John Bowlby

psychiatre et psychanalyste britannique
John Bowlby
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Biographie
Naissance
Décès
Nationalité
Formation
Trinity College
UCL Medical School (en)
Lindisfarne College (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Activités
Père
Anthony Bowlby (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Conjoint
Ursula Longstaff (d) (à partir de )Voir et modifier les données sur Wikidata
Enfants
Mary Hamilton Victoria Ignatia Bowlby (d)
Sir Richard Peregrine Longstaff Bowlby, 3rd Bt. (d)
Pia Rose Whitworth Bowlby (d)
Robert John Mostyn Bowlby (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
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Œuvres principales

Edward John Mostyn Bowlby était un médecin psychiatre et psychanalyste britannique, né à Londres le 26 février 1907 et mort sur l'île de Skye, en Écosse, le 2 septembre 1990. Il s'est particulièrement attaché à trouver l'origine des troubles comportementaux des enfants et des adolescents londoniens juste avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. En reconstituant l'histoire de l'environnement familial des enfants perturbés, il a découvert que les troubles infantiles provenaient fréquemment de la rupture prolongée de la relation entre la mère et son enfant au cours des cinq premières années de vie. Sa méthode d'observation systèmique était proche de celle des éthologues et tranchait avec les méthodes et les concepts en usage chez les psychanalystes freudiens, qui n'ont pas manqué de le critiquer violemment. Cependant, sur la base de ses observations initiales et d'autres par la suite, il a établi les bases de la Théorie de l'attachement. Avec Anna Freud, Donald Winnicott et René Spitz, il a révolutionné la psychiatrie et la psychanalyse des enfants.


Biographie modifier

La famille Bowlby appartenait à la classe aisée à Londres. Quatrième d’une fratrie de six enfants, John a été élevé par une nourrice à la mode britannique de sa classe sociale. Il voyait sa mère seulement une heure chaque jour après le « teatime » (collation de 16 heures), sauf pendant l'été où elle était davantage disponible. Comme beaucoup d'autres mères de l'époque, elle considérait que l’attention et l'affection parentales étaient néfastes pour les enfants. Bowlby a eu la chance de bénéficier d'une nourrice attentionnée et aimante qui fut sa véritable mère. Malheureusement, cette femme quitta la maison quand John n'avait que quatre ans, ce que l'enfant vécut comme un véritable arrachement, d'autant plus qu'il fut confié à une nouvelle nourrice beaucoup moins chaleureuse[2]. À sept ans, il fut mis en pension dans un internat comme c'était l'usage en Angleterre à cette époque. C'était le début de la Première Guerre mondiale. Son père, Sir Anthony Bowlby, chirurgien de la King's Household, fut mobilisé et se trouva éloigné de sa famille. Comme il le signale dans le volume 2 de son livre Attachement et Perte (1972), John Bowlby écrit que cette période a été terrible pour lui. Il dira plus tard « qu'il n'enverrait pas son chien âgé de sept ans dans un internat »[3]. Cependant, il a aussi écrit ailleurs que l'internat pouvait être bénéfique pour éloigner les enfants d'un milieu familial toxique[4].

Bowlby a commencé en 1924, à 17 ans, des études précliniques et en psychologie à Trinity College (Cambridge), en vue d'être médecin comme son père. À part les études sur le développement, les autres matières l'ont peu intéressé. À la fin des trois ans du premier cycle des études médicales qu'il a réussi brillamment, il a fait une coupure et a enseigné pendant deux ans dans diverses institutions. En particulier, il a rencontré John Alford, un enseignant à Priority Gates, une école pour enfant handicapés mentaux, qui l'a convaincu de venir y enseigner. Cette expérience a été déterminante pour lui : « Cela me convenait parfaitement parce que je trouvais cela intéressant. Quand j'ai été là-bas, j'ai appris tout ce que je sais. Cela a été les six mois les plus féconds de ma vie »[5]. C'est dans cette école qu'il a compris que l'origine des problèmes des enfants et des adolescents doit être recherchée dans les traumatismes de la petite enfance et, spécialement, dans la rupture des liens d'affection et de confiance avec leur mère ou leur nourrice.

En 1929, Il a repris se études de médecine à l'hôpital d'University College de Londres, tout en commençant une formation psychanalytique, d'abord avec Joan Rivière, puis, pendant sept ans, avec Mélanie Klein, qui était arrivée à Londres, venant de Berlin, quelques années auparavant, et dont les idées sur les troubles de la petite enfance ne s'accordaient pas du tout avec celles de Bowlby[6]. Après avoir soutenu sa thèse de médecine en 1933, Bowlby s'est spécialisé en psychiatrie à l'hôpital Maudsley.

En 1937, il a 30 ans. Il obtient la qualification de psychanalyste et rejoint l'équipe de la London Child Guidance Clinic. Cette clinique, située à Islington, un quartier de Londres au Nord de la Cité, était un centre de consultations psycho-sociales ouvertes aux enfants (surtout adolescents) et à leurs parents. Les principaux problèmes rencontrés étaient le retard mental, la nervosité, l'insomnie, la délinquance, les enfants ingérables, etc. En 1938, Bowlby s'est marié avec Ursula Longstaff, fille de chirurgien, avec qui il a eu quatre enfants.

En 1940, il a été mobilisé dans le service médical de l'armée (Royal Army Medical Corps) avec le grade de lieutenant-colonel. La Child Guidance Clinic a été évacuée à Cambridge à cause des raids aériens sur Londres. Bowlby a fait des aller-retour fréquents entre Londres et Cambridge où il continuait de suivre les enfants qu'il avait en charge. Il est en contact avec Anna Freud et Dorothy Burlingham qui ont hébergé quatre-vingts très jeunes orphelins dans une grande maison à Hampstead et qui étudient leur comportement, tout en prenant soin d'eux[7]. Il connait aussi les recherches de René Spitz sur les jeunes enfants en orphelinats[8]. C'est pendant cette période que Bowlby rédige les résultats de ses observations auprès de jeunes délinquants londoniens, qui seront publiés à la fin de la guerre.

En 1946, il est chargé de créer le service de psychothérapie infantile à la clinique Tavitstock. En 1950, il accueille dans son service une jeune américaine, Mary Ainsworth, qui avait fait une thèse à Toronto sur la théorie de la sécurité de William Blatz, selon laquelle tout être humain, au cours de sa petite enfance et de son enfance, a besoin de développer une confiance fondamentale en une personne de référence pour braver l'insécurité et explorer le monde. C'est une idée essentielle qui sera intégrée dans la théorie de l'attachement.

En 1950, Ronald Hargreaves, psychiatre anglais, qui avait brièvement travaillé à la clinique Tavitstock, et qui était le premier directeur de la section "Santé mentale" de l'Organisation Mondiale de la Santé, demande à Bowlby un rapport sur la manière de faire face aux 15 à 16 millions d'enfants orphelins européens qui souffraient de graves troubles du comportement. Le rapport de Bowlby[4] est publié en 1951 et traduit en 14 langues. Il remporte un énorme succès : 400.000 exemplaires sont écoulés.

En 1952, John Bowlby et son confrère James Robertson produisent un film documentaire intitulé "Une enfant de deux ans va à l'hôpital" dans lequel on suit pas à pas l'évolution de la détresse d'une enfant normale au cours d'une hospitalisation banale de huit jours[9]. Le film est violemment critiqué par les psychanalystes, notamment par Mélanie Klein. Mais il a un gros impact sur les soignants et le grand public si bien que l'idée s'impose de permettre aux mères de passer la nuit à l'hôpital avec leurs enfants hospitalisés pour diminuer le stress des enfants dû à la séparation.

En 1969, Bowlby publie le premier volume de son ouvrage majeur "Attachement et Perte" qui rencontre immédiatement l'hostilité du milieu psychanalytique qui contrôle aussi bien les nominations aux postes de psychiatrie dans les hôpitaux que les comités de lecture chez les éditeurs. Il faudra neuf ans pour que l'ouvrage soit traduit et publié en français[10].

John Bowlby meurt le 2 septembre 1990 dans sa maison de campagne sur l'Île de Skye en Écosse.

Travaux modifier

Méthode : éthologie humaine modifier

Il faut considérer que jusque dans les années 1940, il était entendu que la délinquance juvénile était due à des instincts d'immoralité et de perversion et que le traitement normal des enfants déviants était de les enfermer dans des bagnes ou des maisons de correction[11]. La psychanalyse proposait une prise en charge personnelle pour les enfants de classes aisées mais elle opérait sur la base des idées de Sigmund Freud sur la sexualité infantile. De plus, il était admis que les facteurs héréditaires (génétiques) constituaient la base de la personnalité humaine.

L'approche de Bowlby était révolutionnaire. Son expérience avec les enfants de l'école Priority Gates l'avait convaincu que les évènements réels de leur vie étaient à l'origine de leur comportement perturbé. Quand il est arrivé à la London Child Guidance Clinic, il s'est employé à reconstituer l'histoire de chaque enfant, de ses relations, ou de son absence de relations, avec ses proches. Adepte du Darwinisme, il était persuadé que l'état psychique présent d'un individu était le résultat d'une évolution et dont il importait de reconstituer les évènements significatifs pour espérer en corriger les effets. Il a donc adopté une démarche d'observation des comportements des enfants, en accord avec la démarche que Charles Darwin expose dans L'Expression des émotions chez l'homme et les animaux. En fait, l'éthologie humaine, initiée par John Bowlby, Anna Freud et René Spitz, a précédé de quelques années l'éthologie animale moderne, développée dans les années 1940-1950 avec les études de Konrad Lorentz sur les oies et celles de Harry Harlow sur les bébés singes.

Quarante-quatre jeunes voleurs modifier

C'est à la London Child Guidance Clinic que Bowlby a réalisé son premier travail scientifique sous la direction de Cyril Burt, professeur de psychologie à University College Medical School. Il a constitué au fil des ans deux cohortes de quarante-quatre jeunes avec des difficultés relationnelles, voleurs d'un côté et non délinquant de l'autre. Pour chacun, il a consigné son histoire et l'histoire de son environnement familial et scolaire. Il ne s'est pas contenté d'analyser les dires ou les souvenirs des jeunes, comme c'était la coutume des psychanalystes à l'époque, en cherchant l'origine de leur problèmes dans leurs fantasmes et les conflits internes à leur subconscient. Il a d'emblée cherché la source de leurs troubles dans les interactions, ou l'absence d'interactions, avec les personnes de leur entourage. Il a d'abord remarqué que, ce qui différenciait les deux groupes, était l'indifférence affective des voleurs: ils ne paraissaient affectés ni par leurs actes ni par les punitions qu'ils entrainaient. Les parents des deux cohortes avaient tous rencontré des difficultés sociales et affectives. Bowlby a remarqué que, dans le groupe des voleurs, dix-sept jeunes avaient été soumis à une période de séparation prolongée de leur mère pendant leur petite enfance, alors que, dans le groupe des enfants non délinquants, il n'y avait eu que deux séparations précoces. Cette observation a conduit Bowlby à accorder une importance primordiale au lien établi entre une mère et son enfant, et à attribuer l'origine des troubles à long terme du comportement à la rupture prolongée de ce lien au cours des cinq premières années de vie. Cette étude a fait l'objet d'une publication[12] qui a eu un grand retentissement malgré la critique des psychanalystes qui considérait la thèse de Bowlby comme une hérésie par rapport à l'orthodoxie freudienne. Certains allant jusqu'à parler de « Ali Bowlby et ses quarante voleurs » et à déconseiller de faire une psychanalyse avec lui[13].

Soins maternels et santé mentale - Rapport pour l'OMS modifier

En 1950, le Conseil Économique et Social des Nations-Unies a décidé d'entreprendre une étude sur « les besoins des enfants sans foyer, orphelins ou séparés de leur foyer qui doivent être confiés à des foyers nourriciers, à des institutions ou à d'autres organisations d'assistance collective ». L'OMS a proposé de se charger de la partie de l'étude qui concernait la santé mentale et a confié la tâche à John Bowlby. À cette fin, Bowlby a visité ses confrères en France, en Suède, en Suisse, aux Pays-bas, aux États-Unis et, bien sûr, en Grande Bretagne. Il a constaté un large consensus pour reconnaitre que la carence d'affection maternelle dans la petite enfance était une des causes primordiales des troubles infantiles du comportement.

« Notons seulement ici un principe auquel on accorde une importance fondamentale pour la santé mentale : le nourrisson et le jeune enfant devront avoir été élevés dans une atmosphère chaleureuse et avoir été unis à leur mère (ou à la personne faisant fonction de mère) par un lien affectif intime et constant, source pour tous deux de satisfaction et de joie. Grâce à ce lien affectif, les sentiments d'angoisse et de culpabilité, dont le développement exagéré caractérise la perturbation de la santé mentale, seront canalisés et ordonnés. [...] La complexité, la richesse et les bénéfices de ces liens affectifs tissés entre la mère et l'enfant au cours des premières années, et dont l'aspect est modifié à l'infini par les relations avec le père et les frères et sœurs, président, selon les psychiatres d'enfants, au développement du caractère et de la santé mentale. On désigne sous le nom de carence en soins maternels une situation où l'enfant ne jouit pas de ce lien affectif.[14] »

John Bowlby fustige particulièrement les orphelinats dans lesquels il n'existe aucune personne déterminée, chargée de s'occuper individuellement de chaque enfant et susceptible de faire naître chez lui un sentiment de sécurité.

« Les théories situant l'origine des troubles mentaux dans ces intimes évènements familiaux sont évidemment en opposition marquée avec les théories de l'école psychiatrique allemande. Ces dernières mettent l'accent sur les facteurs constitutionnels et héréditaires qui parfois évoquent la notion calviniste de prédestination. Il suffit d'indiquer qu'il n'existe pas de preuves en faveur de ces thèses extrémistes et que l'importance relative des facteurs hérédité et milieu reste encore à déterminer.[15] »

Documentaires filmés avec James Robertson modifier

James Robertson, qui était un travailleur social et un psychologue, qui n'avait aucune formation ni habitude du cinéma, s'est procuré une caméra et du film pour enregistrer des enfants hospitalisés. Son but était de pouvoir analyser leurs réactions comportementales au stress de la séparation d'avec leur mère, à tête reposée, à distance de l'empathie naturelle de l'observateur et de la non empathie professionnelle des soignants, comme il l'explique dans le petit article accompagnant le documentaire[9]. Les auteurs ont ainsi démontré que, lorsqu'un jeune enfant est séparé de sa mère pendant une période d'hospitalisation, il passe par trois phases successives quand la séparation se prolonge : D'abord protestation, puis désespoir et enfin détachement. Dans la phase de protestation, l'enfant manifeste son désarroi en pleurant, en criant et en appelant sa mère. Si la séparation est brève, les choses rentre dans l'ordre sans séquelles. Si la séparation dure, l'enfant sombre dans le désespoir et devient apathique. Il est calme et triste. Il perd intérêt pour ce qui se passe autour de lui. Quand il retrouve sa mère, il tend à coller à elle et à rester triste et peureux. Avant de revenir à une attitude normale, il lui faudra manifester sa mauvaise humeur contre le sort qu'il a subit. Quand la séparation se prolonge, l'enfant entre dans la troisième phase, le détachement. Après son retour à la maison, il fait comme si sa mère n'existait pas et comme si rien ne lui importait. Ses relations avec les autres restent superficielles. C'est l'état le plus difficile à corriger. Ces observations ont contribué à la théorie de l'attachement exposée dans Attachement et Perte.

Trilogie Attachement et Perte modifier

Avant la publication des trois volumes d'Attachement et Perte en 1969, 1972 et 1980, les principaux traits de la théorie de l'attachement, élaborés à partir de l'éthologie et de la psychologie du développement, furent présentés sous forme de trois communications, maintenant classiques, à la Société britannique de psychanalyse : La nature du lien de l'enfant à sa mère (1958), Séparation et anxiété (1959) et Chagrin et deuil dans la première enfance (1960). Bowlby rejetait les explications freudienne de l'amour de l'enfant pour sa mère et, réciproquement, les psychanalystes rejetait sa théorie de l'attachement. À la même période, son ancienne collègue Mary Ainsworth terminait une étude sur la nature des attachements infantiles en Ouganda, en utilisant l'approche éthologique de Bowlby. Les résultats de ces recherches ont contribué grandement au socle des évidences de la théorie de l'attachement présentée par Bowlby à partir de 1969. Une nouvelle édition d'Attachement et Perte, publiée en 1982, a intégré d'autres données plus récentes.

Selon Bowlby, les enfants cherchent à s'attacher à une personne en qui ils ont confiance pour les protéger de la peur de l'inconnu perçu comme dangereux, ce qui peut être interprété comme un instinct basique de survie. Ils ont besoin de cette base de sécurité pour pouvoir explorer le monde. Les enfants s'attachent aux adultes qui répondent à leur demande d'interactions et de sécurité et ces liens sont particulièrement critiques entre l'âge de six mois et l'âge de deux ans.

« Après sept mois, alors que l'enfant différencie de mieux en mieux les personnes qui lui sont étrangères ou familières, il commence à développer une relation d'attachement, franche et sélective, à une personne spécifique. La figure d'attachement[16] est la personne vers laquelle l'enfant dirige son comportement d'attachement. Est susceptible de devenir une figure d'attachement tout adulte (dans les conditions normales) qui s'engage dans une interaction sociale et durable animée avec le bébé, qui répondra facilement à ses signaux et ses approches[17]. »

Les réponses parentales aux besoins des enfants conduisent au développement de réseaux d'attachement qui, à leur tour, conduisent à la formation de modes opératoires internes[18] qui guideront les émotions, les pensées et les relations sociales. Plus spécifiquement, Bowlby explique dans son ouvrage que tout humain développe un mode opératoire interne envers soi et un mode opératoire interne envers les autres. Ces modes opératoires se construisent au cours des relations avec la première personne qui prend soin de lui (la figure d'attachement primaire). Le mode opératoire envers soi déterminera la confiance de l'individu envers lui-même et son degré d'indépendance vis-à-vis des autres. Le mode opératoire envers les autres marquera la manière dont l'individu abordera les autres et s'engagera dans les relations sociales : engagement ou retrait. Dans son approche, Bowlby considère que l'enfant a besoin d'une relation sécurisée avec une figure d'attachement adulte sans quoi son développement émotionnel et social sera perturbé.

Évolution ultérieure de la théorie de l'attachement modifier

John Bowlby s'est beaucoup focalisé dans ses premières recherches sur la nécessité pour un enfant d'avoir une relation intime, chaleureuse et permanente avec sa mère, ou sa nourrice, et que, à défaut, il souffrira de troubles importants et irréversibles. Cependant cette conception de l'exercice de l'amour maternel s'est heurtée aux conditions sociologiques de l'après guerre. Pendant la guerre, les femmes avaient pris la place des hommes pour faire fonctionner le pays dans tous les domaines, agriculture, industrie, administration, transport, services, etc. Elles s'étaient découvert des compétences et une autonomie nouvelles. Il leur était extrêmement difficile de redevenir femmes au foyer selon le modèle patriarcal ancien que supposait les propositions de John Bowlby. D'autre part, si le rapport de Bowlby avait eu un énorme succès qui avait permis d'améliorer les conditions d'accueil des enfants séparés de leurs parents, il avait aussi donné lieu à des interprétations abusives. De plus, la recherche s'était enrichie de nouvelles observations. Si bien que l'OMS a demandé à Bowlby de réévaluer ses conceptions de 1950. Ce qui fut fait en 1962 par la publication d'un livret rassemblant plusieurs contributions dont celle de sa collaboratrice Mary Ainsworth [19].

Par la suite, la théorie de l'attachement a été reformulée par Michael Rutter, pédopsychiatre et directeur de la clinique Tavitstock à partir de 1966. Rutter a montré, en 1972, à partir de nouvelles observations, que Bowlby n'avait que partiellement raison, d'une part, parce que le rôle de la mère pouvait être tenu par une autre personne et que d'autres personnages de l'entourage avaient un rôle dans la sécurisation du bébé et, d'autre part, parce qu'il y avait d'autres causes engendrant des troubles du comportement, notamment le dysfonctionnement de la famille et la maltraitance. Ces mises au point ont abouti à classer la perte précoce du lien maternel comme un facteur de vulnérabilité parmi d'autres[20].

Critiques des thèses de Bowlby modifier

Mélanie Klein, qui avait été la superviseure de Bowlby en psychanalyse, considérait son approche comme exotique et pas sérieuse. Pour elle, tous les problèmes psychiques des enfants étaient issus de leurs fantasmes et des conflits internes à leur subconscient. Pour d'autres, les explications basées sur les anomalies du développement étaient irrecevables parce qu'étrangères aux conceptions psychanalytiques de l'époque.

Margaret Mead n'était pas convaincue du caractère indispensable de la mère, ou d'une nourrice de substitution. Elle ajoutait que l'attachement était une théorie inventée par les hommes pour empêcher les femmes de travailler. Elle pensait qu'un groupe social suffisait, ce qui semble confirmé par les recherches sur les sociétés asiatiques ou africaines[21]. Selon un proverbe africain: « il faut tout un village pour élever un enfant »[22].

Voici ce que dit Bowlby de la réception de ses publications :

« Certains groupes ont reçu [mes observations] avec grand enthousiasme, d'autres étaient mitigés et d'autres hostiles. Chaque profession a réagi différemment. Les travailleurs sociaux les ont prises avec enthousiasme ; les psychanalystes avec précaution et les pédiatres, à ma grande déception, furent initialement hostiles mais se sont finalement laissés convaincre et sont devenus de fervents supporteurs. Les psychiatres pour adultes sont restés totalement à l'écart, totalement ignorants, totalement non intéressés[23]. »

Influence en France modifier

Avant que les travaux de Bowlby ne soient connus en France, Jenny Aubry, qui a été la première femme docteur en médecine, a identifié les dégâts provoqués par la carence en soins maternels dès 1946. « Notre expérience continue depuis dix ans a renforcé notre opinion concernant la gravité et l'irréversibilité des formes graves et continues de carences survenues entre 3 et 15 mois. Les déficiences et les anomalies du développement physique et psychique de ces enfants ballotés d'hôpital en institution, n'ayant eu de leur famille que des soins matériels médiocres, peu d'affection et, en tout cas, jamais de sécurité et de stabilité[24]. »

Pour Boris Cyrulnik, « celui qui a le plus nettement modifié par culture psy des années 1970, c'est René Zazzo, qui a fait entrer l'attachement dans les universités ». Ce dernier a notamment organisé un colloque rassemblant des chercheurs de différentes spécialités, vétérinaires, éthologues, neurologues, psychanalystes, dont les communications ont été rassemblées dans un ouvrage qui a eu beaucoup de succès[25]. Serge Lebovici a participé à l'ouvrage de l'OMS Privation de soins maternels. Une réévaluation, en 1962, avec une communication intitulée "Aperçu des recherches sur la notion de carence maternelle" [26]. Après un séminaire à l'hôpital de Bobigny, il a publié un livre qui a aussi fait date dans les années 1980[27]. Boris Cyrulnik lui-même, ainsi qu'Hubert Montagner et Jacques Cosnier ont contribué à répandre en France la théorie de l'attachement[28]. Sur la base de ces travaux, Simone Veil a initié, en 1975, un programme de formation pour les personnels engagés dans les pouponnières, insistant sur la qualité des soins délivrés aux enfants dans ces services[29]. En septembre 2019, une commission de 18 experts s'est réunie, à l'initiative du Président de la République, pour proposer une politique à mener vis-à-vis des 1000 premiers jours des enfants et de leurs parents. Cette commission a remis en septembre 2020 un rapport dans lequel les concepts fondamentaux et les préconisations s'inscrivent dans la continuité de la théorie de l'attachement de John Bowlby.

« Les 1000 premiers jours de l'enfant constituent aujourd'hui un concept incontournable pour de nombreux scientifiques afin de souligner cette période clé pour tout individu. En effet, il s'agit d'une période sensible pour le développement et la sécurisation de l'enfant, qui contient les prémisses de la santé et du bien-être de l'individu tout au long de sa vie [...] La période recèle des enjeux considérables pour la société dans son ensemble et doit intéresser les pouvoirs publics. Garantir la bonne santé et le développement des enfants aujourd'hui, c'est agir pour les parents, les citoyens et la société de demain[30]. »

Biographie de Darwin modifier

À la fin de sa vie, Bowlby a écrit une biographie de Charles Darwin, qui ne sera publiée qu'en 1991, après sa mort. Il a toujours été inspiré et fasciné par les écrits de Darwin et par le fait qu'il ait perdu sa mère à l'âge de huit ans et ait été mis aussitôt en pension, une enfance qui ressemblait à la sienne. Il s'est demandé si la mauvaise santé de Darwin n'était pas psychosomatique et n'avait pas pour origine les traumas de son enfance et, peut-être même, celle de ses parents et de ses grands-parents. C'est un exemple de la manière dont Bowlby analysait le contexte proche et lointain d'un individu pour le comprendre.

« En vue d'avoir une compréhension claire des relations existant entre les membres d'une famille quelconque, il est souvent éclairant d'examiner comment le réseau des relations familiales a évolué. Ceci conduit à étudier les générations antérieures, les catastrophes et les autres évènements qui ont pu affecter leurs vies et affecter le réseau des relations familiales. Dans le cas de la famille dans laquelle a grandi Darwin, je pense qu'une telle recherche serait amplement récompensée. Rien que pour cela, il faudrait démarrer avec la génération de ses grands-parents. »


Bibliographie modifier

Traductions françaises modifier

  • John Bowlby, Attachement et perte, vol. 1 : L'attachement, Paris, PUF, , 540 p. (ISBN 978-2-13-052922-4)
  • John Bowlby, Attachement et perte, vol. 2 : La séparation - Angoisse et colère, Paris, PUF, , 557 p. (ISBN 978-2-13-056126-2)
  • John Bowlby, Attachement et perte, vol. 3 : La perte - Tristesse et dépression, Paris, PUF, , 604 p. (ISBN 978-2-13-052-923-1)
  • John Bowlby, Charles Darwin. Une nouvelle biographie, Paris, PUF, , 544 p. (ISBN 978-2-130-46238-5)
  • John Bowlby, Le lien, la psychanalyse et l'art d'être parent, Paris, Albin Michel, (ISBN 978-2226208927)
  • John Bowlby, Amour et rupture. Les destins du lien affectif, Paris, Albin Michel, (ISBN 978-2-226-25372-9)

Notes et références modifier

  1. « https://wellcomecollection.org/works/eht3qe6d »
  2. (en) S. Van Dijken, John Bowlby: His Early Life: A Biographical Journey into the Roots of Attachment Theory, Londres, Free Association Books,
  3. (en) J. Schwartz, Cassandra's Daughter: A History of Psychoanalysis., Allen Lane, Viking, (ISBN 978-0-670-88623-4), p. 225
  4. a et b John Bowlby, Soins maternels et santé mentale. Contribution de l'Organisation Mondiale de la Santé au Programme des Nations Unies pour la protection des enfants sans foyer, Genève, OMS, , 208 p. (lire en ligne)
  5. (en) J. Kanter, « John Bowlby, Interview with Dr. Milton Senn. Beyond the Couch: The Online Journal of the American Association for Psychoanalysis in Clinical Social Work, Issue 2. », sur beyondthecouch,
  6. Boris Cyrulnik, Quarante voleurs en carence affective. Bagarres animales et guerres humaines, Paris, Odile Jacob, , 345 p. (ISBN 978-2-4150-0396-8), p. 135
  7. (en) Anna Freud and Dorothy Burlingham, War and Children : A message to american parents, New York, International University Press,
  8. (en) René Spitz, « Hospitalism : An inquiry into the genesis of psychiatric conditions in early childhood », Psychoanalytic Study of the Child, vol. 1, no 1,‎ , p. 53-74
  9. a et b (en) John Bowlby and James Robertson, « A two-years-old goes to the hospital », Proceedings of the Royal Society of Medecine, vol. 46, no 6,‎ , p. 425-427 (lire en ligne)
  10. Boris Cyrulnik 2023, p. 313.
  11. Boris Cyrulnik 2023, p. 134.
  12. (en) John Bowlby, « Forty-four juvenile thieves. Their characters and home life », International Journal of Psychoanalysis, vol. 25,‎ , p. 19-52
  13. Boris Cyrulnik 2023, p. 135-137.
  14. Bowlby OMS 1951, p. 11-12.
  15. Bowlby OMS 1951, p. 14.
  16. Le terme anglais care giver est traditionnellement traduit en français par figure d'attachement.
  17. Romain Dugravier et Anne-Sophie Barbey-Mintz, « Origine et concept de la théorie de l'attachement », Enfance et Psy, vol. 66, no 2,‎ , p. 14-22 (lire en ligne)
  18. Internal working model, ce qui est traduit en franglais médical par modèle interne opérant ou MIO.
  19. Mary Ainsworth et al., Privation de soins maternels, une réévaluation, vol. 14, Genève, OMS, coll. « Public Health Papers », , 168 p. (lire en ligne)
  20. (en) Michael Rutter, Maternal deprivation reassessed, Harmondsworth, Penguin,
  21. Boris Cyrulnik 2023, p. 148.
  22. Nathalie Casso-Vicarini et al., Là où tout commence - les 1000 premiers jours, Paris, Odile Jacob/Le cherche midi, , 255 p. (ISBN 978-2-749-17604-8), p. 129
  23. (en) J. Kanter, « John Bowlby. Interview with Dr. Milton Senn », sur Beyond the couch - On line Journal of the American Association for Psychoanalysis in Clinical Social Work. Issue 2,
  24. Jenny Aubry, La carence de soins maternels, Paris, PUF,
  25. René Zazzo et al., L'Attachement, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé,
  26. Ainsworth OMS 1962, p. 74-94.
  27. Serge Lebovici et Serge Stoléru, Le nourrisson, la mère et le psychanalyste. Les interactions précoces, Paris, Le Centurion,
  28. Boris Cyrulnik et al., « Numéro spécial : Éthologie clinique », Psychologie médicale, vol. 16, no 2,‎
  29. D. Rapoport, Bien-traitance : l'opération pouponnières d'hier à aujourd'hui pour demain. Dans Temps et rythmes en périnatalité, Paris, Érès, , p. 71-82
  30. Boris Cyrulnik et al., Les 1000 premiers jours, là où tout commence - Rapport de la commission des 1000 premiers jours, Ministère de la Santé et des Solidarités, , 125 p. (lire en ligne)

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier