Abus sexuels de l'abbé Pierre

Les abus sexuels de l'abbé Pierre concernent des violences sexuelles que l'abbé Pierre aurait commises sur une période allant des années 1950 aux années 2000. Ils sont révélés le , puis le de la même année, par la publication de deux rapports commandés au cabinet Egaé par Emmaüs International. Les abus allégués sont des faits de harcèlement, d'agressions sexuelles et de viol, commis sur des majeures et des mineures.

L'abbé Pierre donnant une conférence à Amsterdam en 1965.

Rapport de juillet 2024

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Le Emmaüs International publie un rapport de huit pages[1] commandé au cabinet Egaé, dont la rédaction est assurée par sa créatrice, la militante féministe Caroline De Haas. Ce rapport fait suite au témoignage d'une femme, fille d'un couple proche de l'abbé Pierre, venue rencontrer dans un premier temps Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, puis les responsables d'Emmaüs France en [2],[3]. Elle dénonce des « gestes graves » commis à son encontre au début des années 1980 alors qu'elle avait seize ou dix-sept ans[2]. Emmaüs France la rencontre en et décide avec Emmaüs International et la Fondation Abbé-Pierre de poursuivre l'enquête en la confiant au cabinet Egaé[3].

Le rapport présente les témoignages de sept femmes relatant des « comportements pouvant s'apparenter à des agressions sexuelles ou des faits de harcèlement sexuel » de la part de l'abbé Pierre entre la fin des années 1970 et 2005, l'une d'entre elles étant mineure au moment des premiers faits[2],[4],[5]. Deux témoignages mentionnés dans le rapport font état de signalements aux dirigeants d'Emmaüs en 1992 et en 1995 auxquels l'association n'a pas donné suite[6]. Le rapport relève « une forme d’emprise, alimentée par la différence d’âge, le statut de l’abbé Pierre et une forme d’idolâtrie, ou la situation de subordination entre lui et les personnes (proximité familiale, travail) »[2]. Les témoignages recueillis présentent des similitudes. Ils décrivent notamment des attouchements répétés sur la poitrine, généralement commis lorsque l'abbé Pierre est seul avec ses victimes sur lesquelles il semble exercer une emprise psychologique[7].

Selon le quotidien La Croix « ce rapport dévoile un homme d’Église qui ne s’empêche pas de chercher à assouvir ses pulsions, se sentant autorisé à poser des gestes répréhensibles par la loi de l’époque. »[4] Pour le magazine Le Pèlerin, il « fait des révélations choquantes, mais il alimente déjà la polémique » en raison des controverses qui entourent le cabinet Egaé et sa directrice Caroline De Haas[8].

Le , une source proche du dossier fait savoir que la plateforme Egaé a recueilli une dizaine de nouveaux témoignages[9].

Tribune de quatre chercheurs de la Ciase

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Le , à la suite de la parution du rapport, le quotidien Le Monde publie la tribune de quatre chercheurs qui ont collaboré de 2019 à 2021 à la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase). Philippe Portier, qui a présidé les travaux historiques de la Ciase, la politologue Anne Lancien ainsi que les historiens Paul Airiau et Thomas Boulu y écrivent ne pas être surpris par les révélations du rapport commandé par Emmaüs et la Fondation Abbé-Pierre. En effet, parmi les 1 200 témoignages adressés à la Ciase qu'ils ont eus à traiter, trois mettaient en cause l'abbé Pierre. Ces trois témoignages signés ont été jugés cohérents et écrits sans concertation entre leurs auteures. L'un d'eux se retrouve dans le rapport publié en 2024 sur l'abbé Pierre[10].

Ils estiment que « la compulsion sexuelle de l’abbé Pierre qui débouche dans l’agression récidivante paraît indubitable. Données archivistiques et témoignages sont nombreux et cohérents. Cette compulsion n’a jamais vraiment cessé. [Le cas de] l'abbé Pierre confirme aussi, si c'était nécessaire, que la déviance sexuelle dans le clergé catholique était fort équitablement répartie dans toutes les tendances, progressistes ou intransigeantes ». Ils mettent aussi en cause le silence volontaire de la hiérarchie catholique et de l'œuvre fondée par l'abbé Pierre : « Les évêques informés et les responsables d’Emmaüs ont étouffé les affaires. L’occultation créait un secret partagé, au détriment des agressées, jamais prises en compte. [...] Les évêques des années 1950 n’ont pris aucune sanction canonique. [...] Les dirigeants d’Emmaüs se sont contentés de mettre en garde de manière officieuse et elliptique des femmes travaillant pour Emmaüs. »[10].

Réactions de l’Église catholique

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L'abbé Pierre et Albert Decourtray, primat des Gaules en 1987

Dans une tribune parue dans Le Figaro le , Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, estime que le texte des quatre chercheurs « atteint, quoi qu'on puisse en dire, l'honneur des milliers de prêtres et de diacres [...] en France [et] fait porter une fois de plus un soupçon sur les évêques, accusés plus ou moins explicitement d'avoir "étouffé l'affaire" ». Il juge qu'« une étude attentive des archives sera nécessaire pour comprendre comment l'abbé Pierre a alors reçu les mesures prises, s'il les a respectées ou non, et comment elles ont été suivies par les autorités ecclésiales concernées »[11].

Selon l'un des chercheurs de la Ciase signataire de la tribune, le diocèse de Grenoble, dont dépendait l’abbé Pierre, « a reconnu disposer de données, sans les avoir communiquées »[10], ce qu'affirme également la chercheuse Axelle Brodiez-Dolino interrogée par le magazine La Vie : « Le dossier de l’abbé [Pierre] à l’évêché de Grenoble est étonnamment vierge. Ne figurent que quelques pages relatives à la Résistance. J’ai cherché en vain les autres pièces : elles ont disparu…[2] » En réponse à la tribune, le responsable du service communication du diocèse de Grenoble dément le  : « Lors de la visite de l’un des quatre signataires de l’article, le , les archives demandées ont été mises à l’entière disposition de la Ciase. [...] Le diocèse de Grenoble-Vienne réfute toute volonté d’obstruction ou de rétention d’information »[12],[13].

Réactions du mouvement Emmaüs et de « compagnons de route »

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Emmaüs et la Fondation Abbé-Pierre

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Dans un communiqué[14], Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé-Pierre « saluent le courage des personnes qui ont témoigné et permis, par leur parole, de mettre au jour ces réalités »[15]. Le communiqué annonce la mise en place immédiate d'« un dispositif de recueil de témoignages, strictement confidentiel, s’adressant aux personnes ayant été victime[s] ou témoin[s] de comportements inacceptables de la part de l'abbé Pierre » confié au cabinet Egaé. Il est destiné à rester actif jusqu'au [14],[16],[17].

Le délégué général de la Fondation, Christophe Robert, se dit sous le choc de la découverte de tels actes et « en colère » : « J’en veux à l’abbé Pierre d’avoir fait ainsi souffrir ces femmes et je salue le courage qu’elles ont eu de témoigner[2]. »

Proches de l'abbé Pierre

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Ancien président des communautés Emmaüs et ensuite d'Emmaüs France entre 1995 et 2007, Martin Hirsch dit avoir eu connaissance par des membres historiques du mouvement de ce qui lui avait été présenté comme les « pulsions » et la « maladie » de l'abbé Pierre. Selon lui, « le plus choquant, c’est que l’abbé Pierre avait comme mot d’ordre "servir premier les plus souffrants", et l’on s’aperçoit aujourd’hui qu’il a créé de la souffrance, parmi des personnes qui ne pouvaient pas se défendre ». Il fait valoir que « l’un des principaux enseignements qu'il faut tirer de cette révélation, c’est que la défense des plus vulnérables ne peut se faire dans une zone de non-droit. L’abbé Pierre a fondé les communautés Emmaüs, comme une utopie, en marge de la légalité. Puisque les règles sociales ne savaient pas trouver une place aux exclus, les communautés se dispenseraient des règles, l’esprit de solidarité en tenant lieu. » Selon son avis, qu'il attribue aussi aux responsables du mouvement Emmaüs, « le meilleur hommage à rendre aux victimes, c’est de continuer le combat contre la misère. »[18].

Biographe et ami intime de l'abbé Pierre, Pierre Lunel, sans mettre « en cause ni en doute les plaintes qui ont été émises », affirme ne jamais avoir reçu de plaintes. Selon lui, « il ne faut pas imaginer l’abbé Pierre dans la peau d’un séducteur galopant. Ses pulsions, ses désirs, il les vivait douloureusement. Pour lui, il s'agissait d'un péché ». Membre du mouvement depuis 1982 et confesseur de l'abbé Pierre, Jean-Marie Viennet indique qu'il connaissait « ses difficultés quant à son rapport aux femmes », mais déclare n'avoir « jamais eu vent d’agressions ni de viol ». Autre proche de l'abbé Pierre, Bernard Kouchner, interrogé le par le quotidien Le Monde, qualifie les accusations de « ridicules » : « Je me souviens d’avoir parlé de femmes plusieurs fois avec lui. Ça en restait à un flou absolu. [Il] est très dommageable de s’attacher à ça quand on sait que l’Église se voit reprocher des choses beaucoup plus graves et beaucoup plus précises. L’histoire de l'abbé Pierre ne me semble pas d’une gravité profonde[19]. »

Nouvelles accusations dans le second rapport (septembre 2024)

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Le , le cabinet Egaé publie un second rapport[20] faisant état de dix-sept nouveaux témoignages, dont douze sont directs et cinq indirects[21]. Ils évoquent des propos à caractère sexuel, des baisers forcés, des agressions sexuelles sur une personne vulnérable et sur plusieurs mineures, ainsi que des fellations imposées, qui peuvent être qualifiées de viols. Les accusations concernent la période comprise entre les années 1950 et 2000 et émanent de différents pays qui comprennent, en plus de la France, les États-Unis, le Maroc et la Suisse[21],[22]. Outre ces dix-sept nouveaux témoignages circonstanciés, plusieurs personnes entendues par Egaé disent avoir été informées des cas de six autres femmes identifiées qui auraient été victimes d'abus sexuels, y compris des mineures, qui n'ont pu être contactées[20].

Dans un communiqué commun[23] avec Emmaüs France et Emmaüs International, la Fondation Abbé-Pierre annonce le changement de son nom et de son logo, la fermeture du lieu de mémoire d'Esteville dédié au fondateur et la mise en place d'une commission indépendante d'historiens chargée d'enquêter sur les dysfonctionnements qui ont permis à l'abbé Pierre de commettre des abus pendant plus de 50 ans[24],[22],[25]. La commission pourra accéder à l'ensemble des archives d'Emmaüs[26]. Selon le quotidien La Croix, « les accusations de femmes mineures au moment des faits, dont une était alors âgée de 9 ans, marquent un tournant particulièrement grave dans l’affaire concernant le fondateur d’Emmaüs [et] une escalade brutale [...] de nature à changer radicalement la perception du "héros" de la lutte contre le mal-logement »[21].

Dans un entretien accordé au Parisien le , Véronique Margron demande à Emmaüs la mise en place d'une instance de réparation destinée aux victimes de l'abbé Pierre, sur le modèle de l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et réparation (Inirr) et de la Commission reconnaissance et réparation (CRR). Elle fait valoir que la responsabilité « échoit au mouvement Emmaüs car l'abbé Pierre, jusqu'à la fin, en a été l'image et le fondateur ». Selon elle, les accusations portées contre le prêtre évoquent un « prédateur en série » comparable à Jean Vanier ou aux frères Thomas et Marie-Dominique Philippe[27],[28]. Interrogé sur RTL le , Adrien Caboche, directeur général d'Emmaüs international, déclare que le mouvement réfléchit et travaille à la question de l'indemnisation[29]. L'Inirr se dit prête à indemniser les victimes de l'abbé Pierre qui étaient alors mineures[30].

Enquêtes journalistiques

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Le , Laetitia Cherel, journaliste de la Cellule investigation de Radio France publie une enquête documentée qui reproduit différentes archives sur les abus de l'abbé Pierre dans les années 1950-1960. Dans l'article, la Conférence des évêques de France répond indirectement aux chercheurs de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église qui accusaient dans la tribune du Monde Emmaüs et la hiérarchie catholique d'avoir à l'époque cherché à dissimuler les agissements de l'abbé Pierre : « Un ou des évêques ont peut-être su des choses et les ont peut-être insuffisamment traitées en leur temps, tous les évêques, à travers le temps, n’ont pas tout su de l'Abbé Pierre, loin de là. » L'enquête aborde également la question de ce que savaient les responsables d'Emmaüs, dont les témoignages sur ce point sont contradictoires[25].

La Radio télévision suisse (RTS) diffuse le une enquête qui dévoile la double vie du prêtre lors de ses fréquents séjours à Genève dans un hôtel situé à proximité du quartier chaud des Pâquis. Elle cite notamment le témoignage que Grisélidis Réal, écrivaine et ancienne prostituée, avait livré lors de l'émission Ciel, mon mardi ! sur TF1 le , essuyant par la suite menaces et insultes. Contrairement aux journaux suisses qui en avaient parlé abondamment, la presse française avait alors passé le fait sous silence[31]. Selon un autre témoignage, l'abbé Pierre entretenait une liaison avec une femme de la communauté Emmaüs de Genève en parallèle avec des relations avec d'autres femmes. Celles qui l'approchaient étaient mises en garde contre le prêtre pour prévenir de « potentiels dérapages ». Selon Laetitia Cherel, auteure de l'enquête de Radio France, interrogée par la RTS, qui avait recueilli sept ans auparavant des témoignages sur l'abbé Pierre, « ses nombreuses victimes étaient "déchirées par le devoir de vérité" et "un conflit de loyauté, envers un homme qu'elles respectaient, voire idolâtraient." ». La communauté Emmaüs de Genève conteste avoir eu connaissance des faits rapportés par l'enquête[32],[33].

Le , le quotidien 20 Minutes révèle l'existence d'un court passage d'une biographie[34] consacrée à Saul Alinsky parue en 2010. Militant contre la pauvreté, Alinsky avait mis en place aux États-Unis des collectifs en faveur des démunis, dont l'un situé à Chicago, avait reçu l'abbé Pierre en -. L'auteur de la biographie fait allusion à l'épisode américain qui avait fait scandale en ces termes : « Un prêtre français connu sous le nom de "chiffonnier d’Emmaüs" arriva à Chicago. [...] Il transportait avec lui une réputation de saint. Personnage tout droit sorti du Paris de Victor Hugo, il travaillait parmi les plus pauvres des pauvres [...] À Chicago, l’abbé s’avéra moins attentif aux démunis qu’aux dames. Il s’ensuivit quelques journées d'opéra-comique pendant lesquelles Saul [Alinsky] et Jack Egan, qui ne parlaient pas un mot de français, tentèrent de coincer le prêtre dans un avion pour qu’il puisse retourner dans sa patrie et s’occuper des misérables. » Cette information a été portée à la connaissance du cabinet Egaé[35].

Réactions

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Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France.

Connaissance par l’Église catholique des agissements de l'abbé Pierre

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Interrogé par RCF et Radio Notre Dame, le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Éric de Moulins-Beaufort annonce le l'ouverture des archives sur l'abbé Pierre détenues par le Centre national des archives de l'Église de France[36], notamment aux chercheurs de la commission indépendante mise en place par Emmaüs, mais aussi aux journalistes, sans attendre les 75 ans qui sont la règle après la mort d'un prêtre[37],[38]. Ces archives couvrent une période allant des années 1940 à 1971, mais s'arrêtent au-delà, sans que la raison en soit connue[39].

Le , le pape François, interrogé par un journaliste du Monde lors d'une conférence de presse, fait savoir que les faits de violences sexuelles de l'abbé Pierre étaient connus du Vatican depuis des années, au moins depuis sa mort en 2007. Il qualifie le fondateur d'Emmaüs de « terrible pécheur »[40],[41]. Dans un communiqué paru le lendemain, la CEF salue « les propos du Pape [qui] encouragent à ce travail de vérité et de clarification historique autour de l'abbé Pierre » et redit ouvrir « dès à présent » ses archives[42],[43].

En réponse aux déclarations du pape, Éric de Moulins-Beaufort affirme dans une tribune au Monde publiée le qu'« il est désormais établi que, dès 1955-1957, quelques évêques au moins ont su que l’abbé Pierre avait un comportement grave à l’égard des femmes. » Il confirme les mesures prises contre lui que l'on peut juger « insuffisantes, [et] regretter qu’elles aient été gardées très confidentielles. » Il apparaît selon le président de la CEF que l'abbé Pierre se soit employé à tromper la vigilance de son socius dont on ne sait pas quelle a été la durée de sa mission de surveillance, ni s'il a rédigé des rapports à ce sujet. Éric de Moulins-Beaufort affirme qu'« il est établi aussi désormais que l’on savait, au moins dans certains cercles d'Emmaüs, l’abbé Pierre étant encore vivant, qu'il devait être surveillé parce qu’il était dangereux pour les femmes qui s’approchaient de lui. » ce que selon lui aucune biographie parue du vivant de l'abbé Pierre ou après sa mort ne laisse paraître. Il rejette l'idée que l'Église catholique prise dans son ensemble aurait « starifié » l'abbé Pierre, attribuant ce rôle aux médias à partir des années 1990, en faisant valoir que « l’abbé Pierre a presque toujours vécu à distance de tout cadre proprement ecclésial ». Il invite le Vatican à étudier ses archives « et dise ce que le Saint-Siège a su et quand il l'a su »[44],[45],[46]

Le , le journal Libération, sous la plume de Bernadette Sauvaget, dévoile le contenu d'une lettre de adressée par le nonce apostolique en France, Paolo Marella, au secrétaire de l'épiscopat, Jean-Marie Villot par laquelle le Saint-Siège fait connaître son opposition à un nouveau voyage de l'abbé Pierre au Canada. Ce document, issu des archives très récemment déclassifiées de l'épiscopat français, montre que le Vatican était dès cette année au courant des agissements du prêtre. La secrétairerie d'État posséderait des éléments à ce sujet. Ces archives indiquent que les évêques français ont constitué un dossier sur l'abbé Pierre, non divulgué à ce jour, qui n'aurait cependant pas été transmis à Rome. Bernadette Sauvaget souligne que l'affirmation d'Eric de Moulins-Beaufort selon laquelle « dès 1955-1957, quelques évêques au moins ont su que l’abbé Pierre avait un comportement grave à l’égard des femmes » est incomplète : à partir de 1958, de nombreux prélats ont eu connaissance des faits et « c’est bien collectivement que l’épiscopat a dû gérer le dossier très épineux de l’abbé Pierre, d’après les divers documents d’archives consultés par Libération. »[47]. Le principal souci des évêques est d'éviter le scandale. Selon le quotidien La Croix dans son édition du , c'est même dès 1955 que « les informations sur ses frasques sexuelles circulaient largement parmi les évêques [...] comme le montrent les nombreuses lettres entre le secrétariat de l’épiscopat et les évêques français de l’époque. ». « Les documents que La Croix a pu consulter dessinent une gestion opaque de son cas par la hiérarchie de l’Église, qui avait connaissance de faits graves dès les années 1950. »[38]

En , le nom de l’abbé Pierre est inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée des cardinaux et archevêques de France (ACA) qui regroupe le quart le plus influent de l'épiscopat français. Cette gestion du cas de l'abbé Pierre, au plus haut niveau de l’Église catholique en France, est inhabituelle et témoigne de son importance, alors que canoniquement l'abbé Pierre dépend du seul diocèse de Grenoble[38]. Le compte-rendu de séance est néanmoins introuvable. De nombreux évêques s'adressent à l'ACA dans les années 1950 et 1960 pour savoir quelle conduite tenir vis-à-vis du prêtre, ce qui montre qu'ils sont également au courant. L'ACA se penche à nouveau sur la situation de l'abbé Pierre en 1964. Le , le secrétaire général de la Conférence des évêques de France (ex-ACA) qui a succédé à Julien Gouet, Roger Etchegaray (1922-2019), devenu par la suite une personnalité influente en France et à Rome sous Jean-Paul II, signale au diocèse de Versailles que l'abbé Pierre a toujours interdiction de confesser[38],[47]. Les archives de l'abbé Pierre révèlent par ailleurs qu'en 1993 l'un des évêques auxiliaires du cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, a transmis à Emmaüs et au prêtre une copie de la lettre de 1958 adressée par le cardinal Maurice Feltin au ministre des anciens combattants, Edmond Michelet, pour le dissuader de décorer l'abbé Pierre, sans que les raisons de cet envoi tardif à Emmaüs en soient connues. Bernadette Sauvaget s'interroge : « À la lumière de ces éléments, il apparaît toutefois que le cardinal Lustiger ne pouvait pas ignorer les problèmes posés par [Henri] Grouès. Quels secrets ont été tus lors des obsèques nationales du prêtre, célébrées à Notre-Dame le , en présence du chef de l’État Jacques Chirac, d’une partie du gouvernement et de très hauts prélats, notamment Jean-Marie Lustiger ? »[47].

Rejet de la mémoire de l'abbé Pierre

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De nombreuses communes, en France et en Suisse, renomment des lieux publics portant le nom de l'abbé Pierre ou suppriment ses effigies[48],[49],[50],[51]. Dans leur communiqué du , la production et l'équipe artistique du film L'Abbé Pierre : Une vie de combats, sorti en salle fin 2023, condamnent les agissements du prêtre et apportent leur « soutien total aux nombreuses victimes de l'abbé Pierre »[52],[3]. La présence du portrait de l'abbé Pierre sur la Fresque des Lyonnais est remise en question après qu'il a été vandalisé les 28 et 29 septembre[53].

Chronologie des abus allégués durant plus de 50 ans

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L'enquête du magazine La Vie, sortie le jour de la parution du premier rapport, fait état de faits connus anciens remontant aux années 1950 et 1960. Selon certaines sources, l'abbé Pierre aurait eu sa première relation sexuelle avec une femme pendant la guerre alors qu'il était dans la Résistance[2]. En 1942, alors qu'il exerce à l'orphelinat de La Côte-Saint-André, en Isère, son attitude envers des jeunes filles est considérée comme suspecte par son supérieur qui en réfère par lettre à Alexandre Caillot, évêque de Grenoble, qui lui écrit en retour partager son inquiétude au sujet de l'abbé Pierre[39]. Sa popularité, avec la création d'Emmaüs en 1949 et son appel de 1954, ont donné lieu à de nombreuses incartades sexuelles[2]. Malgré la grande vigilance de Lucie Coutaz[54], et la surveillance de celui qui lui succède après son décès en 1982, l'abbé Pierre « aurait cependant poursuivi son comportement à risques »[2],[4]. Selon Axelle Brodiez-Dolino, historienne de la pauvreté en France et auteure de l’ouvrage Emmaüs et l’Abbé Pierre paru en 2009, « l’abbé Pierre a eu du mal à réfréner son désir pour les femmes tout au long de sa vie ». Elle juge le rapport « très convergent d’un témoignage à l’autre »[2]. Dans cet ouvrage, elle avait documenté les compulsions sexuelles du prêtre connues dès les années 1950-1960[10] qui, selon elle, constituaient, dès cette époque, un « secret de polichinelle »[55]. Biographe et ami intime de l'abbé Pierre, Pierre Lunel rapporte dans son ouvrage paru en 1992, 40 ans d'amour, ce qu'il appelle les « égarements du Père » et ses « inconduites ». Il écrit à ce sujet : « Emmaüs est à la merci de la moindre révélation, mais la force du mythe assure le respect, à l’extérieur, de la loi du silence observée par les proches. La presse a trop contribué à édifier la statue de l’abbé pour se renier en la brisant. »[2],[56].

Évoquant sa nomination en 2010 comme directeur du centre Abbé-Pierre d’Esteville (Seine-Maritime), où le fondateur d’Emmaüs est inhumé, Philippe Dupont rapporte que « certaines personnes qui avaient connu [l'abbé Pierre] [lui] ont très vite parlé de relations avec des femmes. »[2]. Les comportements de l’abbé étaient connus au sein d’Emmaüs. Selon l'un des témoins entendus par le cabinet ayant produit le rapport, « ce n’était pas un épiphénomène. » Le quotidien La Croix rapporte que « plusieurs femmes affirment également avoir rapporté les faits au sein du mouvement. » Une salariée d'Emmaüs indique que « la consigne était donnée à ses collègues féminines de ne pas aller voir l’abbé Pierre seule. »[4].

Dans les années 1950

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Dès 1951, alors que l'abbé Pierre était député à l'Assemblée nationale, une femme qui y travaillait aurait subi de sa part des contacts physiques non sollicités[57],[24]. Une autre femme, assistante d'un parlementaire, aurait décrit le « comportement de l'abbé Pierre comme celui d'un prédateur sexuel, qui agressait les collaboratrices et entretenait des relations sexuelles avec elles »[21],[20].

Le voyage aux États-Unis en avril-mai 1955

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L'abbé Pierre en 1955.

Après son appel très médiatisé du , l'abbé Pierre part pour les États-Unis le . Jacques Maritain, ancien ambassadeur de France près le Saint-Siège et professeur à l’université de Princeton, est chargé de l'organisation de cette tournée dans plusieurs villes américaines, de la côte Est jusqu'à Los Angeles, avec l'un de ses étudiants américains, Marshall Suther[25]. Des interventions télévisées et une conférence au siège de l'Organisation des Nations unies (ONU) sont également prévues[58]. L'abbé Pierre débarque à New York le où il est accueilli par Maritain et par le cardinal Francis Spellman, archevêque du lieu, qui remet au prêtre un chèque de 2 000 dollars. Les et , Maritain est prévenu, par deux prêtres américains « affolés », de plaintes de deux femmes à New York au sujet de l'abbé Pierre, qui se trouve alors à Chicago en compagnie de Marshall Suther, ainsi que de Saul Alinsky, également ami de Maritain[35]. Elles affirment que le prêtre leur a fait des avances sexuelles. L'abbé Pierre de son côté fait valoir le même jour par téléphone à Maritain qu'il s'agit « d’imprudence minime ». Trois jours plus tard, Marshall Suther fait cette révélation à Maritain, que ce dernier note ainsi dans ses carnets : « On ne peut comprendre la quantité de folies [commises par l'abbé Pierre] avec des femmes inconnues, non seulement à New York mais aussi à Paris. » Spellman et l'archevêque de Chicago, le cardinal Samuel Alphonsus Stritch, sont alertés[59],[19].

Maritain préconise le un retour précipité de l'abbé Pierre par un vol direct de Chicago à Paris afin d'éviter le scandale : d'autres plaintes sont aussi rapportées à Chicago et à Washington. L'abbé Pierre tente de se dérober à son exfiltration en retournant à New York et, contre la volonté de Maritain, prolonge même son voyage outre-Atlantique jusqu'au Québec[19]. Un jésuite américain recommande à Maritain de rencontrer Spellman pour lui assurer que le cardinal Maurice Feltin, archevêque de Paris, est prévenu, de sorte que l'abbé Pierre ne revienne jamais aux États-Unis. Deux autres évêques français auraient eu connaissance des faits qui se sont déroulés lors de ce voyage écourté : André-Jacques Fougerat, alors évêque de Grenoble, diocèse dont dépend l'abbé Pierre, et Alexandre Renard qui a sous sa juridiction, en tant qu'évêque de Versailles, plusieurs communautés du mouvement[59],[25].

Quelque mois plus tard, Marshall Suther met au courant, de manière voilée, un proche de l'abbé Pierre, s'attirant à la fin de l'année 1955 une réponse courroucée et menaçante du prêtre dans une lettre : « Tu promettais de ne plus te mêler de cette multitude de choses où tu ne sais accumuler que des ravages, chaos et infection [...] Sache que pas une récidive ne restera sans réponse, et s’il le faut [mes réponses seront] brutales, chirurgicales[25]. »

Parmi les témoignages recueillis par le cabinet Egaé, une femme rapporte qu'une parente a raconté à plusieurs reprises avoir été victime d'une tentative d'abus sexuel de la part de l'abbé Pierre dans un hôtel de New York en 1955 lors de ce voyage[20].

Mesures prises par la hiérarchie catholique (septembre 1955 - été 1958)

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Jacques Maritain, revenu en France à l'été 1955, attire, avec l'aide de René Voillaume, l'attention de la hiérarchie catholique sur le cas de l'abbé Pierre, lequel est convoqué le par le cardinal Feltin pour rendre compte de ses agissements. Jean-Marie Villot, alors secrétaire général de l'épiscopat français, intervient auprès d'Alexandre Renard qui adresse une monition canonique au prêtre[39].

Le fondateur d'Emmaüs alterne ensuite entre 1956 et 1957 retraites et séjours en clinique[60]. Il est mis en sous la tutelle de deux socius (« à la fois chaperon et conseiller spirituel »), condition requise pour le renouvellement de son celebret[61], c'est à dire l'autorisation pour un prêtre de dispenser les sacrements[38]. L'un d'eux est le jésuite Prosper Monier[59],[25],[60]. Officiellement pour être opéré d'une hernie diaphragmatique dans un hôpital suisse, il est interné en dans l'institut psychiatrique d'Oscar Forel à Prangins, à la clinique des Rives[62], où il est soigné par des cures de sommeil[33] et des piqûres d'insuline[38]. Ce séjour lui est imposé notamment par André-Jacques Fougerat, évêque de Grenoble[60] en accord avec Emmaüs[26]. « Les prêtres déviants sont habituellement pris en charge en France par le Secours sacerdotal, la délocalisation laisse donc croire combien l’affaire est prise au sérieux[10],[25]. »

Jean-Marie Villot confie dans une lettre du ses craintes que l'affaire n'éclate au cardinal Pierre Gerlier : « Il ne faut pas se dissimuler en effet que tout cela pourra un jour ou l'autre être connu et que l'opinion serait bien surprise alors de voir que la hiérarchie catholique a maintenu sa confiance à l'abbé Pierre. Il y a longtemps déjà que le parti communiste a un dossier à son sujet. Toute la psychologie de l'abbé, attachante par l'humilité avec laquelle il parle de ses faiblesses, n'en est pas moins fort inquiétante et trouble par la facilité avec laquelle il les accepte et en minimise la gravité. »[63]. De même, dans un courrier adressé à l'évêque de Grenoble, Villot exprime ses craintes que le PCF ébruite l'affaire : « Je ne voudrais pas avoir à me reprocher les conséquences d’un abandon de cette affaire alors que je sais par ailleurs de quelle gravité sont les faits qui pourraient revenir à la surface et sur lesquels le Parti communiste lui-même possède une ample documentation »[26],[note 1]. La presse catholique française est mise au courant : à des journalistes danois qui s'étonnent de la mise à l'écart de l'abbé Pierre, la Maison de la bonne presse leur demande de garder le silence sur son cas dans un télex de 1958[26].

À la demande des premiers responsables d'Emmaüs, dont Yves Goussault, il est alors écarté de la communauté par la hiérarchie catholique[25]. Les évêques nomment un nouvel animateur à Emmaüs en la personne du père Jacques, un religieux franciscain, Jean Vreck à l'état civil[60]. L'abbé Pierre, même s'il délègue ses pouvoirs, ne se retire pas du mouvement[25].

Il quitte la clinique de Prangins en [47]. À sa sortie, la hiérarchie catholique ne sait que faire de lui. Plusieurs couvents refusent de l’accueillir et il est jugé inapte à diriger une paroisse. Jean-Marie Villot et Henri Foucart, membre du secrétariat de l’Assemblée des cardinaux et archevêques de France (ACA) envisagent d'envoyer l'abbé Pierre dans un pays du Tiers monde[38]. L'idée est abandonnée, mais Villot plaide auprès du cardinal Pierre Gerlier, archevêque de Lyon, en faveur « d'une retraite ou d'un grand effacement »[39]

Les évêques limitent alors les déplacements de l'abbé Pierre : son agenda est surveillé par Julien Gouet, secrétaire général de l'Assemblée des cardinaux et archevêques de France (ACA)[19],[54]. Des sanctions canoniques, dont il demandera plusieurs fois la levée, au moins jusqu'en 1966[39], sont prises contre lui : il a interdiction de confesser[47]. Les autorités civiles sont averties[64] : alors qu'Edmond Michelet, ministre des anciens combattants, s'apprête en 1958 à promouvoir l'abbé Pierre au grade d'officier de la Légion d'honneur, le cardinal Feltin lui écrit pour l'en dissuader : « Il vaut mieux ne pas parler de cet abbé. Il a eu d’heureuses initiatives, mais il semble préférable, actuellement, de faire silence sur lui[19],[54],[25]. »[note 2] Les Renseignements généraux ouvrent un dossier sur le prêtre concernant ses mœurs[2]. Une lettre de Jean Villot confirme en 1958 qu'« il y a longtemps que celui-ci est dans un état anormal (de sexto) », expression issue du code de droit canonique qui signifie que la hiérarchie considère qu'il a péché en matière sexuelle. Un « "protocole" [est] mis en place pour tenter de contrôler l’abbé Pierre, un échafaudage de mesures précaires oscillant entre surveillance étroite et liberté relative. »[38]

Lucie Coutaz, secrétaire de l’abbé Pierre et cofondatrice d’Emmaüs, s'inquiète de cette situation qui met l'œuvre en péril si les faits viennent à être connus du public[19]. Une politique du silence se met alors en place pour la protéger[59]. Selon l'historienne Axelle Brodiez-Dolino, biographe de l'abbé Pierre, le mouvement aurait fait dans ses archives « un très gros ménage dans les années 1950 ; tout a été méthodiquement expurgé »[26].

D'autres abus présumés

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En 1956, une femme alors âgée de 18 ans (la majorité étant alors fixée à 21 ans) aurait été forcée de masturber l'abbé Pierre à Rabat, au Maroc, selon le témoignage de ses enfants à qui elle en avait parlé[57],[22].

Dans son livre de mémoires, Paysan de la rive droite, paru en , un an avant la publication du premier rapport du cabinet Egaé, le théologien André Paul évoquait des faits de harcèlement de la part de l'abbé Pierre contre des femmes, que l'auteur aurait passés sous silence sans « les récentes révélations des ignominies sexuelles de personnalités aussi insoupçonnables que Jean Vanier et l'abbé Jean-François Six. ». Selon André Paul, l'abbé Pierre aurait eu ces agissements vis-à-vis de femmes en charge de l'hôtellerie dans une communauté religieuse en Suède, pays où il avait été invité en 1958[65], et où il faisait des séjours occasionnels, à tel point que « le supérieur aurait exigé qu'à l'avenir il ne revînt qu'accompagné de [son] socius. »[19],[66].

Échappant au contrôle de ses déplacements par la hiérarchie catholique, l'abbé Pierre poursuit ses voyages à l'étranger. Au début de l'année 1959, il se trouve au Liban, et envisage à nouveau de se rendre au Québec comme il l'avait fait en 1955. Le Vatican s'y oppose. Le nonce apostolique en France, Paolo Marella, écrit le à Jean Villot afin qu'il se mette en contact avec le père Jacques pour savoir où se trouve l'abbé Pierre et lui fait connaître que « le Saint-Siège ordonne à M. l’abbé Pierre de suspendre immédiatement le voyage qu’il a l’intention d’effectuer au Canada en raison des difficultés qui ont été signalées par les évêques du pays. » Le père Jacques prévient l'abbé Pierre, qui à son retour en France rencontre Paolo Marella, comme l'atteste une lettre de l'évêque de Grenoble datée du . L'abbé Pierre remet au nonce un dossier sur son projet de voyage au Canada et en Amérique du Sud. Finalement, sans que l'on en connaisse les raisons, levée de l'interdiction vaticane ou de son propre chef, l'abbé Pierre se rend au Canada où il séjourne en dans la trappe d'Oka. Sur place, l'abbé Pierre écrit le à un prêtre, le père Roy, pour démentir les accusations à son sujet, et menacer ses accusateurs de poursuites judiciaires[47]. L'abbé Pierre récidive lors de cette visite qui se solde par l'intervention de la police et un nouveau scandale[25],[38].

 
L'abbé Pierre en 1965

Dans les années 1960

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Certains témoignages recueillis par le cabinet Egaé sont anonymes. « Ces récits, cohérents avec les autres faits rapportés, datent pour la plupart des années 1960. » L'un d'eux porte sur des faits commis au début de la décennie sur un jeune garçon d'une dizaine d'années dans une institution religieuse, selon le mouvement Emmaüs. Le dossier a été transmis à la Commission reconnaissance et réparation (CRR)[22].

L'abbé Pierre est éloigné en 1961 à Béni Abbès en Algérie pour une retraite spirituelle. Pour les chercheurs de la Ciase, cette mesure « suit la logique de réforme comportementale appliquée par l’Église aux prêtres déviants et agresseurs sexuels. »[10].

André Paul écrit aussi dans ses mémoires avoir été informé d'autres faits d'agressions sexuelles commis à Montréal en 1963, alors que l'abbé Pierre faisait la promotion des fraternités d'Emmaüs : « L'affaire se serait réglée à l'amiable entre la police locale et les autorités ecclésiastiques » à la condition expresse du cardinal Maurice Roy que l'abbé Pierre ne revienne plus jamais au Québec[59],[66],[67],[25].

Dans une lettre du adressée au cardinal Roy, quelques mois après cette visite, Pierre Veuillot, archevêque coadjuteur de Paris, reconnaît explicitement le comportement déviant du prêtre : il évoque à son sujet « un grand malade mental » atteint par la « perte de tout contrôle de soi », et, à propos de ses victimes, des « jeunes filles [...] marquées pour la vie ». Pierre Veuillot explique qu'« on a remarqué que les "accidents" [entre guillemets dans le texte] ne se produisent pas quand il a un guide qui se charge de lui. ». Aussi il convient selon lui de « l'escorter au plus près », de « ne pas le perdre de vue », mais aussi de « ne pas le briser psychologiquement ». Il explique cependant qu'il est « impossible de le désavouer politiquement [car] ceux qui ont la responsabilité de son cas craignent un scandale »[68].

Avec la permission du secrétaire général de l'épiscopat français, Julien Gouet, l'abbé Pierre s'installe à partir de 1964 dans une maison à Esteville (Seine-Maritime) léguée à Emmaüs. Il ne semble plus avoir de socius pour l'accompagner, mais le secrétaire général de l'Assemblée des cardinaux et archevêques de France écrit à l’archevêque de Rouen pour lui indiquer qu'il ne doit « jamais être seul »[38].

Une femme rapporte des agressions sexuelles qu'elle aurait subies en 1966 à l'âge de 17 ans alors qu'elle accompagnait l'abbé Pierre dans un camp de jeunes[20].

Dans les années 1970

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Une femme témoigne avoir subi en Île-de-France, en 1974 et 1975, à plusieurs reprises, des agressions sexuelles de la part du prêtre alors qu'elle avait 8 et 9 ans et qu'elle lui rendait visite accompagné de son beau-père, lui-même incestueux, en contact avec l'abbé Pierre[22],[57]. « Elle a fourni des éléments cohérents et précis sur le lieu et le contexte de ces faits »[21].

Une autre femme témoigne d'agressions sexuelles alors qu'elle avait 15 ans au domicile de ses parents dans une communauté Emmaüs[21],[20].

Dans les années 1980

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L'abbé Pierre autour des années 1980.

Une femme, fille d'un couple proche de l'abbé Pierre, témoigne d'agressions sexuelles, entre ses 16 et 17 ans, ayant débuté en 1980[22] qui se sont reproduites à deux reprises alors qu'elle était majeure en 1982 et en 1988 ou 1989. Son témoignage écrit produit en 2003 devant l'abbé Pierre en présence de son père aurait été pris par le prêtre et passé devant eux à la déchiqueteuse. Un autre témoin atteste de cette entrevue[1].

Dans un témoignage intégralement reproduit à sa demande dans le second rapport, une femme témoigne d'une agression sexuelle au seuil de la chambre de l'abbé Pierre alors qu'elle avait une vingtaine d'années. Son témoignage fait suite au premier rapport et au communiqué d'Emmaüs international que lui a transmis Pierre Vignon, par ailleurs connu pour son engagement auprès des victimes d'abus sexuels dans l'Église catholique[20].

Deux témoignages parvenus à la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) portent sur des faits d'agressions sexuelles commis en 1980 sur une salariée d'Emmaüs, et en 1981 sur une femme à Namur en Belgique à l'occasion d'une dédicace après une conférence donnée par l'abbé Pierre[10].

Influencée par le contexte en Belgique de l'affaire Dutroux, la seconde femme, avocate, écrit en 1996 à l'abbé Pierre pour lui réclamer des excuses qu'elle n'obtient pas. Elle fait à nouveau en 2005 parvenir une lettre à l'ordre des capucins, auquel appartenait l'abbé Pierre. L'ordre la transmet au diocèse de Grenoble, où l'abbé Pierre avait été incardiné en 1939. L'évêque, Louis Dufaux, répond aux capucins qu'il ne compte donner aucune suite à l'affaire sauf si la plaignante s'adresse directement à lui[39]. L'abbé Pierre répond à celle qui le sollicite qu'il ne se souvient plus des faits, mais lui demande de le pardonner quoi qu'il ait commis[22]. Le , l'évêque de Grenoble, Jean-Marc Eychenne, annonce au Dauphiné libéré avoir retrouvé la lettre de 2005 en consultant les archives de son diocèse[69],[70],[71],[72]. Deux jours auparavant, des membres de Mouv'Enfants, une association de défense des victimes d’inceste et de violences sexuelles, avaient manifesté devant l'évêché de Grenoble pour demander une enquête sur les faits commis par l'abbé Pierre[73],[74].

Jean-Christophe d’Escaut, issu d’une famille accueillie dans la première communauté Emmaüs, à Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis), accuse le prêtre, dans un livre paru en 2007 intitulé L’Abbé Père, d’avoir tenté de toucher les seins de sa sœur en 1984. La chanteuse Sandra Slag affirme également, dans son livre Le Saint et la Pécheresse paru en 2008, que le prêtre se serait déshabillé devant elle et sa fille en 1985, puis une seconde fois avec elle seulement en 1991[2].

En Suisse, une journaliste de la revue religieuse Choisir témoigne avoir subi en 1988 des agressions sexuelles de la part de l'abbé Pierre lors d'une interview à Genève. Elle évoque ces faits en 2007 dans l'hebdomadaire Caretas. Une jeune femme majeure témoigne à la même époque d'une tentative d'agression dans une institution en Suisse où le prêtre était accueilli lors d'un déplacement[75].

Selon un autre témoignage parvenu à la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase), une femme alors âgée de 34 ans, E. de C., dans une situation matérielle précaire, demande en 1989 l'aide de l'abbé Pierre pour trouver un logement. Elle vient alors de quitter le Canada pour la France, après avoir divorcé de son mari en raison de violences conjugales. Le prêtre l'installe à l’hôtellerie de l'abbaye Saint-Wandrille de Fontenelle (Seine-Maritime) et paie la pension de son fils aux Petits chanteurs à la croix de bois. L'abbé Pierre profite de sa situation pour l'utiliser entre 1989 et 1990 comme « objet sexuel » dans son appartement parisien : masturbation devant elle, flagellation réciproque, fellations forcées (pouvant être qualifiées de viols) et proposition de triolisme avec une autre femme. C'est en regardant le documentaire Religieuses abusées, l'autre scandale de l'Église, qu'E. de C. décide de livrer son témoignage à la Ciase en 2019, peu avant son décès[10],[76],[22].

Dans les années 1990

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L'abbé Pierre en 1999.

Une autre femme en état de vulnérabilité économique, alors âgée d'une vingtaine d'années, témoigne d'agressions sexuelles à l'occasion d'une dizaine de rencontres avec l'abbé Pierre qui l'a hébergée quelques jours chez lui et l'a aidée dans ses démarches pour trouver un logement[22].

Une élève-infirmière aurait été sexuellement agressée en 1999 alors que le prêtre était hospitalisé. Ses collègues lui auraient dit que « c’était courant avec l’abbé Pierre »[20].

Dans les années 2000

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Le sur France Inter, une femme témoigne d'une agression sexuelle en 2006, alors que l'abbé Pierre avait 93 ans et était soigné dans un hôpital militaire parisien. Selon le témoignage de cette infirmière, « il était coutumier du fait », deux ou trois de ses collègues de travail ayant eu aussi à subir le même traitement. Selon elle, les faits n'avaient pas été rendus publics, l'intéressée ayant mis le comportement de l'abbé Pierre sur le compte de son âge avancé, ignorant totalement à l'époque que l'abbé Pierre avait commis les mêmes actes durant des décennies[77],[20].

Notes et références

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  1. Guillaume Roubaud-Quashie, historien et porte-parole du PCF, affirme que les archives numérisées du parti ne font pas mention d'affaires sexuelles concernant l'abbé Pierre. Il fait l'hypothèse que Roger Garaudy, ami de l'abbé Pierre, aurait pu emporter ces éventuelles archives au moment de son départ contraint du PCF en 1968.
  2. La lettre du cardinal Feltin est citée par Sophie Doudet, L'abbé Pierre, Gallimard, coll. « Folio », , 307 p. (ISBN 9782072899508) selon Claire Ané et Gaétan Supertino, « Les comportements déviants de l’abbé Pierre, un secret gardé d’Emmaüs au Parti communiste », Le Monde,‎ (lire en ligne)

Références

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    « Depending as he did on religious organizations for a large part of his budget made [Saul Alinsky] even more anxious about any incident involving sex, though when one did occur it wouldn’t have been the IAF [Industrial Areas Foundation] which was embarrassed but the archdiocese. A French priest known as the Ragpicker of Emmaus arrived in Chicago, at whose invitation I cannot remember, but he brought with him a saintly reputation. A figure out of Victor Hugo's Paris, he worked among the poorest of the poor, those who lived under bridges and in the sewers, making what living they could finding and selling rags. In Chicago the abbé turned out to have less of an eye for the destitute and more of an eye for the ladies. There followed a couple of opéra-comique days while Saul and Jack Egan, neither of whom spoke a word of French, tried to wedge the erring clergyman onto an airplane so that he could return to his homeland and attend to les misérables. »

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  55. Brodiez-Dolino 2009, p. 97

    « De fait, l’abbé Pierre reste dans sa vie privée incontrôlable et son entourage, à commencer par Lucie Coutaz, doit être attentif aux possibles dérapages. L’abbé, si volontariste dans ses convictions religieuses et politiques, s’échappe en partie à lui-même dans ses pulsions affectives. La hiérarchie catholique et la direction d’Emmaüs se sont alors accordées pour étouffer les risques de scandale, protéger l’abbé de lui-même et Emmaüs de l’abbé. [...] Ce secret bien gardé ne s’est que progressivement dévoilé, alors même qu’il est un élément nodal de compréhension des craintes et des attitudes de l’époque. [...] Il s’agissait d’un secret de polichinelle. »

  56. Pierre Lunel, 40 ans d'amour : l'abbé Pierre et Emmaüs, t. I : Le Temps des apôtres, Édition n°1, (ISBN 9782863915370), p. 214 cité par Brodiez-Dolino 2009, p. 97
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  72. « Abbé Pierre : l'évêque de Grenoble confirme avoir reçu dès 2005 une lettre dénonçant "des gestes déplacés" », France Bleu Isère,‎ (lire en ligne  )
  73. Laurent Gallien, « Abbé Pierre : "le Diocèse de Grenoble savait", affirme l'association Mouv'enfants », France Bleu,‎ (lire en ligne  )
  74. Clémence Beyrie, « Affaire Abbé Pierre : ils veulent une enquête sur le diocèse de Grenoble-Vienne », Le Dauphiné libéré,‎ (lire en ligne  )
  75. R.M., « En Suisse, l'Abbé Pierre a agressé deux femmes », Le Matin,‎ (lire en ligne)
  76. Bernadette Sauvaget, « Affaire abbé Pierre : « Il est passé rapidement de l’aide charitable à des faits d’abus sexuels » », Libération,‎ (lire en ligne  ).
  77. « "Ce n'est pas un saint" : une nouvelle femme dénonce une agression de l'abbé Pierre », France Inter,‎ (lire en ligne  ).

Voir aussi

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Bibliographie

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Articles connexes

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