Comprehensive Accounting in Respect of Ecology

La Comprehensive Accounting in Respect of Ecology (CARE) (anciennement "Comptabilité Adaptée au Renouvellement de l'Environnement") est un cadre conceptuel comptable, et plus largement une théorie socio-économique, décliné en une méthode comptable, reposant sur une prise en compte particulière des enjeux écologiques conjointement aux enjeux financiers. Le projet global CARE renvoie donc à ces trois niveaux de compréhension: théorie/modèle socio-économique et organisationnel, cadre conceptuel/modèle comptable et méthodologie (Description précise des axes du projet CARE).

Il s'agit ainsi de faire évoluer la comptabilité (incluant les plans de comptes, tableaux de bord, bilans et comptes de résultats), l'analyse des performances, les modèles, ainsi que l'économie des organisations, pour y inscrire l'obligation de préserver chaque entité naturelle ou humaine (être humain), reconnue comme capitale - les capitaux extra-financiers au sens de CARE - et employée par les organisations, et cela, conjointement à l'obligation de préservation/protection du capital financier[1]. Ainsi, en conséquence, à titre d'exemple, selon CARE, une entreprise ne peut calculer son profit qu'une fois garanti le "remboursement" de sa dette écologique envers ses capitaux naturels et humains, comme elle le fait déjà pour ses capitaux financiers[2].

CARE est donc une comptabilité intégrée, multi-capitaux. Néanmoins, le terme "capital" est employé par ce système comptable dans un sens spécifique, comptable et non économique[3],[4]. CARE constitue dès lors le seul exemple de cadre conceptuel comptable intégré doté de cette vision du capital pour les enjeux écologiques.

CARE est développé scientifiquement par la Chaire Comptabilité Ecologique, qui fédère les projets de recherche associés. La communauté d'acteurs (professionnels, ONG, etc.) en lien avec CARE est quant à elle fédérée par l'association CERCES (Cercle des comptables environnementaux et sociaux), qui regroupe notamment les ressources concernant le développement de ce projet comptable[5] .

Cette compréhension et conception de la comptabilité a été inspirée et impulsée par les travaux de Jacques Richard, professeur émérite à l'Université Paris-Dauphine[6],[7]. CARE a ensuite été cofondé avec Hervé Gbego et Alexandre Rambaud[8],[9].

La communauté autour de CARE donne par ailleurs lieu à plusieurs projets rattachés[10],[11],[12].

Structure du modèle CARE modifier

CARE est introduit initialement dans l'ouvrage "Comptabilité et Développement Durable" et est théorisé dès 2015 (sous l'appellation CARE/TDL - TDL signifiant "Triple Depreciation Line", par opposition à l'approche en Triple Bottom Line)[13],[14].

La théorie sur laquelle repose CARE provient de plusieurs analyses scientifiques, que ce soit sur la structure de la comptabilité financière ou sur les modèles économiques et comptables couplant enjeux financiers et non-financiers, en s’appuyant sur les modélisations bio-économiques et les sciences écologiques.

Par ailleurs, le terme "écologie" utilisé dans l'acronyme de CARE correspond à son sens "premier", qu’on peut définir ainsi : "la science globale des relations des organismes [incluant humains et non-humains] avec le monde extérieur environnant, dans lequel nous incluons au sens large toutes les conditions d’existence [et de cohabitations]"[15]. Cela implique donc un couplage entre social et naturel.

Trois observations sont ainsi à l'origine de CARE:

  • La notion de "capital" est, historiquement et en comptabilité "classique" (comptabilité dite en "coûts" au cœur par exemple des normes comptables d'Europe Continentale), une dette et non un ensemble d’actifs, contrairement à la vision du capital en économie et en comptabilité dite en "valeurs" (base des normes comptables IFRS)[16]. La comptabilité "classique" est ainsi conceptuellement fondée sur le suivi des avances financières faites à l’organisation (par les actionnaires, les banques, les fournisseurs, etc.) au travers de leurs emplois et consommations dans le cycle d'exploitation de l’organisation ainsi que sur la garantie de remboursement, à terme, de ces avances: ces dernières constituent l'ensemble du capital financier de l’organisation, qui représente donc l'ensemble des dettes de l’organisation[3],[17].
  • Les comptabilités en "valeurs" (de marché) favorisent les actionnaires/propriétaires au détriment des autres parties prenantes[18].
  • Les modèles comptables basés sur une approche néoclassique, fondée sur la "valeur" créée par la nature et les êtres humains (englobant les approches par services écosystémiques, bénéfices rendus par la nature et les êtres humains, internalisation des externalités, soutenabilité comme création de valeur, capital immatériel, etc.), sont, dans de nombreuses situations et selon plusieurs modélisations incompatibles avec des enjeux de préservation écologique sur base scientifique et collectivement acceptée[19],[20],[21],[22],[23].

En conséquence, CARE a été défini comme un cadre conceptuel comptable, rejetant les approches par la "valeur" (et donc les notions d'externalités, de "juste valeur", de capital au sens économique du terme, etc.) et explorant scientifiquement la convergence entre comptabilité "classique" et enjeux de préservation écologiques, afin de redéfinir l'architecture interne des organisations pour tenter de l'aligner sur les enjeux écologiques[4]. CARE est donc une sorte de langage qui permet de conceptualiser une pensée intégrée au niveau des organisations.

Concrètement, CARE étend déjà la définition du capital financier comme avance/dette aux enjeux non financiers.

Définition des capitaux au sens de CARE: un capital est une "entité" (matérielle ou non, humaine ou non), employée et consommée (par l’organisation) dans son modèle organisationnel, dont l’existence est indépendante de l’activité de l’organisation (notamment de son utilité/productivité), et reconnue comme devant être préservée. Un capital est une "entité capitale", source de préoccupations.

CARE repose ensuite sur une extension systématisée du suivi des emplois/consommations, dans l’activité de l’organisation, de ces capitaux ainsi que de la garantie de leur "remboursement" (préservation) à termes, impliquant la mise en place de comptabilités biophysiques, de tableaux de bords, etc. adaptés. CARE s’inscrit dans la soutenabilité forte écologique[24]. Ainsi chaque entité "capitale", humaine ou non (biodiversité, climat, forêt donnée, employé-e, etc.), doit être préservée dans son intégrité, une à une.

CARE conduit à la restructuration du modèle organisationnel: pour exploiter les entités capitales et ainsi créer de la valeur, CARE amène à s’interroger dès l’amont à la manière de préserver les capitaux utilisés pour cette création de valeur. À côté de la fonction organisationnelle "d’exploitation" est ainsi mise en évidence une fonction "de préservation".

Dans ces conditions, CARE est aussi conçu et développé (notamment au niveau de la recherche) comme une théorie socio-économique particulière, caractérisée:

  • par une redéfinition de l’économie à travers ses systèmes comptables (organisationnels, nationaux, écosystémiques, etc.) – renouant ainsi avec une tradition de l’économie comme "mode d’administration d’un ‘foyer’ commun" (étymologie du terme "économie") par le biais d’outils de gestion qualitatifs et quantitatifs adaptés (les systèmes comptables);
  • dans cette optique, par une prise en compte de la notion de dette écologique et des conséquences socio-économiques de cette notion;
  • par une représentation de l’économie sous la forme de flux dynamiques de capitaux monétaires et écologiques (biophysiques, humains, etc.) (extension de la partie double à l’économie), évalués à leur coût de préservation;
  • par une nécessaire définition collective et scientifique des capitaux non-financiers (écologiques);
  • par une évolution des modélisations macroéconomiques sur ces bases

Méthode CARE modifier

Opérationnellement, CARE est également une méthodologie, logiquement déduite de ce cadre conceptuel, divisée en 8 phases[25]. Cette méthodologie évolue dans le temps pour s’affiner (Version actuelle: V2) tout en restant cadrée par le cadre conceptuel.

Méthodologiquement, CARE restructure les tableaux de bord, les indicateurs, le modèle d’affaires, la compréhension de la création de valeur, du chiffre d’affaires et de la chaîne de valeur, le bilan/compte de résultat et les performances de l’organisation, articulant des comptabilités biophysiques et une comptabilité intégrée finale, connectée à la comptabilité financière de l’organisation.

Les capitaux sont appréhendés par la définition de bons états écologiques, de niveaux de travail décents, de préservation de l’intégrité des êtres humains employés, etc. sur base scientifique et collectivement acceptée[26].

Le but de la méthode CARE est d'apporter un gain informationnel et qualitatif concret sur les performances de l’organisation.

Actuellement, une trentaine de mises en œuvre ont été menées, principalement sous la forme de projets de recherche et de missions[27]. Les modalités de mise en œuvre de CARE, ainsi que leur déontologie, sont détaillées sur le site du CERCES[27].

Notes et références modifier

  1. Alexandre Rambaud, « CARE : repenser la comptabilité sur des bases écologiques », L'Économie politique,‎ (lire en ligne  )
  2. « CERCES | Comptabilité multicapitaux/Modèle CARE Intégrer écologie & organisation », sur Cerces (consulté le )
  3. a et b Jacques Richard et Alexandre Rambaud, Capital in the History of Accounting and Economic Thought, Routledge, (ISBN 978-1-003-19412-5, lire en ligne)
  4. a et b Alexandre Rambaud et Clément Feger, « Improving Nature's Visibility in Financial Accounting - CARE & ecosystem-centred accounting (Method 3) – Extended Version », sur Chaire Comptabilité Ecologique, (consulté le )
  5. « Projet CARE (Comprehensive Accounting in Respect of Ecology) », sur CERCES (consulté le )
  6. Jacques Richard et Alexandre Rambaud, Révolution comptable : pour une entreprise écologique et sociale, dl 2020 (ISBN 978-2-7082-5349-0 et 2-7082-5349-2, OCLC 1176148665, lire en ligne)
  7. « La révolution comptable avec Jacques Richard », sur France Culture, (consulté le )
  8. Chaire Comptabilité écologique, « Alexandre Rambaud », sur Chaire Comptabilité Ecologique, (consulté le )
  9. « Hervé GBEGO présente la méthode CARE _ Compta Durable sur BFM Business » (consulté le )
  10. « CARE - Lab-capital-naturel », sur lab-capital-naturel.fr, (consulté le )
  11. « La Comptabilité socio-environnementale », sur Fermes d'Avenir (consulté le )
  12. « Comptabilité et Communs », sur La Coop des Communs (consulté le )
  13. Jacques Richard, Comptabilité et développement durable, Économica, impr. 2012 (ISBN 978-2-7178-6146-4 et 2-7178-6146-7, OCLC 779747175, lire en ligne)
  14. (en) Alexandre Rambaud et Jacques Richard, « The “Triple Depreciation Line” instead of the “Triple Bottom Line”: Towards a genuine integrated reporting », Critical Perspectives on Accounting, vol. 33,‎ , p. 92–116 (ISSN 1045-2354, DOI 10.1016/j.cpa.2015.01.012, lire en ligne, consulté le )
  15. Robert Dajoz, Précis d'écologie, Dunod,
  16. Jacques Richard, Didier Bensadon et Alexandre Rambaud, Comptabilité financière : comptabilité écologique contre IFRS, normes IFRS internationales et françaises, perspectives critiques sur la comptabilité, dl 2018 (ISBN 978-2-10-077496-8 et 2-10-077496-4, OCLC 1057311412, lire en ligne)
  17. Christopher Nobes, « Accounting for capital: the evolution of an idea », Accounting and Business Research, vol. 45, no 4,‎ , p. 413–441 (ISSN 0001-4788, DOI 10.1080/00014788.2015.1033130, lire en ligne, consulté le )
  18. « Mission « Entreprise et intérêt général » : remise du rapport de Jean-Dominique Senard et Nicole Notat », sur www.economie.gouv.fr (consulté le )
  19. Alexandre Rambaud et Hugues Chenet, « How to re-conceptualise and re-integrate climate-related finance into society through ecological accounting? », Bankers, Markets & Investors,‎ (lire en ligne  , consulté le )
  20. David Pearce, « THE LIMITS OF COST-BENEFIT ANALYSIS AS A GUIDE TO ENVIRONMENTAL POLICY », Kyklos, vol. 29, no 1,‎ , p. 97–112 (ISSN 0023-5962 et 1467-6435, DOI 10.1111/j.1467-6435.1976.tb01962.x, lire en ligne, consulté le )
  21. (en) Colin W. Clark, « The Economics of Overexploitation: Severe depletion of renewable resources may result from high discount rates used by private exploiters. », Science, vol. 181, no 4100,‎ , p. 630–634 (ISSN 0036-8075 et 1095-9203, DOI 10.1126/science.181.4100.630, lire en ligne, consulté le )
  22. Godard Olivier, La pensée économique face à la question de l'environnement. (OCLC 711455383, lire en ligne)
  23. (en) « IFRS (IAS 41), Plantation and Sustainable Development », sur The Case Centre (consulté le )
  24. (en) Mickaele Le Ravalec, Alexandre Rambaud et Véronique Blum, « Taking climate change seriously: Time to credibly communicate on corporate climate performance », Ecological Economics, vol. 200,‎ , p. 107542 (ISSN 0921-8009, DOI 10.1016/j.ecolecon.2022.107542, lire en ligne, consulté le )
  25. « Méthode CARE (Comprehensive Accounting in Respect of Ecology) », sur CERCES (consulté le )
  26. « Définition du bon état écologique », sur DCSMM (consulté le )
  27. a et b « Expérimentations et Réalisations | CERCES », sur CERCES (consulté le )

Articles connexes modifier

Bibliographie modifier

  • Rambaud, A. (2022). CARE: repenser la comptabilité sur des bases écologiques. L'Economie politique, 93(1), 34-49.
  • Feger, C., & Mermet, L. (2021). Innovations comptables pour la biodiversité et les écosystèmes: une typologie axée sur l’exigence de résultat environnemental. Comptabilite Controle Audit, 27(1), 13-50.
  • Rambaud, A. & Feger, C. (2020). Improving Nature’s Visibility in Financial Accounting - CARE & ecosystem-centred accounting (Method 3) – Extended Version (rapport pour le "Capitals Coalition).
  • Rambaud, A., & Richard, J. (2021). Philosophie d'une écologie anticapitaliste: Pour un nouveau modèle de gestion écologique. Presses de l'Université Laval.
  • Feger C, Mermet L, Vira B, Addison PFE, Barker R, Birkin F, Burns J, Cooper S, Couvet D, Cuckston T, Daily GC, Dey C, Gallagher L, Hails R, Jollands S, Mace G, Mckenzie E, Milne M, Quattrone P, Rambaud A, Russell S, Santamaria M, Sutherland WJ. (2019). Four priorities for new links between conservation science and accounting research. Conservation Biology, 33(4), 972-975
  • Rambaud, A., & Richard, J. (2015). The “Triple Depreciation Line” instead of the “Triple Bottom Line”: towards a genuine integrated reporting. Critical Perspectives on Accounting, 33, 92-116.

Liens externes modifier