Biogéographie de l'estuaire moyen du fleuve Saint-Laurent

environnement écologique

La biogéographie de l'estuaire moyen du fleuve Saint-Laurent est un environnement écologique caractérisé par une répartition des espèces selon leur niveau de tolérance à la salinité et à la turbidité de l'eau. Plusieurs espèces y trouvent leur niche écologique, et un certain endémisme est présent dans le littoral particulièrement.

Localisation géographique modifier

Le moyen estuaire du Saint-Laurent s’étend de la pointe est de l’Île d’Orléans jusqu’à Tadoussac, et est la zone de transition graduelle entre l’eau chaude et douce du tronçon fluvial et l’eau saline et froide provenant du golfe du Saint-Laurent. La forte turbidité et les grandes marées sont caractéristiques du dynamisme particulier dans cette région du fleuve et influencent la faune et la flore qui y vivent. L’estuaire moyen est, en général, beaucoup plus profond, salin et froid sur sa portion nord. La région d’intrusion saline, de l’île d'Orléans à l’île-aux-Coudres, coïncide également avec la zone de turbidité maximale du fleuve. À l’est, on retrouve la région polyhaline. Enfin, la région à l’embouchure de la rivière Saguenay est caractérisée par une faible profondeur[1].

Flore modifier

Zone peu saline (amont) modifier

 
Gentiane de Victorin.

Les particularités hydrodynamiques et bathymétriques du moyen estuaire en font un environnement unique, hôte de quelques espèces endémiques. La cicutaire de Victorin, très toxique et la gentiane de Victorin, plante herbacée aux pétales bleu-violet, croissent uniquement dans la zone médiolittorale de l’estuaire d’eau douce ou légèrement saumâtre du fleuve Saint-Laurent[2],[3]. Ces plantes tolèrent peu la salinité, donc leur étendue se limite à la zone occidentale du moyen estuaire. Ces deux espèces endémiques sont menacées par les activités anthropiques, ces régions littorales étant densément habitées. La flore marine de ce milieu légèrement saumâtre est dominé par l’ascophylle noueuse et le fucus vésiculeux, qui occupent principalement le médiolittoral. Ce dernier, pour combler ses besoins en énergie solaire, est doté de vésicules d’air, lui permettant de flotter lorsque submergé durant les marées[4]. Les algues vertes, comme la laitue de mer ou l’entéromorphe intestinal, se trouvent davantage dans la zone d’eau douce ou peu saline, comparativement aux algues brunes et rouges, qui préfèrent les milieux marins[5].

Zone polyhaline (aval) modifier

On observe une croissance graduelle dans la biomasse végétale de l’estuaire moyen, les régions à l’est, plus salées, abritant davantage d’espèces[5]. La spartine alterniflore dans le médiolittoral et la zostère marine dans les milieux meubles peu profonds sont couramment retrouvées dans l’estuaire moyen plus salin. Cette dernière sert d’habitat pour des petites espèces animales et végétales, particulièrement pour les plus jeunes spécimens qui peuvent y vivre à l’écart de prédateurs potentiels. Les milieux meubles, comme les vasières, sont leur habitat de choix[4]. La zone benthique est occupée par des algues brunes, notamment par les laminaires à long stipe (pouvant atteindre 12 mètres) et plusieurs algues rouges du genre porphyra[5]. Cette variété est d’ailleurs commercialisée sous l'appellation nori dans le monde asiatique. Également, plusieurs espèces de fucus occupent le médiolittoral des régions plus salines. La flore du moyen estuaire salin ressemble beaucoup à celle de l’estuaire maritime et du golfe, la proportion des différentes espèces étant la distinction principale[6]. En particulier, les plantes plus adaptées aux conditions de salinités variables tendent à se retrouver davantage dans l’eau saumâtre et dynamique de l’estuaire moyen du Saint-Laurent, car elles y sont les meilleures compétitrices.

 
Zostère marine.

Faune modifier

Zone peu saline (amont) modifier

En amont, l’esturgeon noir est le plus gros poisson qui fréquente les eaux douces et légèrement saumâtres du Saint-Laurent, sa taille pouvant atteindre les deux mètres[7]. Il se nourrit de petits crustacés et de mollusques. L’esturgeon noir est souvent confondu avec l’esturgeon jaune, leur aire de répartition s’entrecroisant, et par leur aspect physique similaire. Cependant, ce dernier est moins imposant, ne dépassant pas 1,4 mètre, et sa structure osseuse diffère légèrement[8].

 
Esturgeon noir.

La faune qui vit dans la région peu saline de l’estuaire moyen doit composer avec la présence marquée de l’humain. En effet, l’activité portuaire, la pêche et la contamination de l’eau, entre autres, mettent beaucoup de pression sur la faune et posent un danger quant à la pérennité des écosystèmes. La disparition récente du bar rayé du Saint-Laurent est un exemple des impacts anthropiques majeurs sur la faune de cette région du fleuve[9]. Les puissants courants de l’estuaire moyen du Saint-Laurent ont pour effet d’homogénéiser les populations d’une même espèce. Toutefois, l’espèce endémique de copépodes eurytemora affinis fait figure d’exception, ayant subi une spéciation sympatrique, par l’acquisition d’un nouveau comportement natatoire par l’une des clades indigènes[1]. Ce caractère lui permet de résister plus efficacement aux puissants courants de la région, et donc d’occuper un territoire plus en amont. D’autres espèces diadromes migrent et vivent dans l’estuaire moyen légèrement saumâtre, comme l’éperlan arc-en-ciel, l’anguille d’Amérique ou le baret.

Zone polyhaline (aval) modifier

L’estuaire moyen est l’habitat d’une population complètement isolée de bélugas. Pendant la saison chaude, ils peuvent être aperçus jusqu’à Saint-Jean-Port-Joli, et dans la région du Saguenay. La région estuarienne est officiellement reconnue par le gouvernement canadien comme habitat vital à la conservation des bélugas. Durant la saison estivale, c’est dans ces eaux que les populations se nourrissent, socialisent, se reproduisent et allaitent leurs petits[10].

 
Béluga.


Le béluga est aujourd’hui une espèce menacée, due à une chasse intensive jusqu’aux années 1980. Malgré la protection dont il bénéficie sous la loi des espèces en périls, les populations continuent à décliner d’environ 1 % annuellement depuis le nouveau millénaire[11], en raison de la circulation maritime, des polluants aquatiques, de la réduction de proies et de la dégradation générale de son milieu de vie. D’autres grands prédateurs marins, comme le phoque, les baleines ou des oiseaux marins ont une aire de répartition qui s’étend jusqu’à la zone polyhaline de l’estuaire. Des espèces plus communes peuplent l’estuaire moyen du Saint-Laurent, comme la moule bleue, le crabe tourteau, la balane commune, la balane crénelée et le pourpre de l’Atlantique. Ce dernier est un prédateur naturel de la moule bleue et de plusieurs espèces de balanes. À l’aide d’une substance acide qu’elle sécrète, et de sa radula, la pourpre de l’Atlantique peut perforer en quelques jours la coquille calcaire de ces invertébrés, pour ensuite s’en nourrir[4].

Notes et références modifier

  1. a et b Simon St-Onge Drouin, Dispersion lagrangienne dans l'estuaire moyen du Saint-Laurent (mémoire présenté dans le cadre du programme de maîtrise en océanographie en vue de l'obtention du grade de maître ès sciences), , 139 p. (présentation en ligne, lire en ligne).
  2. « Cicutaire de Victorin - Espèce menacée au Québec », sur environnement.gouv.qc.ca (consulté le )
  3. « Gentiane de Victorin - Espèce menacée au Québec », sur environnement.gouv.qc.ca (consulté le )
  4. a b et c Robert Chabot et Anne Rossignol, Algues et faune du littoral du Saint-Laurent maritime: Guide d’identification, Rimouski, Institut des sciences de la mer de Rimouski,
  5. a b et c Conseil du St-Laurent. (2017). L’estuaire moyen du Saint-Laurent : un milieu hautement hétérogène à la base d’une riche biodiversité. Fiche du portrait | Plan de Gestion Intégrée Régional du Conseil du Saint-Laurent. https://tcrsudestuairemoyen.org/wpcontent/uploads/2019/01/Fiche-milieu-hautement-heterogene-a-la-base-d-une-richebiodiversite-2017-12-12.pdf
  6. Gesche Winkler, Jory Cabrol et Jean-Baptiste Favier, « La diversité, la répartition et l’écologie du complexe d’espèces cryptiques Euytemora affinis, dans la zone d’alevinage de l’estuaire moyen du Saint-Laurent », Le Naturaliste canadien, vol. 140, no 2,‎ , p. 7–18 (ISSN 0028-0798 et 1929-3208, DOI 10.7202/1036498ar, lire en ligne, consulté le )
  7. « MFFP - Espèces fauniques menacées ou vulnérables au Québec - Esturgeon noir », sur www3.mffp.gouv.qc.ca (consulté le )
  8. « MFFP - Poissons du Québec - Esturgeon jaune », sur mffp.gouv.qc.ca (consulté le )
  9. Zone Environnement- ICI.Radio-Canada.ca, « Le bar rayé du Saint-Laurent est éteint », sur Radio-Canada.ca (consulté le )
  10. Pêches et Océans Canada Gouvernement du Canada, « Béluga (Population de l'estuaire du Saint-Laurent) », sur dfo-mpo.gc.ca, (consulté le )
  11. Nadia Ménard, Manuela Conversano et Samuel Turgeon, « La protection des habitats de la population de bélugas (Delphinapterus leucas) du Saint-Laurent : bilan et considérations sur les besoins de conservation », Le Naturaliste canadien, vol. 142, no 2,‎ , p. 80–105 (ISSN 0028-0798 et 1929-3208, DOI 10.7202/1047151ar, lire en ligne, consulté le )