Aliénor (prénom)

prénom féminin

Aliénor est un prénom féminin français.

Il est fêté le 25 juin[1].

Étymologie modifier

Ce nom est d'origine germanique[2], mais son interprétation reste débattue.

Il pourrait provenir du wisigotique ali-[3] signifiant « autre » ou « étranger »[4],[5]. Mais cette proposition n'explique pas le second élément de cet anthroponyme.

Selon Jacques Duguet, linguiste et historien du Poitou, il faudrait partir de la forme Agenordis[6] qui, par palatalisation, évolue en Aienordis puis en Aenordis. Les formes en aden (Adenordis), qui dominent en Anjou, au Nord et à l'Ouest du Poitou, laisseraient supposer l'introduction d'un « d » graphique ou la préexistence d'une occlusive dentale intervocalique. Cet anthroponyme serait forgé sur les thèmes germaniques ag-, « peur »[7] et -nord , « du Nord », ou un allongement en ag(i)n- et -ord, « pointe »[8]. Nous pouvons alors avoir une simplification en Ainor, Aenor ou Aanor[9] ou, par l'introduction d'un « l » par hypercorrection, aboutir à la forme Aliénor[10].

Des recherches onomastiques plus récentes proposent l'origine germanique suivante, selon une structure dithématique (composée de deux éléments) : de alda- qui signifie « ancien »[11], dans le sens de « vénérable », ou une métathèse de adal- qui signifie « noble »[12], et nord- qui signifie « du Nord » (mais ce second élément pourrait aussi avoir un sens différent)[13]. Les formes Adénor et Aliénor seraient ainsi des formes dérivées de l'anthroponyme d'origine germanique Aldenord (Aldenor). La forme Aénor serait elle-même dérivée d'Adénor par effacement du « d » intervocalique (Adenordis, Adenors, Adénor, Aénor)[14],[13]. On rencontrait les formes Aldénor et Aldenoris[15],[16]. On trouve aussi des exemples de noms en Alde- ayant évolué en en Alie- ou Ali- (Aldenardus- Alienardus-Alinardus) et des noms en Alde- ou Adel- ayant évolué en Ade- (Aldebert/Adelbert- Adebert), aux IXe et Xe siècles[17].

La personne portant ce nom la plus connue est Aliénor d'Aquitaine. Sa mère étant Aénor de Châtellerault, elle aurait été nommée « Aliénor » (contraction de « alia Aenor »[18]), pour ainsi dire « une autre Aénor »[19]. Cependant, Aénor de Châtellerault ayant elle-même, en une occasion[20], signé sous le nom Aliénor, on peut douter de cette ingénieuse explication [21]. Le fragile argument de Geoffroy de Vigeois, contemporain de la reine, pourrait n'être qu'un jeu de mots savant[22]. Il y aurait eu d'autres Aliénor avant Aliénor d'Aquitaine, mais il semblerait pourtant que l'on ait francisé ultérieurement en Aliénor ces Adenordis, Adenoris[23] et Aenoris[24]. En effet, chez les aïeules d'Aliénor les formes avec « l » sont inconnues. Elles n'apparaissent que dans le nom de sa mère. Aliénor a reçu un nom traditionnel dans sa famille[25].

Adénor, Aénor et Aliénor et leurs très nombreuses variantes ( Alienordis, Adhenoris, Aenordis, Adenordis, Adenorde, Adenoris, Agenordis, Aienordi, Ainordis, Ainoris, Anordis, Aynorde, Helienordis, Helionordis, Elienoris, pour les formes latinisées, Ainors, Aanor, Aynor et tant d'autres[31]) classés dans la catégorie des noms d'origine germanique par la linguiste Marie-Thérèse Morlet[32], s'employaient en réalité indifféremment, au gré des nombreux écrits et des langues, pour une même personne[33]. On trouve toutefois la présence des deux graphies Aenordis et Alienordis, conjointement sur une même charte, afin de différencier la mère et la fille[34]. La renommée d'Aliénor d'Aquitaine ainsi que ses sceaux[35] ont concouru à fixer le prénom sous la forme conservée par les historiens[36], telle que nous la connaissons actuellement.

L'élément nor[37] se retrouve dans plusieurs prénoms des familles de Thouars et de Châtellerault aux Xe et XIe siècles (construction d'après le principe de la variante ou variation thématique[38]), avec, outre les nombreuses Adénor ou Aénor[39], les germaniques Widenor, Godenor (ou Gonnor)[16], et Gunnor de Normandie[40], leur ancêtre aux origines indéniablement nordiques[41].

D'autres hypothèses parfois avancées, rarement sourcées de manière sérieuse ou fantaisistes : latine ou grecques (y compris une confusion avec Hélène), celtiques (y compris une confusion avec Enori ou Enora), sémitiques (arabe ou hébraïque), reposant sur une vague proximité phonétique, et souvent élaborées à partir des formes postérieures[42] et tardives[43] en Eleo, ne résistent pas à une étude approfondie[44].

Aliénor est passé dans la plupart des langues européennes via sa forme en langue d'oïl Éléonore et en langue anglaise sous la forme Eleanor.

Variantes modifier

Ce prénom peut être exceptionnellement porté par des hommes, avec ou sans e final, pour exemple Éléonore Tenaille de Vaulabelle.

Occurrence modifier

Plusieurs reines et princesses portent le nom d'Aliénor, toutes nommées ainsi à la suite d'Aliénor d'Aquitaine.

5.537 Françaises portent actuellement ce prénom. 2022, année record, a vu naître 254 Aliénor[45]. Environ 200 Belges portent ce prénom, depuis 1995, avec un pic de 17 naissances en 2015[46].

Notes et références modifier

  1. Sainte Eléonore de Provence (XIIIe siècle) sur nominis.cef.fr
  2. «...en raison de la popularité persistante de quelques noms ethniques francs (Alix, Mahaut, Aliénor) », Pierre-Yves Quémener, Le nom de baptême aux XVe et XVIe siècles, chapitre II, Évolution et typologie des répertoires onomastiques, p. 65-100, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, juin 2023, 316 p, (ISBN 9782753595156), paragraphe 68 et (lire en ligne) : http://books.openedition.org/pur/192171
  3. (en) Hanks, Hardcastle, and Hodges, Oxford Dictionary of First Names, Oxford, Oxford University Press, , 443 p. (ISBN 978-0-19-861060-1), p. 86
  4. Chantal Tanet, Tristan Hordé, Dictionnaire des prénoms, Paris, Larousse, , 675 p. (ISBN 978-2-03-592511-4), p. 22
  5. Rosa et Volker Kohlheim, Lexikon der Vornamen, Duden , Bd 4,Taschenbücher, Mannheim, 2004, 396 p, (ISBN 978-3-411-04944-8), p. 97-98.
  6. Jacques Duguet, op.cit., p. 304 : « cum consensu Agenordi uxoris suae », 1147 (Bulle du pape Eugène III; chartes de Saint-Maixent, I. p. 317, d'après le cartulaire).
  7. Goetz, Hans-Werner, 2005, cité dans Pierre Gauthier, op.cit., p. 106.
  8. Jacques Duguet 1965, p. 314-315.
  9. (la) Suger : , Vita Ludovici Grossi regis, « ... puella nomine Aanor desponsandam... » , dans Jean Flori, op.cit., p. 447, note 15.
  10. Jacques Duguet: Le nom d'Aliénor d'Aquitaine, Revue du Bas Poitou, 76e année, no 5, septembre 1965, p. 304-317, repris dans Pierre Gauthier, Nouvelle revue d'onomastique, no 51, 2009, op.cit., p. 106-107.
  11. « ALD - Nordic Names », sur www.nordicnames.de (consulté le )
  12. Sur un modèle évolutif similaire on trouve Alix provenant d'Adélaïde et Albert provenant de Adalbert, de adal, « noble » : Albert Dauzat et Marie-Thérèse Morlet, Dictionnaire des noms et prénoms de France, Larousse, Paris,1982, 626 p., ISBN 2-03-340804-3, p. 6 et 5.
  13. a et b (ca) Monica Font i Garcia, « La gènesi del nom Elionor », Bulleti interior de la societat d'onomàstica, no 110,‎ , p. 24-45, ( p. 24-27 et 40). Et Martina Pitz: Revue des revues in: Nouvelle Revue d'Onomastique, no 51, 2009, p. 401-409. sur Persee.fr et lire en ligne : https://docplayer.es/72567443-lagenesi-del-nom-elionor.html
  14. semblable à l'évolution d'Adalais en Aalais : Font i Garcia, 2008, op.cit., p. 26.
  15. Et Adenoris, Aldenous. Cartulaire de l'Abbaye de Beaulieu (en Limousin) 1097-1108, dans Collections de documents inédits sur l'Histoire de France par Maximin Deloche, Paris, 1809, p. 175.
  16. a b et c Christian Settipani, La noblesse du Midi carolingien. Etudes sur quelques grandes familles d'Aquitaine et du Languedoc du IXe au XIe siècles, Toulousain, Périgord, Limousin, Poitou, Auvergne., Oxford, Ed. Linacre College. Prosopographica et Genealogica, , 398 p. (ISBN 1-900934-04-3), p. 276, 281-283, 247-248, 364-365, 381.
  17. Jordi Bolos i Masclans, Josep Moran, Repertori d'Antroponims Catalans (RAC), Institut d'estudis catalans, 1994, vo.1, ( 927-980 et 875-876), 760 p., (ISBN 978-84-7283-277-0).
  18. (la) « Guillelmus dux Aquitaniae...quae vocabatur Aenor, genuit filiam quae appellata est Alienor, quasi alia Aenor », Geoffroy de Vigeois (XIIe siècle) : Chronicon, H.F.12, p.c.48, p. 435-436. Dans Jean Flori, op.cit., p. 446 (note 3).
  19. Jean Flori, Aliénor d'Aquitaine, La reine insoumise, Paris, Payot, , 545 p. (ISBN 2-228-89829-5), p. 32
  20. Signature « Alienordis uxoris suae » au bas d'un acte original du chapitre de Sainte-Radegonde de Poitiers, daté de 1129 (Archives de la Vienne, orig., chap. de Sainte-Radegonde, no 4, Besly, Histoire des comtes de Poictou, p. 462). Cité par Jacques Duguet, op.cit., p. 309 et Alfred Richard, Histoire des comtes de Poitou 778-1204, t. 2, Paris, Picard et fils, 1903, p. 52. (lire en ligne) sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76092b/f54.item
  21. Edmond-René Labande, Pour une image véridique d'Aliénor d'Aquitaine, bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest et des Musées de Poitiers, 4e série, T. 2, 1952, p. 175-234, p. 176 (note 4), (lire en ligne) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65693672/f6
  22. Monica Font i Garcia 2008, p. 28, 29 et 41.
  23. Léopold Delisle, Les vicomtes de Châtellerault, Bibliothèque de l'école des chartes, vol. 33, no 1, 1872, p. 317-319, p. 319, (lire en ligne) https://persee.fr/doc/bec_0373-6237_1872_num_33_1_462045
  24. Notamment l'historien Hugues Imbert au XIXe siècle, op.cit.
  25. Jacques Duguet, op.cit., p. 307.
  26. Hugues Imbert : Histoire de Thouars, L.Clouzot, Niort, 1871, p. 31, sur books.google.fr
  27. Jacques Duguet 1965, p. 308.
  28. "Bossonis vicecomitis, Aimerici filius eius, Adenordis vicecomitissae", charte de 1082, St Jean d'Angély T.1 CCLVII, p. 314. mais aussi Adenorde, Adenors, Aenoris, Ainors. https://fmg.ac/Projects/MedLands/AQUITAINE%20NOBILITY.htm
  29. Généalogie des Seigneurs de Thouars.
  30. Léopold Delisle, op.cit., p. 319.
  31. Jacques Duguet : Le nom d'Aliénor d'Aquitaine, Revue du Bas-Poitou, 76° année, no 5, septembre 1965, p. 304-317.
  32. Marie-Thérèse Morlet, Les noms de personne sur le territoire de l'ancienne Gaule du VIe au XIIe siècle, t. 1 : les noms issus du germanique continental et les créations gallo-germaniques, CNRS, Paris, 1968. Cité dans : Dominique Barthélémy, Éléments d'anthroponymie féminine d'après le cartulaire du Ronceray d'Angers (1028-1184 environ), p. 67-80, note 17 et annexe : liste des noms simples dans le cartulaire du Ronceray, (lire en ligne) : https://books.openedition.org/pufr/16764?lang=fr
  33. Monica Font i Garcia 2008, p. 26-27.
  34. Tout comme les prénoms des Guillaume père et fils y ont été orthographiés différemment par adjonction de li-. Champollion, Figeac, 1843, T. II,VII, p. 13. Donation à l'Abbaye Saint Hilaire de la Celle de Poitiers. Charte du 3 mars 1130, souscrite par « Willielmi ducis Aquitanorum, Aenordis comitssae, Alienordis filiae eorum, Wilelmi Aigres filii eorum » sur : fmg.ac/Projects/MedLands/AQUITAINE.htm
  35. http://www.sigilla.org/sigillant/alienor-aquitaine-28303
  36. Pierre Gauthier : Aperçus sur l'anthroponymie poitevine au XIIIe siècle d'après cinquante chartes et documents de l'ancien arrondissement de Loudun (Vienne), Nouvelle revue d'onomastique, 2009, no 51, p. 101-129, Société française d'onomastique. Sur persee.fr
  37. « NOR - Nordic Names », sur www.nordicnames.de (consulté le )
  38. Pratique germanique courante qui consiste à former un nouveau prénom en changeant un seul élément afin qu'il diffère de celui des autres prénoms de la famille , Marie-Thérèse Morlet, Études d'anthroponymie occitane, 1957, (lire en ligne sur persee.fr) : https://www.persee.fr/doc/rio_0048-8151_1957_num_9_4_1602, p. 272. Aldebert, Alderic, Aldegarde, Adaltrude, Aldegonde (de Adalgund avec métathèse), Radegonde, Hildegonde, Hildegarde. les possibilités sont infinies. Leur sens originaire n'était déjà plus perçu par la grande majorité de la population au Moyen Âge: Albert Dauzat et Marie-Thérèse Morlet, Dictionnaire Larousse des noms et prénoms de France, 1982, introduction p. XII, op.cit.
  39. Que l'on rencontre également dans de nombreuses familles du Maine et d'Anjou : Familles de Laval, Doué Saumur et Champtoceaux (Xe et XIe siècles) mais aussi en Auvergne : Adénor d'Aurillac (Xe siècle) épouse d'Hugues de Malemort. Christian Settipani, op.cit.
  40. (en) Elisabeth van Houts : The Normans in Europe, Manchester, Manchester University Press, 2008, p. 58.
  41. (en) « Gunnor », sur nordicnames.de (consulté le ). Dans ce cas précis -nor dérive de l'élément germanique vör.
  42. Font i Garcia 2008, p. 28.
  43. Jacques Duguet, op.cit., p. 316.
  44. Monica Font i Garcia 2008, p. 38-40-41.
  45. meilleursprenoms.com/prenom/Alienor
  46. politologue.com/prenoms-belgique/ALIENOR