Taux de retour énergétique

ratio d'énergie acquise rapportée à la quantité d'énergie dépensée pour obtenir cette énergie
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Le taux de retour énergétique ou TRE — les acronymes anglais : EROEI, « Energy Returned On Energy Invested », ERoEI, ou EROI, « Energy Return On Investment » sont aussi utilisés en français — est l'énergie utilisable acquise à partir d'un vecteur énergétique, rapportée à la quantité d'énergie dépensée pour obtenir cette énergie. Quand le TRE d'une ressource est inférieur ou égal à 1, cette source d'énergie devient un « puits d'énergie », et ne peut plus être considérée comme une source d'énergie, car la dépense est supérieure au résultat.

Relation avec le gain énergétique net modifier

Le TRE considère une source d'énergie unique. L'énergie nette décrit une quantité exprimée en joules ou kWh, alors que le TRE est un ratio adimensionnel et donne l'efficacité du processus de production.

L'énergie utilisable est la somme de l'énergie nette et de l'énergie dépensée, le ratio est donc défini par la formule :

 ou 

 
Énergie nette relative en fonction du TRE. Le complément (partie au-dessus de la courbe) représente l'« autoconsommation ».

Pour mieux comprendre, définissons l'énergie nette relative[1] :

 

L'énergie nette relative, qui correspond à la part d'énergie disponible, s'exprime selon  , sachant que le complément, à 100 %, de cette énergie nette relative peut être en fait considéré comme de l'autoconsommation.

Ainsi, pour un processus ayant un TRE de 1, le gain énergétique est nul. On voit sur le graphique que toute l'énergie produite est autoconsommée. Pour un TRE de 5, l'utilisation d'une unité énergétique donne un gain énergétique net de 4 unités. On voit sur le graphique que, dans ce cas, 80 % de l'énergie produite est disponible, mais que 20 % de l'énergie est autoconsommée.

Taux de retour énergétique des principales sources d'énergie modifier

Le calcul du TRE repose sur l'estimation de la quantité d'énergie primaire nécessaire pour extraire la source d'énergie évaluée. Le mode de calcul du TRE ne fait pas consensus, de sorte que plusieurs estimations sont proposées pour une même énergie.

Le tableau ci-dessous, établi à partir d'un tableau publié par ASPO Italie en 2005[2] et complété par les estimations de Cutler J. Cleveland (en) la même année[3], propose une compilation des estimations du TRE des principales sources d'énergie à cette date ou plus tôt.

Sources d'énergie TRE Cleveland[3] TRE Elliott[4] TRE Hore-Lacy[5] TRE (Autres)
Combustibles fossiles
Pétrole
- Jusqu'à 1940
- Jusqu'à 1970
- 2005 (« Aujourd'hui »)

> 100
23
8


50 - 100
 


45[6]
15[6]
Charbon
- Jusqu'à 1950
- Jusqu'à 1970

80
30

2 - 7

7 - 29
Gaz naturel 1 - 5 5 - 26 15 conventionnel et peu profond
23,6 avec non conventionnel et profond[7]
Schistes bitumineux 2 - 16
(1.5 en comptant l'énergie interne)[8]
Énergie nucléaire 5 - 100 5 - 100 10 - 60 < 1[9]
Énergies renouvelables
Biomasse 3 - 5 5 - 27
Énergie hydroélectrique 11,2 50 - 250 50 - 200
Énergie éolienne 5 - 80 20
Énergie solaire
- Énergie solaire thermique
- Photovoltaïque conventionnel
- Photovoltaïque à couches minces

4,2
1,7 - 10
 


3 - 9
 


4 - 9
 
20 - 52[10],[11]
Éthanol
- De canne à sucre
- De maïs
- De résidus de maïs

0,8 - 1,7
1,3
0,7 - 1,8

6.7 (Brésil)[12]
.
.
Méthanol (de bois) 2,6

Selon le chercheur Vaclav Smil, les éoliennes les plus grandes, situées dans les lieux les plus exposés au vent, présentent un TRE proche de 20, mais pour la plupart, il reste en deçà de 10[13]. Il ajoute : « pendant longtemps encore — jusqu'à ce que toutes les énergies utilisées pour produire des éoliennes [...] proviennent d'énergie renouvelables —, la civilisation moderne restera fondamentalement inféodée aux combustibles fossiles »[14].

Le TRE des énergies classiques devrait diminuer. En 1950 le TRE du pétrole était de 50 et celui du gaz s'élevait à 140 ; en 2022 ils s'établissent à 9 et 25 respectivement. Ils pourraient tomber à 2 et 16 au milieu du xxie siècle[15].

ESOEI modifier

Les énergies intermittentes présentent un TRE beaucoup plus faible que celui des énergies classiques[16],[17].

Les valeurs présentes en littérature doivent toutefois toujours être prises avec précaution : « de façon regrettable, dans beaucoup d'études sur le TRE de la production d'électricité, une définition claire du périmètre reste absente »[17].

On notera particulièrement le rôle du stockage et de l'équilibre du réseau pour le vecteur électrique. Des études spécifiques portent sur des TRE de stockage. Une mesure connexe, l'Énergie Stockée sur l'Énergie Investie (Energy Stored On Energy Invested — ESOEI —) est utilisée pour analyser de tels systèmes.

L'ESOIe ou ESEIe est le rapport entre l'énergie stockée pendant la durée de vie d'un dispositif de stockage et la quantité d'énergie requise pour construire l'appareil.

Technologie de stockage ESOEI[18]
Batterie au plomb 5
Batterie à flux au zinc 9
Batterie redox vanadium 10
Accumulateur sodium-soufre 20
Accumulateur lithium-ion 32
Pompage-turbinage hydroélectrique 704
Stockage géologique par air comprimé 792

La prise en compte de ces systèmes pour les vecteurs primaires intermittents réduit le TRE des systèmes qui y font appel. L'équilibre entre production et consommation affecte donc les évaluations des TRE. Les études sur les différents modes stockage peuvent éclairer des choix techniques. Ainsi Barnhart et al. préconisent différents stockage pour le solaire et l'éolien :

« Dans une perspective d'énergie nette, l'électricité générée par l'usage de technologie solaire photovoltaïque peut être stockée efficacement par l'ensemble des techniques présentées [dans l'article et le tableau ci-dessus], alors que l'éolien devrait être stocké par un mode plus favorable tel que le pompage turbinage ou le stockage géologique d'air comprimé[18]. »

Influence économique du concept de TRE modifier

Une consommation d'énergie élevée est considérée par certains comme souhaitable dans la mesure où elle est associée avec un haut niveau de vie (lui-même reposant sur le recours à des machines grandes consommatrices d'énergie).

Généralement, une société privilégiera les sources d'énergie bénéficiant du plus haut TRE possible, dans la mesure où elles fournissent un maximum d'énergie pour un minimum d'efforts. Parallèlement à l'essor des sources d'énergie non renouvelables, on observe un basculement progressif vers des sources bénéficiant d'un TRE plus bas, en raison de l'épuisement de celles de meilleure qualité.

Ainsi, quand le pétrole a commencé à être utilisé comme source d'énergie, il suffisait en moyenne d'un baril pour trouver, extraire et raffiner environ 100 barils. Ce ratio a décliné régulièrement au cours du siècle dernier pour arriver au niveau de 3 barils utilisables pour 1 baril consommé (et environ 10 pour un en Arabie Saoudite)[19].

En 2006, le TRE de l'énergie éolienne en Amérique du Nord et en Europe est de 20/1[20], ce qui a conduit à son adoption massive.

Quelles que soient les qualités d'une source d'énergie donnée (par exemple, le pétrole est un concentré d'énergie facile à transporter, alors que l'énergie éolienne est intermittente), dès que le TRE des principales sources d'énergie décroît, l'énergie devient plus difficile à obtenir et donc son prix augmente.

La transition énergétique à bas carbone pourrait elle-même être compromise par la chute du TRE. Si elle n'était pas atteinte à temps, aidée par la sobriété, les sociétés modernes s'exposeraient à un risque structurel majeur (« une inflation importante, [...] un déficit d’offres, une période de récession, une augmentation des inégalités, etc. ») ; elles devraient alors recourir au nucléaire ou au charbon, dont les TRE sont suffisamment élevés mais qui souffrent d'autres inconvénients[15].

Ce taux de retour est l'un des éléments d'explication de l'impasse énergétique[C'est-à-dire ?] mise en avant par Nicholas Georgescu-Roegen dans ses différents travaux et principalement dans son article « L'énergie et les mythes économiques »[21].

Depuis la découverte du feu, les humains ont fait appel de façon croissante à des sources d'énergie exogènes pour démultiplier la force musculaire et améliorer leur niveau de vie. Quelques historiens ont attribué l'amélioration de la qualité de la vie à l'exploitation plus facile de sources d'énergie (c'est-à-dire bénéficiant d'un meilleur TRE). Cela se traduit par le concept d'« esclave énergétique ».

Thomas Homer-Dixon montre que la baisse du TRE dans les dernières années de l'Empire romain est l'une des raisons de la chute de l'Empire d'Occident au Ve siècle apr. J.-C. Il suggère que le TRE permet en partie d'expliquer l'expansion et le déclin des civilisations. Au moment de l'extension maximale de l'Empire Romain (60 millions d'habitants), les denrées agricoles étaient affectées d'un rapport de 12/1 par hectare pour le blé et de 27/1 pour la luzerne (ce qui donnait un rapport de 2,7/1 pour la production de viande bovine)[22].

On peut alors calculer que, compte tenu d'une base de 2 500 à 3 000 calories par jour et par personne, l'essentiel de la surface agricole disponible était alors consacrée à l'alimentation des citoyens de l'Empire. Mais les dégâts écologiques, la déforestation, la baisse de la fertilité des sols en particulier dans le Sud de l'Espagne, le Sud de l'Italie et l'Afrique du Nord, ont mené à un effondrement du système à partir du IIe siècle apr. J.-C. Le plancher a été atteint en 1084, moment auquel la population de Rome était descendue à 15 000 habitants, alors qu'elle avait culminé sous Trajan à 1,5 million. Cette même logique s'applique à la chute de la civilisation maya et à la chute de l'empire khmer d'Angkor. Joseph Tainter, de même, considère que la baisse du TRE est l'une des causes principales de l'effondrement de sociétés complexes[23].

La chute du TRE (en particulier en Chine[24]) liée à l'épuisement des ressources non renouvelables, représente un défi pour les économies modernes[25],[26].

Électricité modifier

Voir également modifier

Articles connexes modifier

Notes et références modifier

  1. « Le taux de retour énergétique, une mesure de l’efficacité », sur Éditions techniques de l'ingénieur, .
  2. (it) Il conto in banca dell'energia: il ritorno dell'investimento di Ugo Bardi.
  3. a et b (en) Cutler J. Cleveland (en), « Net energy from the extraction of oil and gas in the United States », Energy, vol. 30, no 5,‎ , p. 769-782 (DOI 10.1016/j.energy.2004.05.023, lire en ligne).
  4. David Eliott, A sustainable future? the limits of renewables, Before the wells run dry, Feasta 2003.
  5. Ian Hore-Lacy, Renewable Energy and Nuclear Power, Before the wells run dry, Feasta 2003.
  6. a et b (en) Louis Delannoy, Pierre-Yves Longaretti, David J. Murphy et Emmanuel Prados, « Peak oil and the low-carbon energy transition: A net-energy perspective », Applied Energy, vol. 304,‎ , p. 117843 (DOI 10.1016/j.apenergy.2021.117843, lire en ligne, consulté le )
  7. (en) Louis Delannoy, Pierre-Yves Longaretti, David J. Murphy et Emmanuel Prados, « Assessing Global Long-Term EROI of Gas: A Net-Energy Perspective on the Energy Transition », Energies, vol. 14, no 16,‎ , p. 5112 (ISSN 1996-1073, DOI 10.3390/en14165112, lire en ligne, consulté le ).
  8. (en) Cutler Cleveland et Pete O'Connor, « Energy Return on Investment (EROI) of Oil Shale », Sustainability, vol. 3,‎ (ISSN 2071-1050, DOI 10.3390/su3112307, lire en ligne, consulté le )
  9. Jan Willem Storm van Leeuwen (en) et Philip Smith, « Nuclear Power: the Energy Balance » (version du sur Internet Archive) ; étude controversée.
  10. Il s'agit d'une utilisation directe, à laquelle s'ajoutent des déperditions si le réseau électrique est utilisé.
  11. (en) Vasilis Fthenakis et Enrica Leccisi, « Updated sustainability status of crystalline silicon‐based photovoltaic systems: Life‐cycle energy and environmental impact reduction trends », Progress in Photovoltaics Research and Applications,‎ (DOI 10.1002/pip.3441).
  12. (en) Feni Agostinho et Raul Siche, « Hidden costs of a typical embodied energy analysis: Brazilian sugarcane ethanol as a case study », Biomass and Bioenergy, vol. 71,‎ (DOI 10.1016/j.biombioe.2014.10.024, lire en ligne, consulté le )
  13. (en) Energy in Nature and Society: General Energetics of Complex Systems, MIT Press, 2008 (ISBN 9780262693561).
  14. (en) « What I see when I see a wind turbine » [« Ce que je vois quand je vois une éolienne »] [PDF], sur vaclavsmil.com, .
  15. a et b Louis Delannoy, Pierre-Yves Longaretti et Emmanuel Prados, « Les lois de la physique rendent la sobriété inévitable », tribune, sur Reporterre, .
  16. (en) « Energy intensities, EROIs (energy returned on invested), and energy payback times of electricity generating power plants » [« Intensités énergétiques, TRE, et temps de retour énergétique des centrales de production d'électricité »], Nature, .
  17. a et b (en) Charles A.S. Hall, Kent Klitgaard, « Energy return on investment », dans Energy and the Wealth of Nations [« L'énergie et la richesse des nations »], Springer, , 391 p., PDF (lire en ligne), figure 18.3 ainsi que section 11.8 et p. 136 - 137.
  18. a et b The energetic implications of curtailing versus storing solar- and wind-generated electricity. Charles J. Barnhart, Michael Dale, Adam R. Brandt and, Sally M. Benson Energy Environ. Sci., 2013, 6, 2804–2810 http://pubs.rsc.org/en/content/articlepdf/2013/ee/c3ee41973h
  19. (en) « EROI: definition, history and future implications » [ppt], Charles A. S. Hall (consulté le ).
  20. (en) « Energy Payback Period for Wind Turbines »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), Danish Wind Energy Association (consulté le ).
  21. Nicholas Georgescu-Roegen, « Energy and Economic Myths », Southern Economic Journal, 1975, 41, p. 347-381 ; trad. fr. : « L’énergie et les mythes économiques », in Georgescu-Roegen, La Décroissance, 1979, p. 37-104 ; 1995, p. 73-148 ; 2006, p. 85-166.
  22. (en) Thomas Homer-Dixon, The Upside of Down; Catastrophe, Creativity and the Renewal of Civilisation, Island Press, 2007.
  23. Joseph Tainter (trad. de l'anglais), L'Effondrement des sociétés complexes [« The Collapse of Complex Societies »], Aube/Paris, Le Retour aux Sources, , 318 p. (ISBN 978-2-35512-051-0).
  24. Nafeez Ahmed, Préparez-vous à la crise mondiale, lancée par la Chine... et par l’énergie, tribune, Reporterre, 31 octobre 2018.
  25. Thevard Benoit, « La diminution de l'énergie nette, frontère ultime de l'Anthropocène », Institut Momentum, 13 décembre 2013.
  26. « Le taux de retour énergétique et son rôle dans la transition énergétique », sur Conseil regional de l'environnement de Montréal, (consulté le ).