Cognition motrice

concept selon lequel la connaissance se traduit essentiellement dans l'action

Le concept de cognition motrice traduit l'idée que la cognition se traduit essentiellement dans l'action, et que le système moteur pyramidal participe donc à ce qui est habituellement considéré comme des processus cognitifs, y compris ceux impliqués dans les interactions sociales[1].

Dans le paradigme de la cognition motrice, l'entité centrale est l'action, définie comme : une suite de mouvements, produits à travers un « objectif moteur » spécifique, pour répondre à une intention, ou en réaction à un événement significatif survenant dans l'environnement physique ou social. La cognition motrice étudie chez l'individu tant la préparation que la production de ces actions, ainsi que les processus qui interviennent pour reconnaître, prédire, reproduire ou comprendre les actions d'autres individus.

Ces dernières années, l'application de ce paradigme a fait l'objet d'un grand intérêt et de succès expérimentaux dans toute une série de domaines de recherche, notamment en psychologie du développement, dans les neurosciences cognitives ou encore en psychologie sociale.

Lien entre action et perception modifier

Approche fonctionnelle modifier

L'idée qu'il peut y avoir une continuité entre les différents aspects de la cognition motrice n'est pas récente. On peut en retrouver la trace jusque dans les travaux du psychologue américain William James, et plus récemment dans ceux du neurophysiologiste américain Roger Sperry, prix Nobel de médecine.

Sperry souligne que le cycle perception-action est la logique fondamentale du système nerveux[2]. Les processus de perception et d'action sont en effet fondamentalement imbriqués : la perception a pour fonction de permettre une action, et l'action a pour fonction d'obtenir une certaine perception. On peut dire que le cerveau des vertébrés a évolué pour réguler des activités motrices, sa fonction essentielle étant d'identifier des schémas dans la perception sensorielle pour les traduire par des schémas de coordination motrice.

Théorie de la représentation commune modifier

À partir du début du XXIe siècle, les domaines de la psychologie du développement, des neurosciences cognitives ou de la psychologie sociale apportent de plus en plus de preuves expérimentales de ce que la perception et l'action s'appuient non seulement sur les mêmes traitements de l'information mais également sur les mêmes structures neuronales sous-jacentes.

Ces données expérimentales ont été rassemblées dans la théorie de la représentation partagée, par Wolfgang Prinz et ses collègues de l'Institut Max-Planck de neurologie et des sciences cognitives de Leipzig[3].

Pour cette théorie, perception et action sont deux volets d'une même réalité. Son hypothèse centrale est que la représentation interne d'une action se fait à partir des effets perceptibles qu'elle est susceptible de générer sous forme d'évènements perceptifs extérieurs[4].

  • Le fait d'exécuter un mouvement génère en effet une association bidirectionnelle de corrélation entre le schéma moteur qui l'a engendré et le schéma de perception sensorielle qui en est résulté.
  • Une telle association causale peut fonctionner à l'inverse dans le sens téléologique, un schéma moteur étant évoqué et activé par l'anticipation de son schéma d'effet, choisi parmi les schémas de devenir possibles anticipés à partir de l'image mentale actuelle.
  • De même, lorsque le sujet observe un autre acteur effectuer une action, le schéma de perception sensorielle, activé cette fois par le déroulement effectif de l'action, réactive cette même représentation interne associant perception et action, permettant au sujet de comprendre la scène comme mettant en œuvre « la même » action que la sienne propre (laquelle est alors évoquée, mais sa réalisation reste normalement inhibée).

Base neuronale : neurones miroirs modifier

La découverte de « neurones miroirs » dans le cortex prémoteur ventral et pariétal du macaque apporte la preuve neuropsychologique de cette association directe entre la perception et l'exécution d'une action : ces neurones sont activés aussi bien lorsque le singe exécute une action visant un but donné que lorsqu'il observe une action identique effectuée par un congénère[5]. Un autre exemple montrant cette association directe est la facilité avec laquelle, dans des expériences de mimétisme verbal, un sujet peut répéter en temps réel les mots qu'il entend dans des écouteurs[6].

Chez l'être humain, l'identité de l'activation neuronale qui résulte de la simple observation d'une action et de son exécution est bien documentée. Des études d'imagerie neurofonctionnelle, réalisées par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, par tomographie par émission de positons ou par magnetoencephalographie, ont démontré l'existence d'un mécanisme de résonance peut être observé dans le cortex prémoteur et le cortex pariétal lorsqu'un sujet observe ou exécute une action dirigée vers un but[7],[8]. Ce mécanisme paraît être inné, ou du moins est fonctionnel très tôt dans le développement neurologique[9],[10]

Conséquences d'une représentation commune modifier

Représentation partagée entre individus modifier

La théorie de la représentation commune implique également que la perception d'une action extérieure active la représentation interne des actions, l'action étant d'autant plus activée qu'elle est similaire à celle observée[11]. À ce titre, ces représentations sont donc partagées entre individus. Autrement dit, le « sens » d'un objet, d'une action ou d'une situation sociale peut être commun à plusieurs individus, en tant qu'il active des schémas analogues d'activités neurologiques dans leurs cerveaux respectifs[12]. Un grand nombre d'études comportementalistes et neurophysiologiques démontrent que la perception et l'action ont une représentation interne commune, et que cela conduit à une représentation partagée entre individus, conduisant à divers phénomènes comme la contagion émotionnelle, l'empathie, la facilitation sociale, ou la compréhension de la pensée d'autrui[13].

Certains auteurs soulignent en outre que cette théorie de la « cognition motrice », associant les schémas de perception et d'action, conduit à une nouvelle approche de l'origine, tant phylogénétique que ontogénétique, de la compréhension des actions, à partir de l'origine de la maîtrise du système moteur : ce mécanisme de cognition motrice donne aussi bien aux hommes qu'aux primates non humains une capacité directe et préréflexive de « comprendre » une action animale, dès lors qu'elle trouve une correspondance dans leur propre catalogue d'action[14].

Notes et références modifier

  1. (en) JA. Sommerville et J. Decety, « Weaving the fabric of social interaction: articulating developmental psychology and cognitive neuroscience in the domain of motor cognition. », Psychonomic Bulletin & Review, vol. 13, no 2,‎ , p. 179–200 (PMID 16892982, DOI 10.3758/BF03193831)
  2. (en) R.W. Sperry, « Neurology and the mind-brain problem », American Scientist, vol. 40,‎ , p. 291–312
  3. (en) W. Prinz, « Perception and action planning », European Journal of Cognitive Psychology, vol. 9,‎ , p. 129–154 (DOI 10.1080/713752551)
  4. (en) B. Hommel, J. Müsseler, G. Aschersleben et W. Prinz, « The Theory of Event Coding (TEC): a framework for perception and action planning. », Behavioral and Brain Sciences, vol. 24, no 5,‎ , p. 849-78; discussion 878-937 (PMID 12239891, DOI 10.1017/s0140525x01000103)
  5. (en) G. Rizzolatti et L. Craighero, « The mirror-neuron system. », Annual Review of Neuroscience, vol. 27,‎ , p. 169–92 (PMID 15217330, DOI 10.1146/annurev.neuro.27.070203.144230).
  6. (en) W. Marslen-Wilson, « Linguistic structure and speech shadowing at very short latencies. », Nature, vol. 244, no 5417,‎ , p. 522–3 (PMID 4621131, DOI 10.1038/244522a0).
  7. (en) J. Grèzes, J. L. Armony, J. Rowe et R. E. Passingham, « Activations related to "mirror" and "canonical" neuron in the human brain: an fMRI study », NeuroImage, vol. 18,‎ , p. 928–937 (DOI 10.1016/s1053-8119(03)00042-9).
  8. (en) F. Hamzei, M. Rijntjes, C. Dettmers, V. Glauche, C. Weiller et C. Büchel, « The human action recognition system and its relationship to Broca's area: an fMRI study », NeuroImage, vol. 19,‎ , p. 637–644 (DOI 10.1016/s1053-8119(03)00087-9).
  9. (en) JA. Sommerville, AL. Woodward et A. Needham, « Action experience alters 3-month-old infants' perception of others' actions. », Cognition, vol. 96, no 1,‎ , B1-11 (PMID 15833301, PMCID 3908452, DOI 10.1016/j.cognition.2004.07.004).
  10. (en) P. Nystrom, « The infant mirror neuron system studied with high density EEG », Social Neuroscience, vol. 3,‎ , p. 334–347 (DOI 10.1080/17470910701563665).
  11. (en) G. Knoblich et R. Flach, « Predicting the effects of actions: interactions of perception and action », Psychological Science, vol. 12,‎ , p. 467–472 (DOI 10.1111/1467-9280.00387)
  12. (en) J. Decety et JA. Sommerville, « Shared representations between self and other: a social cognitive neuroscience view. », Trends in Cognitive Science, vol. 7, no 12,‎ , p. 527–33 (PMID 14643368, DOI 10.1016/j.tics.2003.10.004)
  13. (en) S.J. Blakemore et C.D. Frith, « The role of motor contagion in the prediction of action », Neuropsychologia, vol. 43,‎ , p. 260–267 (DOI 10.1016/j.neuropsychologia.2004.11.012)
  14. (en) V. Gallese, M. Rochat, G. Cossu et C. Sinigaglia, « Motor cognition and its role in the phylogeny and ontogeny of action understanding. », Developmental Psychology, vol. 45, no 1,‎ , p. 103–13 (PMID 19209994, DOI 10.1037/a0014436)