Henri Mordacq

général français
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Jean Jules Henri Mordacq, né le 12 janvier 1868 à Clermont-Ferrand et mort le 12 avril 1943 à Paris, est un militaire français, général de division durant la Première Guerre mondiale.

 Henri Mordacq
Henri Mordacq
Le général de division Henri Mordacq, peint par J.-F. Bouchon début 1919. Ses décorations, de gauche à droite : cravate de la Légion d'honneur, croix de guerre (5 palmes), médaille commémorative du Tonkin, médaille coloniale avec agrafe « Tonkin ».

Surnom L'Ours
Naissance
Clermont-Ferrand
Décès (à 75 ans)
4e arrondissement de Paris
Allégeance Drapeau de la France France
Arme Infanterie
Grade Général de corps d'armée
Années de service 18871925
Commandement 25e bataillon de chasseurs à pied
159e régiment d'Infanterie
24e division d'Infanterie
30e corps d'armée
Conflits Tonkin, Cochinchine, Cambodge, Algérie, Première Guerre mondiale
Faits d'armes Bataille de la Chipotte
Bataille de la Haute Meurthe
Bataille d'Arras
Bataille d'Ypres
Bataille de la Somme
Bataille de Verdun
Bataille des monts de Champagne
Distinctions Grand-officier de la Légion d'honneur
Croix de Guerre 14-18 (5 palmes)
Autres fonctions Professeur à l'École supérieure de Guerre
Officier d'état-major au 1er CA et au Ministère de la Guerre
Chef d'état-major à la 10e DI et au 1er GDIR
Commandant en second de l'École militaire de Saint-Cyr
Chef du cabinet militaire du président du Conseil - ministre de la Guerre

Jeune officier de Zouaves en Afrique puis officier de Légion en Indochine, il s'illustre au cours de la Première Guerre mondiale en tant que colonel, chef de corps du 159e régiment d'Infanterie, puis commandant de la 88e brigade d'infanterie, de la 90e brigade d'infanterie, et enfin de la 24e division d'Infanterie.

Le président du Conseil et ministre de la Guerre Georges Clemenceau le nomme chef de son cabinet militaire le jour de son arrivée au pouvoir fin 1917. Il occupe ces fonctions de novembre 1917 à janvier 1920.

Le Dictionnaire Clemenceau (2018) indique : « Il n'est pas excessif d'affirmer que la victoire fut possible parce que, dans l'ombre de Clemenceau, inlassable, anticipant tout, parant à tout, "toujours donnant en plein collier, railleur et défiant" (dixit Clemenceau) se trouvait un Mordacq, oublié des généraux vainqueurs. » [1]

Avant de quitter l'armée pour se consacrer à la vie politique et citoyenne, il commande le 30e corps d'armée pendant cinq années en occupation à Wiesbaden (Rhénanie). Il commandera l'Armée du Rhin en remplacement du général Degoutte en 1924. Après l'armée, il se fait notamment le défenseur de la politique menée par le Tigre, le promoteur des réformes militaires, mais aussi l'avocat de la fermeté gouvernementale vis-à-vis de l'Allemagne.

Il est considéré comme l'un des « théoriciens économistes» de l'École Métropolitaine au côté du lieutenant-colonel Serrigny, et préconise une analyse politique, géo-économique et industrielle des nouveaux conflits à venir.

Visionnaire, il anticipe avant le début de la Grande Guerre sa longue durée [2], l'incapacité des plans offensifs français, les carences techniques et logistiques ou encore les lacunes en instruction tactique et stratégique des officiers ainsi que le risque d'une nouvelle guerre si les clauses du Traité de Versailles devaient ne pas être respectées.

Champion d'escrime militaire de France en 1906, et vice-champion international en 1907, il est le fondateur de la Société Militaire d'Escrime Pratique en 1904 qui vise à soutenir cette discipline au sein des armées. Il est à l'initiative des premières unités cyclistes de l'armée française, est l'un des artisans de la refonte de la Légion étrangère, et participe à la création du Centre des Hautes Études Militaires.

Il meurt violemment en avril 1943 dans des circonstances troubles. Le Deutsches Nachrichtenbüro annonce son suicide, tandis que des journaux et radios de la Résistance indiquent qu'il a été assassiné par la Gestapo. Il est honoré à l'occasion du centenaire de la Grande Guerre. Le général Mordacq a écrit plus d’une trentaine de livres, rendant compte de son action et de ses observations au service de la Nation.

Biographie modifier

De 1868 à 1887 modifier

Jean Jules Henri Mordacq est né à Clermont-Ferrand le [3]. La famille Mordacq est originaire du Pas-de-Calais où elle est installée depuis le milieu du XVIIe siècle.

Son père, Charles-Jean-Baptiste Mordacq (1824-1900), officier de la Légion d'honneur, s'est engagé comme simple soldat à dix-huit ans et finit sa carrière avec le grade de chef de bataillon, à la tête d'un bataillon lors de la guerre franco-prussienne de 1870. En cinq ans, il effectue trois séjours en Afrique. Il est décoré par le Pape, Officier des Zouaves pontificaux, à l'issue de la campagne italienne de 1868. Il participe à la Guerre de 1870 en tant que capitaine puis chef de bataillon.

En 1857, il se marie avec Henriette-Emma Murat à Clermont-Ferrand, où Henri et son frère Charles sont baptisés. En 1879, Henri Mordacq est élève à Coulommiers où son père est en garnison. Il arrive à Paris en 1887 pour poursuivre ses études au Lycée Saint-Louis.

De 1887 à 1906 modifier

 
Le chef de bataillon Mordacq au Championnat militaire d'escrime des Officiers de France en 1911.

Il intègre Saint-Cyr au sein de la promotion « Tombouctou»[4],[5] en 1887 d’où il sort 47e sur 446 en 1889.

Sous-lieutenant à sa sortie d'école, il choisit le 2e régiment de zouaves stationné dans le Sud-oranais en .

Il est promu le au grade de lieutenant et rejoint alors la Légion Étrangère, où il intègre les compagnies montées, unités d'élite qui sillonnent les confins algéro-marocains. Il se classe 24e sur 90 à l'École régionale de Tir en 1892. Le , le lieutenant Mordacq part en Indochine, au Tonkin, avec son unité, le 1er Régiment Etranger d'Infanterie.

Le 1893, il mène sa section au combat contre les pirates à Ban-Khan et de Na-Luong. Il reçoit à cette occasion sa première citation à l'ordre du corps expéditionnaire : « Brillante conduite et bravoure pendant les combats de Luong-Mong et Ban-Khan ».

Le lieutenant Mordacq participe à la colonne de Phia-Mah du 1er au et reçoit une deuxième citation le , à l'ordre des troupes d'Indochine du général Duchemin: « Chargé des travaux topographiques pendant les opérations contre Phia-ma, s'est acquitté de cette mission avec intelligence et dévouement. »

Lors de la campagne des Colonnes du Nord, de à , qui permet d'éradiquer les dernières poches de résistance et de piraterie à la frontière chinoise, il coordonne l'état-major en tant qu'officier chargé des renseignements, sous les ordres du colonel Vallière, commandant l'opération[6]. « [Le colonel Vallière] est bien secondé par un petit officier de renseignements de choix, le lieutenant Mordacq, dont la jeunesse, l'allant et le travail me vont tout à fait[7] », écrit le lieutenant-colonel Lyautey en . Il fut aussi sous le commandement du colonel Gallieni, qui le qualifia de « jeune lieutenant d'une intelligence peu commune. »[8]

Il repart ensuite en Algérie dans la Légion en et est promu capitaine par décret du . Il doit quitter l'Afrique et son régiment pour rejoindre le 103e régiment d'infanterie à Arras en , après huit années d'opérations en Algérie et en Indochine.

Il intègre l'École de guerre le et retrouve les capitaines Loyzeau de Grandmaison, Mangin et Lacapelle. Parmi les professeurs qui enseignent ces deux années, le lieutenant-colonel Ruffey, le lieutenant-colonel Lanrezac, le chef d'escadron Foch, le chef d'escadron Fayolle et le commandant de Maud'huy, tous commandants d'armée au cours de la Grande Guerre.

 
Le commandant Mordacq entouré de l'équipe française qui remporta le premier prix au Championnat International militaire d'escrime à La Haye en 1907.

Le , il épouse à Paris[9] Jeanne Laurent (1879-1955), fille unique de Edmond Laurent (1853-1923), ingénieur-constructeur chez Moisant, qui devient Moisant-Laurent en 1887 et puis la Société Moisant-Laurent-Savey[10], premier concurrent des Ateliers Eiffel dans les constructions métalliques. Edmond Laurent devient associé de l'entreprise en 1884, puis président du Conseil d'Administration de Moisant-Laurent-Savey à partir de 1906. Il est fait chevalier de la légion d'honneur pour son travail durant l'Exposition de 1889, puis officier pour sa conception du Grand-Palais lors de l'Exposition de 1900[11].

En 1900, Mordacq sort de l’École de guerre 60e sur 80 avec la mention Bien; il est nommé capitaine d'État-major au 1er corps d'armée à Lille le .

Il reçoit le une lettre de félicitation du ministre de la guerre le général André pour son ouvrage La Question du Maroc au point de vue militaire et commence à se faire connaître pour ses écrits, notamment La Pacification du Haut-Tonkin (1901), ou L'Armée Nouvelle, ce qu'elle pense, ce qu'elle veut (1905) que Jean Jaurès trouvera "utile et attachant" et dont il s'inspirera pour écrire son Armée Nouvelle de 1910 où il lui répondra[12],[13]

Dans cet essai écrit sous pseudonyme, l'ancien officier légionnaire explique que « le monde et surtout la vieille Europe sont travaillés par un mouvement social des plus puissants » que l'armée doit s'y intéresser « étant donné le rôle d'éducateur que l'on exige d'elle actuellement.... Il ne faut pas se le dissimuler, c'est seulement en se mêlant à ce mouvement social, surtout en y participant, qu'elle arrivera à endiguer le torrent qui, laissé à lui-même, pourrait fort bien compromettre l'existence de l'armée. »

En , il est rattaché à l'état-major de la 10e division d'infanterie du général Burnez. Il devient Chevalier de la Légion d'honneur le .

Il fonde la Société militaire d'escrime pratique en avec le soutien de son général divisionnaire ; à ce titre, il dirigera de nombreuses commissions d'organisation de championnats militaires d'escrimes [14],[15]. Il remporte le le championnat individuel des officiers de France lors du Gala d'escrime aux Tuileries[16].

Le , il est promu chef de bataillon, à l'époque étant un des plus jeunes commandants de l'Armée française[17]. Il participe à une mission de reconnaissance et de renseignement en Allemagne cette année-là.

De 1906 à 1914 modifier

 
Le commandant Mordacq en mai 1908 à la tête de la Commission d'organisation des championnats militaires d'escrime (Couverture d'Armée et Marine)

Le , Clemenceau, tout juste nommé président du Conseil désigne le général Picquart pour commander la 10e division, et le commandant Mordacq devient son chef d'état-major. Lorsque Picquart devient ministre de la Guerre quelques mois plus tard, Mordacq est propulsé aux sommets des sphères militaires et politiques de Paris. Il aura pour mission d'aller porter cette nomination au général Picquart, qui écoutait un opéra de Siegfried Wagner à Vienne pour le convaincre d'accepter ce poste auprès du « tombeur de ministères ».

Le commandant Mordacq remporte le championnat d'épée du Tournoi militaire international de La Haye aux Pays-Bas, premier en équipe et deuxième en individuel[18],[19].

Il devient commandant du 25e bataillon de chasseurs à pied à Saint-Mihiel en .

En , Mordacq facilite la nomination du général Foch à la tête de l'École de guerre par l'intermédiaire de Clemenceau et du général Picquart. Dans son livre Le Tigre, Jean Martet retranscrit un échange avec Clemenceau à ce propos, dans les années 1920 :

«  Jean Martet : Je voudrais vous voir simplement supprimer une longue note qui est tout entière de Mordacq et où Mordacq raconte que c'est à lui que Foch doit d'avoir été nommé directeur de l'École de Guerre. M. Clemenceau : C'est pourtant la vérité. Jean Martet : Sans aucun doute... M. Clemenceau : Et c'est une chose intéressante. Jean Martet : Je vous l'accorde. Mais il ne faut pas que dans votre livre il y ait plus de Mordacq que de Clemenceau. Mordacq lui-même serait de mon avis. Il vous a probablement donné cette note dans la pensée que vous l'arrangeriez. Vous la reproduisez telle quelle. M. Clemenceau : Il n'y a pas à arranger des faits comme ceux-là. C'est dit aussi simplement, aussi clairement que possible.  »

Il soutient la création d'unités cyclistes et obtient que soit formé un bataillon cycliste, qu'il commande aux manœuvres de 1908. Ce bataillon, lors des exercices, parvient à immobiliser les deux divisions de cavalerie du général Trumeau et prouve ainsi son utilité sur le terrain[20].

Le commandant et son bataillon remportent le premier prix au Championnat national de Tir au Mans en .

Le , le général Foch obtient l'autorisation du ministre de la guerre, le général Brun, d'entreprendre « à titre d'essai » en l'École de guerre un complément d'un an aux deux premières années d'enseignement. Le programme est validé en , et Mordacq est désigné professeur chargé des études stratégiques. Il dirige également un cycle de conférence portant sur l'étude de la Guerre russo-japonaise.

Il se remémore à ce propos dans Pouvait-on signer l'armistice à Berlin (1930) :

« Dans notre ardeur et aussi notre naïveté de néophyte, nous n'hésitâmes pas aller jusqu'au bout de la vérité. Un jour à une conférence je déclarai nettement que notre commandement était loin, étant donné les exigences de la guerre future, d'être à la hauteur de sa tâche et que si nos généraux continuaient à ne pas vouloir aborder la stratégie, on serait obligé, au début de la prochaine guerre, d'en relever au moins la moitié de leur commandement. J'étais même resté au-dessous de la vérité. »

Réservé aux quinze premiers diplômés au classement de sortie, cette préfiguration du Centre des hautes études militaires sera appelé « cours des Maréchaux » et accueillera notamment les futurs généraux Billotte, Doumenc, Lagrue, et Tanant entre autres. Trois parties principales constituent ce programme : les bases de la conduite de la guerre, le bilan des forces et des intérêts au point de vue politique géographique financier et militaire ; les théories de la stratégie moderne et de la guerre d’armées ; et la technique de la guerre d’armées.

Les officiers étant cependant estimés trop jeunes pour suivre au mieux ce cours, l'instruction ministérielle du permet la création du CHEM pour que ce soit désormais des lieutenants-colonels qui aient accès à cette formation.

En débute alors la première session de ce programme remodelé que Mordacq rejoint en tant qu'auditeur ainsi que 24 autres officiers supérieurs. Il y retrouve le lieutenant-colonel Gouraud qui deviendra son ami. Avec le soutien de Clemenceau en , il proposera une circulaire qui réorganise le CHEM. Elle sera appliquée jusque la démobilisation de 1940.

Le général Foch écrit de lui en  : « Officier supérieur des plus remarquables, très intelligent, très actif, très ardent, très travailleur. Capable de vues d'ensemble et élevées, s'adonnant et réussissant avec facilité dans les hautes études. Avec cela une grande netteté d'idées, et de vues sur le terrain, beaucoup de décision et d'entrain. À faire arriver sans retard. »

 
Le colonel Mordacq, esquisse de Jonas (1915)

Le commandant Mordacq entre au ministère de la Guerre au 3e bureau de l'état-major, chargé des opérations et de la préparation tactique et stratégique des Armées. Il se heurte aux conceptions des plans XV et XVI, qu'il juge comme étant trop tactiques et dénués d'enjeux stratégiques suffisants.

Le généralissime Joffre le note en 1911 : « Officier supérieur de valeur, d'une activité et d'un entrain exceptionnels. »

Il quitte à sa demande la section du plan au 3e bureau de l'état-major de l'armée. En désaccord quant aux choix effectués, il soutient que la masse principale des armées allemandes passera sûrement par la Belgique, mais l'état-major par principe ne peut admettre ce postulat[21].

Il est promu lieutenant-colonel en . En juillet, peu après la crise d'Agadir, le ministre de la Guerre Adolphe Messimy et ancien camarade de la promotion Tombouctou le nomme au poste de Commandant-en-second et de Directeur des Études à l'École spéciale militaire de Saint-Cyr.

Il forme les promotions Marie-Louise, Montmirail, et Croix de Drapeaux (parmi lesquels les futurs généraux Magrin-Vernerey, Duval, Guillaume, Noiret, Hogard, Georges Loustaunau-Lacau, le colonel Cazeilles, Henry Bergasse futur résistant et ministre des Anciens Combattants, ou l'écrivain Jean des Vallières), dont la légende dit que certains des jeunes lieutenants chargeaient « en casoar et gants blancs » aux premières heures de la guerre[22].

De 1914 à 1916 modifier

 
Le général de brigade Mordacq, en couverture du Pays de France (début 1916).

Du 1er au , Mordacq est chef d'état-major du Ier groupe de divisions de réserve du général Archinard regroupé autour de Luxeuil, Vesoul et Montbéliard, fort de plus de cinquante mille hommes et dont l'objectif est de surveiller la frontière de la Suisse tout en assurant la couverture de la Ire Armée du général Dubail.

À la suite des revers de la bataille de Lorraine, ce groupement est dissous; mais Mordacq souhaite un commandement au front.

Il prend alors la tête du 159e régiment d'infanterie alpine le , le célèbre Quinze-Neuf, le Régiment des Neiges.

Le , son régiment repousse de violentes contre-attaques près de Rambervillers. Le , c'est au col de la Chipotte qu'il prend d'assaut les ouvrages allemands de la Haute Sapinière. Du 2 au , le régiment tient les positions au col du Haut du Bois. Il poursuit l'ennemi qui recule vers Raon l'Étape et Neuf-Étangs[23].

Le régiment alpin combat durement jusqu'au , où il est relevé pour partir défendre Arras, la « clef de la mer » qui sécurise l'accès à la Manche et aux ravitaillements britanniques. La ville se situe au carrefour des voies ferrées et routières reliant la région parisienne et la région industrielle du Nord, et ses collines de Notre Dame de Lorette, de Monchy le preux, de Vimy constituent la base essentielle de toutes les offensives vers les plaines de Douai et de Lille.

Son supérieur est le général Barbot, surnommé le « Bayard de la Grande Guerre » qui commande le 159e précédemment. Le , Mordacq reçoit le commandement de la défense d'Arras. Il conserve le 159e RIA et obtient le commandement du 61e bataillon de chasseurs. Les combats de rue sont alors acharnés pour sauver Arras de l'offensive allemande. Alors que l'état-major de la Xe Armée du général de Maud'huy demande aux troupes alpines d'évacuer la ville, Mordacq, soutenu par son supérieur divisionnaire, s'y refuse afin de poursuivre la bataille urbaine et tenter de maintenir la ville artésienne sous le drapeau tricolore.

Le récit d'Henry Bordeaux, Un Coin de France pendant la guerre - Le Plessis-de-Roye ( - ) raconte de près ces événements :

«  Le général [Barbot] va visiter le 159e. Le colonel Mordacq qui commande la brigade le reçoit : « Mon pauvre Mordacq, il va nous falloir évacuer Arras - Évacuer Arras ? Vous n'y songez pas ! Vous connaissez bien nos alpins, mon général : vous les avez commandés, ils tiendront. - Les ordres vont venir. C'est un grand courage que de savoir prendre ses responsabilités. Il vous faudra bien obéir. - Vous ne me donnerez pas cet ordre. Je vous défie de me le donner... » Barbot s'éloigne sur ce dialogue. La confiance de son subordonné l'a gagné, mais il revient sur ses pas quand il a fait cinq cents mètres : « Voici l'ordre : il faut que je vous le donne... » Il est le chef et doit décider. Cependant, à Haut-Avesnes, Féligonde a trouvé le général d'Urbal dans la salle à manger d'une ferme. Le général de Maud'huy, qui commande l'armée, est là. Eux aussi, ils savent prendre leurs responsabilités. Il n'y a pas de renforts, la situation paraît intenable, il ne faut pas qu'elle s'aggrave, l'ordre de retrait des forces qui sont devant Arras est dicté : la division Barbot s'organisera dans la région de Duisans. C'est l'évacuation d'Arras. Féligonde est revenu. II cherche le général. « Le général est encore une fois parti, lui dit Allegret. Il a voulu voir le 159e. Cet ordre exige une exécution immédiate. Tant pis, asseyons-nous sous cet arbre et rédigeons les ordres de repli... » Les ordres sont prêts quand Barbot rentre. Allegret lui montre l'ordre du général d'Urbal et les ordres d'exécution rédigés en conséquence. Le général en prend connaissance d'un coup d'œil. Il paraît nerveux. Il les lit, il les relit et tout à coup : « Évacuer Arras? non, non. Mordacq a raison. Nos alpins tiendront. Moi vivant, on ne reculera pas. Tenez!... » Et il déchire tous les ordres : « Allez dire aux troupes que tout va bien, très bien. Dites-leur qu'Arras est confié à leur honneur, que ces chiens n'y entreront pas. Mordacq sera content. Ou plutôt attendez : j'irai moi-même... » Et le voilà reparti. Arras sera sauvé. Arras est sauvé...  »

Il est promu colonel le et reçoit le commandement de la brigade commandant son régiment, la 88e brigade alpine, au sein du 33e CA du général Pétain.

Le , alors qu'il inspectait les lignes de front à proximité de l'ennemi, il est blessé par un éclat d'obus.

Il est élevé au grade d'Officier de la Légion d'honneur le  : « Dans le commandement du 159e régiment d'infanterie comme dans celui de la 88e brigade, n'a cessé de montrer activité, courage, calme et connaissances militaires étendues. »

Bien que toujours en rétablissement, le colonel demande qu'on le renvoie à son commandement au front. Alexandre Millerand, alors ministre de la Guerre, constatant sa blessure toujours vive, lui confie néanmoins une mission d'inspection des hôpitaux et dépôts du Midi, où Mordacq trouvera de nombreux embusqués prêts à repartir vers le front et ainsi libérer leur place pour de plus grièvement blessés, réduisant un climat démoralisateur de privilèges et de profit.

Mordacq est confirmé au grade de colonel le . Malgré les douleurs de sa blessure, il prend le commandement de la 90e brigade (45e division d'infanterie du général Quiquandon) qui vient relever le 20e CA en Belgique. Cette brigade est composée de trois bataillons de zouaves au sein du 2d régiment bis de marche des zouaves, deux bataillons du 1er régiment de tirailleurs algériens ainsi que le 1er et le 3e bataillon d'Afrique, soit 8 des 14 bataillons de sa division.

Le , Mordacq est témoin de la première attaque au gaz de l'Histoire militaire à Ypres sur l'Yser. Victime du chlore allemand, gazée, sa brigade parvient malgré tout à enrayer l'avancée allemande. L'épisode du sabordage des ponts de Boesinghe est à cet égard un autre moment remarquable pour la Brigade Mordacq[24].

Le , il écrit à Clemenceau, alors président de la Commission de l'Armée au Sénat :

«  Ce qui pèche c’est toujours la même chose, vous le savez, je l’ai assez clamé avant la guerre. Puisque la France tient tant que cela à ce que la guerre continue et, de longs mois, c’est bien, nous continuerons et nous vaincrons, mais nous aurions pu en finir depuis longtemps si nous avions eu des chefs capables de résister physiquement et cérébralement aux terribles exigences de cette guerre. Enfin l’exclusion systématique de tout fantassin dans les hautes sphères nous a coûté et nous coûtera aussi terriblement cher. (...) C’est ainsi, qu’ici, en Belgique, certain général d’artillerie qui depuis a été envoyé à Limoges, mais combien trop tard !, nous a fait massacrer inutilement pendant 1 mois. Heureusement nous lui avons tenu tête, moi en particulier qui ai finalement signalé la question au général Foch qui a agi. Mais cela m’a coûté très cher – le Grand Quartier Général ne me le pardonnera jamais. (...) Autre chose : vous parlez quelquefois d’embusqués, monsieur le président. Demandez donc un peu à vos amis du Ministère pour quelles raisons, dans la troupe, nous n’avons plus d’officiers professionnels, officiers de l’active, et surtout de commandants de compagnie alors que ces grands états-majors regorgent d’officiers brevetés ou autres qui passent leur temps à débiner ceux qui se battent, et à changer chaque jour d’uniformes de teinte différente, cela comme l’empereur Guillaume ou plutôt comme de vulgaires grues. J’appartiens au service d’état-major et j’en ai honte ; nos officiers d’état-major, pendant cette guerre, ont rendu de grands services et montré qu’ils avaient été bien dressés mais leur grande préoccupation a été de fuir la troupe, car ils ont vu que là on trinquait ferme. Ils se sont déshonorés et ont été encouragés dans cette voie par la pluie de galons et de décorations et de citations (oh honte !) que leur ont décernés les grands chefs. (...) Vous ne le croirez pas : il y a des centaines d’officiers qui depuis le début de la guerre n’ont pas quitté les grands états-majors, corps d’armée, armées, groupes d’armées ! C’est scandaleux. Les voilà, encore une fois, les véritables embusqués, les voilà bien ! (...) Où sont les hommes de 93 ? Ceux-là voulaient la victoire mais employaient les grands moyens. Je vous envoie, M. le Président, un souvenir respectueusement affectueux[25]. »

Le , Sir John French, le maréchal commandant des troupes anglaises, le félicite pour le soutien de sa brigade lors des contre-attaques de septembre. Le colonel Mordacq devient Chevalier de l'Ordre du Bain en octobre.

Le général Putz cite Mordacq à l'Ordre du détachement de l'Armée de Belgique : « A fait preuve dans tous les combats livrés du 22 au , d'une énergie à toute épreuve. A su communiquer aux troupes placées sous ses ordres, sa confiance et sa ténacité, et obtenir d'elles, en dépit d'une résistance acharnée et de l'emploi par l'ennemi de procédés illicites, des efforts véritablement surhumains. »

De 1916 à 1918 modifier

Le , Mordacq est promu général de brigade (ATT), commandant de la 24e division[26] (12e CA, Xe armée) qu'il conduit en Artois, à Verdun, en Champagne, et au Chemin des Dames, au cours de vingt mois de campagne (-).

Le lendemain, il obtient une troisième citation à l'Ordre de la Xe armée : « S'est comporté de la façon la plus brillante, à la tête du 159e RI, dans les combats sous Arras, et a grandement contribué, par ses contre-attaques heureuses et vigoureusement menées, à maintenir l'intégrité du front contre un ennemi supérieur en nombre. »

Le , le général commande sur la Somme. De septembre à octobre, sa division garde Verdun. Au cours des offensives françaises d'octobre, il y aura plus de 6000 allemands capturés et, le , le fort de Douaumont est repris, et l'ennemi recule sur l'ensemble de sa ligne de front à Verdun.

En novembre, il est à nouveau blessé, enseveli par un obus de 210[27].

Il refuse d'être évacué à l'arrière, et en janvier, il conduit sa division en Champagne, où elle s'empare du plateau de Maisons de Champagne au cours de l'offensive du 8 au .

Du 17 au , il mène victorieusement la 24e division à la bataille d'Aubérive au côté de la Légion étrangère de la division marocaine du général Degoutte.

Mordacq reçoit sa quatrième citation à l'ordre de la IVe armée du général Gouraud le  : « Commandant une division dans un secteur difficile, vient de donner de nouvelles preuves de son activité et de son énergie en exécutant deux attaques qui ont permis de reprendre à l'ennemi des positions importantes. »

Après une stabilisation du front, qui l'inquiète, Mordacq apprend fin octobre, à la suite du désastre de Caporetto, son départ imminent pour l'Italie, où il commanderait un corps d'armée qui comprendrait sa 24e division. D'autres rumeurs lui prêtent le futur commandement du 20e corps d'armée, le prestigieux corps de fer. Le général Niessel indique en juillet 1951 dans un article dans l'Homme Libre (8301) : « Les généraux Nollet et Nourrisson, sous les ordres de qui il s’était successivement trouvé, l’avaient proposé pour le commandement d’un corps d’armée. »

Cependant, lors d'une visite sur le front le , Clemenceau lui annonce « qu'il est sur le point de prendre le pouvoir » et qu'il aurait besoin des services du général[28],[29].

Le , Clemenceau devient président du Conseil et ministre de la Guerre. Mordacq reçoit la troisième étoile de général de division et devient le chef du Cabinet militaire du Président du Conseil le .

Le « Tigre » lui dit : « Je suis ministre de la Guerre, c'est entendu, mais c'est vous qui vous en occuperez. »[30],[31],[32]

Ils s'accordent sur les grands axes de ce ministère [33] : le commandement unique pour Foch et le maintien absolu de Pétain ; les visites régulières jusqu'aux premières lignes du Front ; l'unité de doctrine militaire et défensive entre français et alliés ; la lutte contre la bureaucratie, le népotisme et la corruption aux ministères ; la fabrication intensive de munitions, d'artillerie lourde, d'avions, de tanks et de camions ; le rajeunissement des cadres supérieurs de l'armée et la mise à l'écart de certains officiers généraux "inadéquats" (l'assainissement au front et dans les grands états-majors)[34],[35] ; le nettoyage à l'Intérieur des défaitistes civils et des militaires embusqués, le maintien de l'ordre et la discipline dans les villes de permissions ; et enfin la question des décorations, et du mérite militaire[36],[37].

Le , le général rencontre John Pershing et prépare l'arrivée du corps expéditionnaire américain alors que le 1er décembre, la première réunion du Conseil supérieur de Guerre interalliés réunit David Lloyd George, le colonel House, Orlando, Foch, Weygand et Wilson et que du au avec Douglas Haig, Pétain, John Pershing, et Vittorio Alfieri. Mordacq fréquente des serviteurs de l'État ou hommes politiques comme Georges Mandel, André Tardieu, Jules Cambon, Stephen Pichon au Quai d'Orsay, Louis Loucheur à l'armement, Jules Jeanneney au secrétariat général de la Présidence du Conseil ou Ernest Vilgrain au Ministère du ravitaillement.

Cependant, l'ampleur des réformes et des mesures à mettre en œuvre est considérable :

«  Dès les premiers jours après mon arrivée, je constatai rapidement que les bruits qui couraient au front sur le ministère de la Guerre étaient des plus fondés : tout le monde y commandait, sauf le ministre ; les « bureaux », plus que jamais, y étaient les maîtres. Il fallait commencer par tout y réformer : sûr de l’appui de M. Clemenceau, je me mis aussitôt à l’œuvre. » (...) Les méthodes de travail, je l’ai dit, n’étaient pas brillantes. Il semblait que dans les directions (comme dans tout le ministère d’ailleurs), on ne se rendît pas compte de la situation et que la France était en pleine guerre, et en quelle guerre, une guerre comme l’humanité n’en avait jamais connue ! Rien n’était changé dans les habitudes en temps de paix ; la douce indifférence bureaucratique continuait de régner[38].  »

Le général Mordacq propose à Clemenceau la circulaire du , qui a pour vocation de réformer les méthodes de travail : simplifier les circuits administratifs ; diminuer la production de documents sans valeur ajoutée ; alléger les procédures et lutter contre les « excès de centralisation » : le chef doit savoir déléguer ; favoriser les échanges verbaux entre les agents et le recours aux nouveaux moyens de communication (le téléphone par exemple) ; privilégier l’échange verbal et la réunion préalablement à toute prise de décision : « il ne s’agit pas de supprimer les pièces écrites qui sont souvent nécessaires, parce qu’elles portent une signature et qu’elles restent, mais il faut n’y recourir qu’au moment voulu, c’est-à-dire lorsque l’affaire est déjà décidée et tout au moins dégrossis par la conversation » ; régler les affaires courantes en trois jours (délais de transmission compris)[39].

La circulaire du dresse un premier bilan : « l’arriéré révélé dans certains services a été liquidé », « de nombreux cas concrets d’affaires importantes réglées avec décision et avant toute formalité m’ont été signalés ». Cependant, il reste des efforts à fournir dans l’usage du téléphone, la délégation des responsabilités, la suppression des intermédiaires inutiles ainsi que dans certains détails (enregistrement, distribution du courrier etc.). Mordacq va plus loin et demande à « mutualiser » le travail des secrétariats : le personnel secrétaire et dactylographe, « souvent trop disséminé et laissé sans direction », doit être regroupé et organisé en ateliers, « sous la surveillance de véritables contremaîtres qualifiés »[40].

Georges Wormser, chef de cabinet à la Présidence du Conseil, écrit de lui dans Clemenceau vu de près[41]:

« Il est vrai qu'est présent à ses côtés le général Mordacq qui, en camarade et en homme de métier, comme aussi en combattant éprouvé, ne négligera aucun conseil. Celui-ci peut se le permettre, se sachant au mieux avec Pétain et son état-major. Son rôle auprès de Clemenceau fut considérable. Jamais militaire ne fut d'esprit plus honnête, d'âme résolue, de caractère, sans brutalité. Son mérite fut constamment de voir au-delà du jour même et des péripéties, de penser, si je puis dire, au déroulement et pour l'avenir. Il savait l'utilité de la tactique sur le champ d'opérations, mais il voulait que les chefs eussent constamment en vue la suite stratégique. Très direct, parlant net, avec flamme, il convainquait ou entraînait, il ignorait l'hésitation ou le balancement. C'est pourquoi il plaisait à Clemenceau qui avait en lui une confiance absolue. C'était à ce point que faisant disparaître de son bureau la grande carte du front, Clemenceau avait dit qu'il n'avait nul besoin de l'avoir sous les yeux, que sa carte, c'était Mordacq. »

De 1918 à 1920 modifier

Comme prévu, le général Mordacq organise de nombreuses visites au front, comme du 10 au en Alsace, à Masevaux et à la frontière suisse ; du 24 au , dans les Flandres, à Notre-Dame de Lorette, Souchez, Béthune au corps portugais ; du 2 au , sur le front américain ; le , à l'aviation ; le , lors de la réunion à Compiègne, et le lendemain, à la réunion de Doullens. À Beauvais, la rencontre entre le général et Winston Churchill est racontée par le général Palat dans La part de Foch dans la Victoire : « M. Winston Churchill va à Mordacq et lui demande s’il partage la confiance de Foch, en dépit d’une situation restée inquiétante : ‹ Absolument, répond Mordacq, mais à condition qu’on étende encore les pouvoirs du général qui ne sont pas suffisamment nets. › Et Mordacq expose ce qu’il entend par là. M. Churchill écoute religieusement, sans répondre un mot. »

Pour le général Foch, le terme coordinateur des armées alliés est, dans un premier temps, préféré à une attribution plus explicite, mais lorsque, le 1er avril, les chefs alliés se réunissent à Beauvais, Mordacq propose de confier à Foch « la direction stratégique des opérations militaires alliés. » Il fait rédiger cette proposition pour Clemenceau. La formulation est acceptée par les Alliés, et cet accord consacre la naissance du commandement unique sur le Front de l'Ouest[42],[43].

Il réorganise le ministère de la Guerre et crée une sous-direction des moyens automobiles, où il nomme le commandant Doumenc, une sous-direction de la gendarmerie, que Mordacq préserve ainsi du contrôle du ministère de l'Intérieur tout en accordant à ce corps de nombreuses prérogatives[44]- confiée le au colonel Plique, ancien camarade de promotion à Saint-Cyr, et une sous-direction des chars de combat le 1er mars avec le lieutenant-colonel Aubertin[45]. Tout au long de ce ministère, il soutiendra les innovations dans le domaine des premiers « chars » , la motorisation des armées ou la montée en puissance de l'aéronautique militaire, notamment avec l'aide du commandant Pujo.

Il est secondé dans son cabinet et au ministère par le lieutenant-colonel de Battisti, son ancien chef d'état-major à la 24e division, puis le lieutenant-colonel Alerme, mais aussi le colonel Becker. Le général Jullien est directeur du Génie ; le général de Tinan, directeur de la Cavalerie est remplacé par le général Trutat ; à l'Artillerie, le général Coiffec est remplacé par le général Bourgeois, chef du Service Géographique, qui sera remplacé par le général Maurin quand il sera nommé en Indochine ; le général Cottez à l'Infanterie est remplacé par le général Lagrue, ancien élève de Mordacq à l’École de Guerre.

Le général souhaite centraliser tout ce qui concerne la guerre au ministère. Ainsi, il refuse des secrétariats et sous-secrétariats de parlementaires sur des domaines militaires, mais il crée de nouvelles structures.

Il propose le général Roques au poste sur mesure d'Inspecteur général des travaux du front. Il reconnait au général issu de l'École Polytechnique et ancien directeur du Génie les qualités nécessaires pour assurer l'unité du dispositif défensif sur le front français, britannique et américain[46].

Il surveille la création de l'Inspection générale des télégraphies militaires et place à sa tête le général Ferrié. De même, il unifie l'activité ferroviaire avec le Commissariat des trains nationaux en choisissant le général Gassouin pour le diriger[30]. À la suite d'un passage au chenil des chiens de l'Alaska au Tanet, il obtient l'autorisation de centraliser l'activité canine militaire au ministère de la Guerre[47].

Il refuse également l'influence du cabinet civil, dirigé par Georges Mandel, dans les affaires militaires. Il explique dans le Ministère Clemenceau : « Après le cabinet militaire, je m'occupais des directeurs. Je ne parle pas du cabinet civil qui, au point de vue de la guerre, n'avait à jouer qu'un rôle des plus insignifiants. Plusieurs fois, il voulut sortir de ce rôle, mais j'en fis immédiatement une question personnelle et M. Clemenceau donna des ordres tels que ces tentatives ne furent pas renouvelées. »[48].

Selon Mordacq, la modernisation de l'armée doit s'accomplir de concert avec un rajeunissement des cadres supérieurs de l'armée. Il considère qu'un grand nombre de généraux d'armée ou de corps d'armée, de divisionnaires et de brigadiers sont trop usés ou inadaptés pour poursuivre une guerre de manœuvre et de stratégie en accord avec la confiance que leur accordent le poilu et le gouvernement.

Il rédige donc cette circulaire :

«  Tout divisionnaire, tout brigadier et tout colonel ayant dépassé respectivement soixante, cinquante-huit et cinquante-six ans et ne présentant pas, suivant ses chefs eux-mêmes, toute la vigueur physique et intellectuelle que nécessitaient les circonstances, devait être remis en à la disposition du ministre pour être employé à l’intérieur[49]. »

Donc, des initiatives d'organisation du ministère et de réformes des méthodes de travail accompagnent de mesures vers la modernisation de l'armée, le rajeunissement des cadres, la priorité donnée au front et au combat ainsi que la formation militaire. Mordacq fonde, le , la Section des Écoles et modifie l'organisation de l'École de Saint-Maixent et du Bataillon de Joinville. Il nomme le général Tanant à Saint-Cyr, le général Thureau à Saumur, le colonel Dumas à Fontainebleau et le colonel Borie à Saint-Maixent[45].

Le colonel Herbillon, officier d'ordonnance du général Pétain, affirme que Mordacq est à l'origine de la contre-attaque du , menée par les généraux Mangin et Humbert pour protéger Compiègne et qui connut un succès considérable[50]. Herbillon indique également que le général aurait menacé par deux fois de démissionner si Clemenceau limogeait Pétain de son commandement : « Mon vieux, dit Mordacq à Herbillon, tu sais bien que tant que je serai là, on ne touchera pas au général Pétain. » Mordacq indique à ce sujet dans le tome II du ministère Clemenceau : « D’ailleurs M. Clemenceau savait très bien que le jour où le général Pétain serait sacrifié, je ne resterais pas une minute de plus au ministère de la Guerre. Plus que jamais, j’étais convaincu que la victoire dépendait d’un trio : Clemenceau, Foch et Pétain. »[51] Selon Wormser, si Clemenceau délègue autant d'autorité à Mordacq et cède sur le limogeage de Pétain, c'est que le président du Conseil « ne pouvait se passer d’avoir auprès de lui un général de toute confiance et d’esprit toujours en éveil. »[52]

Wormser, dans cet opus, avance deux hypothèses sur l'influence de Mordacq sur Clemenceau : « Les généraux auraient-ils accepté aussi facilement les avis du civil s’il n’avait pas été toujours accompagné par l’un des leurs ? Et ce que leur disait Clemenceau ne lui était-il pas souvent soufflé par Mordacq ? » Le président de la République, Raymond Poincaré, indique dans ses mémoires Au service de la France - Victoire et Armistices à la date du que Mordacq « tient les ficelles » de Clemenceau [53].

Les critiques les plus virulents de l'action de Mordacq à la tête de ce ministère dénoncent un « Comité des Jeunes Turcs », qui aurait pesé une influence considérable sur la conduite de la guerre, au détriment du GQG ou de Clemenceau lui-même. Derrière cette influence inédite, la confiance importante accordée par Clemenceau à Mordacq et le pouvoir détenu ainsi par un jeune divisionnaire tout juste quinquagénaire et exercé sur Foch son premier appui et sur Pétain son ami et celui qui le fit divisionnaire ; de la même génération, Weygand qui secondait Foch, et Buat qui secondait Pétain, cherchaient souvent à contourner ou contester le Ministère, aussi les relations entre ces trois » poulains » furent-elles venimeuses, surtout entre Weygand et Mordacq ainsi qu'entre Buat et Mordacq. Des témoignages de Wormser et de Buat l'attestent pleinement[54],[55].

Ancien lieutenant et capitaine de la Légion étrangère, il est à l'origine de la création de divisions pour la Légion ainsi que de l'apparition de régiments de cavalerie et d'artillerie au sein de la Légion. François Cochet, professeur des Universités en histoire contemporaine, écrit dans La Légion étrangère : Histoire et dictionnaire : « La Légion de l'entre-deux-guerres lui doit d'avoir été reconnue par la haut commandement, désormais convaincu de son utilité. »

En 1919, Mordacq encourage la nomination du général Debeney à la tête de l'École de Guerre et celle du jeune général Filloneau à la tête de l'École polytechnique en octobre[56]. Il soutient la nomination du général Ragueneau, son aîné à Saint-Cyr, au délicat rôle de chef de la Mission militaire française, près de l'Armée américaine, et celle du général Duval, son cadet à St-Cyr, à la tête de l'aéronautique militaire au Ministère de la guerre. Dès le lendemain de la guerre, il nomme de nouveaux généraux aux commandes des Inspections des Armes. Le général Demange est nommé à l'Artillerie, le général Féraud à la Cavalerie, le général Estienne aux chars de combat, et le général Jouffroy à la gendarmerie[45].

Fidèle à l'opinion du général Mangin, il s'oppose à la création de corps d'interprètes sur le front, préférant la « diffusion naturelle du français » et son apprentissage accéléré aux troupes coloniales. En , soucieux de l'équilibre du moral des soldats et de la propagation de maladies, Mordacq signe un décret controversé, qui encadre le fonctionnement de bordels militaires[45].

Du 27 au , Clemenceau et Mordacq se rendent à Clermont et à Montdidier dans la Somme. Ils sont le 1er avril à Rouvrel, le 6 à Flixecourt, le 8 à Sarcus au PC de Foch, le dans l'Oise. Il est promu commandeur de la Légion d'honneur le  ; Pétain écrit : « Brillant officier général qui, depuis le début de la campagne, en toutes circonstances, a su affirmer ses rares qualités d'énergie, d'activité et d'intelligence, en même temps que son complet mépris du danger, d'un moral inaltérable, aimant et connaissant bien le soldat, a obtenu des troupes placées sous ses ordres, les plus beaux efforts et les plus brillants succès. Deux fois blessé. Quatre fois cité à l'ordre de l'Armée. »

Le , il emmène Clemenceau à Château-Thierry, le à Hattonchâtel et le à Saint-Quentin libéré.

Le général Mordacq rédige le le décret qui nomme le général Foch « Maréchal de France ». Quelques mois plus tard, il rappelle à Clemenceau son souhait de récompenser Pétain pour son offensive victorieuse, et le propose comme troisième Maréchal de la Troisième République. Le , Mordacq prépare la création de dix régiments de spahis du Maroc. Ils participeront aux combats de la veille de l'armistice et seront présents en Allemagne au sein de l'Armée du Rhin jusqu'en 1930[réf. souhaitée]. Dans le même temps, les légionnaires de nationalité allemande sont envoyés systématiquement au Maroc : » Terminer la conquête du Maroc avec des Allemands et garder le Rhin avec des Marocains » [57].

Il annonce à Clemenceau la signature de l'Armistice et raconte dans Le Ministère Clemenceau les grands moments de la fin de la guerre.

Le , le général Mordacq décore l'émir Fayçal de la croix de guerre avec palme au nom du gouvernement à l'hôtel Continental. L'émir, futur Fayçal Ier, roi d'Irak, avait combattu les Ottomans, notamment en Syrie, afin de créer un état arabe indépendant sous le regard alors bienveillant du gouvernement français.

En cure d'hydrothérapie à Vichy du au pour soigner sa jambe gauche et son tympan, Mordacq prépare deux décrets sur le Conseil supérieur de Guerre et sur l'état-major de l'Armée. Le général Buat, major général du GQG, écrit le 12 aout dans son Journal : « Mordacq repart pour les eaux : reviendra-t-il ou non ? Sans lui, plus rien n’existe. » Le ministère de la Guerre ne tient qu'à un fil et de lui dépend aussi ces nominations militaires qui intéressent Buat[58].

À La Bourboule, où il poursuit sa guérison, il retrouve le maréchal Joffre avec qui il s'entretient longuement de l'état des armées un an après l'armistice.

Le , Mordacq défile aux côtés de Clemenceau, Pershing, Foch et Pétain sur la place de la Concorde.

Clemenceau l'emmène visiter la Vendée, et des rumeurs courent sur une possible nomination comme chef de la mission française en Pologne en remplacement du général Henrys. D'autres lui prêtent la Mission française au Brésil que le général Gamelin occupera de 1919 à 1924. D'autres encore, en , le nomment le remplacement de Charles Jonnart, gouverneur général d'Algérie. Le , il est le premier à qui Clemenceau annonce sa candidature à la Présidence de la République. Du 10 au , il accompagne Clemenceau à Londres.

En , Mordacq est poussé à postuler aux législatives en Corse :

«  Quelle ne fut pas ma stupéfaction quand je reçu télégrammes sur télégrammes d’une part de M. Barnier, préfet de la Corse, et d’autre part des candidats ministériels dans ce département me demandant instamment de poser ma candidature : le succès était certain. Je n’en doutais certes pas étant donnés[sic] les hommes qui s’en portaient garants et que je connaissais bien, mais je répondis très nettement que, n’ayant jamais fait de politique, je ne tenais nullement à en faire et que, d’ailleurs, il était déjà trop tard pour commencer. Ils n’en continuèrent pas moins à me harceler, faisant même intervenir M. Clemenceau, qui fut tout à fait de mon avis. Enfin, à la suite d’un télégramme de moi les priant de ne plus insister, ils finirent par comprendre qu’il n’y avait rien à faire[59]. »

Au terme de ce ministère, le général Mordacq aura été à l'instigation du rassemblement d'archives de guerre, inaugurant le Service historique des Armées[60]. Son influence se retrouve dans la nomination du général Guillaumat aux Balkans, puis de son retour comme gouverneur militaire de Paris peu avant la Seconde bataille de la Marne. Mordacq appuie le choix du général Berdoulat comme gouverneur militaire de Paris en , pour succéder au général Moinier ; il joue un rôle important dans l'attribution au général Hirschauer, puis au général Humbert, du gouvernement militaire de Strasbourg et celle du général Gouraud à la mission au Levant, où le général Goybet le secondait.

Il soutient le retour au commandement d'un corps d'armée du général Mangin et la réhabilitation du général Nivelle en le nommant commandant des troupes en Afrique du Nord[61]. Il appuie l'activité du général Lyautey au Maroc et applaudit ses efforts lorsque celui-ci parvient à envoyer des bataillons supplémentaires vers la métropole lors des crises d'effectifs de 1917[62].

De 1920 à 1925 modifier

Le , le général Mordacq est élevé à la dignité de grand officier de la Légion d'honneur : « Titres exceptionnels. A rendu les plus éminents services au Pays en tant que Commandant d'une Division aux Armées que comme Chef du Cabinet militaire du président du Conseil, ministre de la Guerre. A puissamment contribué en cette qualité à préparer la Victoire de nos Armes. »

Le lendemain, il est nommé commandant du 30e Corps d'Armée de l'Armée du Rhin[63] qui occupe la Rhénanie allemande autour de Wiesbaden.

Le 30e Corps occupe Francfort le , mais il doit évacuer le mois suivant à cause du mécontentement des gouvernements britannique et américain malgré la manœuvre remarquée et efficace de son corps d'armée[64]. À ce titre, il estima regrettable le choix politique, qui n'attribua pas au 30e CA l'occupation de la Ruhr en 1923, qui fut attribuée au 32e Corps d'Armée du général Caron.

Il privilégie l'encerclement du territoire et l'occupation des principaux axes de communications à une coûteuse et fragile occupation totale. Il défend également la présence de troupes coloniales en Rhénanie contre les critiques racistes des Allemands et le scepticisme de l'état-major parisien. Toutefois, il montre au maréchal Pétain le bien-fondé de la présence des spahis et tirailleurs en Allemagne[65].

Le général Mordacq s'inquiète en de l'inertie de l'État-major général : « Le lendemain de cette cérémonie [du ], je reçus la visite d’un membre du Conseil supérieur de la guerre qui m’apporta des nouvelles plutôt pénibles. Ce que j’avais prévu était arrivé. L’État-major général de l’Armée se bornait à assurer le service courant : la plupart des officiers qui étaient à sa tête, heureux de se retrouver à Paris, après cette longue guerre, profitaient largement de cette existence de la capitale, évidemment très agréable, mais que l’on ne peut mener impunément et simultanément, quand on a à assumer une tâche aussi écrasante que celle de la création d’une armée nouvelle. (…) Personne à l’état-major général n’avait eu le bon sens de vouloir comprendre qu’il était impossible de faire du service courant et en même temps d’élaborer toutes ces nouvelles lois qui exigeaient un temps considérable et surtout des cerveaux qui s’y consacraient exclusivement[66]. »

Le , le général Degoutte commandant l'armée d'occupation du Rhin note Mordacq : « Commande le 30e CA à l'Armée du Rhin depuis sept mois. A obtenu de son corps d'armée un très bon rendement : discipline, tenue, instruction, préparation à la guerre. Officier général que son intelligence, ses connaissances étendues, ses qualités militaires et sa personnalité très accusée mettent au premier plan. »

Selon Mordacq, la politique de concessions et de faiblesses face à l'Allemagne fragilise la paix précaire inaugurée depuis la signature des traités. Il manifeste son soutien à la social-démocratie allemande mais constate la montée des partis nationalistes, notamment en Bavière, où naît le Parti nazi en . Il s'oppose à la politique religieuse du gouvernement en Rhénanie, préférant la neutralité de l'État[67], et continue de critiquer l'état-major général qui veut faire les lois militaires tout en faisant le service courant[68],[69] et réduit grandement le poids de l'infanterie dans l'Armée[70], l'organisation du conseil supérieur de la guerre, ses trop nombreux membres, trop âgés et cumulant d'autres responsabilités, qui ne délibérait pas suffisamment, sous le contrôle prépondérant du maréchal Pétain[71] et l'organisation de l'armée du Rhin, où le général Degoutte commandait l'armée française, l'armée alliée en Rhénanie, et qui siégeait aussi au Conseil de guerre à Paris, tâche écrasante selon Mordacq[72].

Lors des événements de l'occupation de la Ruhr, il commande en addition de Wiesbaden, les territoires dépendants de Mayence après les émeutes du et l'ensemble de ceux au sud de Cologne à la suite de la demande de Degoutte de bien vouloir le remplacer provisoirement[73],[74].

En , une bombe explose à l'intérieur de la gare de Wiesbaden. Si aucune perte n'est à déplorer, les dégâts matériels sont considérables. Le gouvernement français réclame de la ville de Wiesbaden le paiement d'une amende de dix millions de Rentenmark. L'enquête établissant que l'auteur de l'attentat n'est probablement pas un habitant de la ville, le général Mordacq décide de s'opposer à cette punition : « C'était là, à mon avis, une sanction absolument indigne de nous et injuste ; je le fis remarquer, et comme l'on ne semblait pas vouloir tenir compte de mon observation, je menaçai d'abandonner mon commandement si la décision gouvernementale était maintenue. Une fois de plus, Paris céda et la ville de Wiesbaden ne fut pas frappée de l'amende précitée. (...) Il eût été monstrueux que nous qui passions notre temps à nous réclamer des hommes de la Révolution, et à rappeler que, comme eux, nous apportions la justice et le droit, nous en arrivions à commettre une semblable injustice[75]. »

Au cours de l'été 1923, le général Mordacq est chargé d'organiser et de conduire une nouvelle occupation de Francfort. Finalement, les Anglais désapprouvant, au contraire des Belges. Il n'est plus question que d'occuper les têtes de pont de Mannheim et Carlsruhe. Il regrette dans son livre Clemenceau - Au soir de sa vie (1920-1929) cette « petite opération » et la « politique de demi-mesures » du gouvernement, caractéristique selon lui du gouvernement Poincaré[76].

Le général Mordacq commande l'armée d'occupation du Rhin tout au long de l'été 1924 en remplacement du général Degoutte. Le plus ancien commandant après Degoutte en Allemagne, il reçoit logiquement ce commandement intérimaire de l'armée du Rhin en son absence. Cependant, presque quatre ans auparavant, André Lefèvre, ministre de la Guerre sous Millerand, avait annoncé au général Buat son plan pour éloigner Mordacq de cette éventualité : « Le but du ministre, en choisissant le général Duport, était d’avoir à l’armée du Rhin, en cas de départ, d’absence ou d’accession de Degoutte à un commandement supérieur, un officier général plus ancien que le général Mordacq, commandant le 30e corps, dont il ne veut pas pour commander l’armée le cas échéant. Il a alors décidé que Pouydraguin serait muni d’une lettre de service spéciale lui accordant le commandement de l’armée en l’absence du général Degoutte. »

Le général Degoutte donne encore son appréciation : « Le général Mordacq a toujours les mêmes belles qualités de commandement. L'instruction et la préparation à la guerre sont activement poussées au 30e. Les sports et les tirs y sont l'objet d'une attention toute spéciale. De très bons résultats ont été obtenus dans les concours. Tout cela est dû à l'action personnelle du général. Cette personnalité le rend parfois un peu dur pour les autres mais il l'est pour lui-même. Son activité le porte à déborder sa force d'action, mais son esprit de discipline et la droiture de son caractère permettent au Commandement de tirer parti de ses tendances qui sont parfois la caractéristique du vrai chef. »[77]

Début 1923, son unité s'illustre aux épreuves sportives organisées, particulièrement le championnat de cross militaire. Le miroir des sports écrit en  : « Tout dernièrement, le championnat de cross militaire a été une victoire complète pour le 2e régiments de Tirailleurs et le 30e corps d'armée dont il fait partie. Tous les autres corps d'armée avaient des représentants : ils ont dû s'incliner, dans le classement par équipes, devant les Tirailleurs. Si nous doutions de la valeur de ces Africains, le général Mordacq, qui est le général le plus sportif de l'armée française, aurait raison de notre scepticisme. »[78]

Des rumeurs signalent qu'il est parmi les candidats au remplacement du général Buat à la tête de l'état-major de l'armée lorsque celui-ci meurt subitement à son poste fin 1923. C'est, plus logiquement, le général Debeney qui est nommé à la suite de son passage à la tête de l'École de Guerre. Mordacq avait souhaité commander le Centre des hautes études militaires depuis de longues années : « On m'avait fait espérer, et le général Nollet lui-même (ministre de la Guerre), que j'avais des chances de remplir ces intéressantes fonctions. C'était d'ailleurs assez naturel : beaucoup d'officiers disaient même que cela s'imposait. C'était moi, en effet, qui en 1908, avec le général Foch, alors commandant de l'École de guerre, avait fondé ces cours et professé, pour la première fois en France, un cours de stratégie. »[79] Finalement, le gouvernement nomme à la place le général Weygand. Mordacq avait reproché à Weygand de devoir sa carrière à Foch, sans avoir eu à commander une unité sur le front pendant toute la durée de la guerre, et le général Buat écrit dans son journal à ce propos : « Le grand malheur est que le maréchal Foch n'ait auprès de lui aucun homme ayant exercé un commandement de grande unité ; faute de voir les possibilités, tout ce monde vit dans des opérations imaginaires, dépourvues de tout obstacle et de tout adversaire. C'est dangereux. »[80],[81].

Le , le général Mordacq quitte à sa demande son commandement en Allemagne et marque ainsi son désaccord avec la politique d'Édouard Herriot, d'Aristide Briand, d'Alexandre Millerand et de Raymond Poincaré, qu'il qualifiait de « politique d'abandon. » Mordacq croit que les acquis du Traité de Versailles étaient bradés, au mépris de l'influence militaire et diplomatique de la France et au détriment de ses garanties stratégiques de sécurité et que les efforts portés à l'entretien de la défense militaire étaient négligents et imprudents et significativement insuffisants dans un contexte de remilitarisation de l'Allemagne. Lefèvre, Barthou et Maginot au Ministère de la guerre n'avaient pas su mettre en œuvre les lois militaires nécessaires, l'état-major de l'armée était tout puissant mais inefficace et le gouvernement manquait de cohérence et de force en Rhénanie[82],[83].

C'est aussi une protestation personnelle à l'égard du gouvernement : « Tout récemment j'ai demandé carrément à un très grand chef de l'armée française les motifs pour lesquels les politiciens faisaient tout pour m'empêcher de rentrer en France. Il m'a fait cette réponse caractéristique : "On ne veut pas de vous en France, dans une haute situation où vous pourriez exercer une certaine influence, parce que l'on craint que vous ne chambardiez tout" raconte le général à Clemenceau en 1924 ». Le général Mordacq avait voulu siéger au Conseil supérieur de la Guerre depuis plusieurs années. Il n'avait pas pu en 1919 à cause du critère d'ancienneté appliqué strictement, un an de commandement de corps d'armée, mais n'avait pas perdu l'ambition d'y être nommé. Tandis que les généraux Buat, Weygand, Niessel et Ragueneau intégraient progressivement ses rangs, le général constate qu'il en demeure à l'écart.

Alors que le général Nollet lui promet sa nomination au départ du général Graziani, il découvre celle du général Duport : « Quelques jours après, j'apprenais que la place vacante du général Graziani au Conseil Supérieur de la Guerre qui me revenait et m'avait été formellement promise par le général Nollet venait d'être donnée au général D. uniquement comme je l'ai su plus tard pour ne pas me nommer. Le général D., en effet allait être atteint par la limite d'âge quelques mois après. C'était la première fois depuis la création du CSG que l'on y voit entrer un général n'ayant pas encore devant lui trois années d'activité. »[84] ; la nomination ensuite du général Targe le convainc à l'idée que le gouvernement souhaite le tenir à l'écart. Pourtant, le maréchal Pétain, dans une lettre datée du , lui écrivait que « l'époque où vous pourrez entrer au Conseil Supérieur de Guerre se rapproche. » La direction de l'Inspection des Écoles Militaires est confiée à un autre général, sous prétexte que Mordacq ne siège pas encore au Conseil supérieur de Guerre. Le général s'explique : « J'étais bien obligé de m'en aller, puisque je savais de source certaine que l'on ne me confierait aucune fonction me permettant d'exercer une réelle influence. »[85]

Le nouveau commandant de l'Armée du Rhin, le général Guillaumat, écrit dans l'Ordre 244 de l'Armée du Rhin : « […] En lui faisant ses adieux et en lui souhaitant à l'expiration de son congé un poste éminent en rapport avec son activité et sa grande expérience, le général commandant lui adresse ses félicitations pour le haut degré d'instruction et la belle tenue morale dans lesquels il a su maintenir son corps d'armée. Pendant son séjour au palais impérial de Wiesbaden le général Mordacq a su allier vis-à-vis des Allemands la fermeté et l'énergie à la courtoisie et à l'impartialité. Il a donné en même temps qu'à ceux-ci, à tous les Français et à tous les étrangers qui ont visité sa résidence une grande idée du prestige de notre drapeau. Ce faisant, il s'est inspiré de la tradition des grands soldats et des grands serviteurs de la République. Lors du déjeuner de départ du général Mordacq organisé à Mayence par le Guillaumat, ce dernier tient un discours d'adieu qui marque le commandant du 30e corps au crépuscule de sa vie militaire : « Pour la première fois depuis que j'étais en Rhénanie, j'entendis un de mes chefs rendre justice à la tâche si pénible, si écrasante même et aussi si délicate que j'avais eu à remplir pendant cette longue période. On voyait d'ailleurs que le général Guillaumat était très documenté, car il cita quelques faits qui n'étaient connus que de moi et de quelques officiers de l'armée du Rhin. Il fit, enfin, allusion à certain rôle que j'avais joué, dans la dernière partie de la guerre, et cela avec une vigueur et une conviction qui montraient que, si le général Guillaumat avait le courage militaire, il avait aussi le courage civique. Peu de grands chefs auraient osé à cette époque tenir un pareil langage : je ne pourrai jamais l'oublier. »[86]. »

La publication en 2006 des correspondances de guerre du général Guillaumat donne lieu à un témoignage sans équivoque du rôle joué par Mordacq. Il écrit le 27 novembre 1918 à sa femme : « Quant aux histoires de maréchalat, il n'y a que Castelnau qui s'agite autour du bâton. Ils auront beau faire, on écrira un jour que la victoire est l’œuvre de trois hommes, Clemenceau, Mordacq et un autre, et aucun d'eux n'a besoin de bâton pour marcher. »[87]

Dans ce livre publié lors de son retour en France pour témoigner de son expérience de outre-Rhin, il dresse le bilan des dangers et des désillusions à la suite de la passivité et de la faiblesse des gouvernements français successifs. Même l'Action française recommande cet ouvrage du général : « On devine que l’auteur a voulu que son expérience ne fût pas perdue et il a dit ce que lui avait enseigné le contact des Allemands. Le général Mordacq et l’Action française n’ayant pas de sympathies réciproques (il ne le cache pas), nous sommes tout à fait à l’aise pour citer son témoignage instructif. »

En 1925, sa fille, Edmée (1904-1966), épouse le docteur André Raiga (1893-1979), petit-neveu de Clemenceau, ultérieurement Raiga-Clemenceau par décret du , à la demande de Michel Clemenceau, son cousin, fils du président[88],[89],[90].

Mordacq raconte dans La Mentalité Allemande, Cinq années de Commandement sur le Rhin : « Personnellement, je n'avais aucun espoir de recevoir un commandement ou des fonctions intéressantes en France. Je savais, et j'en eus la confirmation à Paris, que le gouvernement actuel tenait essentiellement à me maintenir loin de la France. D'autre part les deux dernières nominations au Conseil supérieur de guerre montraient que l'on était très résolu à ne pas m'y appeler. Je m'étais néanmoins incliné parce que les généraux qui en bénéficièrent avaient l'estime de l'armée. Toutefois, j'avais prévenu le maréchal Pétain que si l'on venait à nommer avant moi un certain général T., je considérerais cette nomination comme un soufflet à l'armée et donnerais aussitôt ma démission. Un très grand chef de l'armée avait fait, d'ailleurs la même déclaration que moi. Le général Mangin étant venu à mourir, il fut remplacé par le général T. le lendemain de cette nomination je demandai à passer au cadre de réserve. »

De 1925 à 1943 modifier

Le général Mordacq quitte l'armée définitivement en . À partir de cette date, il a une activité politique et associative très dense. Il écrit aussi tout au long de cette période des dizaines d'articles et publie plus d'une quinzaine d'ouvrages politiques et militaires ou biographiques.

Il fonde et préside le Comité national contre l'évacuation de la Rhénanie et de la Sarre en 1929. Il devient président d'honneur de l'Association Amicale des Anciens Combattants des 25e, 65e et 106 BVP [91] et de l'Association des Anciens Combattants du 1er Tirailleurs algériens. Il préside à nouveau la Société d'escrime militaire, qu'il avait fondée en 1904. Elle adhère en 1921 à la Fédération nationale d'escrime, dont Mordacq est le vice-président d'honneur, qui englobe dès ce moment toute l'activité militaire de la Fédération. Il est également vice-président d'honneur de la Ligue française des escrimeurs anciens combattants. Le général Mordacq est président de l'Association des Anciens Officiers du 30e corps d'Armée et du Comité national du monument à la gloire des groupes cyclistes de chasseurs à pied et alpins. Il est au Comité de patronage de la Revue Militaire Générale et de la Société de la Sabretache et du groupement des volontaires techniciens du service des chiens de guerre en cas de mobilisation générale en 1937. Mordacq est membre fondateur de l'Académie septentrionale (1935).

En pour le Comité contre l'évacuation de la Rhénanie et de la Sarre, il invite à Paris dans la Salle Wagram des délégués venus d'Autriche, de Pologne et de Rhénanie pour s'exprimer devant plusieurs milliers de citoyens et d'anciens combattants la nécessité d'être ferme à l'égard de l'Allemagne, de ne pas abandonner les peuples polonais et tchécoslovaque à la volonté allemande d'hégémonie et de continuer à moderniser l'Armée française afin de se prémunir d'additionnelles mises en péril des garanties de sécurité de la Nation[92]. Il fait des conférences remarquées sur l'Allemagne, sur Clemenceau, et sur l'Armée en France, notamment au Club du Faubourg mais aussi au Comité Dupleix-Bonvalot, à la salle Pleyel, devant de nombreuses assemblées.

Dans son ouvrage de 1930, Pouvait-on signer l'armistice à Berlin ?, il regrette que l'armistice n'ait pas été retardé pour permettre le déclenchement de la grande offensive prévue en Lorraine pour le [93] : « Étant donné la situation stratégique et la situation politique presque désespérée dans lesquelles ils se trouvaient, il est probable que [les Allemands] auraient, de nouveau, demandé un armistice et accepté toutes les conditions imposées par les Alliés, donc la signature de cet armistice à Berlin même, avec toutes les conséquences qu'il entraînait et en particulier l'occupation de la plus grande partie de l'Allemagne ».

Il succède à son beau-père comme administrateur de L'Énergie industrielle fondée par l'entrepreneur Pierre-Marie Durand en 1926, réélu en mars 1937. Il est également administrateur d'une de ses filiales, la société Électricité et Eaux de Madagascar entre 1928 et 1933, et siégera au conseil d'administration des Forces motrices de la Loue (Jura), qu'il présidera au cours des années 30.

Clemenceau dit de lui dans Grandeurs et misères d'une victoire, publié en 1930 en réponse au Mémorial de Foch (1929) : « On sait que le général Mordacq, l'un de nos meilleurs divisionnaires, était le chef de mon cabinet militaire. J'en connais qui ne lui ont pas encore pardonné.... Ci-dessous ce que je puis extraire des carnets du général, dont l'inlassable dévouement ne connut pas une heure de relâche. »

Le général Mordacq devient membre du Comité de patronage de l'Association nationale des officiers combattants en 1930. Selon le Rapport fait au nom de la commission d'enquête chargée de rechercher les causes et les origines des événements du 6 février 1934, les mille membres de l'ANOC n'ont pas le droit d'appartenir à d'autres types de groupements, contrairement à d'autres associations d'anciens combattants. Le rapport cite son président, le colonel et conseiller municipal Ferrandi : « Cette association est dans le genre de celle des Croix de Feu : elle ne comprend que des officiers de réserve ou des anciens officiers de l’active, anciens combattants ayant eu des citations au front. Nous sommes très stricts sur le recrutement de cette association. Nous exigeons des citations caractéristiques. Il y a là aussi des gens appartenant à toutes les opinions. »

L'organe de l'ANOC est le journal Par l'effort. Dans son numéro de , sous le titre « Faudra-t-il en arriver là ? », un dessin représentant le palais Bourbon en flammes et des parlementaires pendus aux réverbères du pont de la Concorde est reproduit. Dans son numéro de , sous le titre « À suivre », la commission d'enquête relève également ce passage : « Le régime actuel est un véritable palais des mirages, on vous en flanque plein la vue et eux plein les poches.... D'un élan sublime le peuple prit la Bastille et guillotina, au nom de la liberté, pas mal de ‹ ci-devants › . De barricades en barricades, nous sommes arrivés au sommet de la civilisation.... On prétend que l’histoire est un éternel recommencement. Alors, bon peuple de France, il paraît que tu en as ‹ marre › ; qu’est-ce que tu attends pour remettre cela ? » Le colonel Ferrandi doit répondre aux questions du député Catalan dans sa déposition devant la commission d’enquête : « Avez-vous dans votre programme la révolution à main armée ? - Non ! Mais cela ne veut pas dire qu’on ne le fera pas. - Les présidents d’honneur de votre groupement sont MM. Les généraux Brémond, Niessel et Mordacq. (…) À ces généraux, membres de votre comité de patronage, et au général Niessel, votre président d’honneur, est ce que vous faites le service du journal Par l’effort ? - Oui - Aucun d’eux n’a jamais manifesté sa désapprobation à l’égard des articles publiés dans ce journal que je viens de lire ? - Nous sommes des patriotes tellement orthodoxes, comment voulez-vous qu’ils désapprouvent ! » Le rapport conclut finalement que les membres de l'ANOC n'ont pas été appelés à manifester par leur comité directeur ou par les généraux du comité de patronage[94].

Le , il fait partie des intimes au chevet de Clemenceau qui accompagnent son cercueil jusqu'à sa tombe en terre natale de Vendée. Le général Mordacq est administrateur de la Société des amis de Clemenceau à partir de cette date. Son gendre, André Raiga-Clemenceau, poursuivra cette mission après lui.

Mordacq publie Clemenceau au soir de sa vie 1920-1929 chez Plon en 1933 (pour le tome 1er) et Clemenceau (1939).

Au cours d'une conférence en 1930, il énumère les infractions allemandes aux clauses militaires du Traité de Versailles, en termes d'armement de toutes sortes, d'avions, d'usines à l'étranger, de groupes de jeunesse paramilitaires, tout en mettant en garde contre l'abandon de l'occupation de la rive gauche du Rhin jusqu'en 1935, la léthargie de l'armée française et le bellicisme revanchard affiché par une large catégorie de la population à l'est du Rhin[95].

En 1933, il est l'un des membres fondateurs de l'Union pour la Nation, au côté du député de gauche Henry Franklin-Bouillon, et de l'ancien ministre de la Marine, l'amiral Lacaze. Ils militent pour la vigilance contre la remilitarisation allemande et à la stricte observation des clauses du Traité. Dans Cahiers de la fondation Charles De Gaulle, Gilles Le Beguec et Jean-Paul Thomas situent cette structure dans la lignée du Parti social français et du futur Rassemblement du peuple français du général de Gaulle en termes d'organisation : ce sont des rassemblements d'objectifs, des « instruments de mobilisation de l’opinion publique autour d’un petit nombre de thèmes qui sont à la fois des thèmes de portée générale (la "rénovation", le "redressement", le "salut public", etc.) et des objectifs d’ordre pratique (la réforme constitutionnelle, par exemple) », avec une volonté de dépasser les clivages politiques traditionnels, en place des personnalités extérieures au monde politique traditionnel, avec droit à la double appartenance.

Le général demeure au comité directeur jusqu'en 1936 et côtoie en son sein des personnalités telles que le diplomate Jules Cambon, le sénateur martiniquais Henry Lémery et ancien collègue du gouvernement Clemenceau, l'historien Marcel Marion,l'explorateur Gabriel Bonvalot, l'ancien communard et diplomate Camille Barrère, le chirurgien Jean-Louis Faure, le professeur Arnold Netter et le pasteur Raoul Allier.

En , il écrit dans Les Leçons de 1914 et la prochaine guerre, publié chez Flammarion :

«  Il fallut l’avènement d'Hitler, ses appels continuels au Deutschland über alles pour ouvrir enfin les yeux des Français. L'heure est venue de rappeler que la guerre est en effet fort possible et que par conséquent il faut suivant l'euphémisme même des Allemands, non pas la préparer, mais s'y préparer. Il faudra donc à l'Allemagne un délai d'un certain nombre d'années pour endormir à nouveau ses anciens prêteurs et rétablir la confiance. Combien d'années? Ce n'est pas préparer la guerre mais créer au contraire une sorte d'assurance de garantie presque certaine contre cette folie, contre cette calamité qu'elle représente et qui malheureusement peut surgir d'un jour à l'autre, si l'on ne prend pas les mesures nécessaires pour s'en préserver. Et nous posons enfin cette question : les véritables pacifistes sont-ils ceux qui se consacrent à cette tâche ou bien ceux qui se contentent de bêler la paix ?  »

Il reçoit en 1936 les lauriers d'or polonais. Il avait écrit La Bataille de Varsovie mais s'était intéressé aussi depuis trente ans aux questions slaves et avait même appris le russe lorsque, jeune commandant, il se rendait prendre des cours rue de Bellechasse, à la caserne des Cent Gardes.

L'Association de la reconnaissance nationale française est fondée le avec le général Mordacq au comité d'honneur. Cette association décernera une Croix des Services Civiques, dite Croix Mordacq, avec comme devise » Devoir, France, Dévouement »[96].

Le , le président de la Fédération des sociétés d'anciens de la Légion étrangère « le désigne pour ranimer la flamme de la Légion lors de la traditionnelle cérémonie de la Fédération des Amicales Régimentaires et d'Anciens Combattants[97]. »

Dans La Défense nationale en danger en 1938, il écrit :

«  Notre frontière nord-est n'est plus couverte par l'armée belge. Les Allemands, gens méthodiques et prudents, ne commettront certainement pas la faute stratégique de se lancer contre la Ligne Maginot actuelle, ou contre nos fortifications de Lorraine. Il n'y a pas de doute que dans le Nord, ils étendraient cette fois certainement leur aile droite jusqu'à la mer. Que l'on ne vienne pas parler d'une résistance hollandaise ou belge. Actuellement on ne saurait y croire. Si la guerre éclatait demain, elle serait encore plus terrible que la dernière. Il ne faut pas se faire d'illusions : par guerre totale, les grands chefs allemands entendent l'emploi de tous les moyens imaginables pour arriver à vaincre l'adversaire : emploi de gaz asphyxiants, guerre sous-marine sans restriction, massacre de non-combattants soit par bombes ou même par de simples fusillades. »

Le 1940, Le Petit Parisien réalise son portrait pour son numéro d'anniversaire de l'armistice : « Le général Mordacq n'est pas homme à s'attarder sur des souvenirs. Bouillant, actif, plein de fougue, passionnément épris de la patrie, il ne voit dans l'évocation du passé que prétexte pour mieux préparer le lendemain. »[98] Une partie de cet article fut censuré, certaines des critiques envers le gouvernement, le parlement ou la stratégie de l'armée ayant dû déplaire.

Maurice Constantin-Weyer écrit en 1940 dans l'Officier de Troupe : « J'ai souvent admiré, au cours de la dernière guerre le parfait maintien de la Division Mordacq, l'une des meilleures de l'armée. Le général Mordacq avait la réputation d'avoir la main dure. C'est un souvenir qu'ont probablement conservé certains des généraux et colonels d'aujourd'hui qui ont été sous ses ordres à Saint-Cyr. Mais le général Mordacq, dont par ailleurs le livre La Guerre au XXe Siècle, était une étude assez prophétique des conditions de guerre moderne, était le premier à se soumettre à la discipline qu'il exigeait des autres. La vertu de l'exemple est primordiale. »[99]

Alors que les Allemands occupent Paris à compter du , ils se rendent à sa résidence au 95, boulevard Raspail, afin que le général aille chez son éditeur briser les marbres de ses parutions. Il s'expliquera pourquoi le tome V de ses Grandes Heures de la Guerre ne put paraître : les Allemands ne l'avaient pas autorisé. Il est inscrit par la suite sur la liste Otto du , qui recense les auteurs et les ouvrages interdits par l'occupant allemand.

Georges Wormser, dans sa biographie de Georges Mandel, rapporte que Mordacq, apprenant la future promulgation des lois raciales (loi du statut relative aux les Juifs du et celle de ), avait déclaré au chef de l’État : « Monsieur le Maréchal, vous allez déshonorer notre uniforme. » Pétain lui répond « je m'en f... ! » ; Wormser ajoute : « Ce fut un des premiers coups portés à la popularité du Maréchal (...) Un de ceux qui se montrèrent le plus indignés de la réponse du Maréchal fut le colonel de La Rocque. »

Wormser écrit dans le même ouvrage qu'en mi-, alors que la France peinait sous l'assaut allemand dans un contexte d'exode et de débâcle, le ministre de l'Intérieur intervint auprès du maréchal Pétain, alors vice-président du Conseil, pour lui faire une proposition de crise : « Elle consisterait à confier la responsabilité de l'ordre à un homme de confiance sachant commander. Pour gagner l'assentiment et obtenir l'obéissance des commandants de régions, il faut que ce soit un militaire. Le général Mordacq, chef de cabinet militaire de Clemenceau, resté l'ami intime du maréchal Pétain, nous parait indiqué. » Toutefois, Mandel se heurte à un mur, et Pétain élude la proposition : « Mordacq est à la retraite, qu'on l'y laisse. » Le même jour, Mordacq arrive de Gannat pour rencontrer Pétain et lui proposer un plan stratégique : « S'appuyer sur la ligne Maginot, et par Langres, la basse Seine puis la Loire, établir la possibilité d'une grande attaque latérale. Pétain se montre intéressé, il demande à Mordacq de revenir l'après-midi pour en traiter devant le général Bineau (son directeur de cabinet militaire). Ce dernier démontre que l'on n'a ni le temps ni les moyens pour une manœuvre de telle envergure. Mordacq repart le soir même, accablé de ce qu'il a vu. Il a vu Mandel avant et après ces entrevues. Le ministre ne lui propose rien puisque le Maréchal n'est pas d'accord. » Le 16 juillet et le 21 octobre 1940, il rencontre Jules Jeanneney, qui présidait le Sénat jusqu'au 10 juillet 1940, vote des pleins pouvoirs pour Philippe Pétain[100], ce dernier indique qu'il déjeunait avec Pétain le 21 octobre mais "s'affirme pourtant très fidèle à Mandel".

Le fils de Georges Wormser, Marcel, se souvient de cette anecdote durant l'Occupation, le général expliquant à son frère et lui « comment trois ou quatre hommes décidés pouvaient s'emparer d'une gendarmerie et des armes qu'elle contenait ». Mordacq se retire en 1942 dans sa propriété du Castel de la Serre près de Gannat. L'histoire raconte que des Allemands, venus réquisitionner les lieux, le voyant sortir en grand uniforme, repartent intimidés après lui avoir rendu les honneurs militaires[101].

Il est mentionné et accusé dans un des pamphlets de Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre. Cette mention le désigne à toutes sortes de rumeurs auxquelles il aimait répondre en riant : « Prouvez-le, que je suis juif ! »[102] C'est à cette même époque que les occurrences de son nom disparaissent des rééditions d'une biographie du Tigre par le germanophile Georges Suarez. En 1939, il est mentionné au cœur d'accusations antisémites du journaliste et militant d'extrême-droite Paul Ferdonnet dans son livre La Guerre Juive : « Le chef du Grand Quartier général était un général bien né, français de cœur et de courage, qui fut l'excellent second du Père la Victoire et qui s'appelait quand même Mordacq. Entre parenthèses, le ministre de la Justice s'appelait Ignace et le ministre des Finances Klotz. Eh bien ! Rheims, Abrami, Israël, Mandel, Mordacq, Ignace et Klotz, ce sont des noms juifs, les noms des Juifs qui tenaient tous les leviers de commande de l'Etat pendant la guerre. »

Baptisé mais républicain et laïc, proche du Tigre mais aussi des milieux militaires patriotes, la consonance étrangère de son nom de famille et son étiquette « progressiste » lui ont valu une récurrente suspicion raciste de la part de certains de ses détracteurs et ennemis, ce très tôt dans son parcours militaire. Cette suspicion raciste contamine même des observateurs de l'autre bord politique. Dans son édition du , l'Action française se sent même obligée de publier un rectificatif, ayant publié un passage d'un article où le journaliste Albert Crémieux mentionnait Mordacq parmi les "Juifs patriotes ayant été pour le Clemenceau de la guerre et de la victoire d'utiles collaborateurs": « M. le général Mordacq nous écrit "qu'il n'est pas Israélite et qu'aucun membre de sa nombreuse famille ne l'est" ».

Le , le corps du général Mordacq est retrouvé dans la Seine à Paris vers 10h30. Le rapport de police du 13 avril note qu'il a chuté depuis le pont des Arts, qu'il n'avait aucun papier d'identité sur lui, qu'il est encore vivant lorsqu'il est repêché par un marinier, et conduit à Hôtel-Dieu où il décède quelques heures plus tard, avant d'être reconnu dans la soirée par son gendre. Le lendemain, l'agence de presse nazie, le Deutsches Nachrichtenbüro, annonce son « suicide », reprise par d'autres journaux collaborationnistes ; l'autopsie pratiquée est aussi censurée[103].

De l'autre côté de l'Atlantique, le New York Times se distancie de ce récit : "Un conseiller de Clemenceau se suicide, selon les Nazis. Berlin annonce qu'il s'est jeté dans la Seine. Ce commandant de la Grande Guerre, confident et biographe de Clemenceau, est connu pour avoir de nombreux ennemis politiques[104].

Selon un message interne de l'Armée secrète du , une des consignes données à la presse par le gouvernement est de différer les nouvelles liées à la « mort du général Mordacq[105]». Résistance - le nouveau journal de Paris écrit le 23 juin 1943 : "Le Général Mordacq vient d'être assassiné à Paris par la Gestapo. Son corps a été retrouvé sur les berges de la Seine" ; le Bulletin d'informations générales du Bureau de presse de la France Combattante écrit le 25 mai 1943 : "Officiellement "suicidé" par la propagande nazie. Personne ne s'y est trompé ; le vieux général, connu pour son énergie, n'était pas de ceux qui mettent ainsi fin à leurs jours, et l'explication par le "suicide" est si classique qu'elle équivaut à la signature des tueurs de la Gestapo" ; en juin 1943, Henri Drouot écrit dans ses Notes d'un Dijonnais pendant l'occupation allemande - 1940-1944 : "Assassinat de Mordacq par la Gestapo, annoncent les radios libres."

Les obsèques ont lieu le en l'église Notre-Dame-des-Champs. Il est enterré au cimetière du Montparnasse à l'emplacement DIV 17-Ligne 28, Est - Tombe 20. L'extérieur de la tombe sera vandalisé dans les années 2000.

La République française attendra le pour lui rendre hommage avec le dévoilement d'une vitrine dédiée au centre des hautes études militaires, puis le , dans le cadre du centenaire, avec la pose d'une plaque sur sa maison natale à Clermont-Ferrand, 22 rue Georges-Clemenceau, à l'initiative de la mairie et de la préfecture du Puy-de-Dôme sollicitées par la présidente de l'association Les Amis du vieux Clermont. Le directeur général du centre des hautes études militaires écrira [106] :

« Quand Clemenceau vient le solliciter, début , Mordacq s’apprête à prendre le commandement d’un corps d’armée et ce n’est pas sans regrets qu’il rejoint le Tigre à Paris. Mais il le fait sans hésiter car ce combattant est aussi un intellectuel, l’un des rares en France à l’époque à avoir compris Clausewitz. Il saisit immédiatement les enjeux qui s’attachent à sa nomination pour que soit fructueux le dialogue des armes et de la toge. Dans l’ombre du Tigre, l’Ours – comme on surnomme son chef de cabinet – va pendant plus de deux ans être au cœur des relations politico-militaires de gouvernement. À son niveau, il apportera lui aussi une contribution majeure à la victoire. »

Parcours militaire modifier

Campagnes militaires modifier

  • Sud-Oranais 1889-1893 2e Zouaves
  • Tonkin-Cochinchine-Cambodge 1893-1896 1er REI
  • Algérie 1896-1897 130e RI
  • Front Ouest-commandement 1914-1917 159e RIA, 88e "Brigade d'Arras", 90e Brigade d'Afrique, 24e DI
  • Occupation de la Rhénanie-commandement 1920-1925 30e CA

Études militaires modifier

  • École Spéciale Militaire de Saint-Cyr 1887-1889 47e/446
  • École de Tir 1892 21e/90
  • École supérieure de Guerre 1898-1900 60e /80
  • Centre des hautes études militaires 1911

Parcours hors commandement modifier

Grade modifier

Décorations militaire modifier

Décorations françaises modifier

Décorations étrangères modifier

Écrits modifier

  • Pourquoi Arras ne fut pas pris, préface du maréchal Pétain, 1934[115]
  • Les légendes de la Grande guerre, Flammarion, 1935
  • Les Responsables de la Guerre, (Marches de France),
  • Faut-il changer le Régime ?, A.Michel, 1935
  • La prépondérance de l'aviation dans la prochaine guerre, (Marches de France),
  • Les 25e, 65e, 106e bataillons de chasseurs à pied pendant la grande guerre, du 2 août 1914 au 11 novembre 1918, préface du général Mordacq, 1936
  • Pour éviter la guerre, la leçon de 1914, (Marches de France),
  • Testament politique de Bismarck, Traduction de M.V. Kubié, préface du Général Mordacq. Éditions R.A Corréa, Paris, 1937
  • L’Armistice du  ; récit d’un témoin, 1937
  • La Défense Nationale en danger, Éd. de France, 1938
  • Les grandes heures de la guerre : 1914, la guerre de mouvement, Plon, 1938
  • Les grandes heures de la guerre : 1915, la guerre des tranchées, Plon 1938
  • Les grandes heures de la guerre : 1916, Verdun, Plon, 1938
  • Les grandes heures de la guerre : 1917, L’année d’angoisse, Plon, 1938
  • Clemenceau… : l'homme politique, l'orateur, le journaliste, l'écrivain aux armées, le médecin, l'académicien, l'homme privé : ses défauts et ses erreurs, Éd. de France, 1939
  • Les Cahiers d'un Officier sous la Troisième République, (, inachevé)

Notes modifier

  1. Entrée "Général Henri Mordacq", Dictionnaire Clemenceau, Sylvie Brodziak, Samuel Tomeï, Jean-Noël Jeanneney, Editions Robert Laffont, 2018
  2. Le lieutenant-colonel Reboul écrit en 1925 dans son livre Mobilisation Industrielle : « Les avertissements méritaient d'autant plus d'être pris en considération, qu'ils venaient, pour la plupart, de personnes compétentes et estimées. Parmi elles, il faut citer notamment le général Langlois, l'ancien commandant de l'École de Guerre, le père de l'artillerie à tir rapide. Dans la Revue Militaire Générale d'octobre 1911, il prenait nettement parti pour le général Mordacq, alors commandant, celui-ci soutenant, contre l'opinion générale, que la prochaine guerre serait de longue durée. »
  3. Acte de naissance no 36 du .
  4. La promotion Tombouctou est un hommage aux avancées du colonel Archinard au Soudan Occidental entre les fleuves Sénégal et Niger, alors même qu'il fallut attendre 1894 et la prise de la ville par la colonne commandée par le commandant Joffre pour que cette revendication fût effective.
  5. Cette promotion comprend, entre autres, les généraux Andlauer, Lacapelle, Mangin, Gassouin, Sérot-Alméras, Messimy.
  6. Cette opération comprend plus de 4 000 personnes en tout et couvre le 2e et le 3e territoire du Tonkin (dont près de 600 légionnaires et 1100 tirailleurs).
  7. Lettres du Tonkin et de Madagascar : 1894-1899, page 299, 1920
  8. Galliéni au Tonkin 1892-1896, page 71.
  9. Selon mention marginale de l'acte de naissance.
  10. Historique de l'entreprise Moisant-Laurent-Savey
  11. Discours funèbre de Edmond Laurent
  12. Le jeune capitaine se projette déjà dans l'avenir et comprend ce à quoi ressemblerait un conflit européen moderne : - « À l’époque où nous vivons, la guerre devient de plus en plus scientifique »; - «...la bataille actuelle, étant donné les effectifs en présence, ne doit pas seulement durer une journée mais bien plusieurs journées consécutives »; - «...dans la prochaine guerre », « des journées entières seront employées à combattre de simples avant-lignes masquant le gros des forces »; - «...rien ne dit que l’infanterie, après avoir vu de telles tueries [canonnage d’une troupe à découvert], ne serait pas démoralisée, au point de perdre le sentiment de l’offensive » -« Ayons donc à la tête de nos armées des chefs encore jeunes, au tempérament vraiment français, c’est-à-dire ne connaissant qu’une tactique : l’offensive ». (à l'image de Gouraud, Mangin, Buat et Weygand, et les jeunes divisionnaires de 1917).
  13. "Il me paraît que beaucoup d'officiers, même parmi les meilleurs, même parmi ceux qui s'efforcent le mieux de comprendre notre temps, ne portent qu'un jugement superficiel sur le mouvement d'idées, sur le drame de conscience qui se développe dans le prolétariat. Ainsi M. le capitaine Jibé, dans le livre d'ailleurs utile et attachant qu'il a publié sur l'Armée nouvelle, répète sans cesse que l'armée, comme tout organisme, doit se prêter à la loi supérieure, à la loi « éternelle » de l'évolution. Il constate même que « le monde et surtout la vieille Europe sont travaillés par un mouvement social des plus puissants » et il veut que l'armée n'y reste pas étrangère et doit s'y intéresser «...étant donné le rôle d'éducateur que l'on exige d'elle. » Mais il ne saisit pas le sens et la noblesse de ce mouvement social et l'observe avec méfiance, surtout pour le surveiller et le contenir. Il y voit pour l'armée non un principe de renouvellement, mais un péril. « Elle a, dit-il, tout intérêt à s'y intéresser, car il ne faut pas se le dissimuler, c'est seulement en se mêlant à ce mouvement social, surtout en y participant, qu'elle arrivera à endiguer le torrent qui, laissé à lui-même, pourrait fort bien compromettre l'existence de l'armée. » Le suprême recours sera, au jour de la déclaration de guerre, de supprimer par la force les mauvais éléments, les quelques réservistes infectés d'indiscipline et d'antimilitarisme. Ce mouvement social que M. le capitaine Jibé ne veut pas ignorer et dont il s'épouvante pour l'armée, qu'est-ce donc ? C'est l'effort des prolétaires pour conquérir non-seulement plus de bien-être, mais plus d'autonomie. Ils veulent cesser d'être des prolétaires, des salariés, c'est-à-dire des hommes à la fois exploités et asservis.L'Armée nouvelle, chapitre 1, Force militaire et force morale.
  14. « Le Sport universel illustré », sur Gallica, (consulté le ).
  15. "Et toutes les fines lames de l’armée se sont trouvées réunies au Jardin des Tuileries, où les attendait les dévoués membres du Comité d’organisation, dont le commandant Mordacq est l’âme agissante, en même temps qu’il est le guide infatigable et sympathique de tous ceux qui ont recours à son obligeance souriante". Armée Marine, 1907/05/15
  16. « Dans le championnat individuel, c’est le capitaine Mordacq qui a été vainqueur. Le capitaine Mordacq est un tireur de premier ordre, qui aime passionnément les armes, et dont les efforts incessants tendent à développer le plus possible le goût de l’escrime à l’épée parmi les officiers. »Le Sport universel illustré, no 494.
  17. Au côté de deux autres officiers aux parcours exceptionnels : le commandant Mangin, et le commandant Gouraud.
  18. « Le Sport universel illustré », sur Gallica, (consulté le ).
  19. « Le Sport universel illustré », sur Gallica, (consulté le )
  20. « En 1908, il obtenait que fut formé aux manœuvres d'armées un bataillon cycliste, dont il recevait le commandement. On se rappelle que ce bataillon immobilisa pendant toutes les manœuvres les deux divisions de cavalerie du général Trumeau, où l'on peut dire qu'à partir de ce moment la cause des cyclistes était gagnée. » Le Temps, 15 aout 1911, numéro 18306
  21. « Ce n'était pas la manœuvre stratégique [le plan XVII] telle que je la concevais. J'avais donc demandé à quitter le ministère et avais été nommé commandant en second de l’École de Saint-Cyr. Une fois-là, j'avais recouru au seul moyen qui me restait pour soutenir mes idées : au livre, et j'avais écrit le volume intitulé La Guerre au vingtième siècle où je préconisais la concentration principale de nos forces sur le front belge. » Le ministère Clemenceau, Journal d'un témoin, tome IV, page 71
  22. Loustaunau-Lacau, résistant nationaliste pendant la Seconde Guerre mondiale, député, général et élève de la promotion de Montmirail (1912-1914), raconte son expérience à l'issue de sa formation : « Premier bataillon de France, garde à vous ! Déjà nos casoars flottent au vent du et, sur le terre-plein où Kléber poursuit sa chevauchée immobile, mille crosses n’en font plus qu’une au commandement. Nous savons qu’à cette heure les Saint-cyriens représentent un pur ferment d’héroïsme aux yeux des Français angoissés, et nous ne trahirons pas cette attente. Le général Mordacq, qui nous a trempés comme des larmes, n’a plus besoin de parler. Notre pensée est une et claire comme l’eau des gaves à leur source : dussions-nous tous passer sous la terre, nous reprendrons l’Alsace, et nous la reprendrons en gants blancs. Bientôt, six-cents d’entre nous, un par kilomètre, jalonneront le front de leurs corps. […] Le clairon qui nous disperse le 1er août au soir et nous envoie, mascottes bleues, blanches et rouges, dans tous les régiments, est déjà celui de Rethondes. Nous n’en avons jamais douté et jamais, dans une vie qui zigzaguera entre des trajectoires de projectiles, nous ne jouirons d’une aussi grande minute de ferveur. »
  23. Historique du 159e régiment d'infanterie, Chapelot
  24. " « Hâtez-vous, lui cria le colonel, il faut faire sauter immédiatement les ponts. » « Mais, je n'ai pas d'ordres, répondit-il; le capitaine Durand, mon chef, les sollicite depuis plus d'une heure et, en attendant, il m'envoie sur le canal pour tout préparer. » « Il ne s'agit pas de préparer, répliqua le commandant de la brigade, mais d'exécuter, nous en sommes à quelques minutes près ; d'un moment à l'autre, les Allemands essayeront de traverser le canal ; il faut les en empêcher à tout prix ; donc, faire immédiatement sauter les ponts. En tout cas, je commande le secteur et vous donne l'ordre de les faire sauter. J'en prends toute la responsabilité. Hâtez-vous, hâtez-vous ! » Un autre eût objecté que d'après les règlements et les instructions en cours, seul le commandant en chef de l'armée était qualifié pour donner un tel ordre. Le lieutenant Hardelay n'hésita pas et répondit : « Mon colonel, dans quelques heures et, en tout cas, dès qu'on le pourra, votre ordre sera exécuté. » - « Voulez-vous un ordre écrit, je vais le rédiger ici même et vous l'envoyer. » « Inutile, mon colonel, votre parole me suffit. »
  25. Lettre du colonel Mordacq à Clemenceau, Musée Clemenceau.
  26. Constituée surtout des 50e, 108e, 126e, 320e et 326e régiments d'infanterie.
  27. « Commotion cérébrale, contusions violentes temporales et orbitales gauche, déchirure du tympan gauche, mâchoire brisée avec lésions de quatre dents du haut et trois du bas. »
  28. « Quitter le front était pour moi presque un déshonneur. Et pourtant, pouvais-je faire autrement ? Était-il possible de laisser cet homme, si patriote, si énergique, si confiant dans les destinées de son pays, se lancer seul dans la lutte ? Certes, j'étais loin de me croire indispensable : il aurait trouvé un autre chef de cabinet qui même, au point de vue des relations avec les parlementaires aurait été plus souple, plus adroit. Mais celui-là aurait-il eu sa confiance ? » Le Ministère Clemenceau I, page 16
  29. « L'ai-je regretté depuis ? Personnellement oui ; pour le pays, non. Car moi aussi jusqu'à la fin de la guerre j'ai pu remplir le programme que je m'étais tracé. Ce ne fut pas sans peine. » Le Ministère Clemenceau I, page 17
  30. a et b Jean Jules Henri Mordacq, Le ministère Clemenceau : journal d'un témoin, t. 1, Plon, , 322 p.
  31. « Le moment était grave ; j’avais la conviction absolue que si ces trois hommes : Clemenceau, Foch et Pétain pouvaient s’atteler au même brancard et tirer tous ensemble, franchement, loyalement, alors victoire était assurée. À ce point de vue, grâce à l’affection profonde et sincère que j’avais pour chacun d’eux, grâce aussi à la confiance qu’ils me témoignaient, j’étais peut-être le seul général capable d’éviter les heurts entre les fortes personnalités qui composaient cet attelage et de lui permettre d’atteindre le but commun. Connaissant ces hommes bien et depuis longtemps, à la première incartade de l’un d’eux, je me faisais fort de le ramener dans la bonne voie, auprès de ses compagnons. » Le ministère Clemenceau, tome I
  32. Le général Buat écrit en mars 1919 dans son journal : « Le général Mordacq, qui faute de ministre - notre Tigre national ayant bien d'autres occupations - est en fait ministre. »
  33. « Il ne fit non plus aucune difficulté pour me laisser toute latitude dans le choix des officiers du cabinet. Responsable devant lui, j’estimai naturel et juste de ne pas me voir imposer un collaborateur parce qu’il était cousin ou ami d’un ministre, d’un député ou d’un sénateur. Nous n’étions plus en temps de paix, mais ces errements, malheureusement, s’étaient perpétués depuis le jour de la mobilisation. Cette conversation fut longue, elle dura presque tout l’après-midi, mais elle aboutit à une situation nette, tellement nette que lui ni M. Clemenceau, ni moi, pendant les deux années que nous passâmes côte à côte, n’eûmes à y revenir, même une seule fois. » Le ministère Clemenceau, tome I
  34. « Il fallait dégager les missions et les ministères de tous les officiers qui les encombraient, lors qu’à l’avant on manquait de cadres. La tâche devait être rude, car toutes ces catégories de gens avaient de hauts et puissants protecteurs, mais ces exécutions étaient indispensables, le moral de l’armée en dépendait. Au front également, un assainissement s’imposait, surtout dans les grands états-majors, où de trop nombreux officiers s’éternisaient depuis le début des hostilités, souvent malgré eux, par pur égoïsme des généraux qui tenaient à garder, auprès d’eux, des gens ‘très au courant’. À certains grands chefs qui vinrent soumettre leurs doléances pour leur entourage, je répondis que M. Clemenceau était bien décidé à ne donner aucun avancement aux officiers qui s’éternisaient dans les états-majors et qui n’allaient pas, de temps en temps, respirer l’air si réconfortant des tranchées. » Le ministère Clemenceau, tome I
  35. « Il fallait en finir avec l’esprit de camaraderie et la faiblesse des officiers qui, avant de prendre des commandements, avaient surtout le mérite d’avoir fait partie d’états-majors de grands chef. On ne peut s’imaginer les ressources d’un cerveau d’embusqué quand il s’agit de mettre à l’abri sa douce existence. »
  36. « Je n'ai pas besoin de dire les luttes épiques que j'eus à soutenir avec le GQG. Je n'eus d'ailleurs pas la dernière manche car au moment même de mon départ du ministère l'entourage du maréchal Pétain me fit payer très cher (à son avis peut-être mais pas au mien) les quelques galons ou croix que je l'avais empêché d'obtenir. » Le Ministère Clemenceau, Journal d'un témoin, Tome I, page 59
  37. « J’entretins M. Clemenceau de la question des décorations et lui exposai très nettement mes idées à ce sujet. Depuis le début de la guerre, j’avais vu tomber autour de moi tant de braves gens pour gagner Légion d’honneur, médaille militaire ou croix de guerre, que jamais je ne pourrais consentir à faire accorder ces récompenses à des officiers ou soldats qui ne les méritaient pas. J’étais de ceux qui étaient écœurés de voir comment, à l’intérieur, on commençait à prostituer ces emblèmes ; le mécontentement aux armées, à ce sujet, était grand. Et les ministres qui, à Paris, s’étaient livrés à ce passe-temps, qui leur paraissait d’ailleurs parfaitement inoffensif, étaient profondément coupables vis-à-vis du pays. [...] D’ailleurs en fin décembre quand parurent les nominations et les décorations, l’armée fut fixée. Seuls furent nommés ou décorés les officiers qui ont véritablement des titres de guerre, qu’ils fussent dans la troupe ou dans les états-majors. Dans les grands états-majors, ce fut la fureur et je fus averti que l’on était décidé à tout pour me faire quitter le ministère. Une telle tactique me parut très maladroite puisque l’on savait que ce si jour-là était arrivé, il aurait été le plus beau de ma carrière militaire rien ne pouvant m’être plus agréable, personnellement, que mon retour au front. » Le ministère Clemenceau, tome II
  38. Le ministère Clemenceau (tome 1)
  39. Cette circulaire assez moderne impliquait « que toute affaire ne nécessitant pas des recherches spéciales devait être traitée en trois jours. Elle fut le prétexte de violentes protestations mais fut appliquée non sans nécessiter de nombreux rappels. » Le ministère Clemenceau, Journal d'un témoin, Tome I, page 29
  40. D'après l'article Clemenceau, manager ou la modernisation de l’administration, par Michaël Bourlet, enseignant-chercheur en histoire et Gwladys Longeard, archiviste-paléographe et conservatrice du patrimoine. 1
  41. Georges Wormser, Clemenceau vu de près : documents inédits, épisodes oubliés, précisions nouvelles (présentation en ligne)
  42. « Il y eut de la part de nos alliés, un certain étonnement, ou plutôt une certaine méfiance ; ils crûrent tout d’abord à un traquenard, étant donné que cette terminologie ménageait complètement leur amour-propre et répondait très bien d’autre part, à la situation. Le général Wilson fit remarquer que l’on ne savait jamais où commençait la stratégie et où elle finissait exactement. Ce à quoi le général Foch répliqua ‹ qu’en France on le savait parfaitement et qu’on ne demandait qu’à l’indiquer à nos camarades anglais ›. La leçon porta et, en fin de compte, la formule fut adoptée, aussi bien par les Anglais que par les Américains. » Le Ministère Clemenceau
  43. « Le général Foch est chargé, par les gouvernements britannique, français et américain, de coordonner l’action des armées alliées sur le front occidental ; il lui est conféré, à cet effet, les pouvoirs nécessaires en vue d’une réalisation effective. Dans ce but, les gouvernements britannique, français et américain confient au général Foch la direction stratégique des opérations militaires. Les commandants en chef des armées britannique, française et américaine exercent dans la plénitude la conduite tactique de leurs armées. Chaque commandant en chef a le droit d’en appeler à son gouvernement si, dans son opinion son armée se trouve en danger par toute instruction du général Foch.» Le ministère Clemenceau, tome II
  44. il y aura désormais pour la gendarmerie cinq secteurs par département, la constitution d'un corps d'officiers généraux, des « étoilés » dans les rangs des gendarmes, le grade de sous-officiers a minima en équivalence pour le gendarme et la promesse de l'État de fournir à chaque gendarme un cheval s'il en fait la demande.
  45. a b c et d Jean Jules Henri Mordacq, Le ministère Clemenceau : journal d'un témoin, t. 2, Plon, , 374 p.
  46. Jean Jules Henri Mordacq, Le ministère Clemenceau : journal d'un témoin, t. 1, Plon, , 322 p. « organisateur remarquable, travailleur acharné, technicien de premier ordre [...] adresse, finesse et doigté »
  47. En ancien zouave et légionnaire, commandant de troupes alpines, il trouve l'activité canine très utile à la 24e division où plus de cent-cinquante chiens étaient rassemblés. Il voulut encourager cette pratique en coordonnant ses efforts au ministère de la guerre. Le ministère Clemenceau tome I
  48. Le Ministère Clemenceau I, page 23
  49. « Mais ce qu’il y avait surtout de très urgent à réaliser, c’était le rajeunissement des cadres. Cette guerre, longue et dure, usait terriblement les hommes et surtout les chefs ; ils devaient être véritablement taillés à chaux et à sable pour résister à la fois physiquement et intellectuellement. Beaucoup de nos commandants de grandes unités, et même d’unités plus faibles, étaient fatigués, et cependant, on hésitait à les remplacer ! Il était dur, en effet, de renvoyer à l’arrière tous ces braves gens qui, depuis le début de la lutte, s’étaient couverts de gloire. On les gardait donc, et c’était naturellement, ensuite, le poilu qui, ‘sur le champ de bataille’, subissait les conséquences de cette faiblesse du haut commandement. Cependant, le salut de la patrie demandait ces sacrifices : on ne pouvait que s’y résigner. J’exposai, à ce point de vue, mes idées. Clemenceau me promit de les appliquer, et c’est ainsi que, dès le mois de décembre suivant, on vit cet homme de soixante-dix-huit ans imposer le rajeunissement des cadres. Nous aurions été d’ailleurs d’autant coupables de ne pas le faire que nous avions, parmi les généraux de brigade et les colonels, des hommes jeunes et de tout premier ordre, qui, certainement, pouvaient commander corps d’armés, divisions et brigades d’une façon tout à fait brillante. Ils le prouvèrent d’ailleurs par la suite. » Le ministère Clemenceau, tome I
  50. À la date du 12 juin, le colonel Herbillon inscrit dans ces notes : « Le général Mordacq me dit avoir été l’instigateur de la contre-attaque lancée hier soir. Je l’en félicite car elle a eu d’excellents résultats. »
  51. Le Ministère Clemenceau
  52. Wormser décrit cette scène déterminante dans Clemenceau, vu de près; au lendemain de la réunion de Provins en juin 1918, Mordacq plaide pour le maintien du général Pétain contre Clemenceau, qui hésite à le limoger, devant le défendre à chaque nouvelle attaque de l'Assemblée : « Dans la voiture, du retour au lieu de somnoler comme à l’accoutumée ou d’invectiver le conducteur pour qu’il aille plus vite, il est plongé dans ses réflexions. Mais son silence se prolongeant, Mordacq se décide à l’interrompre pour lui dire que s’il limoge Pétain, il quittera, lui, Clemenceau et retournera à un commandement de son grade. Clemenceau ne répond pas, il parait ne pas avoir entendu et il reste impénétrable (je tiens ces indications du général qui n’en a pas fait état par écrit), mais il ne parlera plus d’enlever à Pétain son commandement. J’ai cru deviner à l’époque que de retour à son cabinet Mordacq lui avait téléphoné pour le lui conseiller, Clemenceau étant resté muet, ce qui n’avait pas manqué de frapper son chef de cabinet. Pourquoi cette connivence ? Pourquoi Clemenceau a-t-il cédé ? La réponse à la deuxième question est évidente : il ne pouvait se passer d’avoir auprès de lui un général de toute confiance et d’esprit toujours en éveil. Mordacq était un battant, comme on dirait aujourd’hui, plein d’idées, d’un dévouement à toute épreuve. Il restait indispensable tout au moins, puisque personne ne l’est, dans ces moments difficiles. Pour la première question il y a un fait : l’amitié, la confiance réciproque née il y a longtemps déjà, du côté d’Arras, je crois, lorsque Mordacq avait été divisionnaire sous Pétain et, je crois, grâce à Pétain. Mordacq est un homme de reconnaissance et, il faut le dire, de satisfaction d’être toujours écouté de Pétain, et même généralement suivi. Quelque chose d’autre les rapprochait, leur aversion pour le général Weygand, bras droit et conseiller de Foch, avec qui ni l’un ni l’autre ne se sont jamais entendus, c’est là qu’est la supposition. »
  53. « Dans mon train, Dubost, Deschanel, lord Derby, le comte Bonin, Sharp, Clemenceau, le général Mordacq, Mandel, Andrieux et Renoult, invités par Clemenceau. Mandel : figure glabre, hâve, yeux perçants, paupières rouges, peau boutonneuse, c’est un être troublant et singulier qui, avec Mordacq, tient les ficelles de Clemenceau. » Au service de la France - Victoire et Armistices, T10, Plon-Nourrit et Cie, 1933
  54. Clemenceau vu de près de Georges Wormser, Le journal du général Buat
  55. « Avec le général Foch ma tâche fut plus difficile. Autant en personne pendant la dernière année de la guerre, il eut à cœur d'aider de toutes ses forces M. Clemenceau dans la tache formidable à accomplir, autant son entourage ne sembla pas toujours comprendre la nécessité où nous étions, dans ses circonstances exceptionnelles, de marcher main dans la main. J'ai toujours cherché les raisons de cette sourde hostilité et j'avoue ne pas les avoir encore trouvées. En tout cas cette opposition discrète, voilée, de l'état-major du général Foch, tout en rendant les relations plus délicates, n'eut aucune répercussion sur la conduite des opérations. » Le ministère Clemenceau, Journal d'un témoin, tome I, page 51
  56. Jean Jules Henri Mordacq, Le ministère Clemenceau : journal d'un témoin, t. 4, Plon, , 348 p.
  57. La Mentalité allemande
  58. Le général Buat, bras droit de Pétain, attend du ministère de la Guerre d'être nommé gouverneur de Strasbourg ou encore à Metz. Cependant Foch et Mordacq le verrait davantage Inspecteur général de l'Artillerie. Gouraud est nommé à Strasbourg, ensuite remplacé par Humbert, Berthelot est nommé à Metz. Commence alors un long bras de fer entre Buat et Mordacq, le premier souhaitant une grande unité en Alsace-Lorraine, le second souhaitant, aux dires de Buat, intégrer le Conseil supérieur de Guerre. Seulement, Mordacq ne remplit les critères (un an d'ancienneté aux commandes d'un corps d'armée) et donc aimerait que Buat soit aussi au CSG, celui-ci étant plus jeune et moins ancien en grade. Buat campe sur ses positions, avec l'appui de Pétain ; Mordacq fait de même, avec le blanc-seing manifeste de Clemenceau. Le 25 octobre 1919, le GQG dissous, Buat reçoit un titre de congé de repos ; s'il a perdu cette manche, il sortira du placard de l'inspection de la 11e région militaire pour être nommé chef d'état-major général en juin 1920, où il exercera une influence considérable jusque son décès prématuré en 1923.
  59. Le ministère Clemenceau (Tome 4), page 170.
  60. Il présente à Clemenceau un plan de réorganisation avec le général Alby, pour trier et utiliser à des fins historiques et historiographiques l'ensemble des documents qui s'entassaient à la caserne Babylone.
  61. Le général Nivelle lui écrit le 26 janvier 1920 : « Je veux vous exprimer, du fond du cœur, toute ma gratitude pour la bonne camaraderie, l'affectueuse obligeance que vous n'avez pas cessé de me témoigner pendant les deux années qui viennent de s'écouler. Quoi qu'il arrive, je n'oublierai jamais. »
  62. Jean Jules Henri Mordacq, Le ministère Clemenceau : journal d'un témoin, t. 2, 3 et 4, Plon,
  63. Le 30e CA dispose de la 37e DI (général Demetz, Mayence), de la 4e DC (général Hennocque, Mayence), des 19e et 28e BCA, d’un bataillon de chars, de trois escadrilles, et de la flottille du Rhin.
  64. Trois bataillons de chasseurs et de tirailleurs marocains infiltrent par voie ferrée l'intérieur de la ville tandis que le reste de l'infanterie doublé par une division de cavalerie et des batteries d'artillerie encerclent la ville et avancent vers le centre pour étouffer toute résistance. Pendant ce temps, l'aviation survole la ville et la flottille du Rhin occupe les ponts de la ville et y installe des mitrailleuses. La police est désarmée sur le champ. Le lendemain, Darmstadt et Hanau sont occupés également pour obtenir gain de cause dans les plus brefs délais. Cependant, le gouvernement ne prend pas la peine de prévenir les Britanniques, ce qui jette un froid.
  65. Lors d'un exercice devant le maréchal Pétain, il plaide la cause des troupes coloniales du 63e régiment de tirailleurs : « Je lui [Pétain] expliquai ce que je désirais c’est-à-dire faire de ces magnifiques troupes qui ne connaissaient que l'Afrique, des unités ayant toute la souplesse et la science manœuvrière qu'exigeait maintenant la guerre européenne. Les résultats dépassèrent toutes les espérances; le régiment exécuta en présence du maréchal Pétain, dans les environs du camp de Griesheim, une attaque particulièrement délicate qui fut menée avec maestria et une utilisation du terrain qui stupéfièrent le maréchal, et cela d'autant plus qu'à Paris il avait entendu fort critiquer l'envoi de ces Marocains sur le Rhin. Cette fois, comme il nous le déclara, il était fixé. Depuis il obtient l'envoi sur le Rhin non pas d'un régiment, mais de trois ou quatre qui vinrent y passer dix-huit mois à deux ans et repartirent ensuite au Maroc complètement instruits. C'est grâce à eux qu'en 1925 lors de la guerre du Riff, le maréchal Lyautey put arrêter les contingents d'Abd-el-Krim et sauver Fez et Taza. L'expérience faite, elle valait la peine comme on le voit d'avoir été tentée. » La mentalité allemande, page 115.
  66. La Mentalité allemande, Cinq ans de commandement sur le Rhin.
  67. Il critique la décision de nommer un inspecteur général des aumôniers de l'armée de l'occupation du Rhin. Pourquoi en créer un pour 12 divisions alors qu'il n'y en avait pas eu pour 150 lors de la guerre ? « Quelle devait être notre attitude ? La neutralité la plus complète. Que de fois, moi-même en causant avec des Allemands, je leur rappelai que nous étions les descendants des républicains de 1793, des Hoche, des Marceau, des Jean Bon Saint André et que comme eux nous leur apportions les idées de liberté, donc de liberté de conscience. Nous n'avions pas par conséquent à nous occuper des questions religieuses. » La mentalité allemande, pages 117-118.
  68. « Au ministère de la guerre on sommeille plus que jamais et l’on n’a pas l’air de se douter qu’il s’agit de mettre sur pied une armée, une tactique et une stratégie complètement nouvelles… J'en ai parlé au maréchal Pétain lors de son voyage récent en Rhénanie, et cela à propos de l’armée du Rhin qui, elle aussi, est bien mal organisée. À mon grand étonnement, lui qui, d’habitude s’intéresse tout particulièrement à ces questions, m’a paru cette fois assez indifférent. Il m’a conseillé d’être patient, que tout cela arriverait à son heure… Bref j’ai eu l’impression que le général Buat et les officiers de l’ancien GQG de la guerre ont repris sur le Maréchal une très grosse influence… et, eux, évidemment, ne sont pas très pressés. » Clemenceau – au soir de sa vie (1920-1929), Tome 1, page 182.
  69. Son projet de loi visait à créer des commissions, de trois à quatre officiers ayant servi dans le rang pendant la guerre, sous le commandement du général Giraud, qui travailleraient exclusivement à la confection des futures lois militaires, plutôt que de confier le tout à l'état-major du général Buat.
  70. Lors d'un exercice à Niederbronn avec le général Humbert, Mordacq recueille l'assentiment de son collègue : « Humbert voit avec peine en sa qualité de vieux fantassin, la tendance très nette du général Buat à réduire le nombre de nos régiments d'infanterie, vainement le général Maistre, inspecteur général de l'infanterie, faisait entendre sa voix véhémente, on ne l'écoutait pas. Tout dernièrement il avait un envoyé au maréchal Pétain, pour être transmis au ministre de la guerre, un rapport très dur, très violent contre les tendances néfastes de l'état-major général. Il n'avait pas eu plus de succès. » La Mentalité allemande, page 105.
  71. Son projet de loi de 1919 visant à donner davantage de pouvoir à un CSG rajeuni, avec moins de généraux qui cumulaient moins, ne fut pas retenu. Le Ministère Clemenceau, La Mentalité allemande
  72. Le maréchal Pétain put en convenir lors d'une visite en 1922 alors qu'il comparait la tenue du 30e corps d'Armée et celle des éléments d'Armée sous le contrôle du général Degoutte. L'organisation de l'armée ne changea pas pour autant.
  73. Jean Jules Henri Mordacq, La mentalité allemande, Plon, , 284 p.
  74. Jean Jules Henri Mordacq, , Plon, , 284 p. 
  75. La Mentalité allemande, Cinq ans de commandement sur le Rhin, page 173.
  76. Clemenceau au soir de sa vie, Tome 1, page 271.
  77. Mordacq présente son centre d'entraînement à Pétain en Rhénanie : « En tout cas en 1925, le camp de Griesheim était devenu un camp d'arme tout à fait modèle : le maréchal Pétain dans son inspection en Rhénanie fut le premier à reconnaître qu'il n'en connaissait aucun comparable, soit en France, soit en Rhénanie. » La mentalité allemande, cinq ans de commandement sur le Rhin
  78. Le Miroir des sports, page 194, 29 mars 1923
  79. La mentalité allemande, page 251.
  80. Le général de Gaulle, dans le premier tome de ses Mémoires de guerre, dressera le même constat, plus durement encore.
  81. Mordacq écrit : « Dans cette guerre il y a deux catégories d’officiers et de Poilus : ceux qui se sont battus et ceux qui ne se sont pas battus. Évidemment après la guerre ce seront sûrement ceux qui ne se seront pas battus qui l’auront gagnée. »
  82. La Mentalité allemande, Cinq ans de commandement sur le Rhin, 1930
  83. « Pour éviter cette nouvelle guerre, il n'y a qu'un seul moyen : écouter les deux hommes qui ont déjà sauvé le pays : le maréchal Foch et Clemenceau, entendre les voix qui nous viennent d'Allemagne et qui, dans l'intérêt même de la paix, adjurent la France de ne pas évacuer la Rhénanie, mais d'y rester au moins jusqu'en 1935. » Article de la Revue des Deux-Mondes, « L'Évacuation de la Rhénanie »
  84. La mentalité allemande - Cinq ans de commandement sur le Rhin, page 254.
  85. La mentalité allemande, page 261.
  86. La mentalité allemande, page 267.
  87. Correspondances de Guerre du Général Guillaumat: 1914-1918, L'Harmattan- septembre 2006
  88. Le , Michel Debré signe le décret qui autorise André Raiga à porter le nom de Raiga-Clemenceau, sur proposition de Michel Clemenceau, seul fils du président : « J'ai décidé, et tu as accepté, qu'après ma mort tu prennes ma place et les charges qui en résultent, pour l'accomplissement de mes devoirs à la mémoire de mon père. Assurer la pérennité du souvenir, et des ripostes à toutes atteintes à son honorabilité. Tu seras présent à toutes les cérémonies officielles, et si tu le juges utile tu prendras la parole. Aucune autre personne que toi dans la famille n'est mieux qualifié, car tu es le petit-fils de la sœur ainée de mon père, et au moment de ma mort je partirai tranquille. »
  89. André Raiga, arrière-petit-fils de Benjamin Clemenceau, est officier de la Légion d'Honneur, croix de guerre 1914-1918, médaille de Charleroi, de l'Argonne, de la Marne, de l'Artois, de Verdun, du Chemin des Dames, de la Somme, de Champagne. Il devient un éminent chercheur, notamment au côté de son ami Félix d'Hérelle. Ancien interne, lauréat des hôpitaux de Paris, chef clinique chirurgicale à la Salpêtrière, et rédacteur en chef des Archives Hospitalières, il fonde la Société des amis de Félix d'Hérelle dont il sera le secrétaire général. Il était président d'honneur de la Fondation du Musée Clemenceau et administrateur de la Société des amis de Clemenceau.
  90. Mordacq écrit à ce sujet dans Le ministère Clemenceau : « Dès les premiers jours de décembre, je me rendis à Paris pour une question de famille des plus importantes : le mariage éventuel de l’une de mes filles avec le neveu de M. Clemenceau, le docteur Raiga. J’en parlai naturellement au Président qui était loin de s’en douter, et qui en conçut une très grande joie. Il ne tarit pas en éloges sur son neveu pour lequel il avait une très grande affection : "Votre fille, me dit-il, ne pouvait mieux choisir à tous points de vue. C’est un garçon de très grand avenir et l’homme de cœur par excellence. En ce qui me concerne, j’y applaudis des deux mains. Ne serons-nous pas ainsi tous les deux un peu parents… du moins à ma mode de Vendée ?" »
  91. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62257911/f15.image.r
  92. http://www.memoireetactualite.org/presse/38JOURVIENNE/PDF/1929/38JOURVIENNE-19291228-P-0001.pdf
  93. « Novembre 1918 : armistice prématuré, offensive annulée, victoire perdue ? », sur sam40.fr (consulté le ).
  94. Rapport fait au nom de la commission d'enquête chargée de rechercher les causes et les origines des événements du 6 février 1934
  95. « La Revue hebdomadaire : romans, histoire, voyages », sur Gallica, (consulté le ).
  96. « France - Services Civiques », sur medailles1914-1918.fr (consulté le ).
  97. « L'Écho de la FARAC : organe officiel et exclusif de la Fédération des amicales régimentaires & d'anciens combattants », sur Gallica, (consulté le ).
  98. Suite : « Dès ma première question quant à ses souvenirs de novembre 1918, il exprime ce sentiment avec cette dure netteté, cette vivacité ardente qui devait tant plaire, jadis, à Clemenceau. Le général Mordacq martèle ses paroles avec une sorte de fureur patriotique : "Puissent ces erreurs commises en novembre 1918 et par la suite, nous servir de leçon quand le moment sera venu d'un nouvel armistice. Il faudra ne le signer qu'en Allemagne, sur la rive droite du Rhin, et seulement après la destruction complète des armées allemandes auxquelles on aura imposé la démobilisation immédiate et le désarmement total. Enfin il conviendra de se rappeler les paroles si sages du maréchal Foch sur la nécessité de tenir le Rhin." J'ai reproduit fidèlement les paroles du général Mordacq, mais ce que je ne peux reproduire, c'est la vigueur, la conviction, la certitude de son accent. - L.G » S'il ne s'illusionne pas en cas d'un nouveau conflit avec l'Allemagne, il avait décrit là quinze années plus tôt le schéma de capitulation totale du Reich en 1945.
  99. « Les Œuvres libres : recueil littéraire mensuel ne publiant que de l'inédit », sur Gallica, (consulté le ).
  100. Journal politique, septembre 1939 - juillet 1942, Jules Jeanneney
  101. Correspondance Sociétés des Amis de Georges Clemenceau, Marcel Wormser
  102. On lit dans Voltaire antijuif d’Henri Labroue (Les documents contemporains, Paris, 1942, p. 191) : « Tantôt les Juifs coupent leur nom par les deux bouts : Haguenauer devient Nau, collaborateur de Mandel. Tantôt ils le camouflent légèrement : Mardochée devient le général Mordacq, collaborateur de Clemenceau. »
  103. Gérard Courtois, « 11 novembre 1918 : les larmes du « Tigre » », sur lemonde.fr, (consulté le )
  104. Clemenceau Aide, a suicide nazis say, New York Times, 14 avril 1943
  105. Archives de l'Armée secrète
  106. Mot du directeur, mis en ligne en mars 2018, site du CHEM
  107. « Cote LH/1926/25 », base Léonore, ministère français de la Culture
  108. « Revue d'artillerie : paraissant le 15 de chaque mois », sur Gallica, (consulté le ).
  109. Un article dans Armée et Marine fait la critique de ce livre : "Il faut lui savoir gré d'avoir abordé de front ce sujet d'essence si militaire, avec l'ardeur et l'audace qui le caractérise.";"Son livre que très modestement, il nous présente comme une série de simples études constitue au contraire un tout très complet, qui pourra et devra servir de base à l'enseignement de la stratégie tel qu'il est indispensable de l'instaurer."; "Très latin de tempérament, et humaniste distingué, le commandant Mordacq ne peut tolérer l'imprécision"; "Moderne, en effet, le commandant Mordacq l'est dans toute l'étendue audacieuse et vaste du mot; Aussi bien le livre du commandant Mordacq a-t-il déjà acquis droit de cité dans les milieux civils qui s'intéressent à l'armée, dont il a très vite évéillé et retenu l'attention".
  110. "En France avant la première guerre mondiale, comme en Allemagne, la plupart des lecteurs militaires de Clausewitz n’ont pas remarqué la formule de la relation entre la guerre et la politique, à l’exception d’un Henri Mordacq." Rapport de soutenance de la thèse pour le doctorat en histoire de Bruno Durieux “Clausewitz et la réflexion sur la guerre en France, 1807-2007”.
  111. Une critique dans ‘’ Armée et Marine’’ évoque cet ouvrage : « Le lieutenant-colonel Mordacq dans une série d’études très pénétrantes, tire, des campagnes récentes, d’intéressantes conclusions et les plus utiles enseignements. La guerre russo-japonaise lui fournit des exemples particulièrement significatifs. La question des places fortes, celle de la cavalerie, dans leurs relations avec la stratégie, attireront particulièrement le lecteur. […] Une étude de grande envergure sur la durée de la prochaine guerre termine le volume. Les opinions des écrivains militaires les plus autorisés sont rapportées et confrontées ; l’auteur les appuie d’exemples empruntés à l’histoire et conclut sur une belle note d’espérance : la guerre durera longtemps et la victoire sera au plus tenace ; à nous de préparer en conséquence. »
  112. « La Revue de Paris », sur Gallica, (consulté le ).
  113. Dans une lettre datée du 25 mai 1931, le Maréchal Pétain lui adresse ses remerciements pour l'envoi du dernier tome : "Mon cher Mordacq, Voilà votre œuvre terminée. Vous pouvez en être fier : vous avez parlé de Clemenceau comme il le fallait. Aucun autre n'a retracé avec autant de force et de vérité les services rendus par lui à la France."
  114. Jacques Bainville écrit dans l'Action française du 24 octobre 1934 : « Quels sont les desseins militaires de l'Allemagne ? Quelle est la nature de notre accord avec l'U. R. S. S. ? Est-ce une alliance défensive ? Quels cas prévoit-elle ? Les prévoit-elle tous ? » Il en est un qui est tenu pour vraisemblable. Militaires et politiques allemands ont beaucoup réfléchi depuis 1918. Ils ont cherché les causes de leur défaite. Ils les connaissent. On trouvera dans le livre récent du général Mordacq, les Leçons de 1914 et la prochaine guerre, l'essentiel de ces réflexions. Il y a des raisons de penser qu'une autre fois l'Allemagne évitera de tomber dans les mêmes fautes, qu'elle ne cherchera pas la guerre sur deux fronts et qu'elle réservera toutes ses forces pour le principal adversaire. Dès lors, il est tout naturel que, décidée à porter ses coups du côté de la France, elle neutralise la Pologne qui a repoussé le pacte oriental et se contenterait sans doute de monter la garde devant la Russie, si nous pouvons attendre de la Russie rouge des services égaux à ceux que la Russie blanche, en 1914, nous a rendus. En définitive, l'attitude de la Pologne renforce la présomption qu'un autre Schlieffen est à l'œuvre et prépare une attaque à l'Ouest et peut-être contre la France seule. À cette fin, Hitler continue et doit continuer Stresemann, selon la maxime du général Krauss citée par le général Mordacq : « Si l'on peut étaler les apparences d'une politique de paix, ce ne doit être que comme un stratagème trompeur pour endormir le peuple sur qui on a des vues et le surprendre endormi dans l'imprévoyance. » Il est à croire que la Pologne elle-même aurait quelque chose à tirer de cet avis. Mais il n'est déjà pas sûr qu'en France on en saisisse l'utilité."
  115. Le Maréchal Pétain écrit en préface de ce livre : "Le général Mordacq parle avec tendresse, émotion et vérité de ses Alpins; ils nous les montre tour à tour gais, débrouillards, ardents, tenaces. Donc Arras n'a pas été pris et cela malgré les efforts surhumains des Allemands. C'est bien lui en effet qui malgré les ordres primitifs de l'autorité supérieure a maintenu ses troupes dans la ville, assumé toutes les responsabilités de la défense, sauvé ainsi la vieille ville artésienne et, par suite, empêché très probablement les Allemands d'atteindre leur but : les côtes de la mer du Nord et de la Manche."

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Sources primaires modifier

  • Cote SHD : 9 Yd 787.
  • « Le général Mordacq », in Le Pays de France, no 177, , p. 3.  

Bibliographie modifier

Liens externes modifier