Comme Shen Té refuse cette demande, elle se met en colère et l'insulte. Au fur et à mesure apparaît la famille de Shen Té qui a entendu que sa situation s'est améliorée, et veut en tirer des avantages personnels. Ainsi, elle s'installe dans le commerce de Shen Té et envahit ses réserves de tabac. Quand le menuisier apparaît et exige de Shen Té qu'elle s'acquitte d'une autre facture, les membres de la famille lui chuchotent qu'elle doit dire que son cousin payera. Également quand la propriétaire Mi Tsu apparaît pour exiger des références et recevoir le premier loyer, ils soufflent : "Le cousin! Le cousin!". Les membres de la famille sont convaincus que le commerce n'existera plus très longtemps, mais veulent tirer profit de cette période. Quand une dispute éclate entre eux, Shen Té leur conjure de ne pas détruire le commerce, car c'est un cadeau des dieux. En échange, elle leur permet de prendre tout ce qui s'y trouve. Elle voit que son commerce est en train de sombrer.

Interlude : Sous un pont modifier

Le marchand d'eau Wang s'est caché par honte envers les dieux, car il pense qu'il ne leur a pas trouvé d'hébergement. Ils lui apparaissent en rêve et lui expliquent que Shen Té leur a proposé un logement pour la nuit et réprouvent Wang pour sa fuite irréfléchie et son manque de bravoure. Ils lui ordonnent d'aller voir Shen Té et de lui raconter ses actes. Ensuite, ils continuent de voyager pour trouver d'autres hommes comparables à la bonne âme de Se-Tchouan.

Tableau 2 : le débit de tabac modifier

Le nouveau débit de tabac, toujours situé au même endroit, est devenu une boutique luxueuse ; c'est là que le cousin, Shui-Ta, possède son bureau, car il gère l'entreprise de tabac qui alimente sa boutique. C'est dans celle-ci qu'il négocie avec la propriétaire et Fu Shu (le barbier). Avant que Shui-Ta se fasse arrêter, il prévoyait de créer 12 autres petites boutiques.

Contexte historique modifier

La pièce est écrite en 1938, durant la montée du Nazisme dans toute l'Europe. Ayant quitté l'Allemagne à l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933 et déchu de la nationalité allemande en 1935, Bertol Brecht s'est réfugié en Scandinavie.

Mise en scène modifier

Théâtre épique modifier

La pièce, à l'instar du théâtre épique de Bertolt Brecht, ne respecte pas les règles du théâtre classique, notamment la règle des trois unités de temps et de lieu. En lieu et place, elle propose 10 scènes, appelées tableaux, entrecoupés de 7 courts interludes[1].

Distanciation modifier

À plusieurs reprises, des personnages expliquent aux spectateurs un morceau de l'intrigue ou un commentaire de la pièce. Il s'agit de ce que Brecht appelle la distanciation. [réf. souhaitée].

Le choix du Se-Tchouan modifier

Le Sichuan (anciennement écrit Se-Tchouan) est une province située au centre de la Chine.

La pièce est une parabole, et Berlolt Brecht explique que « [l]a province du Se-Tchouan de la fable représentait tous les lieux où des hommes exploitaient d’autres hommes »[2][réf. incomplète].

Le monde décrit dans la pièce est contemporain[3],[1], tant au niveau du temps que de l'espace, et toujours d'actualité au début du XXIe siècle[4].

Personnages modifier

  • Shen Té, la jeune prostituée / Shui Ta, le cousin.
  • Yang Sun, un aviateur sans emploi.
  • Trois dieux.
  • Madame Yang, la mère de Yang Sun.
  • Wang, marchand d'eau.
  • Shu Fu, barbier.
  • La propriétaire Mi Tsu.
  • La veuve Shin.
  • Lin To, menuisier.
  • Feng, le fils du menuisier.
  • L'agent de police.
  • La famille de huit personnes.
  • Le marchand de tapis et sa femme.
  • Le Bonze.
  • Le chômeur.
  • Le serveur.
  • Les passants du prologue.

Thématiques de la pièce modifier

Les conditions de base pour pouvoir poser un acte moral modifier

Bertolt Brecht fait ici la démonstration d'un principe qui lui est cher : permettre à l'homme de s'alimenter est indispensable avant de penser à toute forme de morale. Il est impossible à Shen Té, la Bonne Âme du Se-Tchouan, d'appliquer des principes de bonnes morales face à une misère qui pousse ses voisins à toutes les malices.

« Beaux messieurs, la bouffe vient d'abord, la morale ensuite. »

— Mackie-le-Surineur dans L'Opéra de quat'sous de Bertolt Brecht

« "Comment faire le bien", demande Shen Té aux dieux alors qu'ils prennent congé, et elle ajoute aussitôt : "quand tout est si cher?". Autrement dit, la question de la fin — faire advenir le règne du bien — ne se sépare pas de la question des moyens. »

— Jean Bellorini, in entretiens avec Daniel Loayza

Changer le monde et non une personne individuelle modifier

Selon Bernard Dort, la pièce met également l'accent sur l'inadéquation d'agir en changeant l'homme à titre individuel, mais sur la nécessité de changer le monde dans son ensemble[5].

Le rôle des Dieux modifier

Brecht établit également que ce n'est pas vers les Dieux qu'il y a lieu de se tourner pour changer le monde, mais que ce rôle nous revient directement[réf. souhaitée].

Les Dieux peuvent également être interprétés comme l'intervention de la bourgeoisie pour régler les problèmes des classes populaires, par de bonnes intentions, comme donner de l'argent pour se donner bonne conscience[6].

Une forte critique du capitalisme et de la religion modifier

Durant toute la pièce, Brecht ne cesse de critiquer le capitalisme. Cette critique est présente dans toute la pièce. Mais on retrouve cette critique plus fortement dans le 8e tableau. En effet, la fabrique de Shui Ta est une sorte de mini microcosme du capitalisme. Shui Ta exploite les ouvriers, les fait vivre dans des conditions inhumaines. Cela rejoint la théorie de Marx sur l'exploitation des prolétaires.

Représentations modifier

La pièce est présente pour la première fois sur scène à Zurich en 1943, au plein cœur de la seconde guerre mondiale[1],[7].

Une mise en scène notable en français a lieu en 1958 au Théâtre de la Cité de Villeurbanne, avec une mise en scène de Roger Planchon.

Une version en français est filmée en 1990 par Bernard Sobel, avec Sandrine Bonnaire dans le rôle de Shen Té[8]. Elle est jouée au Théâtre de Gennevilliers

Le Théâtre du Nouveau Monde à Montréal présente en une version dont la musique originale est signée Philippe Brault, le texte français, Normand Canac-Marquis, et la mise en scène, Lorraine Pintal[9].

Philippe Brunet-Guezennec monte au Théâtre du Nord-Ouest en 2024 une version avec 19 comédiens.

Adaptations modifier

La pièce a fait l'objet de plusieurs adaptations en téléfilm :

Notes et références modifier

  1. a b et c Théodore Grammatas, L'hospitalité selon Brecht, « La bonne âme de Se-Tchouan » in Alain Montandon (éd.), L'hospitalité au théâtre, Presses universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2003, OCLC 237696608, pp. 297-305.
  2. Bertolt Brecht, Bertolt Brecht : Essais, cahier 12, 1953.
  3. Sarah Bryant-Bertail, Space and Time in Epic Theatre, Camden House, New York, 2000.
  4. Les Baladins du Miroir, Projet de création 2013: La Bonne Âme du Se-Tchouan de B. Brecht, p. 2
  5. Bernard Dort, Lecture de Brecht, Paris, Le Seuil, 1960, p. 161
  6. Frédéric Ewen, Bertolt Brecht : sa vie, son art, son temps., trad. Élisabeth Gille, Paris, Le Seuil, 1973
  7. Brechts 'Der gute Mensch von Sezuan' in Zürich , Bayerischer Rundfunk, 4 février 1943, écouter en ligne.
  8. La bonne âme du Setchouan (1990), IMDB
  9. « TNM saison 16/17 », sur Bibliothèque et Archives nationales du Québec (consulté le ).
  10. Der gute Mensch von Sezuan, IMDB
  11. La bona persona del Sezua, IMDB

Liens externes modifier

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