Utilisateur:Philobule/Brouillon/Projet2


[SUR LES RÉFLEXIONS]

Analyse modifier

L'essai comporte une partie introductive non titrée, puis quatre sections centrales, intitulées respectivement « Critique du marxisme », « Analyse de l'oppression », « Tableau théorique d'une société libre » et « Esquisse de la vie contemporaine », suivies d'une « Conclusion ».

Afin de dégager les données du problème social en général, Weil commence par un examen critique des idées fondamentales de Marx. Elle analyse ensuite les causes de l'oppression sociale, puis la liberté elle-même, selon une perspective philosophique. La solution qu'elle propose dans les Réflexions reste en grande partie théorique : il s'agit d'un idéal de société libre dont elle admet qu'il n'est pas réalisable en tant que tel, mais qui peut servir de modèle et d'inspiration pour l'action. Dans les années 1930, le projet de Weil est davantage social et politique que métaphysique ; c'est dans L'Enracinement qu'elle développe l'idée d'« une civilisation constituée par une spiritualité du travail[1] » et répond ainsi plus globalement et en pratique au problème de l'oppression, alors que dans les Réflexions, après une analyse précise et détaillée de l'oppression, elle se contente d'expliquer ce que serait en théorie la liberté humaine dans une société non oppressive, puis montre que la vie contemporaine ne ressemble en rien à cet idéal.

Introduction modifier

Le ton pessimiste et presque désespéré des premières pages des Réflexions s'explique par le contexte de crise politique, sociale et économique des années 1930. C'est une époque difficile, marquée par le traumatisme récent de la Première Guerre mondiale, sanglante et démoralisante, dont les Années folles ont voulu effacer le pénible souvenir par un divertissement vertigineux, et la menace de la Seconde, pressentie et redoutée. Weil affirme en effet qu'après 1918, on a cherché à oublier le malheur par « une soûlerie de jouissances exaspérées[2] », mais l'incertitude — Weil parle à plusieurs reprises d'« angoisse » — a effacé cette effervescence, et lorsqu'elle écrit cet essai, en 1934, la situation économique et sociale est devenue extrêmement critique dans la plupart des pays industrialisés. L'effondrement boursier de 1929 et la crise qui s'ensuivit ont « laissé beaucoup de gens chômeurs ou ruinés et la plupart des travailleurs, souvent exploités, sont aux prises avec des conditions qui les maintiennent dans la pauvreté[3] ». Les réformes sociales de 1936 ne parviendront pas à améliorer substantiellement cette situation. Le gouvernement du Front populaire échoue en effet à relancer l'économie et se dissout dès le printemps 1938.

Ainsi, Weil remarque que « le travail ne s'accomplit plus avec la conscience orgueilleuse qu'on est utile, mais avec le sentiment humiliant et angoissant de posséder un privilège octroyé par une passagère faveur du sort[4] ». Les travailleurs n'ont pas l'impression de pouvoir améliorer leur condition économique et sociale. Weil constate que peu importe vers quoi ils se tournent, les hommes, en 1934, ne peuvent plus rien espérer et doivent tout remettre en question. Les options politiques qui se présentent à eux ont toutes mené à des échecs ; c'est le cas de la démocratie et du pacifisme, qui ont sans cesse été bafoués par les mouvements autoritaires et nationalistes, aussi bien que de la révolution, qui s'est toujours soldée par des bains de sang. On ne peut se fier non plus à la technique, puisque ses progrès, plutôt que de libérer les hommes, ont conduit à une nouvelle forme d'asservissement : les innovations technologiques servent en effet à augmenter le rendement et le profit, et non à assurer la sécurité et le bien-être des employés. Il en va de même de la science, de l'art et de la culture : ce sont des domaines tellement vastes qu'un esprit humain peut difficilement les maîtriser, de sorte que ce qui en reste n'en est plus qu'une caricature. La vie familiale, enfin, n'est plus un refuge possible, parce que la société s'est fermée aux jeunes et qu'il ne semble y avoir aucun avenir, ni pour eux ni pour personne. La question que pose Weil est alors de savoir si la révolution a encore un sens, ce dont elle doute fort.

L'examen des thèses marxistes est l'occasion pour la philosophe de montrer que si l'œuvre de Marx demeure pertinente, au moins du point de vue de l'analyse des problèmes, la solution proposée est quant à elle inadéquate, et parfois même erronée. En particulier, l'espoir de Marx en une révolution de la classe ouvrière qui ferait advenir une société juste, sans inégalités, se révèle mal fondé. Il faut par conséquent se demander quelle solution, en dehors de la révolution, peut encore être formulée face aux problèmes causés par l'oppression de l'homme par l'homme.

Critique du marxisme modifier

 
Karl Marx

Weil évalue d'abord l'analyse de Marx et sa solution aux problèmes sociaux et économiques qu'il a identifiés. Le marxisme, qui prétend être un « socialisme scientifique » et qui a évolué en dogme, croit pouvoir résoudre le problème de l'inégalité entre les individus en abolissant la disparité entre le travail manuel et le travail intellectuel, en mettant fin à la lutte des classe et en rendant le travail libre, ce qui ne peut se produire que grâce à la révolution, puisque les pouvoirs établis doivent d'abord être renversés pour réaliser cet idéal d'une société libérée de l'oppression. Weil est en grande partie d'accord avec le diagnostic de Marx ; elle estime qu'il a su cerner le problème social correctement, mais elle ne l'est pas avec la solution qu'il apporte, qu'elle rejette pour l'essentiel. D'après elle, Marx décrit très bien le phénomène de l'exploitation sociale, mais à un point tel qu'on ne voit plus comment il pourrait cesser d'exister, tellement il semble bien ancré dans les rapports de production et, dès lors, inévitable.

L'exploitation selon le marxisme modifier

Weil admire la façon dont Marx a su rendre compte du mécanisme de l'exploitation capitaliste, notamment en montrant que « la véritable raison de l'exploitation des travailleurs, ce n'est pas le désir qu'auraient les capitalistes de jouir et de consommer, mais la nécessité d'agrandir l'entreprise le plus rapidement possible afin de la rendre plus puissante que ses concurrentes[5] ». Les dirigeants d'entreprise, encouragés par l'État, sont en effet soumis à des impératifs économiques d'expansion qui nuisent aux conditions de travail et, par conséquent, à la qualité de vie des ouvriers et des manœuvres. Ainsi, l'oppression capitaliste ne se limite pas au seul aspect économique : elle a un impact direct sur la vie des gens. La production industrielle, non seulement de biens consommables mais également d'armes et d'engins militaires, démontre que l'État capitaliste est avant tout préoccupé par « la recherche du pouvoir[6] », par la « lutte pour la puissance[5] », et non par le bien des citoyens. Pourtant, la solution n'est pas davantage du côté du communisme : Weil remarque que la révolution russe n'a mené qu'à exploiter et opprimer davantage les masses travailleuses.

 
Couverture originale du Capital (1867) de Marx.

Le problème ne peut donc pas être réglé par une stricte transformation politique, économique ou juridique, parce qu'il réside en fait dans « le régime même de la production moderne, à savoir la grande industrie » (p. 15), laquelle « réduit l'ouvrier à n'être qu'un rouage de la fabrique et un simple instrument aux mains de ceux qui dirigent » (p. 40). Plus précisément, le problème se situe, selon les formules mêmes du Capital de Marx, dans « la séparation entre les forces spirituelles qui interviennent dans la production et le travail manuel » ou, en d'autres termes, dans « la dégradante division du travail en travail manuel et travail intellectuel[7] ». Bref, il semble que même chez les marxistes, le « socialisme scientifique » est resté l'apanage de quelques intellectuels privilégiés et n'a en rien changé le monde, selon le vœu bien connu de Marx lui-même, ou en tout cas ne l'a pas transformé au point de parvenir définitivement à l'émancipation des forces productives et, par conséquent, à la libération des travailleurs. La grande illusion de Marx et des socialistes, d'après Weil, est d'avoir cru aveuglément à la révolution et au progrès social, comme si l'histoire devait nécessairement s'accomplir dans le sens d'une réforme et d'une évolution continue de la technique, libérant définitivement les hommes du travail. Cette foi aveugle en un développement illimité des forces productives est, selon Weil, un résidu de croyance religieuse ; elle revient à croire en la Providence, en une intervention divine, surnaturelle.

Malgré cette illusion du socialisme, Weil remarque que « la grande idée de Marx » reste intacte ; cette idée, « c'est que dans la société aussi bien que dans la nature rien ne s'effectue autrement que par des transformations matérielles » (p. 22-23). Autrement dit, « il faut connaître les conditions matérielles qui déterminent nos possibilités d'action » (p. 23), et par conséquent étudier et comprendre le mode de production des biens nécessaires à la survie des hommes. Ce n'est que par une telle étude approfondie qu'on peut espérer améliorer l'organisation sociale. Les questions à se poser portent alors sur ce qu'on peut attendre du mode actuel de production des biens, en ce qui concerne son rendement; sur les formes d'organisation sociale et de culture qui sont compatibles avec lui; enfin, sur la façon dont il peut être transformé pour assurer le bien-être des hommes.

Le régime de la production modifier

La première question est donc celle du rendement du travail dans l'industrie : comment le rendre optimal ? D'abord, la fin visée doit être « le bien-être des masses » (p. 24) et non la puissance de l'État. Ensuite, il faut éviter de succomber à l'illusion selon laquelle la technique parviendrait un jour à libérer totalement les hommes du joug du travail, leur laissant assez de loisir pour se consacrer uniquement à leur développement personnel. Il semble bien qu'il n'y aura jamais qu'une minorité de privilégiés sur la planète qui pourront jouir d'une liberté d'action totale grâce à leurs richesses. Les capitalistes comme les socialistes s'imaginent par ailleurs que la technique peut se développer indéfiniment, mais ce n'est qu'une généralisation arbitraire selon Weil. Plutôt que de généraliser sans avoir de justification, il faut « étudier les conditions d'un phénomène et les limites qu'elles impliquent » (p. 25). Marx n'a pas su éviter cette erreur ; il y est tombé comme tant d'autres. Il importe donc de comprendre très exactement le progrès technique et ses divers facteurs, afin de voir, d'un côté, comment il peut diminuer la somme de travail ou d'effort humain et, d'un autre côté, en quoi il ne le peut pas, compte tenu de ses limites inhérentes.

Weil identifie deux procédés pouvant augmenter le rendement du travail. Le premier est « l'utilisation des sources naturelles d'énergie » (p. 26). Il est toutefois impossible d'obtenir de l'énergie directement de la nature; « il faut la lui arracher et la transformer par notre travail » (p. 26). Les techniques d'exploitation et d'utilisation des sources naturelles d'énergie, au même titre que les techniques d'extraction et de transformation des matières premières, peuvent être coûteuses et risquées, autant pour l'homme que pour l'environnement. Il est donc nécessaires d'évaluer les coûts et les risques. Or, la plupart du temps, les études en ce domaine restent incomplètes ou erronées, parce que les gouvernements et les compagnies se précipitent sur les occasions de faire de l'argent, ne recherchant que le profit. En outre, les ressources naturelles sont soumises, elles aussi, à des limitations matérielles : elles sont presque toutes disponibles en quantité limitée, et même quand ce n'est pas le cas (comme l'énergie éolienne), il faut composer avec les caprices de la nature, de sorte que tôt ou tard il faut en venir à se tourner vers d'autres sources d'énergie en guise de compensation ou de substitution. Bref, il est impossible d'évaluer à long terme tous les effets de l'utilisation des sources naturelles d'énergie, sur l'homme comme sur l'environnement. Il ne faut pas oublier que la nature nous réserve toujours des surprises (catastrophes, quantités limitées, imprévus de toute sorte) et que, en somme, « l'utilisation des sources naturelles d'énergie dépend pour une part considérable de rencontres imprévisibles » (p. 32).

Le deuxième procédé permettant d'accroître le rendement est « la rationalisation du travail » (p. 28), soit l'optimisation des conditions propices à un rendement accru. Il y a, à ce titre, plusieurs facteurs d'économie à considérer : ce sont la concentration, la division et la coordination des efforts ou des travaux. Ces facteurs peuvent être envisagés selon deux aspects : soit par rapport aux efforts simultanés (ensemble des travaux dans l'espace), soit par rapport aux efforts successifs (ensemble des travaux dans le temps). Tout d'abord, la concentration dans l'espace entraîne la diminution des dépenses inutiles ou superflues reliées au lieu de travail, au transport et à l'outillage. La division et la coordination dans l'espace, quant à elles, accroissent la rapidité d'exécution et la quantité des biens produits; des œuvres impossibles à accomplir par un seul hommes deviennent faisables par un groupe de travailleurs. Toutefois, l'agrandissement excessif des entreprises finit aussi par entraîner des coûts exorbitants et parfois même une désorganisation de la production : lorsque la gestion devient trop complexe, des erreurs peuvent se glisser plus facilement et des profiteurs peuvent flouer l'entreprise sans qu'on s'en rende compte; le progrès se transforme alors en régression. Ensuite, la coordination des efforts dans le temps vise pour sa part à substituer au travail mort le travail vivant, selon une expression inspirée de Marx; autrement dit, il s'agit de remplacer les hommes par des machines qui accomplissent la part la plus aliénante du travail, en confiant ainsi « à la matière ce qui semblait être le rôle de l'effort humain » (p. 31). Mais il ne faut pas oublier pour autant que c'est par le travail humain que la matière aveugle et indifférente peut être adaptée aux fins humaines, de sorte que cela ne dispense pas l'homme de réfléchir. Weil observe que « l'utilisation de matériaux inertes et résistants s'est effectuée dans l'ensemble selon une progression continue » (p. 32), contrairement à celle des sources naturelles d'énergie, la découverte et le rendement de ces dernières étant beaucoup moins prévisibles.

On peut identifier trois principales étapes dans cette progression. La première est l'utilisation d'objets matériels à des fins techniques, comme le fait de disposer des pierres ou des morceaux de bois de façon à empêcher le mouvement de certaines choses. Un exemple simple pourrait être la construction d'un barrage sur une rivière pour retenir le courant et se servir de sa force. Dans l'évolution de la technique, cette étape correspond aux premiers efforts des hommes pour maîtriser les forces de la nature et les détourner à leur avantage. La deuxième étape est le machinisme, où il s'agit non seulement d'utiliser la matière inerte pour rendre une chose immobile et utilisable, mais encore de la modifier pour créer des mouvements répétés. Par exemple, la construction d'une roue à aubes sur la rivière dont le courant est stabilisé par le barrage, qui deviendra éventuellement un moulin pour moudre du grain. Weil donne comme exemple le patron d'un métier à tisser : le métier lui-même est un assemblage d'objets, de matériaux, visant à assurer l'immobilité de certaines pièces, alors que ses capacités de mouvements répétés et continus sont assurés par le patron, par la mécanisation d'un geste répétitif. Cette étape correspond à l'invention du travail à la chaîne puis à la création des manufactures. La troisième étape est celle de l'automatisation, que Weil appelle « la technique automatique » (p. 33). La machine, plus perfectionnée, devient capable de reproduire des opérations complexes et variées, et pas seulement de répéter un seul et même mouvement. Une étape ultérieure, que Weil n'a pas connue, est celle de la programmation des appareils et des machines grâce à l'informatique (transmission électronique de l'information), qui rend possible des processus de plus en plus complexes, variés et efficaces.

Toutefois, produire en série et en quantités massives a pour conséquence le désordre et le gaspillage d'une centralisation économique excessive; on finit en effet par « produire beaucoup plus qu'il n'est nécessaire pour satisfaire les besoins réels, ce qui amène à dépenser sans profit des trésors de force humaine et de matières premières » (p. 35). On peut aujourd'hui constater à quel point l'évolution de la technique donne raison à Weil : tant de gaspillage et de dépenses inutiles dans les pays industrialisés, et tant de pauvreté et de famine dans les pays économiquement peu développés ! Enfin, Weil remarque que même s'il faut les séparer dans l'analyse, il ne faut pas oublier que les divers facteurs qui contribuent à accroître le rendement du travail ne se développent pas séparément; autrement dit, tout est relié (science, technique, culture, art, mentalité, etc.).

Le refus de la révolution modifier

Weil conclut sa critique du marxisme en faisant remarquer que l'utopie qui lui est propre, aussi bien dans sa version communiste que socialiste, a été de croire, d'une part, que le travail deviendrait superflu et disparaîtrait grâce au progrès de la technique et, d'autre part, que tout le système de la production des biens « pourrait être mis par un simple décret au service d'une société d'hommes libres et égaux » (p. 38). C'est au nom de cette double utopie que les révolutionnaires ont versé inutilement leur sang et celui de leurs adversaires présumés. Ainsi, Weil ne craint pas de dire que « le mot de révolution est un mot pour lequel on tue, pour lequel on meurt, pour lequel on envoie les masses populaires à la mort, mais qui n'a aucun contenu ». L'idéal révolutionnaire n'aurait de sens que s'il pouvait abolir l'oppression sociale, ce qui est presque impossible à moins de distinguer soigneusement l'oppression véritable de « la subordination des caprices individuels à un ordre social ». Or, « tant qu'il y aura une société, elle enfermera la vie des individus dans des limites fort étroites et leur imposera ses règles; mais cette contrainte inévitable ne mérite d'être nommée oppression que dans la mesure où, du fait qu'elle provoque une séparation entre ceux qui l'exercent et ceux qui la subissent, elle met les seconds à la discrétion des premiers et fait ainsi peser jusqu'à l'écrasement physique et moral la pression de ceux qui commandent sur ceux qui exécutent » (p. 39). La question est alors « de savoir si l'on peut concevoir une organisation de la production » qui puisse « s'exercer sans écraser sous l'oppression les esprits et les corps » tout en n'éludant en rien « les nécessités naturelles et la contrainte sociale qui en résulte » (p. 40).

Analyse de l'oppression modifier

Après avoir examiné le régime même de la production, Weil se tourne vers « le mécanisme de l'oppression ». Il s'agit maintenant de mettre au jour les liens entre les formes particulières que prend l'oppression et le régime de la production, en tentant de comprendre comme l'oppression « surgit, subsiste, se transforme » (p. 41), et pourrait éventuellement disparaître. L'originalité de Weil consiste en effet à examiner le problème social en général non plus à partir de la notion marxiste d'exploitation, mais en développant plutôt celle d'oppression, qui permet de comprendre que les inégalités sociales sont dues à une lutte pour la puissance et non à une lutte des classes.

D'après les marxistes, l'oppression apparaît quand les progrès de la production ont engendré une division du travail telle que les échanges commerciaux, le commandement militaire et le gouvernement forment des fonctions distinctes. Autrement dit, l'oppression peut à peine exister dans une société primitive où personne ne recherche et n'a même de notion du pouvoir économique ou politique. Lorsque les forces productives se développent, l'oppression s'accroît et se maintient jusqu'à ce que ce processus deviennent par lui-même une entrave au progrès économique ou au pouvoir politique. Selon Weil, ce n'est qu'une description très partielle du mécanisme de l'oppression, qui ne saisit tout au plus qu'une partie des raisons de son apparition. Car pourquoi la division du travail provoquerait-elle nécessairement de l'oppression, et seulement en régime capitaliste ? Pourquoi ne diminue-t-elle pas nécessairement, même quand elle nuit au développement économique ou à l'exercice du pouvoir politique ? Et pourquoi les révoltes populaires n'ont-elles jamais vraiment mis fin à l'oppression, celle-ci ne faisant habituellement que changer de forme ? Ainsi pour les marxistes l'oppression sociale ne serait qu'une donnée parmi d'autres dans la nécessaire lutte contre les forces de la nature; « elle correspond à une fonction » (p. 43) dans cette lutte, c'est-à-dire à l'une des causes de la situation dans laquelle se trouvent les travailleurs. Mais cela n'explique pas d'où elle provient, comment elle agit et pourquoi elle le fait de la manière spécifique dont elle le fait. C'est même comprendre le mécanisme de l'oppression à l'envers : l'oppression n'est pas une force exercée par une puissance clairement identifiable, provenant de telle ou telle personne ou groupe d'individus contre qui il serait possible et légitime de se révolter. C'est pourquoi Simone Weil introduit la notion darwinienne de « condition d'existence » (p. 44); en effet, la fonction ne doit pas être considérée comme une cause mais comme un effet. Autrement dit, l'oppression a elle-même une cause déterminée, des conditions d'existence sans lesquelles elle ne


Tableau théorique d'une société libre modifier

Esquisse de la vie contemporaine modifier

Conclusion modifier

Les remarques conclusives de Weil demeurent pessimistes : elle compare la civilisation actuelle à un train qui roule à grande vitesse sans que l'on sache où il va et s'il ne risque pas de dérailler.



NOTES

  1. Simone Weil, L'Enracinement, op. cit., p. 191.
  2. Simone Weil, L'Enracinement, op. cit., p. 190.
  3. Pasquier Lambert, « Dossier », in Simone Weil, op. cit., p. 151.
  4. Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, op. cit., p. 29.
  5. a et b Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, op. cit., p. 32.
  6. Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, op. cit., p. 61.
  7. Cité par Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, op. cit., p. 33. Marx, toutefois, reste neutre et n'utilise pas le terme « dégradante ».