Acier au creuset

type d'acier

L'acier au creuset désigne le métal issu d'un certain nombre de procédés historiques d'élaboration d'acier dans un creuset. Ces procédés consistent essentiellement à affiner ou refondre du fer ou de l'acier préalablement élaborés dans un four distinct. L'acier au creuset est souvent un acier de qualité supérieure, dont l'importance technique et culturelle est essentielle (wootz pour la fabrication d'armes, aciers d'Huntsman pour les ressorts d'horlogerie, etc).

L’acier au creuset indien modifier

L’acier au creuset d’Asie Centrale modifier

Bulat steel (en)

Proche du wootz indien, cet acier au creuset est probablement issus d’une masse de fer séparée par une barrière de verre fondu (ou issue de scories récupérées) d’un empilement de couches alternatives de fer et de charbon de bois. Les couches supérieures de fer se chargent de carbone par cémentation, se transforment en fonte qui coule vers le bas et imprègne la masse de fer. Ce type d’acier au creuset se distingue par là des méthodes utilisant des morceaux de fonte comme source de carbone[1].

L’acier au creuset Viking ? modifier

Quelques épées viking d’Europe du Nord sont faites d’acier au creuset, probablement au travers des contacts commerciaux avec le Moyen Orient et l’Asie Centrale. L’acier à très haute teneur en carbone est difficile à travailler et souder par forgeage. Les wootz indiens et moyen orientaux se distinguent par leurs éléments rares comme le vanadium présent dans les minerais indiens. Les épées viking wootz +Ulfberh+t présentent ces éléments rares et utilisaient probablement un minerai originaire d’Afghanistan[2]. Il est difficile d’établir avec certitude si les vikings produisaient aussi leur propre acier au creuset avec des minerais locaux ou importés, ou forgeaient des billons wootz importés, ou achetaient des lames finies auxquelles ils fixaient une poignée.

Procédé de Benjamin Huntsman modifier

 
Croquis d'une halle de refusion de l'acier où était élaboré l'acier au creuset, au milieu du XIXe siècle.
 
Usine de Samuel Osborne & Co, produisant de l'acier au creuset à Sheffield.

Les aciers produits par l'affinage de la fonte, comme les aciers naturels sont très hétérogènes, car obtenu par décarburation partielle. Les fers obtenus par puddlage se prêtent bien à la cémentation. Mais leur recarburation reste superficielle, le métal obtenu est lui aussi hétérogène :

« Anciennement, l'acier n'était jamais fondu ni coulé après sa fabrication ; dans un seul cas, celui du wootz, il était fondu pendant la fabrication même. Quelle que fût la méthode […] l'acier en masse n'était pas obtenu à l'état homogène. Même par la cémentation du fer en barres, certains défauts qui se manifestent dans la fabrication du fer, surtout ceux inhérents à la présence des laitiers, se perpétuaient plus ou moins dans l'acier en barres[…]. Or la fusion et le moulage de l'acier remédient au mal signalé, et l'on peut ainsi se procurer des lingots d'une composition parfaitement homogène dans toutes leurs parties. C'est à Benjamin Huntsman que l'on est redevable de la solution pratique de cet important problème[P 1]. »

— J. Percy, Traité complet de métallurgie

Fabricant d'horloges, de serrures et d'outils divers, Benjamin Huntsman est insatisfait de la qualité des aciers qu'il travaille. Il mène des expériences pour produire un acier de meilleure qualité. Il développe son procédé, consistant à fondre des charges de 34 livres (soit 15,4 kg) dans des creusets en terre cuite. Le creuset, rempli de morceaux d'acier, est fermé, puis est chauffé avec du coke pendant près de 3 heures. L'acier en fusion est alors coulé dans des moules et les creusets sont réutilisés[P 2].

Le wootz indien est produit dans un creuset à des températures suffisantes pour fondre la fonte mais inférieures à la température de fusion de l’acier. Le wootz est donc le résultat d’une carburation de l’acier à l’état pâteux dans un bain de fonte à la densité différente. Le taux de carbone dans un billon de wootz est donc très hétérogène. Au contraire, l’utilisation du coke comme combustible permet à Huntsman de liquéfier totalement l’acier, et d’égaliser son taux de carbone.

La qualité obtenue permet, par exemple, de réaliser des ressorts très performants pour l'horlogerie, tel que celui du chronomètre de marine de Harrison pour mesurer la longitude. La méthode est par contre mal adaptée à la production de pièces volumineuses, mais de nombreuses améliorations vont rapidement voir le jour pour traiter ce problème. Krupp s'y distingue, parvenant à couler un lingot de 2,25 tonnes en 1851, et de 21 tonnes en 1862[P 2].

Pourtant, l'industrie locale refuse d'utiliser cet acier, car il s'avère plus dur que celui qui était jusqu'ici importé d'Allemagne. À ses débuts, Hunstman n'a donc pas d'autre choix que d'exporter son métal en France. Mais la concurrence grandissante des couteaux français, réalisés à partir de l'acier au creuset inquiète les coutelleries de Sheffield. Après avoir, sans succès, tenté d'interdire l'exportation d'acier au creuset, les industriels anglais sont contraints d'adopter cet acier[3].

Huntsman n'a pas breveté son procédé et, ne se souciant guère de sa prospérité, « jamais il ne consentit à faire prospérer ses affaires par aucun des moyens si communs aujourd'hui[P 3] ». Son secret est éventé par un concurrent nommé Walker[note 1]. La diffusion du savoir-faire amène une expansion spectaculaire de la production d'acier à Sheffield. Alors qu'avant l'invention de Huntsman, en 1740, moins de 200 tonnes d'acier y étaient produites par cémentation, un siècle après, la production d'acier au creuset atteint 20 000 tonnes d'acier : de Sheffield sort 40 % de l'acier produit en Europe[5]. En 1860, la production d'acier de Sheffield dépasse 80 000 tonnes, soit plus de la moitié de la production mondiale.

Le monopole anglais d'acier cémenté fondu au creuset est brisé en 1805 par l'Allemand Johann Conrad Fischer (en)[6].

Disparition du procédé modifier

L'invention du procédé Martin-Siemens réalise également l'élaboration par la fusion du métal en permettant une meilleure efficacité énergétique grâce aux récupérateurs Siemens, la production de grandes quantités produites avec peu de main d'œuvre, l’utilisation de fonte brute en fusion ou de ferrailles au lieu de fer puddlé solidifié, etc.

Avec le procédé Martin-Siemens, mais aussi les procédés Bessemer et Thomas, l'acier devient un produit de consommation courante, alors que l'acier au creuset sert à la production des aciers à haute teneur en carbone et des alliages réservés aux applications les plus exigeantes, jusqu’à la baisse des coûts de production des fours électriques au milieu du XXe siècle.

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Selon la tradition populaire, Walker s'était déguisé en un mendiant en haillons, qui ne demandait qu'à se réchauffer aux feux de la forge pendant une froide nuit d'hiver[4].

Références modifier

  1. Tome 4, p. 265-266
  2. a et b Tome 4, p. 265-276
  3. Tome 4, p. 266
  • Autres références
  1. Experimental research of crucible steel: a new insight and historical reflection, Klaas Remmen
  2. futurasciences
  3. (en) Samuel Smiles, Industrial Biography, , 160 p. (lire en ligne), p. 53-60
  4. (en) Dictionary of National Biography, Londres, Smith, Elder & Co, 1885–1900 (lire sur Wikisource), Huntsman, Benjamin
  5. « Sheffield's industrial history », sur sheffieldontheinternet.co.uk.
  6. (en) P.T. Craddock, Early Metal Mining and Production, Edinburgh university press, , p. 283

Voir aussi modifier

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Bibliographie modifier

  • John Percy (trad. supervisée par l'auteur), Traité complet de métallurgie, Paris, Librairie polytechnique de Noblet et Baudry éditeur, (lire en ligne)

Articles connexes modifier