Insurrection de juin 1953 en Allemagne de l'Est

soulèvement populaire à Berlin-Est
Insurrection de juin 1953 en Allemagne de l'Est
Description de cette image, également commentée ci-après
Char soviétique à Leipzig le 17 juin 1953.
Informations générales
Date -
(1 jour)
Lieu Drapeau de l'Allemagne de l'Est Allemagne de l'Est
Issue Répression de l'insurrection
Épuration du SED
Fuite massive des Est-Allemands vers la RFA
Belligérants
Drapeau de l'URSS Union soviétique

Drapeau de l'Allemagne de l'Est Allemagne de l'Est

Insurgés est-allemands
Commandants
Drapeau de l'URSS Lavrenti Beria
Drapeau de l'Allemagne Walter Ulbricht
Forces en présence
50 000 soldats soviétiques
10 000 policiers est-allemands
80 000 manifestants
Pertes
40 soldats et policiers tués 80 manifestants tués
30 000 arrestations

Guerre froide

L’insurrection en Allemagne de l'Est est un soulèvement populaire qui éclate à Berlin-Est et dans le reste de la République démocratique allemande (RDA) le , et se prolonge les jours et semaines suivantes. Le motif immédiat en est le refus d'une hausse des cadences de travail.

L’insurrection, la première de grande ampleur dans le bloc soviétique, s’est terminée par la complète déroute des manifestants et une sévère répression au sein de la société est-allemande.

L’échec de ce que les autorités est-allemandes appellent « tentative de putsch, soutenue par des agents occidentaux, en vue de modifier le régime en République démocratique allemande »[1] a contribué à fixer la partition de Berlin et de l’Allemagne et à stabiliser l’impopulaire[2],[3],[4] gouvernement de la RDA.

Contexte modifier

La situation de la République démocratique allemande est difficile dès sa proclamation le . Outre la fuite de nombreux citoyens à l’ouest[5], ses objectifs économiques sont loin d’être atteints, la balance de son commerce extérieur avec les « pays frères » du bloc de l’Est est totalement déséquilibrée et le soutien soviétique à ses dirigeants n’est plus unanime.

En juillet 1952, les dirigeants du pays annoncent l’entrée de la RDA dans la phase de « construction du socialisme »[6]. Les vexations à l’encontre des Églises et des intellectuels se renforcent ; l'activité économique est orientée vers l'industrie lourde, accompagnée de la liquidation des activités économiques indépendantes de l’État et de la collectivisation des terres.

Avec l’accentuation de la guerre froide, la frontière est-allemande devient plus étanche, mais Berlin reste un lieu de libre passage. En , Walter Ulbricht obtient de Staline un accord de principe pour un déploiement policier purement est-allemand à Berlin en vue de mieux contrôler la frontière[7]. Le 10 et 11 janvier, les Soviétiques ferment certains points de passage à Berlin. Au début février, ils imposent des restrictions de circulation[8].

Après la mort de Staline, le , Lavrenti Beria, chef du MVD (ministère des Affaires intérieures), la police politique soviétique, annonce une amnistie pour un million de prisonniers soviétiques. L’attitude du pouvoir soviétique devient ambiguë et contradictoire. Le soutien à la RDA est confirmé du bout des lèvres, mais les critiques sont sévères. Beria figure parmi les plus virulents : l’URSS menace de couper son soutien au gouvernement est-allemand et certains prônent une libéralisation plutôt que le durcissement du régime réclamé par Ulbricht[9].

Durant le 13e plénum du comité central du SED, les 12 et , Ulbricht évince son vieil adversaire Franz Dahlem de la direction du parti pour « aveuglement politique envers l’activité d’agents impérialistes »[10] et décrète une augmentation de 10 % des normes de travail[11] ce qui revenait à baisser les salaires d'autant.

Au début juin, Ulbricht d’abord, puis le bureau politique du SED subissent d’importantes pressions de la part des autorités politiques en vue d’une libéralisation du régime. Le , le bureau politique reconnaît publiquement qu’« une série d’erreurs a été commise dans le passé », mais sans rien dire de l’augmentation des cadences de travail. Des rumeurs circulent en RDA selon lesquelles le chef du SED aurait été violemment critiqué par les autorités soviétiques. Il se murmure aussi que l’impopulaire Ulbricht pourrait être évincé.

Au même moment éclatent plusieurs émeutes ouvrières en Tchécoslovaquie (129 usines touchées, par exemple le 6 juin à Pilsen : occupation des usines d’armement Škoda). On brûle des portraits de Staline et de Klement Gottwald, on hisse le drapeau américain. Plusieurs centaines de personnes sont arrêtées[12].

Déroulement modifier

Le 16 juin 1953 modifier

En RDA, les premières grèves contre l’augmentation des cadences de travail ont lieu le [13]. À Berlin-Est, une manifestation éclate le 16 juin[14], à l'initiative des ouvriers du bâtiment qui travaillent sur la Stalinallee. Une quarantaine d’ouvriers maçons se dirigent vers le siège du gouvernement pour déposer une pétition qui réclame le retour aux anciennes normes et dénoncer l'augmentation des cadences de 10 % sans compensation. À l’arrivée, le cortège compte quelque 2 000 personnes[15],[16]. Le soir, un communiqué informe que le gouvernement révisera la mesure. On menace d’organiser une grève générale pour le lendemain.

Le socialiste Ernst Scharnowski (de) lance sur RIAS-Berlin (Rundfunk im amerikanischen Sektor), un poste émettant depuis le secteur américain de Berlin-Ouest, des mots d’ordre de grève générale pour le lendemain, tout en réclamant également des élections libres à bulletin secret[13].

Le 17 juin 1953 modifier

 
Char soviétique T-34/85 dans la Schützenstraße à Berlin.
 
Incendie du Columbushaus, Potsdamer Platz.

Pendant la nuit, plusieurs entreprises se mettent en grève. Le 17 juin, l'agitation gagne très vite le reste du pays. Des centaines de milliers de personnes[13] descendent dans les rues des principales villes (Leipzig, Magdebourg, Dresde, etc.) de la RDA. Une foule de 60 000 personnes[13] attaque les locaux de la police, incendie les bâtiments de la Stasi[17], conspue les dirigeants, incendie les sièges des journaux et le Pavillon de l'amitié germano-soviétique de Leipzig, etc. Après l'incendie d'un bâtiment commercial (le Columbushaus) et l'implication d'ouvriers venus de Berlin-Ouest dans les émeutes, Walter Ulbricht décide de faire appel aux troupes soviétiques du futur Groupement des forces armées soviétiques en Allemagne pour organiser la répression contre un soulèvement aussitôt qualifié de « contre-révolutionnaire » et « commandité, selon les autorités est-allemandes, par les Occidentaux ».

À 13 heures, l’état de siège est proclamé[18]. Le soulèvement est réprimé conjointement par les troupes d'occupation soviétiques et par la police est-allemande. L’intervention d’une colonne de chars[13] et des forces de l’ordre se solde par la mort d'une cinquantaine de manifestants à Berlin-Est[13] et de nombreux blessés, les soldats tirant alors à vue sur des citoyens désarmés[19].

Trois membres du SED et une quarantaine de soldats de l'Armée rouge sont tués dans les événements[13]. Trois-mille personnes sont arrêtées par les Soviétiques et 13 000 sont emprisonnées par les autorités de la RDA[20],[21].

 
Procès contre des prévenus à la suite du soulèvement, qualifiés d'« agents d'organisations terroristes et d'espionnage », 11 juin 1954, deuxième jour d'audience devant la première chambre pénale de la Cour suprême de la RDA.

Le soulèvement ne provoqua aucune intervention de la part des Occidentaux. Dès le , le chancelier fédéral Konrad Adenauer donne le ton et invite « les hommes et les femmes qui aujourd’hui à Berlin demandent à être affranchis de l’oppression et de la misère… à ne pas se laisser entrainer par des provocateurs à des actes qui pourraient mettre en danger leur vie et leur liberté. Un véritable changement dans la vie des Allemands de la zone soviétique ne peut résulter que du rétablissement de l’unité allemande dans la liberté. »[22]. Selon André Fontaine, « Les sujets d’Ulbricht sont ainsi prévenus ; il ne leur faut compter sur aucune intervention extérieure […][23] ».

Les désordres s'arrêtent à partir du  ; l’alerte passée, les autorités imposent la répression et procèdent à l'épuration du SED. Les autorités du SED mettent préventivement sur pied une milice composée de volontaires « fiables » et fidèles au régime, afin d'éviter à l'avenir de devoir recourir de nouveau aux services de l'armée soviétique.

Conséquences modifier

 
Mémorial aux victimes de la répression.

Parce que, dans un entretien au journal du régime Neues Deutschland daté du , le ministre de la Justice Max Fechner s'oppose à des poursuites judiciaires contre les grévistes, il est dès lors considéré comme ennemi de l'État, démis de ses fonctions, exclu de la SED, arrêté et condamné à huit ans de prison.

Pour échapper à la répression, la fuite s'impose à de nombreux Allemands de la RDA. Sur 19 millions d'habitants, plus de 3 millions s'enfuirent à l'ouest, ce qui entraîne finalement la construction du mur de Berlin le , car les personnes qui choisissent l’exil sont souvent des travailleurs qualifiés dont la RDA avait grand besoin pour son économie.

Ces événements coïncident à Moscou avec l'arrestation de Lavrenti Beria. Le [24],[25], au terme d'un complot ourdi de longue date par Nikita Khrouchtchev et Gueorgui Malenkov, Beria est arrêté en pleine séance du Politburo par le maréchal Georgi Joukov[26]. Il est exécuté en décembre à l'issue d'un procès[27]. La disparition de Beria marque le début de la déstalinisation.

42 soldats soviétiques qui avaient refusé de tirer sur la foule sont fusillés[28].

Pour commémorer l'insurrection, la RFA instaure un nouveau jour férié, le , proclamé « jour de l'Unité allemande »[20]. En mémoire de ces événements, une rue du centre de Berlin-Ouest qui traverse le Tiergarten est baptisée Straße des 17. Juni (rue du 17-Juin).

Notes et références modifier

  1. Alfred Grosser, L’Allemagne de notre temps, p. 515.
  2. Abstract : Ulbricht in October 1956: Survival of the Spitzbart during Destalinization, Johanna Granville, consulté le 15 septembre 2022.
  3. Jokes That Seep Through The Iron Curtain, The New York Times, 19 avril 1964.
  4. EAST GERMANY: Rehabilitated Rival, Time, 13 août 1956.
  5. 197 788 transfuges en 1950, 165 648 en 1951, 182 393 en 1952 (Frederick Taylor, Le Mur de Berlin, p. 130.
  6. Planmässige Errichtung der Grundlagen des Sozialismus (Alfred Grosser, L’Allemagne de notre temps, p. 515).
  7. Frederick Taylor, Le Mur de Berlin, p. 131.
  8. Anne-Marie Le Gloannec, Un mur à Berlin, p. 173, Éditions Complexe, 1985.
  9. Frederick Taylor, Le Mur de Berlin, p. 133.
  10. Alfred Grosser, L’Allemagne de notre temps, p. 515.
  11. Frederick Taylor, Le Mur de Berlin, p. 134.
  12. Frederick Taylor, Le Mur de Berlin, p. 137.
  13. a b c d e f et g Heinrich August Winkler (trad. de l'allemand), Histoire de l’Allemagne, XIXe : XXe siècle. Le long chemin vers l’Occident, Paris, Fayard, , 1152 p. (ISBN 2-213-62443-7), p. 596.
  14. (de) Rapport d'un témoin oculaire.
  15. BBC: Berliner recalls East German uprising; Rapport de Peter Bruhn.
  16. Frederick Taylor, op. cit.p. 138, avance le nombre de 10 000.
  17. Droit Emmanuel, « La Stasi face à la « Révolution pacifique » de l’automne 1989 en République démocratique allemande », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 4/2015 (no 128) , p. 63-76 ; DOI : 10.3917/ving.128.0063.
  18. L’état de siège est relevé le (André Fontaine,Histoire de la Guerre froide, p. 85, tome 2, Points Histoire)
  19. (de) Bilan humain du 17 juin 1953.
  20. a et b Heinrich August Winkler (trad. de l'allemand), Histoire de l’Allemagne, XIXe : XXe siècle. Le long chemin vers l’Occident, Paris, Fayard, , 1152 p. (ISBN 2-213-62443-7), p. 597.
  21. Frederick Taylor fait quant à lui état de 277 tués, 200 exécutés par la suite et 1400 condamnés à perpétuité (Le Mur de Berlin, p. 144).
  22. Propos cités par André Fontaine, op. cit., p. 82.
  23. ibid. , p. 82.
  24. Anton Kolendic, Les Derniers Jours. De la mort de Staline à celle de Beria (mars 1953 - décembre 1953), p. 178, p. 184, p. 186, Fayard, 1982.
  25. La nouvelle de l'arrestation de Beria n'est publiée par la Pravda que le 10 juillet 1953.
  26. Anton Kolendic, Les Derniers Jours. De la mort de Staline à celle de Beria (mars 1953 - décembre 1953), p. 183, Fayard, 1982.
  27. La réalité du procès et la date effective de l'exécution sont souvent remises en question. André Fontaine, Histoire de la guerre froide. Tome 2, p. 83, Points Histoire, 1983.
  28. Guillaume Malaurie, « Les jeux interdits des enfants soviétiques », sur historia.fr, (consulté le )

Voir aussi modifier

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Bibliographie modifier

Article connexe modifier

Liens externes modifier