Assignation de genre

Processus par lequel est assigné une personne à une catégorie sociale

Dans les études de genre, l'assignation de genre décrit le processus par lequel un genre est attribué à une personne et intégré par cette dernière sur la base d'observations des caractéristiques extérieures. Il est alors attendu de la personne qu'elle corresponde aux attentes sociales qui entourent ce genre.

Le processus d'assignation de genre d'une personne préexisterait à la naissance et se poursuivrait tout au long de la vie à travers la socialisation. Toutefois, la notion selon laquelle le genre des individus serait intégré du seul fait d'une assignation extérieure couplée à la socialisation est remise en question par certaines recherches et observations cliniques.

L'identité de genre de la personne peut ne pas correspondre au genre qui lui a été assigné, de sorte que celle-ci peut effectuer une transition de genre. Dans le cas des personnes intersexuées, l'assignation de genre s'accompagne généralement d'une assignation sexuelle.

Définition modifier

 
L'assignation de genre peut se faire à la naissance ou avant la naissance, par l'observation des organes génitaux du fœtus à travers une échographie.

L'assignation de genre est le fait d' "attribuer à une personne une place, une fonction, un rôle, et plus particulièrement, attendre qu'elle performe en se conformant aux attentes sociales construites autour des identités de genre, selon qu'elle est perçue comme étant un homme ou une femme.

Historique modifier

L'assignation de genre est étudiée dans plusieurs champs disciplinaires (chirurgie, psychologie, endocrinologie, études de genre, philosophie, etc.) et selon des perspectives croisées de genre, race et classe[1]. Le terme est d'abord employé à propos des cas d'intersexuation[2].

Études de genre modifier

Judith Butler s'appuie en partie sur les travaux de Jean Laplanche[3] et étudie surtout la subversion des assignations et ce, en adaptant la performativité d'Austin en performance de genre[4]. Julia Serano déplace la réassignation d'un individu par sa propre performance de genre (passing) à l'assignation dudit par les regards et énoncés d'autrui (être lu), ce qu'elle appelle le genrement, qui est continu et s'appuie sur des caractères sexuels secondaires[5].

De l'étude du rôle des médias dans la configuration des représentations sociales (par la mise en scène de catégories sexuées, ancrées dans les normes et croyances concernant les genres par l'emploi de stéréotypes), et, dans l'optique d'analyser « les attentes envers le genre, les perturbations, puis les recatégorisations de ces attentes »[6],[7], Béatrice Damian-Gaillard, Sandy Montañola et Aurélie Olivesi définissent ainsi l'assignation :

« l’action d’assigner consiste à attribuer à une personne une place, une fonction, un rôle, et plus particulièrement, attendre qu’elle le performe en se conformant aux attentes sociales construites autour des identités de genre, selon qu’elle est perçue comme étant un homme ou une femme  »

— Béatrice Damian-Gaillard, Sandy Montañola et Aurélie Olivesi, L’assignation de genre dans les médias. Attentes, perturbations, reconfigurations

Psychanalyse modifier

Jean Laplanche développe en psychanalyse le concept d'assignation[2], en considérant que le genre précède le sexe[8], qu'il est « assigné sur la base de l’anatomie sexuelle, ou plutôt, de la perception par l’adulte de cette anatomie »[9], et que l'assignation est « l’ensemble des messages transmis à l’enfant sur son identité de genre, par les adultes et plus largement par le socius »[10],[2]. Pour lui, ces messages sont « énigmatiques » parce que d'une part, l'enfant n'est pas capable de les décoder et d'autre part[9], « les adultes eux-mêmes ne savent pas exactement ce qu’ils transmettent à l’enfant »[8].

« L’assignation est un ensemble complexe d’actes qui se prolonge dans le langage et dans les comportements significatifs de l’entourage. On pourrait parler d’une assignation continue ou d’une véritable prescription. Prescription dans le sens où l’on parle des messages dits « prescriptifs » : de l’ordre donc du message, voire du bombardement de messages »

— Jean Laplanche, IX. Le genre, le sexe, le sexual [*], dans : Sexual. La sexualité élargie au sens freudien, Laplanche Jean (dir.). PUF, Paris, 2014, p. 153-193.

Valérie Ganem, dans son étude sur la famille en Guadeloupe, remarque des variations dans l'éducation des enfants d'une même famille selon leur couleur de peau et, dans une perspective intersectionnelle, croise l'assignation de genre avec celle de race[2],[11],[12].

Assignation et identification au genre : perspectives biologiques modifier

Charles E. Roselli, professeur en physiologie chimique et biochimie du département de physiologie et pharmacologie de l'Oregon Health & Science University (en), a publié en 2019 un article synthétisant l'état de la connaissance en matière d'ancrage biologique du genre, suggérant un lien entre le sexe biologique et l'identité de genre, au moins partiellement indépendante de l'assignation et de la socialisation :

« L'établissement de l'identité de genre est un phénomène complexe et la diversité de l'expression du genre plaide contre une explication simple ou unitaire. (...) Les données résumées dans la présente étude suggèrent que l'identité de genre et l'orientation sexuelle sont influencées de manière significative par des événements survenant au cours de la période de développement précoce, lorsque le cerveau se différencie sous l'influence des hormones stéroïdes gonadiques, des gènes et des facteurs maternels. (...) Les données empiriques existantes montrent clairement qu'il existe une contribution biologique significative au développement de l'identité et de l'orientation sexuelles d'un individu. »[13]

L'auteur rappelle également le cas de David Reimer, dont la réattribution sexuelle et la socialisation qui s'est ensuivie - David Reimer a été élevé comme une fille alors que le genre assigné était initialement masculin et qu'il était doté d'organes génitaux masculins - s'est soldée par un échec[14],[15].

Articles connexes modifier

Bibliographie modifier

  • (en) Jessica A. Clarke, « Sex Assigned at Birth », Columbia Law Review, vol. 122, no 7,‎ , p. 1821–1898 (ISSN 0010-1958, lire en ligne, consulté le )
  • Béatrice Damian-Gaillard, Sandy Montañola et Aurélie Olivesi (dir.) : L’assignation de genre dans les médias. Attentes, perturbations, reconfigurations, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, 154 p.
  • Sarah Mazouz., « Faire des différences. Ce que l’ethnographie nous apprend sur l’articulation des modes pluriels d’assignation », Raisons politiques, no 58,‎ , p. 75-89 (DOI 10.3917/rai.058.0075, lire en ligne)

Références modifier

  1. Sarah Mazouz, « Faire des différences. Ce que l’ethnographie nous apprend sur l’articulation des modes pluriels d’assignation », Raisons politiques, vol. 58, no 2,‎ , p. 75 (ISSN 1291-1941 et 1950-6708, DOI 10.3917/rai.058.0075, lire en ligne, consulté le )
  2. a b c et d Christophe Dejours, « Genre et théorie sexuelle », Annuel de l'APF, vol. Annuel 2015, no 1,‎ , p. 159 (ISSN 1964-5007 et 2426-5489, DOI 10.3917/apf.151.0159, lire en ligne, consulté le )
  3. Dominique Scarfone, « L’assignation de genre et le sexuel infantile », Filigrane : écoutes psychanalytiques, vol. 28, no 1,‎ , p. 33–42 (ISSN 1192-1412 et 1911-4656, DOI 10.7202/1064595ar, lire en ligne, consulté le )
  4. Martine Van Woerkens, « Judith Butler, Défaire le genre », L’Homme. Revue française d’anthropologie, nos 187-188,‎ , p. 476–478 (ISSN 0439-4216, lire en ligne, consulté le )
  5. Serano, Julia., Manifeste d'une femme trans et autres textes (ISBN 978-2-36624-474-8 et 2-36624-474-6, OCLC 1141938946, lire en ligne)
  6. Béatrice Damian-Gaillard VerfasserIn., L'assignation de genre dans les médias Attentes, perturbations, reconfigurations. (ISBN 978-2-7535-6276-9 et 2-7535-6276-8, OCLC 1193027266, lire en ligne)
  7. Sarah Lécossais, « Béatrice Damian-Gaillard, Sandy Montañola et Aurélie Olivesi (dir.) : L’assignation de genre dans les médias. Attentes, perturbations, reconfigurations », Études de communication. langages, information, médiations, no 44,‎ , p. 178–181 (ISSN 1270-6841, DOI 10.4000/edc.6140, lire en ligne, consulté le )
  8. a et b Christophe Dejours, Cahiers du Genre, n° 42/2007. Notes de lecture de Le sexe, le genre et la psychologie, Patricia Mercader (ed), L’Harmattan, Paris, 2005, 153 p.
  9. a et b Teresa de Lauretis, Théoriser, dit-elle, dans Tania Angeloff, Michel Lallement, Jacqueline Laufer, Éléonore Lépinard, Pascale Molinier (dir.). Épistémologies du genre. Regards d’hier, point de vue d’aujourd’hui, 2005, p142.
  10. Andréa Linhares, « Le genre : de la politique à la clinique », Champ psy, vol. 58, no 2,‎ , p. 23 (ISSN 2260-2100 et 2273-1571, DOI 10.3917/cpsy.058.0023, lire en ligne, consulté le )
  11. Damien Trapin, « De l'identité sexuelle à l'identité de genre: une révolution képlerienne ? », Psychologie clinique et projective, vol. 11, no 1,‎ , p. 9 (ISSN 1265-5449 et 2118-4496, DOI 10.3917/pcp.011.0009, lire en ligne, consulté le )
  12. Valérie Ganem, La désobéissance à l’autorité, Presses universitaires de France, (ISBN 978-2-13-059084-2, lire en ligne)
  13. C. E. Roselli, "Neurobiology of gender identity and sexual orientation", J Neuroendocrinol. 2018 Jul; 30(7): e12562., doi: 10.1111/jne.12562
  14. M. Diamond et H. K. Sigmundson, « Sex reassignment at birth. Long-term review and clinical implications », Archives of Pediatrics & Adolescent Medicine, vol. 151, no 3,‎ , p. 298–304 (ISSN 1072-4710, PMID 9080940, DOI 10.1001/archpedi.1997.02170400084015, lire en ligne, consulté le )
  15. « Théorie du genre : comment la première expérimentation a mal tourné », sur LEFIGARO, (consulté le )