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La phylogenèse des sociétés humaines

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Sauf précision contraire, cette section de l'article a pour source : Bernard Chapais (2015) [16].

Le choc sociobiologique

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Le dernier chapitre du livre Sociobiology: The New Synthesis de Wilson, portant sur l'évolution des sociétés humaines, souleva un vent de tempête en anthropologie socioculturelle. En effet, il arriva à un très mauvais moment alors que cette discipline tendait à réduire, voir à éliminer la place de l'apparentement biologique dans le concept de parenté. Déjà dès les années 1960, des anthropologues tels que Needham et Schneider avaient remis en cause les fondements biologiques dans la notion de parenté chez l'humain[1]. Il n'est pas difficile de comprendre que les débats qui suivirent furent plutôt vifs, voir acrimonieux[2].

La primatologie naissante permis parallèlement le développement de l’anthropologie bioculturelle et parvient à une maturité telle qu'une synthèse entre l'anthropologie socioculturelle et l’anthropologie bioculturelle est maintenant possible ; la sociobiologie (la sélection de parentèle en particulier) peut permettre d'expliquer la phylogenèse des sociétés humaines[3].

La reconnaissance des apparentés chez les primates (p.54)

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Les premières études des primates en nature sur de longue période permirent d'établir l'arbre généalogique matrilinéaire complet des individus au sein des groupes. La structure matrilinéaire étant la conséquence du fait que le père est généralement inconnu en particulier chez les espèces vivant en groupe multimâles-multifemelles où une femelle peut s'accoupler avec plusieurs mâles. La généalogie est donc simplement recomposée par consultation du registre des naissances.

À partir du début du XXIiem siècle, il fut possible de reconstituer l'arbre généalogique complet des groupes par l'analyse de marqueurs d'ADN se trouvant dans des échantillons de poils ou d'excréments recueillis sur le terrain sans manipuler les individus[4],[5].

La théorie de la sélection de parentèle prévoit l'existence d'un népotisme (terme utilisé par les primatologues) pour désigner une forme de favoritisme entre consanguins. Le népotisme peut prendre plusieurs formes comme par exemples : le simple maintient d'une proximité physique, le toilettage, la coalimentation, le soutient au cours de conflit et la défense contre un prédateur. Bien que l'existence du népotisme est validé par plusieurs études indépendantes sur la généalogie matrilinéaire[6],[7],[8],[9],[10],[11], pour la majorité des études, l'étendu de celui-ci se limite à la dichotomie parent versus non-parent et ne permet pas d'établir l'existence ou non d'une variation de l'altruisme en fonction de l'apparentement tel que prédite par la sélection de parentèle. Les études permettant d'identifier clairement la variation de l'altruisme en fonction de la parentèle[6],[12],[13] ont permis d'établir que la reconnaissance est manifeste entre les mères et les filles, les grand-mères et leur petites filles et entre les sœurs mais qu'il chute de manière radicale entre tantes et nièces et qu'il est inexistant entre grands-tantes et petites-nièces.

La phylogenèse des sociétés humaines

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Phase 1 : le groupe patrilocal ancestral

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Les humains ont évolué à partir d'un ancêtre primate proche parent des chimpanzés et il est généralement admis que l'homme est phylogénétiquement plus proche des chimpanzés que des gorilles. Ainsi, il est naturel de supposer que notre ancêtre possédait une structure sociale de type chimpanzé : groupe multimâles-multifemelles pratiquant la promiscuité sexuelle, possédant une exoreproduction par transfert des femelles et une philopatrie mâle ainsi qu'une reconnaissance des apparentés matrilinéaires corésidents.

Ainsi, les femelles de ce groupe copulaient probablement avec un grand nombre de mâles, sinon tous (groupe multimâles-multifemelles pratiquant la promiscuité sexuelle). Les femelles chimpanzés copulent de 400 à 3000 fois par conception, et les femelles bonobos, de 1800 à 12000 fois[14],[15]. À la puberté elles quittent le groupe pour un autre où elles se reproduisent (exoreproduction par transfert des femelles). Dans le cas exceptionnel de copulation intra-groupe elles évitent systématiquement leurs frères par effet Westermarck (reconnaissance des apparentés matrilinéaires corésidents).

Les mâles s'organisent en structure hiérarchique de dominance (philopatrie mâle) dans lesquels les frères (apparentés matrilinéaires corésidents) font preuve d'un taux d'altruisme supérieur qu'avec les autres mâles dont la relation d'apparentement est inconnu. Chez tous les primates, la relation d'apparentement est connu par les liens privilégiés qu'entretient la mère avec ses enfants ainsi qu'avec le père dans le cas monogame ou polygame. Ainsi, les oncles et tantes matrilinéaires peuvent potentiellement êtres identifiés de même que les neveux et nièces et même les cousins matrilinéaires. Il est démontré que la relation altruiste (toilettage, partage de nourriture, défense mutuelle, etc.) varie en fonction du degré d’apparentement et de la possibilité de distinguer cette relation. Ceci validant la théorie de la sélection de parentèle.

Sociobiologie

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La sociobiologie est la science qui a pour objet l'étude des sociétés animales. Sous-discipline de l'éthologie elle se distingua particulièrement par la réforme complète du mécanisme de la sélection naturelle qu'elle provoqua dans le dernier quart du XXe siècle, en particulier par l'introduction de la sélection de parentèle, de la sélection de groupe des stratégies évolutivement stables, de l'altruisme réciproque, de l'investissement parental et du conflit parents-progéniture ainsi que les relations entre le comportement et l'écosystème (écoéthologie). Ces modifications aux équations simples de Ronald Aylmer Fisher impliquent, en premier lieu, que les comportements sociaux fondés sur l'altruisme, l’égoïsme ou la malveillance sont induits par la nature du vivant, c'est-à-dire, qu'ils sont la conséquence logique de la sélection naturelle.

Avec cinq prix Crafoord, la sociobiologie est le champ disciplinaire le plus récompensé, par ce prix, de l'histoire de la biologie.

Cette discipline a été l'objet de polémiques et de controverses très intenses dans le milieu scientifique, notamment à cause de la généralisation contestée de certains principes de la sociobiologie au domaine des comportements sociaux dans les sociétés humaines (voir sélection de parentèle et historique des critiques de la sociobiologie).

Histoire

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L'origine de la sociobiologie est intimement liée à celle de la sociologie. En effet, nous devons à Alfred Espinas (1844-1922), sociologue de la première heure, le premier traité de sociobiologie : Des sociétés animales[16].

La thèse d'Espinas fit scandale[17]; il défendait l'idée que l'étude des sociétés animales éclairait l'étude des sociétés civilisées. Il parle des « lois des faits sociaux chez les animaux » et de « la moralité des animaux ». Dans l'introduction il défend sa démarche : « Nous croyons servir plus efficacement la civilisation en montrant que l'humanité est le dernier terme d'un progrès antérieur et que son point de départ est un sommet, qu'en l'isolant dans le monde et en la faisant régner sur une nature vide d'intelligence et de sentiment[18]. » Espinas est convaincu que l'étude des sociétés animales et humaines relève de la sociologie mais cette position fut vivement critiquée, en particulier par Émile Durkheim, voulant dissocier la sociologie de la biologie.

Durkheim était anti-darwinien en ce qui concerne l'évolution des fonctions cognitives humaines, et s'opposait ainsi fortement à la sociologie d'Herbert Spencer. Bien que comme Aristote[19] il considérât que « l'homme est un animal sociable »[20], il voyait dans la société la manifestation d'une tension entre ce qu'il baptisa les inclinaisons du moi, l'égoïsme et l'altruisme. Il cherchera à concilier ces deux forces contraires, celle de l'individualisme et celle du socialisme[21]. C'est cette même tension entre l'égoïsme, poussant l'individu à l'agression envers ses congénères pour s'accaparer les ressources et l'altruisme poussant au contraire l'individu au partage qui est la question centrale de la sociobiologie. En effet, selon la théorie synthétique de la sélection naturelle, l'altruisme est mathématiquement impossible dans la nature (voir sélection de groupe). La position anti-darwinienne de Durkheim se fondait sur le fait, qu'à l'époque, l'explication de la sociabilité proposée par la théorie de la sélection naturelle était incertaine et très controversée, au sein même des partisans de cette théorie, et permettait difficilement d'expliquer la genèse de l'altruisme (voir sélection de parentèle).

À la fin des années 1950, William Donald Hamilton, pour satisfaire son intérêt sur la question de l'altruisme social, prit un cours d'anthropologie sociale avec le professeur Edmund Leach avec lequel il discuta de la question de la nature de l'altruisme. Le professeur Leach vit d'un très mauvais œil la volonté du jeune homme de s'intéresser à la génétique de l'altruisme et se désintéressa complètement de lui. Les professeurs du département de génétique n'étaient pas plus enthousiastes à cette idée et Hamilton fut vivement critiqué pour ce choix, ce qui le déprima profondément, jusqu'à reconsidérer une carrière de scientifique. Dans une lettre qu'il envoya à sa sœur en novembre 1959, il écrit : « Je commence à trouver Cambridge intolérablement oppressant… je pense que je renoncerai à l'espoir de réaliser un progrès malgré tout cela… » ; heureusement, ce ne fut pas le cas. En 1963 et 1964, il publie dans l'indifférence totale (ses professeurs estimèrent qu'il ne méritait pas le titre de docteur qu'ils lui refusèrent jusqu'en 1968), les deux articles fondateurs[22],[23] de la sélection de parentèle fondement de la sociobiologie moderne[24].

C'est en 1965, au cours d'un voyage en train entre Boston et Miami, que le professeur Edward Osborne Wilson, grand spécialiste des insectes sociaux, découvre le travail d'Hamilton. Il le consulte avec admiration et incrédulité, cherchant des heures durant une faille dans le raisonnement ; arrivé à Miami il était convaincu : « Je dus admettre qu'Hamilton, qui connaissait infiniment moins de choses que moi sur les insectes sociaux, avait réalisé sur eux l'unique grande découverte de ce siècle. »[25]. Durant les années suivantes, Wilson exposa la théorie d'Hamilton au cours de nombreuses conférences.

En 1968, le généticien des populations George Price prit connaissance des travaux d'Hamilton et en fut déprimé[26] ; sa fibre religieuse fut profondément ébranlée. Il remarqua, par contre, la puissance théorique de ce nouvel axiome. Il réutilisa des outils mathématiques développés par la biologie évolutive (étude de la covariance d'Alan Robertson) pour démontrer que l'équation d'Hamilton pouvait être déduite de la sélection de groupe et impliquait que des comportements malveillants intraspécifiques étaient naturellement sélectionnés dans les grandes populations.

Ce fait théorique confirmait ce que l'on voyait partout dans le monde animal ; l'altruisme décroît de la famille immédiate au groupe (pour les animaux sociaux) pour devenir de l'agression systématique entre individus de groupes différents. Il publia cette conclusion mathématique remarquable dans Nature en 1970[27] cet article fut immédiatement suivi, dans le numéro subséquent, d'un article d'Hamilton tirant toute la puissance explicative de cet apport fondamental[28]. Peu de temps après, Price se convertit au christianisme et, en 1975, après avoir donné toutes ses possessions aux pauvres, il se suicida. Peut-être voulait-il laisser un dernier message : l'homme peut transcender sa nature.

Travaux de sociobiologie récompensés

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  • 1990, Edward Osborne Wilson, «...pour sa théorie de la biogéographie des îles et autres recherches sur la diversité des espèces et la dynamique des communautés des îles et dans d'autres habitats possédant divers degrés d'isolation.»
  • 1993, William Donald Hamilton, «...pour sa théorie concernant la sélection de parentèle et la relation génétique comme prérequis à l'évolution des comportements altruistes.»
  • 1996, Robert May, «...pour ses recherches pionnières concernant l'analyse de la dynamique des populations, des communautés et des écosystèmes.»
  • 1999, John Maynard Smith et George C. Williams, «...pour leurs contributions fondamentales au développement conceptuel de la biologie évolutive.»
  • 2007, Robert Trivers, «...pour sa contribution fondamentale à l'analyse de l'évolution sociale, des conflits et de la coopération.»

Notes et références

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  1. (en) Rodney Needham, Rethinking Kinship and Marriage, Psychology Press, 1971, 2004, 276 p. (lire en ligne)
  2. (en) Chagnon, N.A., « Kin selection and conflict : An analysis of an Yanomanö ax fight », Evolutionary Biology and Human Social Behavior,‎
  3. Bernard Chapais, LIENS DE SANG : Aux origines biologiques de la société humaine, Édition du Boréal, , 360 p. (ISBN 978-2-7646-2386-2)
  4. (en) Morin, P. A. et Goldberg, T. L., « Determination of genealogical relationships from genetic data: A review of methods and applications », Kinship and Behavior in Primates, New York, Oxford, Oxford University Press,‎ , p. 15-45
  5. (en) Woodruff, D.S., « Noninvasive genotyping and field studies of free-ranging nonhuman primates », Kinship and Behavior in Primates, New York, Oxford, Oxford University Press,‎ , p. 46-68
  6. a et b (en) Kapsalis, E. et Berman, C.M., « Models of affiliative relationships among free-ranging rhesus monkeys (Mucaca mulatta), I. Criteria for kinship », Behaviour, no 133,‎ , p. 1209-1234 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « :0 » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  7. (en) Silk, J.B, « Ties that bond : The role of kinship in primate societies », New Directions in Anthropological Kinship, Lanham, Rowman and Littlefield,‎ , p. 71-92
  8. (en) Silk, J.B., « Nepotistic cooperation in nonhuman primate groups », Philosophical Transaction of the Royal Society, série B, no 133,‎ , p. 3243-3254
  9. (en) Berman, C.M., « Developmental aspects of kin bias in behavior », Kinship and Behavior in Primates, New York, Oxford, Oxford University Press,‎ , p. 317-346
  10. (en) Berman, C.M., « Kinship : family ties and social behavior », Primates in Perspectives, New York, Oxford, Oxford University Press,‎ , p. 576-587
  11. (en) Langergraber, K.E., « Cooperation among kin », The Evolution of Primate Societies, Chicago, University of Chicago Press,‎ , p. 491-513
  12. (en) Kapsalis, E. et Berman, C.M., « Models of affiliative relationships among free-ranging rhesus monkeys (Mucaca mulatta), II. Testing predictions for three hypothesized organizing principles », Behaviour, no 133,‎ , p. 1235-1263
  13. (en) Silk, J.B., « Practicing Hamilton's rule : Kin selection in primate groups », Cooperation in Primates and Humans : Mechanisms and Evolution, Berlin, Springer,‎ , p. 25-46
  14. (en) Wrangham, R.W., « The evolution of sexuality in chimpanzees and bonobos », Human Nature, no 4,‎ , p. 47-49
  15. (en) Wragham, R.W,, « The cost of sexual attraction : Is there a trade-off in female Pan between sex appeal and received coercion? », Behavioural Diversity in Chimpanzees and Bonobos, Cambridge University Press,‎ , p. 204-215
  16. Alfred Espinas, Des Sociétés animales, étude de psychologie comparée, Paris, G. Baillière, , 2e éd., 588 p. (lire en ligne)
  17. Marcel Fournier, Émile Durkheim, Paris, Fayard, , 1re éd., 946 p. (ISBN 2-213-61537-3 et 978-2213615370), p. 119
  18. Alfred Espinas, Des Sociétés animales, étude de psychologie comparée, Paris, G. Baillière, , 2e éd., 588 p. (lire en ligne), p. 155
  19. Aristote (trad. Pierre PELLEGRIN), Les politiques [« πολιτεία »], Paris, GF,‎ , 2e éd. (1re éd. 1990), ?? (ISBN ??[à vérifier : ISBN invalide]) :

    « On voit d’une manière évidente pourquoi l’homme est un animal sociable à un plus haut degré que les abeilles et tous les animaux qui vivent réunis. La nature, comme nous disons, ne fait rien en vain. Seul, entre les animaux, l’homme a l’usage du discours (logos) ; la voix (phonê) est le signe de la douleur et du plaisir, et c’est pour cela qu’elle a été donnée aussi aux autres animaux. Leur organisation va jusqu’à éprouver des sensations de douleur et de plaisir, et à se le faire comprendre les uns aux autres ; mais le discours a pour but de faire comprendre ce qui est utile ou nuisible, et par conséquent aussi, ce qui est juste ou injuste. Ce qui distingue l’homme d’une manière spéciale, c’est qu’il perçoit le bien et le mal, le juste et l’injuste, et tous les sentiments de même ordre dont la communication constitue précisément la famille et l’Etat. »

  20. Marcel Fournier, Émile Durkheim, Paris, Fayar, , 1re éd., 946 p. (ISBN 2-213-61537-3 et 978-2213615370), p. 69
  21. (en) Steven Seidman, Liberalism and the origins of European social theory, Oxford, Blackwell, , 419 p. (ISBN 0-631-13452-2), ??
  22. Hamilton, W. D.,The evolution of altruistic behavior (1963), American Naturalist, no. 97 p. 354–356.
  23. Hamilton W. D., The genetical evolution of social behaviour (1964), Journal of Theorical Biology, no. 7, p. 1-52.[1]
  24. Lee Alan Dugatkin, Inclusive Fitness Theory from Darwin to Hamilton (2007), Genetics, vol. 176, no. 3
  25. E. O. Wilson, In the Queendom of the Ants : A Brief Autobiography (1985), Bucknell University Press, Cranbury, NJ, États-Unis.
  26. Lee Alan Dugatkin, Inclusive Fitness Theory from Darwin to Hamilton (2007), Genetics, vol. 176, no. 3 « After he read Hamilton's altruism and kinship articles, Price was depressed. »
  27. Price G. R., Selection and covariance (1970), Nature, no. 227, p. 520–521.
  28. Hamilton W., Selfish and spiteful behaviour in an evolutionary model (1970), Nature, no. 228, p. 1218–1219.

Bibliographie

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Sociobiologie et approche évolutionniste

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Voir aussi

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Articles connexes

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Liens externes

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