Bouclier humain

moyen militaire illégal

L'usage de boucliers humains au cours d'un conflit armé, souvent une guerre asymétrique, consiste à placer des otages, consentants ou non, en des lieux jugés stratégiques afin d'éviter leur bombardement. Elle peut aussi consister à dissimuler des combattants dans des zones civiles ou à faire marcher des soldats en plaçant devant eux les « boucliers humains ».

Human shield, carte postale de Sergey Solomko.

Statut légal modifier

L'usage de bouclier humain est devenu explicitement interdit depuis la quatrième Convention de Genève du , aux articles 28 et 49[1] :

« Article 28. Zones dangereuses - Aucune personne protégée ne pourra être utilisée pour mettre, par sa présence, certains points ou certaines régions à l'abri des opérations militaires[2]. »

« Article 49. Déportations, transferts, évacuations. La Puissance occupante ne pourra retenir les personnes protégées dans une région particulièrement exposée aux dangers de la guerre, sauf si la sécurité de la population ou d'impérieuses raisons militaires l'exigent[3]. »

Le recours aux boucliers humains est aussi interdit par le Protocole I, article 51.7[1] :

« 7. La présence ou les mouvements de la population civile ou de personnes civiles ne doivent pas être utilisés pour mettre certains points ou certaines zones à l'abri d'opérations militaires, notamment pour tenter de mettre des objectifs militaires à l'abri d'attaques ou de couvrir, favoriser ou gêner des opérations militaires. Les Parties au conflit ne doivent pas diriger les mouvements de la population civile ou des personnes civiles pour tenter de mettre des objectifs militaires à l'abri des attaques ou de couvrir des opérations militaires[4]. »

Et dans le Protocole II, article 5.2 c[1] :

« Personnes privées de liberté. Ceux qui sont responsables de l'internement ou de la détention des personnes visées au paragraphe 1 respecteront dans toute la mesure de leurs moyens les dispositions suivantes à l'égard de ces personnes :
c) les lieux d'internement et de détention ne seront pas situés à proximité de la zone de combat. Les personnes visées au paragraphe 1 seront évacuées lorsque les lieux où elles sont internées ou détenues deviennent particulièrement exposés aux dangers résultant du conflit armé, si leur évacuation peut s'effectuer dans des conditions suffisantes de sécurité[5]. »

L'interdiction fait aussi partie du droit international humanitaire coutumier[1].

Historique modifier

Période ancienne modifier

Dans les Caraïbes, le corsaire Henry Morgan et ses hommes utilisent des jésuites qu'ils venaient de capturer comme boucliers humains pour attaquer une place forte.

Lors de l'invasion britannique par le lac Champlain, de la Nouvelle-France en 1760, les troupes américano-britanniques utilisèrent un bouclier humain pour prendre le Fort de Chambly, sur la rivière Richelieu:

« Le jeudi au matin... un détachement est parti vers Chambly ; ils étaient environ un millier d'hommes commandés par le colonel Derby... Sans perdre de temps, un détachement se rend dans chaque maison pour y chercher les femmes et leurs enfants. On les conduit devant le fort pour former une muraille humaine devant les assiégeants. Aussitôt, les défenseurs cessent leurs tirs et regardent avec effarement le déroulement des événements. Dès que tout est mis en place, le brave Derby... donne l'ordre à ses hommes de faire feu au-dessus des têtes des otages. Lusignan... envoie un émissaire... (Derby répond) que s'ils ne se rendent pas immédiatement, il les soumettra tous (la garnison) par les armes »[6].

Quelques mois plus tard, toutes les troupes françaises de la Nouvelle-France quittent définitivement l'Amérique.

Première Guerre mondiale modifier

En 1914, lors de la bataille de Belgique l'armée impériale allemande utilise des civils belges comme bouclier humain, parmi d'autres crimes de guerre[7],[8].

Seconde Guerre mondiale modifier

  • Les 23 et , plusieurs centaines de civils sont utilisés comme « boucliers humains » dans le secteur de Beuvry les Béthune pour faire avancer les canons du 2e régiment d'artillerie SS Totenkopf sous le commandement du Stubaf Hermann Priess[9].
  • Le , plusieurs dizaines de prisonniers de guerre belges sont utilisés par l'armée allemande comme boucliers humains pour tenter de prendre le village de Vinkt (près de Deinze), quelques jours avant le massacre de Vinkt.
  • Au cours de l'insurrection de Varsovie, les forces allemandes utilisent les civils comme boucliers humains pour saper le moral des troupes polonaises.

Irak modifier

Bien que cette tactique ne soit pas nouvelle, elle a été utilisée de façon récente en Irak durant la première guerre du Golfe. Le , Saddam Hussein déclare que seront utilisés comme boucliers humains les « ressortissants de nations agressives ».

 
Les boucliers humains traversant la frontière d'Irak sont accueillis par les Irakiens.

Liban modifier

Au cours du conflit israélo-libanais de 2006, les forces de défense d'Israël accusent le Hezbollah d'utiliser des boucliers humains pour dissimuler ses hommes et justifie ainsi ses larges opérations au Sud Liban contre des villages civils.

Le Hezbollah nie se servir de bouclier humain et n'hésite pas à faire la comparaison avec les accusations américaines justifiant le massacre de civils vietnamiens lors de la guerre du Viêt Nam[réf. nécessaire].

Amnesty International et Human Rights Watch réfutent « l'utilisation de civils comme des boucliers humains par le Hezbollah » avancée par Israël ainsi que la présence de membres du Hezbollah ou la conduite d’activités militaires dans une zone civile[10][source insuffisante],[11][source insuffisante].

Territoires palestiniens occupés modifier

Les autorités israéliennes accusent le Hamas d'utiliser les civils comme boucliers humains en dissimulant son arsenal et ses centres opérationnels dans des hôpitaux, des mosquées ou des écoles et aussi en contraignant les populations à rester dans les secteurs qu'Israël informe préalablement qu'ils vont être attaqués.

Guerre de Gaza de 2014 modifier

Durant la guerre de Gaza en 2014 l'UNRWA, l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, a découvert des roquettes dans deux des écoles qu'elle administre. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a déclaré que « les responsables transforment les écoles en cibles militaires potentielles ». Des journalistes ont constaté que le Hamas tire bien des roquettes « près des maisons, ou dans des terrains vagues adjacents »[réf. nécessaire].

 
Carte de l'armée israélienne montrant la proximité d'un site de tir de missile Fajr 5 à des bâtiments civils dans le quartier Zeitoun de la ville de Gaza
 
Embouchure d'un tunnel servant à des attaques du Hamas construit dans un bâtiment civil. Les tunnels sont construits sous des habitations palestiniennes, et « pour cacher les travaux du tunnel aux services de renseignements israéliens, les entrées sont principalement situées au rez-de-chaussée des maisons, des mosquées, des écoles ou d'autres bâtiments publics »[12]

Selon Ban Ki-Moon et Israël, l'organisation Hamas lance des roquettes depuis des villes palestiniennes, et dans certains cas depuis des écoles[13].

Ainsi à la suite de la guerre de Gaza de 2014, Israël, rejette la responsabilité du nombre élevé de morts parmi les civils palestiniens sur le Hamas pour sa politique de bouclier humain[14]. Israël accuse les militants du Hamas de mettre la population palestinienne en danger et décrit en quoi cela consisterait[15]:

  • en intégrant leurs capacités militaires (armements, militants, etc.) et leurs opérations militaires dans des zones densément peuplées et dans des structures civiles;
  • en menant des hostilités dans un environnement civil;
  • en transformant des structures civiles ou leurs environs immédiats (dont des installations de l'ONU, des écoles, des hôpitaux, des mosquées, des bâtiments résidentiels) pour leurs activités armées comme « des sites de lancement de roquettes, des installations de stockage d'armes, des centres de commandement et de contrôle et pour des couvertures pour les entrées de tunnels »);
  • en se déguisant fréquemment en civils lors d'attaques;
  • en faisant passer des décès de militants en tant que civils pour de la propagande;
  • en installant dans des propriétés civiles et dans des zones résidentielles des dispositifs pièges et des engins explosifs improvisés;
  • en ordonnant aux civils de rester (ou de retourner) dans des sites ou des zones d'activités de l'armée israélienne (en encourageant verbalement par une campagne officielle de ne pas tenir compte des avertissements de l'armée israélienne ou par coercition physique);
  • en incitant les civils palestiniens à commettre des attentats;
  • en lançant imprudemment plus de 250 roquettes qui ont atterri à l'intérieur de la bande de Gaza (notamment sur l'hôpital Al-Shifa le 28 juillet) ainsi que sur la centrale électrique qui alimente la bande de Gaza (le 13 et le 15 juillet);
  • Et de plus Israël accuse le Hamas de porter atteinte aux secours humanitaires aux civils palestiniens : en attaquant les points de passages avec Israël et en restreignant les mouvements de personnes et de provisions; en rejetant les cessez-le-feu proposés pour les civils et en violant les cessez-le-feu acceptés ; en détournant des fonds et des biens matériels à destination des civils; en imposant des taxes sur les donations pour les civils et en investissant dans sa capacité militaire au détriment des civils.

En juillet 2014, l'Union Européenne déclare que « tous les groupes terroristes à Gaza doivent se désarmer » et que « L'UE condamne fermement les appels à la population civile de Gaza à s'offrir en boucliers humains ». Néanmoins, concernant l'opération militaire israélienne contre le Hamas à Shuja’iyya, l'UE se dit « particulièrement consternée par le coût humain »[16],[17].

La Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Navi Pillay, a condamné en juillet 2014 les groupes palestiniens de Gaza les accusant de violations du droit humanitaire international « en plaçant des roquettes dans des écoles et des hôpitaux et même en tirant ces roquettes de zones densément peuplées »[18].

Le dirigeant du Hamas, Khaled Mechaal, dément les accusations de bouclier humain contre son organisation dans une interview sur CNN en août 2014[19].

En Cisjordanie modifier

En 2004, la police aux frontières israélienne est accusée par des militants pro-palestiniens d'avoir « utilisé comme bouclier humain » un jeune garçon de treize, contre des jets de pierres durant une manifestation dans le village de Bidou en Cisjordanie[20] afin de dissuader ses camarades de continuer de lancer des pierres sur leur véhicule selon leur hypothèse[21].

Guerre Israël-Hamas de 2023 modifier

Lors de la guerre Israël-Hamas de 2023, le Hamas utilise à la fois la population de la bande de Gaza et des centaines d'otages comme boucliers humains[22].

Notes et références modifier

  1. a b c et d « Bouclier humain », sur Dictionnaire pratique du droit humanitaire, Médecins sans frontières.
  2. « Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949. Zones dangereuses ».
  3. « Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949. Déportations, transferts, évacuations ».
  4. « Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977. Protection de la population civile »
  5. « Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), 8 juin 1977. Personnes privées de liberté ».
  6. Réal Fortin, Le fort de Chambly, Québec, Septentrion, coll. « Cahiers du Septentrion » (no 31), , 213 p. (ISBN 978-2-89448-496-8 et 2-89448-496-8)
  7. Antoine Flandrin, « Le massacre du 22 août 1914 », sur lemonde.fr, .
  8. « 22 août 1914 - Massacres à Morhange, Charleroi et Rossignol », sur herodote.net, .
  9. La France occupée de Bruno Kartheuser, page 17
  10. (en) « Deliberate destruction or "collateral damage"? Israeli attacks on civilian infrastructure »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur Amnesty International.org, .
  11. « Fatal Strikes: Israel's Indiscriminate Attacks Against Civilians in Lebanon »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur www.hrw.org (consulté le )
  12. BBC, « Gaza: How Hamas tunnel network grew »,
  13. « Ban Ki-moon condemns rocket attack from Gaza school run by UN agency », UN,
  14. [1]
  15. État d'Israël, The 2014 Gaza conflict 7 july-27 august 2014 : Factual and legal aspects,
  16. Council of the European Union Foreign Affairs Council, « EU Council conclusions on the Middle East Peace Process »,
  17. Barak Ravid, « European Union: Hamas, Other Gaza Terror Groups Must Disarm »,
  18. (en) Associated Press, « Israel vows to destroy Hamas tunnels, deaths spike »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur Yahoo.com,
  19. Haaretz, « WATCH: CNN Asks, 'Does Hamas Use Human Shields?' »,
  20. (en) « Israël faces human shield claim », BBC,
  21. (en) « The Day Israel Used a Boy Aged 13 as a Human Shield; Teenager Tied to Police Vehicle to Stop His Friends Throwing Stones »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur highbeam.com,
  22. Hamas : "Le but principal de leurs tunnels est de réduire l'avantage stratégique d'Israël", France Culture, 2/11/2023

Annexes modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier