Histoire du militantisme féministe au Québec

L'histoire du militantisme féministe au Québec porte sur le mouvement féminisme au Québec du XVIIIe siècle au XXIe siècle.

Au cours du XXe siècle, le mouvement des femmes s’est progressivement imposé au Québec comme un acteur de premier plan[1]. Porté d’abord par quelques pionnières et, progressivement, par des centaines de groupes de femmes, il est devenu, depuis les années 1960, un acteur incontournable de la modernisation d’un Québec trop longtemps figé dans un conservatisme religieux et sociopolitique et une stricte compréhension naturaliste du rôle des femmes[2]. « Acteur politique le plus important de la représentation des intérêts des femmes »[3], ses actions soutenues ont contribué à la transformation des institutions, des règles et des comportements régissant les rapports entre femmes et hommes et, plus globalement, à l’amélioration de la société québécoise[2]. Si pour la sociologue Francine Descarries, il est assez habituel dans le langage courant « de parler indifféremment de mouvement des femmes ou de mouvement féministe pour désigner un mouvement social aux multiples configurations et postures dont le point de convergence est, au-delà de la revendication pour l’égalité de fait pour les femmes et de leur insertion pleine et entière dans la société »[2], la politicologue Diane Lamoureux précisera que c'est, plus spécifiquement, le ralliement massif autour des luttes sur les questions de l'avortement et ds la violences faite aux femmes, au cours des années 1970, qui a « soudainement posé comme une évidence l'existence » d'un féminisme militant au Québec[4].

Contexte socio-juridique et premières luttes féministes modifier

Sous la domination française la Coutume de Paris confie à l’homme la gestion des biens familiaux. La femme a ainsi le statut de personne mineure une fois mariée. Les femmes célibataires et les veuves détiennent toutefois des titres et des propriétés.

Ce privilège leur donne le droit de vote en vertu l’Acte constitutionnel de 1791, qui ne fait pas mention du sexe des propriétaires[5]. Le nombre d’électrices est réduit avec l’augmentation des critères de propriété dès 1834[6]. En 1849, une personne apte à voter devient explicitement un « homme propriétaire[7]» dans le Canada-Uni. Les femmes perdent alors tout droit de suffrage aux élections. Il se développe une culture de discrimination envers les femmes à l’époque[8]. Le Code civil du Bas-Canada confirme cette orientation en réduisant davantage le statut féminin et en consacrant l’incapacité juridique de la femme mariée en 1866[9]. L’urbanisation aggrave l’injustice sociale entre les hommes et les femmes dès les débuts de l'industrialisation au Québec. Les travailleuses sont désavantagées économiquement et socialement. Marie Lacoste Gérin-Lajoie[10], puis en relève Thérèse Casgrain[10] et Idola Saint-Jean[10] forment des groupes de pression. Elles revendiquent le suffrage universel auprès des membres du parlement de 1927 à 1940. Le suffrage féminin rencontre des oppositions farouches, dont celles d'Henri Bourassa. Ces organisations féministes envoient des membres au parlement de Québec tous les ans pour assister en vain, à la présentation de projets de loi pour le vote des femmes. Leurs luttes portent fruit en 1940 et les femmes obtiennent le droit de vote au Québec, sous le gouvernement d'Adélard Godbout. Madeleine Parent, Lea Roback[11] et Simone Monet-Chartrand luttent à améliorer la situation des femmes dans le monde du travail et sur le plan juridique. Vers la fin des années 1940, le mouvement féministe canadien-français, sous l'impulsion notamment de Monique Béchard, revendique le droit des femmes à une instruction supérieure complète, auquel s'opposent certaines figures connues comme Albert Tessier. Dans la foulée des premiers changements portés par la Révolution Tranquille, Marie-Claire Kirkland est la première femme élue au parlement de Québec en 1961. Elle propose le projet de Loi sur la capacité juridique de la femme mariée afin de pallier les injustices inscrites dans le Code civil du Québec. Ce projet de loi est adopté à l’unanimité le . Ce n’est cependant qu’en 1976 que les femmes obtiennent leur pleine reconnaissance juridique par la promulgation de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. À la suite de l'élection du , les femmes comptent pour plus de 40% de la députation, soit plus de 50 femmes sur 125 personnes élues[12].

Les mobilisations collectives survenues dans les dernières décennies sont donc centrées sur l'égalité des femmes dans le domaine professionnel, politique et juridique[13]. La discipline juridique occupe donc à l'époque le rôle de plateforme publique servant à dénoncer les inégalités juridiques entre les deux sexes. Toutefois, au-delà du principe d'égalité dans le droit se trouve le principe d'égalité par le droit[14]. En ce sens, la dimension juridique s'impose progressivement comme outil du changement social dont l'objectif est l'égalité des traitements entre hommes et femmes. Ainsi, les luttes féministes prennent extension dans le domaine familial, social et culturel, mais également dans le domaine de la santé, réclamant le droit à la contraception et à l'avortement. En bref, le changement social découlant des mobilisations féministes amène une remise en question de la vision selon laquelle la femme doit être réduite à un rôle traditionaliste, limitant ainsi son implication dans la société québécoise.

L'incarnation du féminisme au Québec dans les années 2010 modifier

Le féminisme québécois au XXIe siècle se caractérise par un mouvement idéologique et politique dont l'action politique consiste en la résistance et en la lutte contre l'oppression des femmes par le patriarcat, et dont l'objectif est d'atteindre une société égalitaire entre les sexes[15]. On note plus récemment l'émergence de nouvelles formes de militantismes féministes qui s'interrogent sur des questions à caractère religieux, sexuel, social et racial[16]. L'émancipation des femmes n'est donc plus exclusive à l'éducation et au droit, mais prend aussi racine des enjeux "sociétales"[17]. À l'échelle nationale, le mouvement féministe québécois se diffuse dans les différentes institutions, dont les établissements universitaires. La couverture médiatique du militantisme féministe étant faible, celui-ci est notamment incarné par des médias alternatifs, soient des outils médiatiques laissant la parole aux femmes, fournissant ainsi une voix aux idées féministes dans la société québécoise[18].

La féministe Sarah Beaudoin et le linguiste québécois Gabriel Martin observent dans les années 2010 la présence au Québec d'un « féminisme surfacique » qui englobe « l’ensemble des revendications qui s’attaquent à la sous-représentation des femmes dans les systèmes symboliques et formels[19] ». Ils incluent dans ce féminisme le mouvement pour l'équité toponymique et la lutte pour la rédaction épicène et inclusive qui, à leur avis, s’attaquent « aux dommages collatéraux du système patriarcal et aux empreintes qu’il laisse dans le monde des idées[20] ». Ils estiment que ces luttes occupent les féministes québécoises qui agissent concomitamment sur des problématiques plus concrètes, « telles que les violences sexuelles, les violences conjugales et les féminicides[20] ».

Bibliographie modifier

BELLEAU, Josée. 2000. « Un mouvement aux voix multiples », Relations, mars : 46 -49.

BRODEUR, Violette, Suzanne G. Chartrand, Louise Corriveau et Béatrice Valay.   1982. Le mouvement des femmes au Québec:  étude des groupes montréalais et nationaux, Montréal,  Centre de formation populaire. (CD - HQ1459Q4M66)

COHEN, Yolande,  1980. L'histoire des femmes au Québec, 1900 ‑ 1950 in  Recherches sociographiques, Vol.  21, No 3, 1980, 339 ‑ 345

COLLECTIF CLIO. 1992.  L'histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. Montréal, Le jour, éditeur, édition entièrement revue et mise à jour.

DESCARRIES, Francine et Shirley ROY. 1988. Le mouvement des femmes et ses courants de pensée: essai de typologie. Ottawa, Documents de l'ICREF, No 19.

DESCARRIES, Francine. 2005. « Le mouvement des femmes québécois : état des lieux », Cités (Paris, CNRS), dossier Le Québec, une autre Amérique. Dynamisme d’une identité, no  23, 125-136.,

De SÈVE, Micheline. 1986. Le mouvement des femmes hier et aujourd'hui in Perspectives Féministes, Ottawa, Icref/Criaw, No 5a.

De SÈVE, Micheline. 1998. « Féminisme et nationalisme au Québec, une alliance inattendue », Revue internationale d’études canadiennes, 17, printemps 1998.

DUMONT, Micheline, 1986, Le mouvement des femmes québécois, hier et aujourd’hui. Documents de l'ICREF, No 5

DUMONT, Micheline, 2008. Le féminisme québécois raconté à Camille, Montréal, les éditions du Remue-ménage.

FEMMES EN TÊTE. 1990.  De travail et d'espoir.  Des groupes de femmes racontent le féminisme. Montréal: les éditions du remue-ménage.

GAGNON, Mona Josée. 1974. Les femmes vues par le Québec des hommes : 30 ans d’histoire des idéologies, 1940-1970. Montréal, les Éditions du Jour.

JEAN, Michèle. 1974. Québécoises au 20e siècle, Montréal, Editions du Jour.

LAMOUREUX, Diane. 1986. Fragments et collages: essai sur le féminisme québécois des années '70. Montréal, Les éditions du remue-ménage.

LAMOUREUX, Diane. 1992.  "Nos luttes ont changé nos vies.  L'impact du mouvemet féministe" in Gérard DAIGLE (dir.) Le Québec en jeu.  Comprendre les grands défis.  Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 693-711.

Notes et références modifier

  1. Mylène Tremblay, « Le mouvement des femmes - Un acteur sociopolitique incontournable au Québec », », sur ledevoir.com,
  2. a b et c Francine Descarries, « Le mouvement des femmes québécois : état des lieux », Cités (Paris, CNRS),, no 23, p. 125-136., », Cités (Paris, CNRS), no 23,‎ , p. 125-136 (lire en ligne)
  3. Chantal Maillé, « Féminisme et mouvement des femmes au Québec. Un bilan complexe, », Globe, vol. 3, no 2,‎ , p. 87-105 (lire en ligne)
  4. Diane Lamoureux, « Mouvement social et lutte des femmes. », Sociologie et sociétés, vol. 13, no 2,‎ , p. 131-138 (lire en ligne)
  5. « Droit de vote et d'éligibilité des Québécoises », sur Élections Québec (consulté le ).
  6. Mercier, Benoit et André Duhamel, La démocratie, ses fondements, son histoire et ses pratiques, p. 118
  7. Mercier, Benoit et André Duhamel, La démocratie, ses fondements, son histoire et ses pratiques, p. 118.
  8. Mercier, Benoit et André Duhamel, La démocratie, ses fondements, son histoire et ses pratiques, p. 142
  9. « La loi accordant le droit de vote aux femmes », sur ameriquefrancaise.org (consulté le ).
  10. a b et c « Les pionnières », sur canada.ca, Radio-Canada, (consulté le ).
  11. « Léa Roback - Thèmes », sur collectionscanada.gc.ca via Internet Archive (consulté le ).
  12. « Statistiques sur les députés - Assemblée nationale du Québec », sur www.assnat.qc.ca (consulté le )
  13. Anne Revillard, « Le droit de la famille: outil d'une justice de genre? Les défenseurs de la cause des femmes face au règlement juridique des conséquences financières du divorce en France et au Québec (1975-2000) », L'année sociologique,‎ , p. 347 (lire en ligne)
  14. Anne Revillard, « Le droit de la famille: outil d’une justice de genre? Les défenseurs de la cause des femmes face au règlement juridique des conséquences financières du divorce en France et au Québec (1975-2000) », L'Année sociologique,‎ , p. 347 (lire en ligne)
  15. Francis Dupuis-Déri, « Chapitre 7 / L'anarchisme face au féminisme comparaison France-Québec », Le sexe du militantisme,‎ , p. 187 (lire en ligne)
  16. Christine Bard, « Le militantisme féministe aujourd'hui », Esprit,‎ , p. 68 (lire en ligne)
  17. Christine Bard, « Le militantisme féministe aujourd'hui », Esprit,‎ , p. 68 (lire en ligne)
  18. Émilie Goulet, « Comment comprendre les transformations du mouvement des femmes au Québec? : analyse des répercussions de l’antiféminisme », Thèse de maîtrise,‎ , p. 36 (lire en ligne)
  19. Sarah Beaudoin et Gabriel Martin, Femmes et toponymie : de l’occultation à la parité, Sherbrooke, Éditions du Fleurdelysé, 2019, p. 41-42.
  20. a et b Idem.

Voir aussi modifier

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