Affaire Sirven

procès religieux et controversé du XVIIIe siècle

Affaire Sirven
Mémoire pour le sieur Pierre-Paul Sirven, feudiste, habitant de Castres, appellant, contre les consuls et communauté de Mazamet… intimés de Pierre-Firmin de Lacroix, 1771.
Mémoire pour le sieur Pierre-Paul Sirven, feudiste, habitant de Castres, appellant, contre les consuls et communauté de Mazamet… intimés de Pierre-Firmin de Lacroix, 1771.

Fait reproché Meurtre
Pays Drapeau du royaume de France Royaume de France
Ville Castres
Nature de l'arme Puits asséché
Date 1760
Jugement
Statut Pierre-Paul Sirven est condamné à mort par contumace mais sera réhabilité en grâce à l’intervention de Voltaire.

L’affaire Sirven est une affaire judiciaire qui s’est déroulée à Mazamet, en , au moment même de la célèbre affaire Calas.

Voltaire s’est également impliqué dans ce fait divers, qui témoignait de l’intolérance religieuse sous l’Ancien Régime, à la veille de la Révolution française.

Déroulement modifier

Pierre-Paul Sirven (1709-1777) et son épouse, tous deux protestants, ont trois filles. La seconde, Élisabeth, âgée de 23 ans[1], donne des signes d’aliénation mentale[2].

Le , Élisabeth disparaît de la maison paternelle[1]. Pierre-Paul Sirven apprend qu’elle aurait été recueillie par les sœurs du couvent des Dames-Noires de Castres. Elle se serait rendue à l’évêché, où elle aurait confié à l’évêque de Castres, Jean-Sébastien de Barral, son désir de se convertir au catholicisme, à la suite de quoi celui-ci l’aurait envoyée chez les Dames noires pour y préparer sa conversion[1]. Selon d’autres, les religieuses de ce couvent l’auraient enlevée et auraient tenté de la convaincre qu’elle était appelée par le Seigneur. Convaincu que toute protestation serait vaine, le père d’Élisabeth ne s’oppose pas à l’internement de sa fille[3].

Les quelques mois de claustration se passèrent très mal : Élisabeth enlevait ses vêtements devant les nonnes, se prétendait en communication avec le Ciel et demandait à recevoir les verges pour des péchés imaginaires[1]. Forcées de l’enfermer dans sa cellule, les autorités ecclésiastiques la font examiner en par un médecin qui la déclare démente[1]. Rendue à sa famille en octobre[4], la jeune fille paraît toujours très perturbée, à tel point que sa famille essaie de limiter ses mouvements, sans toutefois que son père ne s’oppose à sa présence quotidienne à la messe[3].

Une année plus tard, dans la nuit du 15 au , Élisabeth disparaît de nouveau, et le 4 janvier 1762 [3], son cadavre est retrouvé au fond d’un puits asséché à Saint-Alby (commune qui fusionnera en 1831 avec Aiguefonde). Les Sirven ont immédiatement tous les ennemis de la religion protestante de Mazamet à dos[1]. En dépit de l’absence de toute trace sur le corps[5], les religieuses accusent alors ses parents d’avoir maltraité Élisabeth pour l’empêcher de se convertir au catholicisme. Le [5], les juges de Mazamet ordonnent alors l’arrestation de Sirven, de sa femme et de ses deux filles qui, prévenus de la procédure à leur encontre, prennent la fuite[3].

Le , à la suite d’un procès par contumace, les quatre accusés sont reconnus coupables par les juges de Mazamet, les parents condamnés à la pendaison et leurs filles au bannissement[3]. Le , les parents sont pendus en effigie[5]. Après cinq mois de tribulations[5], la famille Sirven a néanmoins trouvé refuge à Lausanne, et se met en contact avec Voltaire, lequel, tout absorbé par l’affaire Calas, réagit néanmoins avec vigueur. Malgré son premier mouvement, qui est de ne pas compromettre l’affaire Calas[3], il écrit, le , à Damilaville[6] :

« J’attends tous les jours à Toulouse la copie authentique de l’arrêt qui condamne toute la famille Sirven ; arrêt confirmatif de la sentence rendue par un juge de village ; arrêt donné sans connaissance de cause ; arrêt contre lequel tout le public se soulèverait avec indignation si les Calas ne s’étaient pas emparés de toute sa pitié. »

En effet, malgré les similitudes entre les deux affaires, telles que l’absence de circonstances, il existait d’évidentes disparités claires : non seulement il n’y avait pas de « martyr » à réhabiliter, mais les coupables présumés s’étaient rendus coupables d’outrage au tribunal en fuyant la justice du roi[3]. Voltaire redoutait, en outre, que la conjonction de ces deux affaires ne donne une quelconque crédibilité à l’accusation de meurtre à l’encontre des enfants protestants désireux de se convertir au catholicisme[3]. Voltaire prend néanmoins fait et cause pour les Sirven et démontre leur innocence. La femme de Sirven meurt en juin 1765.

En , Élie de Beaumont dresse, à l’aide de Voltaire, de Damilaville et de l’avocat Target, un bref visant à persuader le conseil du roi de réexaminer la procédure du jugement initial[3]. En , il publie son Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven[7].

Il faut néanmoins attendre le pour que le Conseil du Roi soit saisi. Ce dernier déboute Sirven, car il ne souhaite pas émettre un avis contraire à la décision d’une cour provinciale, dans un tel cas d' outrage au tribunal[3]. Il ne veut intervenir qu’à la suite d’un procès approprié au tribunal de première instance d’origine[3]. Sirven est donc invité à se rendre à Toulouse, ville où Calas avait été condamné et roué[3].

Réhabilitation modifier

 
Lettre de Voltaire à Élie de Beaumont au sujet de l’affaire Sirven.

L’étape suivante constitue pour Sirven une grande prise de risque puisqu’il doit se livrer aux autorités, décision qui avait été des plus funestes pour Calas[3]. Fort heureusement, depuis l’affaire Calas, la position du Parlement de Toulouse avait changé du tout au tout.

En 1769, Sirven retourne donc à Mazamet, dans l’attente de la décision des juges. Sirven est relaxé en , mais pas exonéré, ce qui le condamnait, dans les faits, à assumer les frais du procès[3].

Ce n’est que le , que la famille Sirven est pleinement réhabilitée et remise dans ses biens, que la ville de Mazamet doit, en conséquence, leur verser des compensations, à la suite de la nomination de nouveaux juges par Maupeou lors de sa célèbre réforme[3]. Le , Pierre-Paul Sirven écrit à Voltaire[8] :

« Je vous dois la vie, et plus que cela le rétablissement de mon honneur, et de ma réputation. Le parlement me jugea avant hier. Il a purgé la mémoire de feu mon épouse et nous a relaxés de l’indigne accusation imaginée par les fanatiques Castrois, m’a accordé la main levée des biens et effets saisis, avec restitution des fruits, et m’a accordé les dépens. […] Votre nom Monsieur, et l’intérêt que vous preniez à ma cause ont été d’un grand poids. Vous m’aviez jugé et le public instruit n’a pas osé penser autrement que vous, en éclairant les hommes vous êtes parvenu à les rendre humains. »

Notes et références modifier

  1. a b c d e et f Pierre Milza, Voltaire, Paris, edi8, , 932 p. (ISBN 978-2-26206-434-1, lire en ligne).
  2. Pierre Dauga, Un prélat politique à la fin de l’Ancien Régime : Loménie de Brienne, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, , 412 p. (ISBN 978-2-28403-984-6, lire en ligne), p. 72.
  3. a b c d e f g h i j k l m n et o (en) Geoffrey Adams, The Huguenots and French Opinion, 1685-1787 : The Enlightenment Debate on Toleration, Paris, Wilfrid Laurier Univ. Press, , 336 p. (ISBN 978-0-88920-904-6, lire en ligne), p. 224.
  4. Francis Delbeke, L’action politique et sociale des avocats au XVIIIe siècle : leur part dans la préparation de la Révolution française, vol. 1, Librairie universitaire, , 302 p., p. 179 et sq.
  5. a b c et d (en) Ian Davidson, Voltaire in Exile, Atlantic Books Ltd, , 123 p. (ISBN 978-1-78649-007-0, OCLC 949754573, lire en ligne).
  6. Fondation Voltaire, édition complète, lettre D12511
  7. Voltaire, Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven, Genève, Frères associés M. DCC. LXVIII, (lire en ligne)
  8. Ibid. D17479

Annexes modifier

Bibliographie modifier

Liens externes modifier