Les taxanes sont une classe très utilisée d'agents chimiothérapeutiques[1],[2]. Cette classe comprend le paclitaxel (Taxol) et le docétaxel (Taxotère). À l'origine, le paclitaxel (Taxol) a été isolé de l'if de l'ouest (Taxus brevifolia)[1], un if du genre Taxus.

L'if de l'Ouest, d'où a été extrait le paclitaxel

Le principal mécanisme d'action de la classe des taxanes est l'inhibition de la fonction des microtubules. Les microtubules sont essentiels pour la division cellulaire, et les taxanes bloquent la division normale des cellules. Les taxanes jouent donc le rôle de poison du fuseau. Ils sont également supposés être radiosensibilisants [3].

Historique modifier

Découverte modifier

 
Extraction de l'écorce de l'if de l'ouest
 
Formule chimique du Taxol

C'est au début des années 1960 que deux organismes américains, le National Cancer Institute et le US Department of Agriculture, lancent un programme de recherche pour favoriser l'usage de composés naturels dans le cadre du traitement des cancers. En 1962, des extraits d'écorce d'if de l'Ouest (ou if du Pacifique, Taxus Brevifolia) sont envoyés au centre de recherche Research Triangle Institute's Natural Product Laboratory en Caroline-du-Nord[4]. Deux ans plus tard, les docteurs Monroe Wani et Mansukh Wall isolent un diterpène qu'ils nomment paclitaxel[4] (Taxol). La structure de la molécule est alors déterminée par diffraction aux rayons X de la chaîne latérale et du noyau tétracyclique[5]. La molécule n'est cependant pas utilisée immédiatement, du fait d'un manque de disponibilité (l'écorce d'if ne produisant pas assez de paclitaxel (Taxol) pour pouvoir l'utiliser)[6].

Premières utilisations modifier

En 1977, de nouvelles études sont menées sur cette molécule au Albert Einstein College of Medicine de l'université Yeshiva. En 1979, le docteur Susan Horwitz découvre le mécanisme d'action du paclitaxel[4] (Taxol). Ce mécanisme d'action fait du paclitaxel (Taxol) un bon candidat pour un utilisation anticancéreuse. Des essais cliniques sont alors réalisés dès 1984 sur différents types de cancer. Ils sont concluant notamment pour le traitement du cancer de l'ovaire[4]

En 1992, l'autorisation est donnée par la Food and Drug Administration (FDA) au laboratoire Bristol-Myers-Squibb pour l'utilisation du paclitaxel (Taxol) dans le traitement du cancer de l'ovaire, puis en 1994 dans le traitement du cancer du sein[7]. Ces autorisations sont étendues en 1997 pour le traitement du sarcome de Kaposi et en 1999 pour celui du cancer du poumon.

L'arrivée d'un concurrent modifier

 
Formule chimique du Taxotère

Dès les années 1970, une controverse grandit au sujet de l'utilisation du paclitaxel (Taxol), du fait de sa trop grande consommation d'if de l'Ouest, arbre mettant 200 ans pour atteindre sa maturité[6]. Des recherches sont alors menées en France par le CNRS, sur l'if européen. Les chercheurs parviennent à extraire une molécule sensiblement similaire au paclitaxel (Taxol), non plus dans l'écorce mais dans les aiguilles. La production industrielle est ainsi possible[6]. Ce concurrent du paclitaxel (Taxol), baptisé docétaxel (Taxotère) est commercialisé en 1995 par Rhône-Poulenc[6].

Les classes de taxanes modifier

Les taxanes comprennent plus de 300 composés dont le paclitaxel (Taxol) et le docétaxel (Taxotère)[8]. D'une manière générale, les taxanes sont faiblement solubles, il est donc nécessaire de les dissoudre dans un solvant[9].

Paclitaxel modifier

Le paclitaxel est aussi connu sous son nom commercial de Taxol. Le paclitaxel (Taxol) est une molécule médicamenteuse utilisée dans le traitement des cancers sous forme de perfusions. Cette molécule est également employée dans certains stents qui sont des petits ressorts que l'on dispose à l'intérieur d'une artère afin d'éviter un nouveau rétrécissement (resténose) après une angioplastie. Le paclitaxel (Taxol) qui imbibe les mailles du ressort permet d'éviter la prolifération cellulaire, l'un des mécanismes de la resténose.

Docétaxel modifier

Le docétaxel est aussi connu sous son nom commercial : le Taxotère. Le paclitaxel (Taxol) est produit par l'if de l'ouest et est synthétisé à partir de précurseurs mais sa production à partir d'extraits naturels est très limitée[10]. En utilisant les aiguilles et les rameaux de l'if européen (ou if commun ou "Taxus Baccata", Daniel Guénard et Françoise Guéritte en collaboration avec les chercheurs de Rhône-Poulenc ont réussi à isoler un précurseur actif du paclitaxel (Taxol) et grâce à celui-ci ils conçurent par hémisynthèse chimique une nouvelle molécule, le docétaxel (Taxotère), qui est deux fois plus active que le paclitaxel (Taxol)[6].

Microtubules et taxanes modifier

 
Fonctionnement des microtubules

Le fonctionnement des microtubules modifier

Les microtubules sont des structures essentielles lors de la mitose. Ils participent à la mise en forme cellulaire et servent au transport des organites. Ils sont constitués de tubulines α et β qui s’associent sous forme d’hétéro dimères pour former un protofilament. L'association des protofilaments forme un complexe annulaire et constitue le microtubule[11]. Les microtubules sont en constant état dynamique, c'est-à-dire qu’ils se polymérisent et se dépolymérisent au fur et à mesure des cycles cellulaires. Ils possèdent une extrémité – stabilisée par le centrosome. L’autre extrémité est dite +, elle est plus instable, et s’accroit ou se rétrécit lorsqu’elle subit respectivement une polymérisation ou une dépolymérisation. La dépolymérisation des microtubules intervient principalement lors de l'anaphase ce qui permet la migration des chromatides vers les pôles de la cellule et ainsi la division cellulaire[11].

L'influence des taxanes sur les microtubules modifier

Exemple du paclitaxel (Taxol). Le paclitaxel (Taxol) est une molécule qui se fixe sur l'extrémité amino-terminale de la tubuline β[12]. Ceci bloque la dépolymérisation du microtubule et entraîne la stabilisation de celui-ci par formation d’un manchon[13]. Le paclitaxel (Taxol) favorise également la polymérisation des microtubules qui se disposent alors de manière anarchique dans la cellule[12]. Les chromosomes ne peuvent donc plus migrer à chaque pôle de la cellule, cela bloque la division cellulaire juste avant l’anaphase. La cellule étant bloquée, elle reçoit un message d'apoptose[14]. Le paclitaxel (Taxol) est donc un antimitotique très puissant. Les cellules cancéreuses sont connues pour être sans cesse en division, le paclitaxel (Taxol) va donc agir sur ces cellules en bloquant leur division et en entraînant leur mort. C'est pourquoi c'est une molécule très utilisée dans le traitement de nombreux cancers.

Pathologies traitées par les taxanes modifier

Les pathologies soignées par les taxanes sont : le cancer du sein, le cancer de l'ovaire, le cancer du poumon non à petites cellules, le cancer de la prostate, le cancer gastrique et le cancer des voies aérodigestives supérieures[15]. On peut utiliser le docétaxel (Taxotère) en association avec d'autres substances afin de traiter les cancers. En ce qui concerne le paclitaxel (Taxol), il peut être utilisé seul ou en association avec le cisplatine dans le traitement de carcinomes métastatiques de l'ovaire, et dans le sarcome de Kaposi.

Cas du cancer du sein modifier

Les taxanes sont 8% plus efficaces que d'autres agents pour lutter contre la progression de la tumeur dans le cadre du cancer du sein, d'après les résultats d'une étude belge menée en 2008[16]. Les taxanes s'avèrent efficaces également pour limiter de 18% les risques de rechute[17]. De plus, le risque de décès après un suivi de 5 ans est diminué de 27%[17]. En ce qui concerne la toxicité (neutropénie, neutropénie fébrile, nausées et vomissements, évènements cardiaques), elle est moins importante lors de l'utilisation des taxanes bien que leurs effets toxiques ne soient pas négligeables[17].

Il y a différentes catégories de cancer du sein, et dans chaque cas le docétaxel (Taxotère) n'est pas employé de la même façon.

  • Dans le cas d'un cancer du sein opérable avec ou sans envahissement ganglionnaire, le cocétaxel (Taxotère) est utilisé avec la doxorubicine et le cyclophosphamide[17].
  • Dans le cas d'un cancer du sein localement avancé ou métastatique et sans chimiothérapie cytotoxique faite au préalable, le docétaxel (Taxotère) est associé à la doxorubicine uniquement[17].
  • Dans le cas d'un cancer du sein localement avancé ou métastatique et suite à l'échec d'une chimiothérapie cytotoxique utilisant de l'anthracycline ou un agent alkylant, le docétaxel (Taxotère) est utilisé en monothérapie. Si la chimiothérapie n'utilise que des anthracyclines (doxorubicine ou épirubicine), le docétaxel (Taxotère) est alors utilisé en association avec la capécitabine[17].
  • Dans le cas d'un cancer du sein métastatique avec surexpression tumorale de HER2 et sans prétraitement chimiothérapeutique pour la maladie métastatique, le docétaxel (Taxotère) est utilisé avec le Trastuzumab[17].

Effets secondaires liés aux taxanes modifier

D'une manière générale, les taxanes ont plusieurs effets secondaires[18]. Ainsi, comme toute chimiothérapie, l'utilisation de taxanes diminue les performances la moelle osseuse, mais aussi le taux de globules rouges et de plaquettes dans le sang ainsi que le taux de globules blancs. Ces carences auront tendance à fatiguer le patient. Le risque d'infections serait également augmenté[19].

Par ailleurs, des antinauséeux sont généralement prescrits lors de traitement par taxanes, pour limiter les sentiments de nausées et les vomissements. L'alopécie est un effet secondaire fréquent de la chimothérapie à l'aide de taxanes.[20] Elle se traduit par une chute complète des cheveux[19].

Du fait de dommages ou d'irritations créés au niveau des nerfs, des sensations d'engourdissement ou des picotements peuvent apparaître, principalement sur les mains et les pieds. C'est le syndrome de la neuropathie[19]. Enfin, le traitement par les taxanes (notamment l'administration du paclitaxel (Taxol) au du docétaxel (Taxotère) par des perfusions sanguines) peut engendrer chez le patient une réaction d'hypersensitivité. Elle se traduit par des rougeurs urticantes et un essoufflement, souvent peu de temps après la perfusion[18].

Le paclitaxel (Taxol) et le docétaxel (Taxotère) ont une certaine toxicité hématologique. Le paclitaxel (Taxol) a une toxicité neurologique apparaissant progressivement. Il existe aussi des phénomènes allergiques prévenus par une prémédication[20].

Le docétaxel (Taxotère) entraîne, à partir d'une certaine accumulation de dose, l'apparition d'œdèmes des membres inférieurs puis de tous les organes, pouvant arriver à une sorte d'anasarque. Une prémédication par les corticoïdes réduit de façon majeur la fréquence de cette complication, rarement observée au bout des 6 cures habituelles[20].

Notes et références modifier

Sur les autres projets Wikimedia :

  1. a et b (fr) Encyclopédie Universalis.fr
  2. (en) Takimoto CH, Calvo E, Cancer Management: A Multidisciplinary Approach, vol. 11e édition, Pazdur R, Wagman LD, Camphausen KA, Hoskins WJ, (lire en ligne), Principles of Oncologic Pharmacotherapy
  3. Philippe Rougier,Emmanuel Mitry,Sophie Dominguez, Les cances digestifs, page 164, disponible sur (fr) Google Books
  4. a b c et d (en) Success Story: Taxol sur le site du National Cancer Institute
  5. Mansukh Wall, Monroe Wani, 153rd National Meeting of the American Chemical Society: Miami Beach, 1967
  6. a b c d et e (fr) La paradoxale saga du Taxol sur larecherche.fr
  7. (fr) New York Time, New Version of Taxol is Approved by F.D.A.,
  8. Revue traitant de la structure et de la biosynthèse des taxanes : Baloglu, E.; Kingston, D. G. I. J. Nat. Prod.1999, 62, 1448
  9. (en) Microtubule Active Agents: Beyond the Taxane Frontier par Patrick G. Morris et Monica N. Fornier, sur Clinical Cancer Reasearch
  10. (fr) CNRS/sagascience Passage du Taxol au Taxotère
  11. a et b J. Koolman, K.H. Röhm, in Atlas de poche biochimie", éditions Flammarion
  12. a et b Marc Maillet, in Biologie cellulaire, Médecine Pharmacie PCEM MASSON
  13. Bruce Albert, Alexander Johnson, in Biologie molécullaire de la cellule - 4e édition, collection Médecine-Science, édition Flammarion
  14. (en) Microtubule Active Agents: Beyond the Taxane Frontier par Patrick G. Morris et Monica N. Fornier, sur Clinical Cancer Reasearch
  15. (fr) Fiche du Taxotère sur sante-az.aufeminin.com
  16. Reprise de l'étude sur le (en) National Cancer Institute
  17. a b c d e f et g (fr) [PDF] Fiche sur le Taxotère sur le site de l'Institut National du Cancer (France)
  18. a et b >(en) Taxanes Common Side Effect sur livestrong.com
  19. a b et c (en) The taxanes: toxicity and quality of life considerations in advanced ovarian cancer, British Jounal of Cancer, 4 décembre 2003
  20. a b et c (fr)oncoprof.net