John Batchelor (missionnaire)

anthropologue

John Batchelor (missionnaire)
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Généralités
Nom Révérend John Batchelor
Titre John Batchelor
Date de naissance 20 mars 1855
Lieu de naissance Uckfield, Sussex, Angleterre
Date de décès 2 avril 1944
Âge au décès 89 ans
Lieu de décès Hertford, Angleterre
Nationalité Anglais
Pays de résidence Japon
Spiritualité
Religion Christianisme évangélique
Église Église anglicane
Fonctions
Service Missionnaire, orientalisme
Activité(s) Linguiste
Vie personnelle
Conjoint(e) Louise Andrewes (1842-1936)
Enfant(s) Yaeko Mukai (fille adoptive)

Le révérend John Batchelor D.D., OBE () est un missionnaire anglican envoyé par la Church Mission Society évangéliser le peuple aïnou dans l'île d'Hokkaidō au Japon. Ce peuple est connu en France par l'enquête des Leroi-Gourhan bien qu'ils ne citent pas les travaux de J. Batchelor[Note 1] et par les nombreuses observations de Lapérouse en [1].

Biographie modifier

John Batchelor est né à Uckfield, dans le Sussex ; son père, William Batchelor, était tailleur et assistant paroissial. John est le sixième d'une fratrie de onze enfants. Il fait sa scolarité sur place puis, grâce au soutien du révérend E.T Cardale, il part à Londres où il est admis au collège de la Church Missionary Society à Islington.

Le , il part pour Hong Kong avec un groupe de missionnaires. Dès son arrivée, le , il commence à apprendre le chinois, mais le climat trop chaud et humide ne lui convient pas et il attrape la malaria. Son médecin lui conseille de partir au Japon.

Le , il embarque pour Yokohama et admire le Mont Fuji pendant la traversée. Il y reste jusqu'au et s'embarque pour Hakodate : le voyage dure une semaine par manque de vent. La ville était la plus peuplée de Hokkaido avec ses 20 000 habitants. Il devient élève-prêcheur d'un assistant de Walter Dening[2]. En , il rencontre le gouverneur à Sapporo. Pour apprendre la langue des Aïnous, il s'installe quelques mois dans cette ville et vit avec un Aïnou de Sakhaline. Puis il retourne en décembre à Hakodate apprendre le japonais et rendre visite aux colonies aïnous. Il se lie d'amitié avec un vieux couple d'Aïnous demeurant à Katukimi, au pied du Mont Esan.

 
Batchelor et quatre Aïnous
 
Le chef Perri devant sa case à Piratori

En 1879, Batchelor adhère à la Church Missionary Society. Il rencontre trois Aïnus dans le village d'Usu et se lie avec le riche marchand Tomizo Mukai dont il adoptera une des filles, Yaeko, plusieurs années plus tard. En septembre, il s'installe à Piratori, invité par le chef Perri et continue d'apprendre la langue. Il doit s'adapter, non sans mal, aux conditions de vie locales, à l'alimentation végétarienne et à l'absence d'électricité. En , il embarque pour Aomori et s'intéresse à la langue parlée à Tsugaru. À son retour en , il constate avec émotion que le chef Perri lui a aménagé une pièce dans sa maison.

En , il rentre à Londres travailler dans un collège théologique pendant un an. À son retour à Hakodate, il s'installe à nouveau chez le chef Perri et rédige son premier lexique de 6 000 mots aïnous, tout en commençant à prêcher. Il supporte de plus en plus mal le régime alimentaire et tombe malade.

En 1884, à 29 ans, il épouse Louise Andrewes, représentante de l'église catholique japonaise, qu'il courtisait depuis plusieurs années et qui a treize ans de plus que lui. En , il donne des conférences en langue aïnou à Osaka. Il invite le fils de Yoshizo Kannari à Hakodate, avec l'accord de son père, aux idées progressistes, et lui enseigne le christianisme en échange de cours d'aïnou. Yoshizo se convertit au christianisme ; il est baptisé en décembre. Pour Batchelor, c'est une victoire, la consécration de dix années de vie de missionnaire. En témoignage de gratitude, Yoshizo lui loue un trois-pièces avec cuisine où Batchelor, sa femme et leurs serviteurs s'installent en .

En , il fait un séjour de six mois à Tokyo où il étudie la théologie. Il est nommé diacre de l'église catholique japonaise.
À son retour, il crée une école à Horobetsu dont il nomme Taro directeur : les élèves apprennent à lire et écrire en aïnou les mathématiques, par le biais du rōmaji ; on leur enseigne aussi la couture et le chant (hymnes). Il existe d'ailleurs actuellement, dans cette ville, des cours d'aïnou[3]. Batchelor repart faire un séjour de six mois à Tokyo pour continuer à étudier la théologie et il est nommé presbyter.

 
Les trois évangiles
 
L'évangile selon Jean

En 1889, il publie l'Aïnu japonais en anglais et son dictionnaire trilingue, financé par le bureau gouvernemental d'Hokkaido. C'est la première publication japonaise en Romaji.

En 1890, il fait un séjour en Angleterre pendant lequel il finit de traduire les trois évangiles dits selon Marc, Luc et Jean. En il déménage à Sapporo où il crée une seconde école à Motomachi dont le principal sera Nettleship ainsi qu'un hôpital accolé à sa maison. Son rôle de médecin est très apprécié de la population. Mais la CMS refuse de financer les frais.

En , deux églises sont construites, une à Usu et l'autre à Piratori, où il envoie la missionnaire-infirmière Mary Briant, qui restera vingt-deux ans au Japon. L'année suivante, il publie le Nouveau Testament en aïnou.

 
Tunique brodée de chef Aïnou

Il retourne à Londres de à et publie en anglais The Aïnu and their folklore.

En , il recrute une dizaine d'Aïnous pour représenter leur civilisation à l'exposition universelle de Saint-Louis organisée par W. J. McGee et Frederick Starr (1858–1933), professeur d'anthropologie à l'Université de Chicago, et pour celle de Londres en 1910[4].

En , Batchelor et sa femme adoptent la fille de Tomizo Mukai, Yaeko : elle a 22 ans et l'aidera dans ses missions ; elle écrira de nombreux poèmes en langue aïnou[5]. En 1908, après la guerre russo-japonaise, Yaeko accompagne ses parents adoptifs dans l'île de Sakhaline et l'année suivante ils rentrent tous les trois en Angleterre en train via Vladivostok. Pendant son séjour en Angleterre, elle fit une conférence sur le statut des femmes Aïnous qui fit une profonde impression sur son auditoire.

À son retour au Japon, Batchelor se lance dans un projet de pensionnat pour jeunes gens pour les préparer à entrer au collège mais la CMS de Londres refuse encore une fois de financer l'opération et Batchelor démissionne.

En 1918, Batchelor présente au linguiste Kyōsuke Kindaichi la poétesse Kannari Matsu à Horobetsu dans la province d'Iburi qui est alors membre de l'église épiscopale locale jusqu'en 1926. Quand elle prend sa retraite, elle va transcrire son répertoire d'épopées aïnous en dialecte Horobetsu : jusqu'à sa mort en 1961, elle remplit 72 carnets pour Kindaichi et 52 pour son neveu Chiri Mashiho, soit un total de plus de 20 000 pages. Kindaichi publia sept carnets et leur traduction en japonais, de 1959 à 1966[6].

En , Batchelor publie Ainu Life and Lore en anglais (Kyobunkan publishing house) et l'année suivante son autobiographie (Bunryikusha publishing company). En 1931 son épouse meurt à l'âge de 91 ans : elle est enterrée au cimetière de Maruyama à Sapporo.

Batchelor revient en Angleterre pour la cinquième fois. Puis, à son retour au Japon, il termine son dictionnaire trilingue qu'il publie avec l'aide de Yoshichika Tokugawa.

Il doit revenir définitivement en Angleterre en à cause de la conjoncture politique, en passant par le Canada. Il meurt à l'âge de 89 ans.

Impact de son travail modifier

 
La famille Aïnou au service des Batchelor en 1892

Doté d'une forte empathie, Batchelor a réussi à nouer avec les aborigènes aïnous des relations de confiance et d'estime malgré son statut de missionnaire chrétien. Certes, il s'était engagé à faire connaître le Christ par la prédication complétée par des œuvres caritatives et éducatives ainsi que ses témoignages de vie personnelle. Mais il a, en chemin, contribué à la connaissance d'une langue et d'une culture minoritaires en voie d'extinction[Note 2] ; il est pour beaucoup dans la réhabilitation de la littérature orale et sa survie, comme le prouvent par exemple ses relations avec le linguiste Kyōsuke Kindaichi. En ce qui concerne ses observations sur la vie quotidienne des Aïnous[7] on peut relever que son analyse est souvent précieuse : sa remarque, par exemple, concernant l'usage des moustache lifters pendant les libations, qui semble anecdotique, est corroborée par les anthropologues[Note 3]. Sa description de la fête de l'ours a donné lieu à des comparaisons récentes avec d'autres fêtes de l'ours, par exemple dans la tribu des Olcha[8].

Il a également réussi à survivre et obtenir le respect des autorités japonaises, ainsi que leur aide notamment éditoriale, pendant plusieurs décennies, en une période particulièrement troublée de l'histoire régionale et internationale et dans un contexte local où une présence occidentale, souvent critique, n'était pas bienvenue.

Comme Thomas Bridges, en dépit des nombreux mois de formation suivie tout au long de sa vie et de ses cinq longs séjours studieux en Angleterre, Batchelor n'a pas bénéficié de la formation linguistique et anthropologique satisfaisante qui lui aurait permis d'éviter les critiques universitaires concernant son œuvre écrite, dictionnaire (réédité quatre fois) et étude du folklore notamment[9]. La controverse concernant l'origine caucasienne des Aïnous a d'ailleurs été particulièrement néfaste, même si elle a attiré les projecteurs des médias sur ce peuple[Note 4].

Enfin il a pris l'initiative de transcrire en rōmaji la phonétique aïnou, non seulement pour la publication de ses ouvrages, mais aussi pour la pédagogie dans les écoles qu'il a créées.

Récemment, à l'occasion de la conférence « La minorité autochtone aïnoue au Japon » donnée le à la Maison de la culture du Japon à Paris, l'équipe de la bibliothèque a préparé et mis en ligne un dossier sur ce peuple en signalant qu'elle possède une réédition ancienne du premier véritable dictionnaire de la langue aïnou An Ainu-English-Japanese dictionary par le missionnaire anglais John Batchelor[10].

La Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (BULAC) signale également sur son site qu'elle possède les trois exemplaires des traductions des évangiles de Marc, Luc et Jean (1891) par John Batchelor[11].

Son œuvre modifier

  • 1887, Chikoro utarapa ne Yesu Kiristo ashiri aeuitaknup (The New Testament of Our Lord and Saviour Jesus Christ), traduit du grec, Yokohama: The Bible Societies' Committee for Japan.
  • 1889, An Ainu-English-Japanese Dictionary and Grammar, Tokyo.
  • 1891, Chikoro Utarapa ne Yesu Kiristo ashiri ekambakte-i Markos, Roukos, newa Yoanine orowa no asange ashkanne pirika shongo (The New Promise of Our Lord Jesus Christ, the Pure Good News Handed Down to us from Mark, Luke, and John), Londres.
  • 1891, Traduction des évangiles de Marc, Luc et JeanPascal Hurth, « L’ainu, une langue isolat d’Asie orientale », sur Le carreau de la BULAC, Bibliothèque universitaire des langues et civilisations, (consulté le ).
  • 1892, (en) Reverend John Batchelor, The Ainu of Japan : the religion, superstitions, and general history of the hairy aborigines of Japan, Londres, Religious Tract Society, , 348 p. (lire en ligne).
  • 1896, Ainu karisia eiwange gusu an inonnoitak oma kambi (The Book of Common Prayer), Londres.
  • 1896, Kamui fushko aeuitaknup iyohaichish (The Book of Psalms translated into Ainu), Yokohama.
  • 1897, Chikoro utarapa ne Yesu Kiristo ashiri aeuitaknup oma kambi (The New Testament of Our Lord and Saviour Jesus Christ), Yokohama.
  • 1901, (en) The Rev. John Batchelor, The Ainu and their folklore, Religious Tract Society, , 642 p. (lire en ligne).
  • 1902, Sea-girt Yezo(en) The Rev. John Batchelor, Sea-girt Yezo, Londres, Church Missionary Society, (lire en ligne).
  • 1903, A Grammar of the Ainu Language, Yokohama.
  • 1927, Ainu Life and Lore: Echoes of A Departing Race. Tokyo.

Voir aussi modifier

  • Arnaud Nanta, « Koropokgrus, Aïnous, Japonais, aux origines du peuplement de l'archipel. Débats chez les anthropologues, 1884-1913 », Ebisu, vol. 30, no 1,‎ , p. 123-154 (lire en ligne, consulté le ).
  • Fosco Maraini, « A. & A. Leroi-Gourhan, Un Voyage chez les Aïnous. Hokkaïdo-1938 », L'Homme, vol. 34, no 130,‎ , p. 215-219 (lire en ligne, consulté le ).
  • Arnaud Nanta, « L’altérité aïnoue dans le Japon moderne (années 1880-1900) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 61e année, no 1,‎ , p. 247-273 (lire en ligne, consulté le ).
  • MCJP, « Dossier sur les Aïnous », Dossiers de la bibliothèque, sur Maison de la culture du Japon à Paris, (consulté le ).
  • Pascal Hurth, « L’ainu, une langue isolat d’Asie orientale », sur Le carreau de la BULAC, Bibliothèque universitaire des langues et civilisations, (consulté le ).
  • Iwao Seiichi (et al), « 36. Ainu (Ainous) [entrée de dictionnaire] », Dictionnaire historique du Japon, vol. 1, no 1,‎ , p. 12-13 (lire en ligne, consulté le ).
  • (en) Walter de Gruyter, The Collected Works of Bronisław Piłsudski : The aborigines of Sakhalin, t. 1, Berlin & New York, Alfred F. Majewicz (Mouton-De Gruyter), , 792 p. (lire en ligne).

Articles connexes modifier

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Étrangement, n'y figure aucune mention des œuvres du Dr. John Batchelor. Il est vrai que dans certains de ses travaux (par exemple le fameux dictionnaire aïnou) sont particulièrement marqués par des préjugés missionnaires, mais d'autres sont de vraies mines d'information ethnologique. Batchelor a vécu parmi les Aïnous de 1872 jusqu'en 1944, période où la culture locale avait encore sa pleine vitalité.
  2. C'est une chance exceptionnelle que Batchelor, Chiri Yukie, Kindaichi, Imekanu, Kubodera, et bien d'autres aient pu écrire tant de textes sur le folklore aïnou. Leurs textes ont été rédigés pendant la période où la langue aïnou était encore utilisée et plusieurs d'entre eux, notamment Imekanu et Chiri Yukie étaient des locuteurs natifs. Depuis cette époque, son usage au quotidien a presque complètement disparu et dans les années 1950-1960 le travail de collectage était devenu difficile, voire impossible. (Phillipi, p. 21)
  3. Les dessins de la page suivante représentent deux moustache-lifters (releveurs à moustache ?), qui naturellement n'étaient utilisés que par les hommes. C'est un instrument étonnant qui n'est utilisé qu'au moment de boire. Il a un rôle double. En premier, les hommes l'utilisent systématiquement pour les libations car à la fin de la prière, ils offrent quelques gouttes de vin aux dieux. (Batchelor, 1892, p. 78).
  4. Malheureusement, n'ayant bénéficié d'aucune formation linguistique, son travail regorge d'erreurs. Mais, comme c'était le savant occidental le plus connu dans ce domaine, les occidentaux l'ont considéré pendant longtemps comme une source fiable sur la langue aïnou. Notre recherche essaie d'évaluer le travail de Batchelor à la lumière des études récentes japonaises et occidentales, et d'analyser les préjugés sous-jacents de son approche. (Kirsten Refsing, 2011)

Références modifier

  1. Louis-Marie-Antoine Destouff de Milet-Mureau, Voyage de La Pérouse autour du monde : tome 3, chez Plassan, , 414 p. (lire en ligne), p. 68-79.
  2. (en) Walter Dening, Japan in days of yore : Human Nature in a Variety of Aspects, Tokyo, Griffith, Farran & Co, (lire en ligne).
  3. (en) « Will be held the "Ainu culture can be seen learning-Ainu culture course" », Culture and tourism, sur Noboribetsu City, (consulté le ).
  4. (en) Morris Low, « Physical Anthropology in Japan: The Ainu and the Search for the Origins of the Japanese », Current Anthropology, vol. 53, no 55,‎ , p. 557-568 (lire en ligne, consulté le ).
  5. (en) Michael Weiner, Race, Ethnicity and Migration in Modern Japan : With shining eyes, Taylor & Francis, , 448 p. (ISBN 1-4008-7069-0, lire en ligne), p. 351.
  6. (en) Donald L. Phillipi et Gary Snyder, Songs of Gods, Songs of Humans : The Epic Tradition of the Ainu, Princeton University Press, , 436 p. (ISBN 978-1-4008-7069-1 et 1-4008-7069-0, lire en ligne), p. 19.
  7. (en) John Batchelor, The Ainu of Japan, Londres, Religious Tract Society, , 341 p. (lire en ligne), p. 78.
  8. (en) AM Zolotarev, « The bear festival of the Olcha », sur American anthropologist, Wiley Online Library, (consulté le ), p. 113-130.
  9. (en) Kirsten Refsing, « Lost Aryans? John Batchelor and the Colonization of the Ainu Language », International Journal of Postcolonial Studies, vol. 2, no 1,‎ , p. 21-34 (lire en ligne, consulté le ).
  10. MCJP, « Dossier sur les Aïnous », Dossiers de la bibliothèque, sur Maison de la culture du Japon à Paris, (consulté le )
  11. Pascal Hurth, « L’ainu, une langue isolat d’Asie orientale », sur Le carreau de la BULAC, Bibliothèque universitaire des langues et civilisations, (consulté le )

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