Foncteur dérivé
En mathématiques, certains foncteurs peuvent être dérivés pour obtenir de nouveaux foncteurs liés de manière naturelle par des morphismes à ceux de départs. Cette notion abstraite permet d'unifier des constructions concrètes intervenant dans de nombreux domaines des mathématiques. Elle n'est pas liée à la notion de dérivation en analyse.
Motivation
modifierLa notion de foncteur dérivé est conçue pour donner un cadre général aux situations où une suite exacte courte donne naissance à une suite exacte longue.
Soit donné un foncteur F : A → B entre deux catégories abéliennes A et B. On suppose que F est exact à gauche, c'est-à-dire que pour une suite exacte courte d'objets de la catégorie A :
alors la suite suivante est exacte :
Il est alors naturel de se demander si on peut prolonger cette suite en une suite exacte, et si on peut le faire de façon canonique. Les foncteurs dérivés du foncteur F seront alors, pour tout i ≥ 1, les foncteurs RiF : A → B, tels que la suite suivante soit exacte :
F est donc exact à droite si et seulement si le foncteur R1F est trivial. Les foncteurs dérivés mesurent donc dans un certain sens le défaut d'exactitude de F.
Construction et premières propriétés
modifierOn suppose que la catégorie A possède suffisamment d'objets injectifs (en) — une abstraction de la notion de module injectif — c'est-à-dire que pour tout objet A dans A il existe un monomorphisme A → I où I est un objet injectif dans A.
Soit un foncteur covariant exact à gauche F : A → B et un objet X dans A. Par l'hypothèse sur A, on peut construire une résolution (en) injective de X (i.e. une suite exacte longue où les Ii pour i ≥ 0 sont des objets injectifs) :
En appliquant le foncteur F, on obtient le complexe de cochaînes
La cohomologie au i-ème rang est alors définie comme étant RiF(X). En particulier : R0F(X) = F(X). Pour obtenir une démonstration complète, il faudrait vérifier les points suivants : le résultat ne dépend pas, à isomorphisme près, du choix de la résolution injective de X, et pour chaque flèche X → Y il existe une flèche RiF(X) → RiF(Y) qui fasse que RiF vérifie les propriétés des foncteurs.
Le choix de la résolution triviale, 0 → X → X → 0, si X est lui-même injectif, montre que RiF(X) = 0 pour tout i ≥ 1 (i.e. X est acyclique).
Variantes
modifierUne théorie duale existe pour un foncteur G exact à droite, en supposant cette fois que la catégorie A possède suffisamment d'objets projectifs — une abstraction de la notion de module projectif. Pour un objet X de A, on considère une résolution projective :
Les objets Pi sont projectifs. Les foncteurs dérivés à gauche LiG sont alors définis en posant pour LiG(X) l'homologie au ième rang du complexe obtenu en appliquant le foncteur G à cette résolution. À nouveau, L0G(X) = G(X). La suite exacte longue obtenue à partir d'une suite exacte courte :
s'écrit ici :
- .
La propriété d'annulation analogue s'obtient cette fois-ci sur les objets projectifs.
On peut aussi partir d'un foncteur F contravariant, et les foncteurs dérivés à droite sont alors eux-mêmes contravariants, et sont définis à partir de résolutions projectives. La suite exacte courte
est dans ce cas transformée en :
Applications
modifier- Cohomologie des faisceaux. Soit X un espace topologique, alors, la catégorie des faisceaux de groupes abéliens sur X est une catégorie abélienne contenant suffisamment d'objets injectifs (ce résultat est dû à Alexandre Grothendieck). En associant à chaque tel faisceau L le groupe L(X) de ses sections globales, on obtient un foncteur exact à gauche, dont les foncteurs dérivés droits sont exactement les foncteurs de cohomologie des faisceaux, habituellement notés H i(X,L). Plus généralement, si (X, OX) est un espace annelé, alors la catégorie des faisceaux de OX-modules est une catégorie contenant suffisamment d'objets injectifs, et la cohomologie des faisceaux est à nouveau construite comme la suite des foncteurs dérivés du foncteur des sections globales.
- La cohomologie étale est une autre théorie de cohomologie, pour les faisceaux de modules sur un schéma.
- Foncteur Ext. Soit R un anneau, alors la catégorie de tous les R-modules à gauche est une catégorie abélienne contenant suffisamment d'objets injectifs. Si A est un R-module à gauche invariant, alors le foncteur Hom(A,-) est exact à gauche, et ses foncteurs dérivés à droites sont les foncteurs ExtRi(A,B).
- Foncteur Tor. La catégorie des R-modules à gauche contient aussi suffisamment d'objets projectifs. Si A est un R-module à gauche invariant, alors le produit tensoriel par A est un foncteur covariant exact à droite sur la catégorie des R-modules à gauche ; ses foncteurs dérivés à gauche sont les foncteurs TorRi(A,B).
- Cohomologie des groupes. Soit G un groupe. Un G-module M est un groupe abélien M muni d'une action de groupe de G sur M par automorphismes. De manière équivalente M est muni d'une structure de module sur l'anneau de groupe Z[G]. Les G-modules constituent une catégorie abélienne contenant suffisamment d'objets injectifs. Soit MG le sous-groupe des éléments de M fixés par G. On définit ainsi un foncteur exact à gauche, dont les foncteurs dérivés à droite sont les foncteurs de cohomologie des groupes, notés H i(G,M).
Généralisation
modifierUne approche plus moderne et plus générale utilise le langage des catégories dérivées.