Fuite et expulsion des Allemands entre 1944 et 1950

Pendant les dernières phases de la Seconde Guerre mondiale et l'après-guerre, les Allemands et les Volksdeutsche fuient et sont expulsés de plusieurs pays d'Europe centrale et orientale, dont la Tchécoslovaquie et les anciennes provinces allemandes de Silésie, de Poméranie et de Prusse orientale, qui sont annexées par la Pologne (en) et l'Union soviétique (URSS). L'idée d'expulser les Allemands des territoires annexés émane de Winston Churchill en concertation avec les gouvernements en exil polonais et tchécoslovaque à Londres à partir de 1942, voire plus tôt[1],[2]. Fin 1944, le gouvernement tchécoslovaque en exil pousse les Alliés à adopter le principe des transferts des populations allemandes. Cependant, le premier ministre polonais, Tomasz Arciszewski, lors d'une entrevue accordé à The Sunday Times le , soutient l'annexion de la voïvodie de Varmie-Mazurie, de la Haute-Silésie et de secteurs du nord et de l'est de la Basse-Silésie (jusqu'à la ligne de l'Oder) ainsi que de zones de la Poméranie (sans Szczecin) mais il s'oppose à la perspective d'une expulsion. Il souhaite alors naturaliser les Allemands et les assimiler[3].

Réfugiés allemands fuyant les Russes et se dirigeant l'Ouest en 1945.

Joseph Staline, en concertation avec d'autres dirigeants communistes, prévoit d'expulser tous les Allemands situés à l'est de l'Oder et dans les territoires qui, à partir de mai 1945, appartiennent aux zones d'occupation soviétiques[4]. En 1941, son gouvernement avait déjà déporté les Allemands de Crimée vers l'Asie centrale.

Entre 1944 et 1948, des millions de personnes, y compris des Allemands par l'ethnie (Volksdeutsche) ou par la nationalité (Reichsdeutsche), sont déplacées à titre provisoires ou définitif depuis l'Europe centrale et orientale. En 1950, au total, environ 12 millions[5] d'Allemands avaient pris la fuite ou subi des expulsions depuis l'Europe centrale et orientale vers l'Allemagne et l'Autriche sous occupation alliée. Le gouvernement d'Allemagne de l'Ouest établit ce total à 14,6 millions[6], en y incluant un million d'Allemands qui s'étaient installés dans les territoires que le Troisième Reich avait conquis pendant la Seconde Guerre mondiale, les migrants allemands venus en Allemagne après 1950 et les enfants nés de parents expulsés. Le plus grand contingent vient des territoires orientaux de l'Allemagne cédés à la République populaire de Pologne et à l'URSS (environ 7 millions)[7],[8] et de Tchécoslovaquie (environ 3 millions).

Les zones concernées sont les anciens territoires orientaux de l'Allemagne, annexés par la Pologne et l'URSS après la guerre[9] (voir : territoires reconquis)[10] ; sont aussi visés les Allemands qui vivaient, avant-guerre, dans les frontières de la république polonaise, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Yougoslavie et les États baltes. Les nazis avaient entrepris des campagnes — partiellement achevées avant leur défaite — pour vider l'Europe centrale de ses populations slaves et juives pour y acheminer les colons allemands[11],[12].

Le bilan humain des morts entraînées par ces fuites et expulsions fait débat : des estimations avancent des nombres allant de 500 000 à 600 000 personnes[13],[14] jusqu'à deux millions, voire deux millions et demi[15],[16],[17]. Ces déplacements de population se produisent en trois étapes qui s'entrecroisent ; la première est l'évacuation organisée des Allemands par le gouvernement nazi devant les percées de l'Armée rouge, depuis mi-1944 jusqu'au début 1945[18]. La deuxième phase est la fuite désorganisée des Allemands aussitôt après la défaite de la Wehrmacht. La troisième phase est une expulsion plus organisée après la conférence des Alliés à Potsdam[18], qui redessine les frontières d'Europe centrale et approuve les expulsions des Allemands issus des anciens territoires allemands redistribués à la Pologne, à la Russie et à la Tchécoslovaquie[19]. De nombreux civils allemands sont envoyés dans des camps d'internement et des camps de travail où ils sont livrés aux travaux forcés dans le cadre des réparations de l'Allemagne aux pays d'Europe de l'Est[20],[21],[22],[23]. Les expulsions les plus massives sont achevées en 1950[18]. Les estimations sur le nombre total de personnes d'origine allemande qui, en 1950, se trouvent encore en Europe centrale et orientale se situent dans une fourchette comprise entre 70 000 et 2,7 millions d'individus.

Notes et références modifier

  1. "How Winston Churchill Stopped the Nazis". Der Spiegel. 20 August 2010.
  2. "The Myriad Chronicles". Johannes Rammund De Balliel-Lawrora, 2010. p.113. (ISBN 145009791X).
  3. Tomasz Kamusella, The Dynamics of the Policies of Ethnic Cleansing in Silesia in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Budapest, Open Society Institute, , 322, 407 (lire en ligne).
  4. Jan-Werner Müller, Nationhood in German legislation, Cambridge University Press, , 254–256 p. (ISBN 052100070X, lire en ligne).
  5. Die deutschen Vertreibungsverluste. Bevölkerungsbilanzen für die deutschen Vertreibungsgebiete 1939/50. Herausgeber: Statistisches Bundesamt - Wiesbaden. - Stuttgart: Kohlhammer Verlag, 1958, pp. 35-36.
  6. Federal Ministry for Expellees, Refugees and War Victims. Facts concerning the problem of the German expellees and refugees, Bonn: 1967.
  7. Piotr Eberhardt, Political Migrations in Poland 1939-1948, Warsaw, Didactica, (ISBN 9781536110357, lire en ligne [archive du ]).
  8. Piotr Eberhardt, Political Migrations On Polish Territories (1939–1950), Warsaw, Polish Academy of Sciences, (ISBN 978-83-61590-46-0, lire en ligne).
  9. Piotr Eberhardt, « The Oder-Neisse Line as Poland's western border: As postulated and made a reality », Geographia Polonica, vol. 88, no 1,‎ , p. 77–105 (DOI 10.7163/GPol.0007  , lire en ligne).
  10. Eric Hammer, « Ms. Livni, Remember the Recovered Territories. There is an historical precedent for a workable solution. », sur Arutz Sheva, .
  11. Hans-Walter Schmuhl. The Kaiser Wilhelm Institute for Anthropology, Human Heredity, and Eugenics, 1927–1945: crossing boundaries. Volume 259 of Boston studies in the philosophy of science. Coutts MyiLibrary. SpringerLink Humanities, Social Science & LawAuthor. Springer, 2008. (ISBN 1-4020-6599-X), 9781402065996, p. 348–349.
  12. « Yad Vashem, Generalplan Ost ».
  13. Ingo Haar, "Herausforderung Bevölkerung: zu Entwicklungen des modernen Denkens über die Bevölkerung vor, im und nach dem Dritten Reich". "Bevölkerungsbilanzen" und "Vertreibungsverluste". Zur Wissenschaftsgeschichte der deutschen Opferangaben aus Flucht und Vertreibung, Verlag für Sozialwissenschaften 2007; (ISBN 978-3-531-15556-2), p. 278 (de).
  14. The German Historical Museum puts the figure at 600,000, maintaining that the figure of 2 million deaths in the previous government studies cannot be supported.Die Flucht der deutschen Bevölkerung 1944/45, dhm.de; accessed 6 December 2014.(de).
  15. Willi Kammerer, « Narben bleiben die Arbeit der Suchdienste — 60 Jahre nach dem Zweiten Weltkrieg » [archive du ], Berlin Dienststelle 2005 (consulté le )the foreword to the book was written by German President Horst Köhler and the German interior minister Otto Schily.
  16. Christoph Bergner, Secretary of State in Germany's Bureau for Inner Affairs, outlines the stance of the respective governmental institutions in Deutschlandfunk on 29 November 2006, [1].
  17. (de). "Bundeszentrale für politische Bildung, Die Vertreibung der Deutschen aus den Gebieten jenseits von Oder und Neiße", bpb.de; accessed 6 December 2014.
  18. a b et c Matthew J. Gibney et Randall Hansen, Immigration and Asylum: From 1900 to the Present, Santa Barbara, Calif., ABC-CLIO, , 197–98 (ISBN 1-57607-796-9, lire en ligne).
  19. « Agreements of the Berlin (Potsdam) Conference, 17 July – 2 August 1945 » [archive du ], PBS (consulté le ).
  20. Germany: 2000 Years: Volume III: From the Nazi Era to German Unification, Continuum International Publishing Group, , 2e éd. (ISBN 0-8264-0601-7, lire en ligne), 57
  21. Norman M. Naimark, Fires of Hatred: Ethnic Cleansing in Twentieth-century Europe, Harvard University Press, (ISBN 0-674-00994-0, lire en ligne), 131
  22. Arie Marcelo Kacowicz et Paweł Lutomski, Population resettlement in international conflicts: a comparative study, Lexington Books, (ISBN 978-0739116074, lire en ligne), p. 101
  23. Tomasz Kamusella, « The Expulsion of the German Communities from Eastern Europe » [archive du ], EUI HEC, (consulté le ), p. 28.

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