Didier Eribon

philosophe et sociologue français
Didier Eribon
Didier Eribon à la Foire du livre de Francfort en 2017.
Biographie
Naissance
Voir et modifier les données sur Wikidata (70 ans)
ReimsVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Formation
Activités
Conjoint
Geoffroy de Lagasnerie (depuis )Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
A travaillé pour
Université de Picardie (-)
L'Obs (-)
Libération (-)Voir et modifier les données sur Wikidata
Site web
Distinctions
Œuvres principales
Réflexions sur la question gay (1999)
Retour à Reims (2009)
Principes d'une pensée critique (2016)

Didier Eribon, né le à Reims (Marne), est un philosophe et sociologue français.

D'abord critique littéraire pour Libération et le Nouvel observateur dans les années 1980 et 1990[1],[2], il co-dirige ensuite le séminaire « Sociologie des homosexualités » à l'École des hautes études en sciences sociales de 1999 à 2004[3], puis exerce comme professeur des universités à l'Université de Picardie Jules-Verne de 2009 à 2017.

Biographie modifier

Origines modifier

Didier Eribon est né à Reims dans un milieu pauvre, d'un père ouvrier (« manœuvre », ainsi qu'il s'ingéniera à le cacher à son entourage) et d'une mère femme de ménage[4] puis ouvrière dans une verrerie. Dans son récit Retour à Reims, il décrit sa famille comme marquée et fragilisée, à l'instar de nombreuses autres familles rémoises, par les deux guerres mondiales qui ont énormément affecté cette ville. Son père et l'environnement social dans lequel il vit sont homophobes[5]. Il décrit sa mère comme raciste dans Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple[6]. Il passe son enfance dans un petit logement ouvrier du quartier Verrerie, puis dans un immeuble HLM du quartier Jamin. Il fréquente alors l'église Sainte-Jeanne-d'Arc où il fait son catéchisme (par tradition, bien que ses parents soient athées et même anticléricaux) tandis que se construit, à quelques dizaines de mètres de chez lui, la chapelle Foujita. La famille déménage en 1967 dans une cité HLM périphérique de la ville. Il passe également du temps à la cité-jardin du Chemin Vert où vivent ses grands-parents paternels, tandis que ses grands-parents maternels, ouvriers eux aussi, vivent à Paris. Didier Eribon est le second d'une fratrie de quatre garçons et, à la différence de ses frères, le seul à suivre des études après l'âge obligatoire : études secondaires au lycée Clémenceau à Reims, puis universitaires à Reims et Paris. Le parcours de ses frères est pour lui emblématique de la sélection sociale qu'opère le système scolaire à l'égard des enfants d'ouvriers[7]. Durant son adolescence, il milite un temps dans une organisation trotskiste qu'il abandonne ensuite jugeant alors que la politisation des questions sexuelles passe « par une mise à distance du marxisme qui ne considérait comme politique que ce qui relevait de la domination de classe »[8],[9]. Il restera cependant toujours attaché à l'idée qu'il existe bel et bien une classe sociale dominée, dont il est issu, et que celle-ci doit lutter pour son émancipation.

Il fait des études de philosophie, après avoir réussi le concours de l'Institut de préparation aux enseignements de second degré qui lui permet d'être rémunéré pendant trois années d'études. Comme il le raconte de manière détaillée dans Retour à Reims, il échoue aux concours de l'agrégation et du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré ce qui l'amènera à changer d'orientation professionnelle.

Journalisme modifier

Il commence sa carrière comme critique littéraire à Libération de 1979 à 1983, puis, à partir de 1984, et jusqu'au milieu des années 1990, au Nouvel Observateur.

C'est dans le cadre de ce métier de journaliste qu'il rencontre des intellectuels tels que Michel Foucault et Pierre Bourdieu, avec lesquels il se lie d'amitié. À la suite de la parution de sa biographie de Michel Foucault et de la traduction de celle-ci dans de nombreuses langues, il entame une carrière universitaire aux États-Unis, à la fin des années 1990, puis en France dans les années 2000.

Carrière universitaire modifier

Il organise au centre Georges Pompidou, en juin 1997, un colloque consacré aux études gays et lesbiennes et à la théorie queer, auquel participent notamment Monique Wittig, Eve Kosofsky Sedgwick et Pierre Bourdieu[10]. Il publie l'année suivante les actes de ce colloque, sous le titre Les Études gays et lesbiennes[11].

Il co-dirige de 1998 à 2004 le séminaire « Sociologie des homosexualités », avec Françoise Gaspard, alors maîtresse de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales[12],[13]. Ce séminaire est consacré aux études gays, lesbiennes et queer menées en France comme à l'étranger et contribue à installer en France ce nouveau champ de recherche. Des chercheurs américains (comme Judith Butler, George Chauncey, Leo Bersani, Michael Warner, Michael Lucey, Carolyn Dinshaw) ou français (comme Pierre Bourdieu, Michel Tort, etc.) y sont invités.

Dans Retour à Reims, Didier Eribon explique avoir commencé une thèse en Sorbonne sur la philosophie de l'histoire, mais doit y renoncer faute de moyens de subsistance pour la mener à bien. En 2007 il soutient sur travaux une habilitation à diriger des recherches à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne avec pour sujet « Histoire des idées et théorie du sujet »[14].

De 2009 à 2017, Didier Eribon est recruté comme professeur de sciences sociales à l'université d'Amiens[15]. Il est également pendant plusieurs années Visiting Professor of Philosophy and Theory à l'université de Californie à Berkeley aux États-Unis, y donnant un séminaire de recherche pour étudiants doctorants, puis Visiting Scholar à l'Institute for Advanced Study de l'université de Princeton. Il participe à la vie universitaire et intellectuelle aussi bien en Europe qu'aux États-Unis par des cours, séminaires et conférences[réf. nécessaire]. L'université de Buenos Aires lui a décerné en 2014 un doctorat honoris causa pour l'ensemble de ses travaux et notamment pour sa contribution aux études sur le genre et les identités (cf. la présentation de son œuvre lors de la remise de cette distinction[16]).

Ses cours et séminaires portent aujourd'hui[Quand ?] principalement sur les questions de théorie politique et de sociologie des classes sociales et tout particulièrement des classes populaires ou encore sur les « modes de domination » et sur les mouvements sociaux et les mobilisations politiques[17].

Il est élu en 2012 membre de King's College, à Cambridge (Grande-Bretagne) et il est nommé en octobre 2017 Montgomery Fellow de Dartmouth College aux États-Unis (dans la liste des fellows qui l'ont précédé, on trouve notamment les noms de Michel Foucault ou de Toni Morrison).

En 2021, il est professeur invité à la chaire de littérature et culture françaises à l'École polytechnique fédérale de Zurich, où il donne un séminaire hebdomadaire sur « Les mondes de la littérature », consacré à l'écriture autobiographique, autofictionnelle, auto-analytique comme vecteur d'une exploration des structures historiques, politiques et sociales et d'une réflexion sur la constitution des identités personnelles et collectives.

Travail théorique modifier

Didier Eribon est l'auteur d'une quinzaine de livres, dans les domaines de la philosophie, de la sociologie et de l'histoire des idées, parmi lesquels une biographie qui fit date de Michel Foucault en 1989 (vingt traductions) suivie en 1994 de Michel Foucault et ses contemporains, et en 1999 de Réflexions sur la question gay (Insult and the Making of the Gay Self, dans sa version anglaise), devenu une référence des études de genre [réf. nécessaire], des Gay and Lesbian Studies et de la théorie Queer, et, plus généralement, de ce qu'on appelle dans le monde anglo-saxon la critical theory. Ses travaux dans ce domaine lui valent d'être le lauréat 2008 du prestigieux James Robert Brudner Memorial Prize, décerné chaque année par l'université Yale pour couronner une « contribution éminente, à l'échelle internationale, dans le champ des études gays et lesbiennes ». C'est la première fois qu'un auteur non américain obtient cette récompense[18]. Il renvoie cependant le prix en mai 2011 pour protester contre son attribution pour l'année 2011-2012 à un auteur américain qu'il accuse d'avoir « honteusement plagié » ses livres, et notamment Une morale du minoritaire[19],[20].

Ses livres sont également consacrés à la littérature (Gide, Proust, Jouhandeau, Genet), à une relecture de l'héritage intellectuel des années 1970 (Deleuze et Guattari, Foucault…) et, à travers une explication avec toutes ces œuvres, ou encore avec celles de Bourdieu (dont il fut un interlocuteur intellectuel) et de Derrida, mais aussi avec celle de Sartre, à laquelle il se réfère abondamment, à une réflexion sur les mécanismes de pouvoir qui assurent la perpétuation de la normativité et des formes d'assujettissement. Il propose ainsi une analyse historique et sociale de la formation des « sujets » sociaux, individus et groupes.

Dans Réflexions sur la question gay, dont la première partie[21] offre une sociologie de la domination et des identités, il insiste notamment sur l'injure et son caractère constitutif de la subjectivité des individus stigmatisés. Contrairement à la pensée néo-kantiennes du sujet « autonome » et désinséré de ses inscriptions sociales, il montre qu'un individu est toujours façonné par la place qui lui est assignée par l'ordre social – ou par l'ordre sexuel –, ce qui se traduit dans les trajectoires individuelles (migration vers la grande ville, éloignement de la famille, choix des études et des professions, réseaux de sociabilité…). La liberté ne peut donc se conquérir qu'en reformulant et réinventant la subjectivité assujettie, le plus souvent, au travers des mobilisations collectives et des luttes « politiques », entendues d'ailleurs au sens large, et qui englobent aussi bien les mouvements sociaux et culturels que les batailles menées dans la littérature et dans la théorie. D'où l'intérêt qu'Eribon a ensuite porté au sentiment de la honte (ce qu'il a nommé, en détournant un mot de Lacan, une analyse « hontologique »). Ce qui l'a amené à mettre en question radicalement les présupposés idéologiques qui structurent souvent des discours qui se présentent comme des élaborations savantes : c'est dans cette perspective, par exemple, qu'il déconstruit la pensée psychanalytique, notamment lacanienne, à laquelle il s'efforce d'opposer, à partir de l'analyse de la subjectivité minoritaire, une conception sociologique de l'inconscient et une autre théorie du sujet. C'est le projet qu'il développe notamment dans son ouvrage de 2001, Une morale du minoritaire.

En 2015, il publie Théories de la littérature. Système du genre et verdicts sexuels, version largement développée d'une conférence prononcée à la Sorbonne.

Son livre Échapper à la psychanalyse (2005) a suscité de nombreux débats. Il a poursuivi son dialogue critique avec la psychanalyse lors de colloques ou conférences devant des associations psychanalytiques, comme ce fut le cas à l'École de la cause freudienne, où il eut un échange avec Judith Miller, fille de Lacan[22].

En 2016, il republie ce livre dans une version augmentée, en lui adjoignant, au sein d'un recueil d'essais, plusieurs textes d'articles et préfaces, parus entre 2001 et 2014 : Écrits sur la psychanalyse.

Poursuivant sa réflexion théorique, il publie en 2016 un ouvrage intitulé Principes d'une pensée critique

Ce recueil réunit une série d'essais qui reviennent sur la démarche de « l'auto-analyse », sur la question des « transfuges de classe », sur la sociologie des mouvements sociaux et politiques et sur la constitution des « groupes ». Selon les Inrocks, « Une vraie pensée critique, telle que l’a modélisée la philosophie des années 1960-70, développe surtout un rapport conflictuel aux normes. Toute l’œuvre du sociologue et philosophe Didier Eribon, de Réflexions sur la question gay à Une morale du minoritaire, de Retour à Reims à La Société comme verdict, s’inscrit dans cette tradition intellectuelle foisonnante, critique dès lors qu’elle aspire à s’extraire des formes de la domination et à inventer ses propres chemins libérateurs »[23].

Un intellectuel engagé modifier

Se réclamant de la tradition de la « pensée critique » (notamment celle des années 1960 et 1970), Didier Eribon s'oppose avec fermeté à la restauration conservatrice qui caractérise selon lui les années 1980 et 1990 en France et aux dérives néo-réactionnaires qu'il analyse dans son livre D'une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française (2007). Dans cet ouvrage, qu'il présente comme « une intervention radicale dans le champ de la philosophie politique », il réfléchit à ce qui définit la gauche et surtout la pensée de gauche. Selon lui, celle-ci n'est pas caractérisée par un ensemble de concepts, de notions ou même de problèmes qui lui seraient propres (il analyse par exemple comment la notion d'« intérêt général » a pu être utilisée par des penseurs très différents et aux options politiques contraires), mais plutôt par une manière de poser les problèmes et par un point de vue sur le monde social dont l'objectif est toujours et a toujours été de décrypter les mécanismes de pouvoir et de domination dissimulés dans ce qui se présente comme neutre ou fondé en nature, en raison ou en droit. Il s'agit donc pour lui d'affirmer un « éthos » rétif[évasif], toujours ouvert à l'événement et à l'avenir. Ce livre peut aussi se lire comme une réflexion sur la figure de l'intellectuel et sur ses rapports aux mouvements sociaux d'un côté et aux gouvernements et à l’État de l'autre : pour Eribon, la fonction du travail intellectuel est d'assurer une médiation entre la critique radicale des institutions et les possibilités de réformes concrètes de celles-ci.

Eribon est intervenu également de manière plus directe dans l'arène politique, en soutenant les mouvements de contestation de l'ordre établi (selon une logique du « tohu-bohu »), et notamment les mouvements qui militent en faveur des droits des gays, des lesbiennes et des transgenres. Il a ainsi été à l'origine, avec un petit groupe de juristes, avocats, universitaires et militants associatifs du « Manifeste pour l'égalité des droits »[24] qui a conduit à la tentative du premier mariage homosexuel en France, à Bègles, en 2004 par le député-maire Vert Noël Mamère. Cependant, il a toujours insisté sur le fait que le droit au mariage pour les couples de même sexe, revendiqué au nom de l'égalité des droits, n'était, à ses yeux, qu'un aspect d'un processus beaucoup plus large, et en grande partie imprévisible, d'invention et de création de nouveaux droits[25].

Il est signataire en octobre 2015 de l'« appel des 800 » en faveur d'un accueil des migrants plus respectueux des droits humains et il participe à la conférence de presse organisée à cette occasion au Louxor, à Paris, aux côtés de Laurent Cantet, Arnaud Desplechin, Catherine Corsini, Rachida Brakni et de plusieurs autres cinéastes, artistes et intellectuels[26].

En juin 2015, lors d'une conférence à Buenos-Aires, puis en octobre 2015 lors d'une conférence à Valencia, en Espagne, il prononce des conférences sur les « catégories de la politique » dans lesquelles il réfléchit sur l'avenir de la gauche et engage une discussion critique avec les notions élaborées par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, dont les écrits fournissent au parti espagnol Podemos ses références théoriques[27],[28].

Depuis plusieurs années, Didier Eribon est l'un des principaux intellectuels qui apportent leur soutien à Jean-Luc Mélenchon[29]. En 2017, Didier Eribon soutient publiquement la candidature de Jean-Luc Mélenchon et appelle à voter pour lui[30]. Il est également proche de l'ancien député EELV, puis France insoumise, Sergio Coronado[29].

Retour à Reims modifier

En 2009, il publie Retour à Reims, qu'il décrit comme une auto-analyse, dans lequel il évoque le milieu ouvrier de son enfance et s’interroge sur les identités sociales et sur les trajectoires des transfuges de classe. Cet ouvrage a été salué notamment par Annie Ernaux dans un compte rendu chaleureux paru dans Le Nouvel Observateur[31] et a marqué un tournant dans le travail de Didier Eribon, sur lequel il s'explique dans un recueil d'entretiens Retours sur Retour à Reims.

Interrogé par le mensuel littéraire Le Matricule des anges sur le rapport de Retour à Reims à la littérature, il répond qu'il s'agit avant tout à ses yeux d'un livre de réflexion théorique, et il déclare :

« Je crois que la force transformatrice de la théorie est potentiellement plus grande que celle de la littérature, dans la mesure où, en changeant la perception du monde social, la théorie peut opérer des effets dans la réalité elle-même qui est souvent façonnée par ces perceptions[32]. »

La traduction anglaise de ce livre, Returning to Reims (Penguin Books) a reçu le Jake Ryan Award, décerné par la Working-Class Studies Association.

Retour à Reims a marqué de nombreux lecteurs en France et à l'étranger : c'est après l'avoir lu qu'Édouard Louis entreprend d'écrire son roman En finir avec Eddy Bellegueule (Seuil, 2014), qu'il dédie « À Didier Eribon ». Le cinéaste Régis Sauder rend également un hommage explicite à l'ouvrage de Didier Eribon, en intitulant son film documentaire sur sa ville natale dans Retour à Forbach.

Jean-Gabriel Périot signe en 2021 un long métrage intitulé Retour à Reims (Fragments) d'après l'ouvrage de Didier Eribon et avec la voix d’Adèle Haenel. Le film est sélectionné au Festival de Cannes 2021 (Quinzaine des réalisateurs)[33]. Ce film est composé d'images d’archives de diverses natures. Le réalisateur a cherché à élargir le propos du livre, il associe une variété de représentations de l’histoire ouvrière du courant des années 1950 à nos jours[34]. Ce film a été couronné par le César du meilleur documentaire en 2023.

Théâtre modifier

Retour à Reims a fait l'objet d'une adaptation théâtrale par le metteur en scène Laurent Hatat, créée au Festival d'Avignon, en juillet 2014, avec Antoine Mathieu dans le rôle du fils, et Sylvie Debrun dans le rôle de la mère. Le spectacle a ensuite été repris à Lille au Théâtre de la Verrière, en janvier 2015, puis à Paris, à la Maison des Métallos, en février 2015[35], puis dans le cadre d'une tournée, de septembre 2015 à mai 2016, à travers la France.

Le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier donne une adaptation théâtrale de ce livre, qui est créée en anglais en juillet 2017 au Manchester International Festival[36] puis en septembre la même année en allemand à la Schaubühne à Berlin, avec dans les deux cas l'actrice Nina Hoss dans le rôle principal. Le spectacle est donné dans sa version anglaise à New York en février 2018. Ce même spectacle est créé en français en janvier 2019 au Théâtre de la Ville à Paris, puis en tournée en France, en Suisse et en Belgique. Dans cette pièce, une comédienne engagée (Irène Jacob) enregistre le commentaire d'un documentaire en cours de montage consacré à l'ouvrage Retour à Reims tandis que le réalisateur et le preneur de son s’affairent en régie dans un décor représentant un studio d'enregistrement. Le spectateur assiste à cette prise de son tout en visionnant le film sur grand écran, dans lequel on voit l’auteur Didier Eribon lui-même retourner sur les lieux de son enfance, rendre visite à sa mère et s'interroger sur les conditions de la classe ouvrière et sur la « question gay »[37],[38]. Une version italienne a été créée au Piccolo Teatro de Milan en octobre 2019, avec la comédienne Sonia Bergamasco.

En octobre 2017, c'est au tour du metteur en scène franco-belge Stéphane Arcas de présenter son adaptation du texte intitulée Retour à Reims, sur fond rouge au théâtre Varia à Bruxelles[39].

L'écrivain et metteur en scène Thomas Jonigk a créé de son côté une adaptation allemande au Schauspiel de Cologne, en janvier 2019.

Chanson modifier

Un autre livre de Didier Eribon a servi d'inspiration à une œuvre artistique : c'est après avoir lu Insult and the Making of the Gay Self (la version anglaise de Réflexions sur la question gay) que la chanteuse chilienne Francisca Valenzuela a écrit sa chanson Insulto qui figure sur son album Tajo abierto (2014) et qui a rencontré un considérable écho en Amérique latine[40].

La Société comme verdict modifier

Après Retour à Reims, livre de sciences sociales qui a rencontré un très grand écho à l'échelle internationale, Didier Eribon publie en 2013 La Société comme verdict qui présente la « face théorique » de son ouvrage précédent comme l'écrit le critique de Politis[41]. Il y décrit la manière dont les « verdicts sociaux » s'emparent des individus et façonnent leurs vies, et comment toute théorie et toute politique de l'émancipation doit passer par une analyse de ces « déterminismes » liés aux structures de classe, de genre, de sexualité, de race, etc.

Dans ce livre, il poursuit et approfondit la réflexion engagée dans Retour à Reims sur les classes sociales, la culture, la mémoire et la réappropriation, etc. Dans cet ouvrage, il fait une place particulière à l'analyse des œuvres littéraires, dans leur contenu comme dans leur forme esthétique, considérées comme des espaces de pensée et d'analyse du monde social et des subjectivités. Il propose ainsi des relectures des œuvres de Claude Simon, Assia Djebar, Nathalie Sarraute, Édouard Glissant, Mahmoud Darwich, Paul Nizan, Thomas Bernhard ou encore Annie Ernaux (l'une des parties du livre est intitulée En lisant Ernaux).

Poursuivant sa réflexion théorique, il publie en 2016 un ouvrage intitulé Principes d'une pensée critique.

Vie, vieillesse et mort d'une femme du peuple modifier

Il publie en 2023 Vie, vieillesse et mort d'une femme du peuple aux Editions Flammarion. Selon Philosophie Magazine, « Relisant deux textes marquants sur la question – La Vieillesse de Simone de Beauvoir, La Solitude des mourants de Norbert Elias –, Eribon cherche à comprendre pourquoi les « vieillards » n’entrent pas dans le champ des théories politiques. »[42]. Selon Le Devoir, cet essai s'inscrit dans la suite de Retour à Reims. « Après Retour à Reims, un ouvrage aussi éclairant qu’émouvant, incontournable pour qui s’intéresse à la notion de transfuge de classe, le philosophe et sociologue français Didier Eribon est de retour sur le territoire de l’intime avec un essai dont l’écriture a été déclenchée par l’admission de sa mère en maison de retraite, un établissement où la dame de 87 ans va mourir seulement quelques semaines après son arrivée »[43].

Vie privée modifier

Didier Eribon est pacsé depuis 2003 à Geoffroy de Lagasnerie dont il est le compagnon depuis 2001[44]. Il entretient, par ailleurs, un intense lien affectif avec Edouard Louis depuis les années 2010[45].

Distinctions modifier

Prix modifier

  • 1989 : prix Aujourd'hui
  • 2008 : Brudner Prize (en) (rendu en 2011)
  • 2019 : Jake Ryan Book Award, Working-Class Studies Association

Récompenses académiques modifier

Décorations modifier

Bibliographie modifier

Œuvres principales modifier

Dialogues modifier

Ouvrages collectifs modifier

Direction d'ouvrage modifier

  • Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (dir.), Paris, Larousse, 2003
  • Actes de colloques internationaux :
    • Les études gays et lesbiennes : actes du colloque des 21 et 27 juin 1997 (dir.), Paris, Éditions du Centre Georges Pompidou, 1998
    • L'infréquentable Michel Foucault : renouveaux de la pensée critique : actes du colloque du Centre Georges Pompidou (dir.), 21-22 juin 2000, EPEL, 2001
    • Foucault aujourd'hui : actes des neuvièmes rencontres INA-Sorbonne, 27 novembre 2004 (dir. avec Roger Chartier), Paris, L'Harmattan, 2006

Participation modifier

Traductions modifier

  • David Halperin, Saint Foucault, Paris, EPEL, 2001
  • George Chauncey, Gay New York, 1890-1940, Paris, Fayard, 2003.
  • Michael Lucey, Les ratés de la famille : Balzac et les formes sociales de la sexualité, Paris, Fayard, 2008.

Notes et références modifier

  1. Gilles Renault, « «Retour à Reims», terre d’exil », sur Libération (consulté le ).
  2. Joseph Jurt, « Portrait de Didier Eribon » [Revue lendemain] (consulté le ).
  3. « Préface à l’édition française », sur Cairn (consulté le ).
  4. HOMO, FILS DE PROLO : LE DILEMME DE DIDIER ERIBON, barbieturix.com, 3 mars 2015.
  5. « Didier Eribon: «Fils d'ouvrier, je suis le fruit d'un miracle social» », Le Temps,‎ (ISSN 1423-3967, lire en ligne, consulté le )
  6. « Didier Eribon et le scandale des Ehpad : “Je veux transformer la plainte individuelle de ma mère en une plainte politique” », sur telerama.fr, (consulté le ).
  7. Eribon, Didier., Retour à Reims, Paris, Fayard, , 247 p. (ISBN 978-2-213-63834-8 et 2213638349, OCLC 451095832).
  8. Didier Eribon. Enfant gay, enfant d’ouvrier, entretien, regards.fr, 1er octobre 2009.
  9. Didier Eribon, Retour à Reims, Benoit Ladouceur, lectures.revues.org, Les comptes rendus, 2010, mis en ligne le 11 janvier 2010.
  10. Geoffroy de Lagasnerie, « Pierre Bourdieu, fondateur des études de genre en France », Club de Mediapart,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  11. Éditions du centre Georges Pompidou, 1998.
  12. Bruno Perreau, « Préface à l’édition française », dans Bruno Perreau, Qui a peur de la théorie queer ?, Paris, Presses de Sciences Po, (lire en ligne), p. 5-12.
  13. Sylvie Chaperon, « L'histoire contemporaine des sexualités en France », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, no 75,‎ , p. 47-59 (lire en ligne, consulté le ).
  14. SUDOC 118399098.
  15. Bruno Rieth, Kévin Boucaud-Victoire et Paul Conge, « Didier Eribon et Eric Fassin, de profs d'université à censeurs », Marianne,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  16. (es) « Didier Eribon, el presente », sur Espacio Murena.
  17. « Site personnel de Didier Eribon : Résultats de recherche pour “école doctorale” » (consulté le ).
  18. Parmi les lauréats des années précédentes figurent Eve Kosofsky Sedgwick, Judith Butler
  19. « I RETURN THE BRUDNER PRIZE » (consulté le ).
  20. « Affaire de plagiat: Didier Eribon rend son Brudner Prize », sur Bibliobs, (consulté le ).
  21. S'appuyant sur des sociologues comme Goffman, Bourdieu, Pollack ou des historiens comme George Chauncey ou Joan W. Scott…
  22. (en) Didier Eribon, « Réponses et principes », French Cultural Studies, vol. 23, no 2,‎ , p. 151–164 (ISSN 0957-1558 et 1740-2352, DOI 10.1177/0957155812440387, lire en ligne, consulté le )
  23. « Didier Eribon expose ses “Principes d’une pensée critique” | Les Inrocks », sur lesinrocks.com (consulté le ).
  24. Daniel Borrillo et Didier Eribon, « Manifeste pour l'Égalité des droits », Le Monde,‎ .
  25. Reconnaissance de différentes formes d'arrangements familiaux, sexuels, affectifs, amicaux, etc., tels que ceux qui, par exemple, étaient contenus dans les premières versions du Pacs : ainsi, la possibilité pour deux amis – notamment deux personnes âgées – de faire reconnaître leurs liens de solidarité.
  26. « Jungle de Calais : l'appel des 800 », sur Libération.fr, (consulté le ).
  27. (es) « Con público masivo, Buenos Aires estrenó su Noche de la Filosofía », sur revistaenie.clarin.com (consulté le ).
  28. (es) « Conferencia Prof. Diddier Eribon: "¿Qué puede un movimiento social? Reflexiones sobre las categorías de la política" », sur mpfcuv.wordpress.com (consulté le ).
  29. a et b « Édouard Louis : la vie avec ses frères d’armes et d’esprit », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  30. « Demain, je voterai pour Jean-Luc Mélenchon », sur didiereribon.blogspot.fr (consulté le ).
  31. Annie Ernaux, « Fils de la honte », Le Nouvel Observateur,‎ (lire en ligne).
  32. Entretien réalisé par Martine Laval, Le Matricule des anges, juillet-août 2013.
  33. Thibault Lucia, « Cannes 2021 : la Quinzaine dévoile sa sélection, avec “Retour à Reims (Fragments)” en lice », Les Inrocks,‎ (lire en ligne).
  34. François Ekchajzer, « “Retour à Reims (fragments)” : les voix des fils d’ouvriers résonnent à Cannes », Télérama,‎ (lire en ligne).
  35. Gilles Renault, « Retour à Reims, terre d’exil », sur Libération.fr, .
  36. Voir sur mif.co.uk.
  37. « Retour à Reims », sur theatredelaville-paris.com, (consulté le ).
  38. Fabienne Pascaud, « Avec Retour à Reims, Thomas Ostermeier réinvente le théâtre politique », Télérama,‎ (lire en ligne).
  39. « Retour à Reims, sur fond rouge | Théâtre Varia »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur varia.be (consulté le ).
  40. (es) « Francisca Valenzuela contra la discriminación », sur Indie Rocks!, (consulté le ).
  41. « La Société comme verdict, de Didier Eribon : Écrire le monde des ouvriers », article de Christophe Kantcheff, 18 juillet 2013.
  42. philomag, Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple | Philosophie magazine, (lire en ligne)
  43. Christian Saint-Pierre, « «Vie, mort et vieillesse d’une femme du peuple», Didier Eribon », sur Le Devoir, (consulté le ).
  44. « Geoffroy de Lagasnerie : l’incroyable légèreté de "Libé" », sur tetu.com (consulté le ).
  45. « L’amitié, c’est mieux à 3, pour Geoffroy de Lagasnerie (et Didier Éribon, et Édouard Louis) - Les Inrocks », sur lesinrocks.com (consulté le ).
  46. Arrêté du 9 juillet 2013 portant nomination et promotion dans l'ordre des Arts et des Lettres.
  47. L'ouvrage et son sommaire, sur le site de l'éditeur, PUF.

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier

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