Isabelle d'Angoulême
Isabelle d'Angoulême ou Isabelle Taillefer (v. 1188/92-)[1] est comtesse d'Angoulême de son plein droit (suo jure).
En 1200, elle devient reine d'Angleterre par son mariage avec le roi Jean sans Terre (1166-1216). Son second mariage fut scellé avec Hugues X (v. 1182-1249) , seigneur de Lusignan, comte de la Marche.
BiographieModifier
FamilleModifier
Elle est la seule enfant d'Aymar († 16 juin 1202), comte d'Angoulême, et d'Alix de Courtenay, petite-fille du roi de France Louis VI[1],[2] et descend donc des capétiens.
Elle est la nièce des deux précédents comtes d'Angoulême : Vulgrin III et de Guillaume VII Taillefer, et cousine de Mathilde d'Angoulême, comtesse de la Marche.
Le mariage d'Isabelle d'AngoulêmeModifier
Au début de l'année 1200, alors qu'elle a environ 12 ans, elle est promise au futur seigneur de Lusignan, Hugues X, dont le père Hugues IX le Brun a récemment reçu le comté de la Marche du roi d'Angleterre Jean sans Terre[1]. Leur mariage établirait Hugues X de Lusignan comme futur comte de la Marche et d'Angoulême. Il pourrait ainsi contrôler un vaste territoire, riche et stratégique, avec la place forte d'Angoulême, placée entre les deux autres places fortes des Plantagenêt que sont Bordeaux et Poitiers[1]. Le roi anglais décide cependant d'épouser lui-même Isabelle.
Reine d'AngleterreModifier
Les chroniqueurs commentant les faits rapportent que Jean sans Terre aurait été si ébloui par la beauté d'Isabelle qu'il l'aurait ravie et épousée[1]. En réalité, ses intentions sont bien moins romantiques et bien plus politiques[1]. En effet, en entrant en possession du comté d'Angoulême, la famille des Lusignan serait devenue si puissante qu'elle aurait pu devenir une sérieuse rivale et déstabiliser l'empire Plantagenêt. Pour faire obstacle à cette menace, Jean sans Terre épouse donc lui-même la jeune fille. Le mariage a lieu à Angoulême, le [1]. Les nouveaux époux se rendent ensuite à Chinon, puis partent pour l'Angleterre, où Isabelle est couronnée le [1]. Ce mariage cause un grand émoi en France. Les Lusignan (Hugues IX le Brun, son frère Raoul Ier d'Exoudun, comte d'Eu et leur oncle Geoffroy Ier) se soulèvent et attaquent des places fortes, possessions de Jean, en Poitou.
Un accord semble avoir été trouvé le 15 juin avant le retour des hostilités. En octobre 1201, Jean fait saisir par surprise les domaines Lusignan[3]. Hugues IX le Brun, Raoul Ier d'Exoudun et leur oncle Geoffroy Ier en appellent au roi de France, Philippe Auguste. Le roi de France condamne finalement Jean sans Terre pour forfaiture, et la commise est prononcée sur ses biens du Royaume de France, biens qui doivent donc revenir au roi. Il s'ensuit trois années de campagnes militaires contre les possessions du roi Plantagenêt, qui perd la Normandie, le Maine, la Touraine, l'Anjou et le Poitou[1],[4].
Du mariage d'Isabelle avec Jean sans Terre naissent cinq enfants qui atteignent tous l'âge adulte[1]. Les chroniqueurs contemporains mentionnent qu'elle serait infidèle[1]. Quoi qu'il en soit, elle n'est que rarement en compagnie de son époux après 1205[1]. En 1214, ils vont ensemble à Poitiers, Jean ayant finalement réussi à prendre le contrôle de l'héritage d'Isabelle, le comté d'Angoulême[1].
Durant la guerre des barons, qui oppose une partie des barons anglais au roi, elle est mise en relative sécurité dans l'ouest du royaume[1].
Second mariageModifier
À la mort de Jean sans Terre en octobre 1216, son fils aîné devient roi d'Angleterre sous le nom d'Henri III. Il semble que la comtesse-reine ait alors été exclue du cercle restreint des nouveaux conseillers du roi son fils[1]. Elle se voit aussi confisquer une partie de son douaire, à la suite de quoi elle abandonne ses enfants en Angleterre et part en France pour pouvoir s'occuper de son héritage[1].
Durant les trois années suivantes, elle reprend progressivement le contrôle effectif de ses terres, écartant peu à peu les administrateurs qu'avait nommés son mari[1]. En avril ou , elle épouse Hugues X de Lusignan, comte de la Marche, son ancien fiancé[1]. Celui-ci vient de succéder à son père en 1219 et leur mariage permet de former le territoire (les fiefs Lusignan en Poitou, la Marche et l'Angoumois) que Jean sans Terre redoutait en 1200[1].
Hugues X de Lusignan demande immédiatement à entrer en possession du douaire de sa femme[1]. Henri III d'Angleterre lui donne donc les terres anglaises[N 1], normandes, et surtout les seigneuries de Saintes et Niort[1]. En 1221, après une dispute, ses terres anglaises sont brièvement saisies[1]. Elles sont définitivement confisquées en , lorsque Hugues X de Lusignan s'allie au roi de France Louis VIII, ce qui déclenche l'invasion du Poitou[1] par les armées françaises.
Toutefois, en 1226, la mère et le fils se réconcilient, et en 1230, ils se rencontrent pour la première fois depuis 1217[1].
La révolte de 1241Modifier
C'est sans doute sous son influence qu'Henri III d'Angleterre et Hugues X de Lusignan organisent un front commun contre le roi de France Louis IX, dont le contrôle de la Saintonge et de l'Angoumois semble devoir devenir encore plus oppressant[1]. Le roi anglais organise alors, à grands frais, une intervention armée dans cette région. Ses troupes sont battues à Taillebourg, le [5]. C'est ce moment que choisit Hugues de Lusignan pour se rallier à nouveau au roi de France[5].
Décès et sépultureModifier
Isabelle d'Angoulême se retire peu après à l'abbaye de Fontevraud[1]. C'est là qu'elle meurt, le , après avoir pris le voile sur son lit de mort[1]. Elle est inhumée dans la salle capitulaire de l'abbaye[1]. En 1254, son fils Henri III fait transférer son corps à l'intérieur de l'abbatiale, dans une tombe proche de celles de ses ancêtres Plantagenêt[1]. Malgré d'importantes tensions familiales, des obsèques sont célébrées en Angleterre, et des dons à des maisons religieuses sont faits en son nom[1].
PersonnalitéModifier
Pour l'historien britannique Nicholas Vincent, Isabelle d'Angoulême semble avoir été une femme de caractère, puisqu'elle fut capable d'imposer sa domination sur son comté d'Angoulême[1]. Elle manqua néanmoins d'affection maternelle pour ses enfants anglais issus du roi Jean sans Terre, puisqu'elle les abandonna en Angleterre en 1217[1]. Pour Vincent, son caractère difficile, altier, relevé par quelques chroniqueurs, peut peut-être s'expliquer par son mariage précoce (environ douze ans) et ses deux maris infidèles[1].
Après la mort de sa mère, Henri III s'occupe de ses demi-frères et sœurs et contribue à leur enrichissement[6]. En 1247, il en fait venir quatre à Westminster. Aymar se voit proposer un siège épiscopal, étudie à Oxford[5], et devient évêque de Winchester en 1250 ; Guillaume de Valence est marié à Jeanne de Montchensy, une cohéritière de la famille le Maréchal qui lui apporte le comté de Pembroke ; enfin, Alix épouse John de Warenne, 6e comte de Surrey[5]. Ces rapprochements avec les Lusignan effectués par Henri III ont probablement aussi une vocation politique : en effet, à cette époque, le roi anglais craint une invasion française du duché d'Aquitaine[5].
Unions et descendanceModifier
Elle a cinq enfants de sa première union avec le roi Jean d'Angleterre, tous parvenus à l'âge adulte[1] :
- Henri III d'Angleterre (1er oct. 1207-16 nov. 1272), succède à son père sur le trône . Il fut roi d'Angleterre, seigneur d'Irlande, duc de Normandie et d'Aquitaine, comte d'Anjou ;
- Richard d'Angleterre dit Richard de Cornouailles (5 jav. 1209-2 avril 1272), comte de Cornouailles, élu roi de Germanie (1256), couronné roi des Romains de 1257 à 1272 ;
- Jeanne d'Angleterre (22 juillet 1210-4 mars 1238), épouse Alexandre II (24 août 1198-6 juillet 1249), roi d'Écosse ;
- Isabelle d'Angleterre (1214-1241), épouse Frédéric II Hohenstaufen, empereur des Romains ;
- Aliénor d'Angleterre (1215-13 avril 1275). Elle épouse en premières noces Guillaume II le Maréchal (v. 1190-6 avril 1231), 2e comte de Pembroke puis Simon V de Montfort (1208-4août 1265), 6e comte de Leicester.
De sa seconde union, avec Hugues X de Lusignan naissent neuf enfants[1], tous parvenus à l'âge adulte, qui sont[7] :
- Hugues XI le Brun (v. 1221-6 avril 1250), seigneur de Lusignan, comte d’Angoulême et comte de la Marche. Il épousa en janvier 1236 Yolande de Dreux (1218-15 oct. 1272) ; fille de Pierre Ier Mauclerc, duc de Bretagne, dame du Pallet et comtesse de Penthièvre.
- Guy de Lusignan (v. 1222-ap. 28 août 1288), seigneur de Cognac, d'Archiac et de Merpins.
- Geoffroy de Lusignan (v. 1223-av. 4 mars 1274), seigneur de Jarnac, de Château-Larcher et de Châteauneuf, dès 1246, et seigneur de Montignac en 1248. Il épousa, avant 1246, Almodis(v. 1230-ap. 1248) qui lui apporta la seigneurie de Sainte-Hermine. Veuf, il épousa en secondes noces, avant 1259, Jeanne de Châtellerault (1243-1315).
- Agathe de Lusignan (1224-ap. 1269) épouse de Guillaume II de Chauvigny (1224-1271), baron de Châteauroux.
- Isabelle de Lusignan (v. 1225-14 janvier 1299), épousa (v. 1243/44) Maurice IV de Craon (av. 1226-av. 27 mai 1250) seigneur de Craon, de Sablé, sénéchal d’Anjou, de Touraine, du Maine (1249-1272).
- Marguerite de Lusignan (v. 1226-22 oct. 1288), épouse Raymond VII de Toulouse (1197-27 sept. 1249), comte de Toulouse, puis Aimery IX de Thouars, vicomte de Thouars (av. 1239-1250) et en 3e noces, après 1257, Geoffroy VI de Châteaubriant, baron de Châteaubriant (av. 1248-1284).
- Guillaume Ier de Valence[8] (v. 1227-13 juin 1296), seigneur de Montignac, de Bellac, de Rancon, de Champagnac, de Wexford et comte de Pembroke. Il épousa avant le 13 août 1247 Jeanne de Montchensy ou de Munchensy (av. 1234-av. 20 sept.1307). Jeanne (Joan), petite-fille de Guillaume le Maréchal, lui apporta le comté de Pembroke et la seigneurie de Wexford en Irlande et fit de Guillaume l'un des barons les plus puissants d'Angleterre, grâce à la volonté politique de son frère utérin, Henri III Plantagenêt.
- Aymar de Lusignan (1228-4 décembre 1260), seigneur de Couhé. Il est Clerc en 1248, évêque de Winchester (1250-1260), successeur de Guillaume de Raley. Aymar a été élu le , et son élection a été confirmée à Lyon par Innocent IV le de l'année suivante. Il décède à Paris et y fut inhumé (église Sainte-Geneviève).
- Alix de Lusignan (v. 1229-1256), épousa en 1247 Jean Ier de Warenne (1231-1304), comte de Surrey, de Warenne, de Sussex , Gardien (vice-roi) de l'Écosse. Neuvième et dernier enfant du couple, elle porte le prénom de sa grand-mère maternelle, Alix de Courtenay.
Notes et référencesModifier
NotesModifier
- Constitué par son mari, son douaire est composé en Angleterre du Rutland et de la ville de Rockingham ; de l'honneur de Berkhamsted ; de la ferme de Waltham dans l'Essex ; et des villes d'Exeter, Wilton, Ilchester et Malmesbury (Vincent, 2006).
RéférencesModifier
- (en) Nicholas Vincent, « Isabella, suo jure countess of Angoulême (c.1188–1246) », Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, édition en ligne, janvier 2006.
- Généalogie d'Isabelle d'Angoulême sur le site Medieval Lands
- "Interea frequens querimonia deferebatur Philippo regi magnanimo a partibus Aquitanicis de Johanne rege, pro eo quod idem Johannes rex filiam comitis Engolismensis, quam Hugo Brunus, vir inter Aquitanicos nobilissimus desponsaverat, subduxerat dolo et quedam municipia eidem Hugoni, et comiti Augi, et Gaufrido de Lisinia, in Britannia majori in ejus servitio demorantibus, abstulerat fraudulenter", Guillaume Le Breton, Continuation de la Vie de Philippe Auguste, éd. t. I, p. 207.
- Jean Favier, Les Plantagenêts : Origines et destin d'un empire (XIe-XIVe siècles), Paris, Fayard, coll. « Biographies Historiques », , 962 p. (ISBN 2-213-62136-5, notice BnF no FRBNF39245762, lire en ligne)
- H. W. Ridgeway, « Henry III (1207–1272) », Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, édition en ligne, septembre 2010.
- Scott L. Waugh, « Warenne, John de, sixth earl of Surrey (1231–1304) », Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004.
- Généalogie et descendance d'Hugues X de Lusignan sur le site Medieval Lands
- Valence : surnom faisant allusion au lieu-dit de Couhé, possession des Lusignan, où ses parents ont fondé l'abbaye de Valence.
Articles connexesModifier
- Liste des comtes et ducs d'Angoulême
- Maison de Lusignan
- Liste des seigneurs de Lusignan
- Liste des conjoints des souverains anglais
- Liste des duchesses de Normandie
- Jean sans Terre
- Hugues X de Lusignan
- Henri III (roi d'Angleterre)
- Hugues XI de Lusignan
- Angoumois
- Comté de la Marche
- Comté de Poitou
- Saintonge
- Guerre de Saintonge
- Bataille de Taillebourg
- Abbaye Notre-Dame de Fontevraud
BibliographieModifier
- Prosper Boissonnade, "L'ascension, le déclin et la chute d'un grand État féodal du centre-ouest : les Taillefer et les Lusignan comtes de la Marche et d'Angoulême", Bulletins et Mémoires de la Société archéologique et historique de la Charente, 1935, p. 3-258 et 1943, p. 1-194.
- Sophie Bressan-Verdier, Une Famille, les Taillefer, comtes d’Angoulême, au Moyen Age, Mémoire de DEA de l'université de Poitiers sous la direction de Martin Aurell, 2003.
- Fred A. Cazel et Sidney Painter, "The marriage and Coronation of Isabelle of Angoulême", The English historical Review, vol. 61, n°241, 1946, p. 289-314.
- Fred A. Cazel et Sidney Painter, "The marriage of Isabelle of Angoulême", The English historical Review, vol. 63, n°246, 1948, p. 83-89.
- Robert Favreau (dir.), Isabelle d'Angoulême, comtesse-reine et son temps (1186-1246) : actes du colloque tenu à Lusignan du 8 au , vol. 5 de Civilisation médiévale, CESCM (Centre d'études supérieures de civilisation médiévale), Université de Poitiers, 1999, 193 pages.
- Sophie Fougère, "Isabelle d'Angoulême, reine d'Angleterre", Edit France, 126 p., octobre 1998.
- François Marvaud : Isabelle d'Angoulême ou la comtesse-reine : Bulletin de la Société Archéologique et Historique de la Charente, série 2, tome Ier, 1856, pp. 116-252.
- Henry G. Richardson, "The marriage of Isabelle of Angoulême", English Historical Review, t. LXI, 1946, p. 289-314.
- Clément de Vasselot de Règne, Le "Parentat" Lusignan (Xe-XIVe siècle) : structures, parenté vécue, solidarités et pouvoir d’un lignage arborescent, Thèse de doctorat en histoire médiévale, sous la direction de John Tolan et de Martin Aurell, université de Nantes, 4 vol., 2 797 p., déc. 2018.
- (en) Nicholas Vincent, "Isabella, suo jure countess of Angoulême (c.1188–1246)", Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, édition en ligne, . DOI:10.1093/ref:odnb/14483 (accès payant). Lire en ligne.
Liens externesModifier
- (en) Lettres d'Isabelle d'Angoulême sur le site du projet Epistolae
- SIGILLA : base numérique des sceaux conservés en France
- Héraldique sur wappenwiki