Diprosopie

maladie congénitale

La diprosopie (διπρόσωπος, « deux visages »), ou duplication cranofaciale, est une maladie congénitale extrêmement rare où des parties du visage (parfois le visage dans son ensemble) sont dupliquées sur la tête.

Un poussin avec deux becs et trois yeux.

Développement modifier

Même si cette maladie est souvent rapprochée du cas des jumeaux siamois, elle n'est pas due à la fusion ou à la séparation incomplète de deux embryons. Elle résulte d'une activité anormale de la protéine Sonic hedgehog (SHH)[1],[2],[3].

La protéine SHH et son gène correspondant jouent un rôle majeur dans la voie de signalisation de l'agencement craniofacial au cours du développement embryonnaire. Cette protéine est notamment responsable de la largeur des traits du visage. Dans les cas extrêmes, cela entraîne un élargissement des traits et une duplication de la structure faciale[1]. Plus l'élargissement est important, plus nombreuses sont les structures dupliquées ; celles-ci sont souvent symétriques. En laboratoire, des comprimés contenant la protéine SHH ont été introduits dans des embryons de poulets : les poussins éclos disposaient de becs dupliqués. Une trop petite quantité de la protéine SHH entraîne les excès inverses comme la cyclopie où les traits du visages ne sont pas suffisamment développés[4].

Un développement effectif du cerveau dépend également de la voie de signalisation de la protéine SHH. Au cours du développement embryonnaire, la protéine affecte les cellules embryonnaires à des zones précises qui forment ensuite un tissu nerveux spécialisé : la taille et la forme des structures cérébrales en sont donc dépendantes[5].

Occurrence modifier

La diprosopie survient généralement en même temps que d'autres maladies congénitales telles que l'anencéphalie, des malformations du tube neural et la cardiopathie congénitale[6]. Le cerveau, lorsqu'il est développé, témoigne d'une duplication partielle ou complète des structures cérébrales, parfois d'un sous-développement du tissu nerveux[7],[8].

Cas chez l'être humain modifier

La plupart des nourrissons atteints de diprosopie sont mort-nés. Peu de cas témoignent d'humains survivant plus de quelques minutes ou quelques heures. Cependant, la littérature médicale rapporte quelques cas de personnes souffrant de diprosopie qui ont vécu jusqu'à l'âge adulte, et parfois même jusqu'à un âge avancé.

 
Fillette de six ans avec deux nez et une ébauche de troisième œil (photo prise en 1898)

Ainsi, en 1881, un anatomiste français rapporta le cas d'un femme diprosopique qui vivait à Saint-Maigner, dans le massif Central. Cette femme avait deux nez, une ébauche de troisième œil entre ces derniers, une luette bifide et six incisives supérieures. Bien que son cerveau eût présenté une duplication partielle, elle avait une intelligence normale et n'était morte qu'à cinquante-deux ans[9].

Un autre cas d'homme diprosopique ayant pourtant connu une longue vie fut celui de William Durks, un artiste de cirque américain qui avait lui aussi deux nez, une ébauche de troisième œil et une large fente labio-palatine entre ses deux appendices nasaux. Comme la femme de Saint-Maigner, il avait une intelligence normale et n'hésitait pas à parler avec le public qui le contemplait. Il vécut soixante-trois ans, de 1913 à 1976[10].

Plus récemment, en 2002 et 2003, la littérature médicale fait état de deux cas de nourrissons de sexe masculin avec une diprosopie partielle qui ont pu survivre[11],[12]. Cependant, l'un d'entre eux est resté affecté d'un lourd handicap mental, son cerveau ayant été endommagé par d'importantes déformations crâniennes[13].

Cas chez les animaux modifier

La diprosopie est moins rare chez les chats. Ils sont appelés « chats Janus » en référence au dieu romain Janus qui était affublé de deux visages[14]. Le chat Frank and Louie (en) (1999-2014) a connu une certaine notoriété en raison de sa longévité exceptionnelle ; il était notamment entré au Livre Guinness des records en 2011[15]. Dans ce dernier cas, comme dans celui de William Durks et de la femme à deux nez de Saint-Maigner, la survie a découlé du fait qu'il ne s'agissait que d'une forme modérée de diprosopie (Frank and Louie n'avaient en effet qu'une seule bouche, une seule trachée et un seul œsophage).

Notes et références modifier

  1. a et b (en) D. Hu et J.A. Helms, « The role of sonic hedgehog in normal and abnormal craniofacial morphogenesis », Development, vol. 126, no 21,‎ , p. 4873–84 (lire en ligne).
  2. (en) Ariel Ruiz i Altaba, Hedgehog-Gli Signaling in Human Disease, New York, NY, Springer Science+Business Media, Inc., (ISBN 978-0-387-33777-7, lire en ligne).
  3. (en) S.A. Brugmann et J.A. Helms, Principles of Developmental Genetics, Burlington, MA, Academic Press, an imprint of Elsevier Inc., , 1055 p. (ISBN 978-0-12-369548-2, lire en ligne), « Chapter 30: Craniofacial Formation and Congenital Defects ».
  4. (en) D.L. Young, R.A. Schneider, D. Hu et J.A. Helms, « Genetic and teratogenic approaches to craniofacial development », Crit. Rev. Oral Biol. Med., vol. 11, no 3,‎ , p. 304–17 (DOI 10.1177/10454411000110030201, lire en ligne).
  5. (en) « Sonic Hedgehog Shapes The Brain », sur sciencedaily.com, (consulté le ).
  6. (en) A. al Muti Zaitoun, J. Chang et M. Booker, « Diprosopus (partially duplicated head) associated with anencephaly: a case report », Pathol. Res. Pract., vol. 195, no 1,‎ , p. 45–50; discussion 51–2 (DOI 10.1016/s0344-0338(99)80094-6).
  7. (en) K. Koseoglu, C. Gok, Y. Dayanir et C. Karaman, « CT and MR imaging findings of a rare craniofacial malformation: diprosopus », AJR Am J Roentgenol, vol. 180, no 3,‎ , p. 863–4 (DOI 10.2214/ajr.180.3.1800863, lire en ligne).
  8. (en) T.L. Angtuaco, E.J. angtuaco et J.G. quirk, « US case of the day. Complete brain duplication with fusion at the posterior fossa (diprosopus tetraophthalmos) », Radiographics, vol. 19, no 1,‎ , p. 260–3 (DOI 10.1148/radiographics.19.1.g99ja15260, lire en ligne).
  9. Dr Bimar, Sur une difformité rare du crâne et de l'encéphale, Gazette hebdomadaire des sciences médicales, Montpellier, 1881.
  10. Jan Bondeson, The Lion Boy and other medical curiosities, Amberley Publishing limited, 2018 ; et Kathy Ciulla, Bill Durks : How I see him, Lulu Publishing Services, 2019.
  11. (en) S. Hähnel, P. Schramm, S. Hassfeld, H.H. Steiner et A. Seitz, « Craniofacial duplication (diprosopus): CT, MR imaging, and MR angiography findings case report », Radiology, vol. 226, no 1,‎ , p. 210–3 (DOI 10.1148/radiol.2261011754, lire en ligne).
  12. (en) J. Wu, D.A. Staffenberg, J.B. Mulliken et A.L. Shanske, « Diprosopus: a unique case and review of the literature », Teratology, vol. 66, no 6,‎ , p. 282–7 (DOI 10.1002/tera.10102, lire en ligne).
  13. https://www.thesun.co.uk/living/3734564/boy-born-with-two-faces-celebrates-13th-birthday/ ; et https://www.youtube.com/watch?v=44z97i-Ek0Q&t=561s
  14. (en) Cherry Wilson, « Two-faced cat is a record breaker », The Guardian, Londres,‎ (lire en ligne).
  15. « Le plus vieux chat à deux têtes, Frank and Louie, est mort », sur huffingtonpost.fr, (consulté le ).