Sur le concept du visage du fils de Dieu

spectacle conçu et mis en scène par Romeo Castellucci en 2010

Sur le concept du visage du fils de Dieu
Sul concetto di volto nel figlio di Dio
Antonello de Messine, Salvator Mundi (1465).
Antonello de Messine, Salvator Mundi (1465).

Auteur Romeo Castellucci
Genre Spectacle vivant
Durée approximative 55-60 minutes
Date de création en français
Lieu de création en français Opéra-Théâtre d'Avignon
Metteur en scène Romeo Castellucci

Sur le concept du visage du fils de Dieu (Sul concetto di volto nel figlio di Dio) est un spectacle conçu et mis en scène par Romeo Castellucci en 2010 au Theater der Welt à Essen, et en 2011 en France.

Argument modifier

Un vieil homme malade et son fils, un jeune cadre, vivent dans un appartement moderne. La pièce principale est dominée par une représentation géante du Christ, tirée du Salvator Mundi peint par Antonello de Messine.

Le père est pris de diarrhées abondantes. son fils est obligé de le nettoyer à trois reprises, ce qui met à l'épreuve son amour pour son père.

Un groupe d'enfants surgit et jette des grenades en plastique sur le visage du Christ. L'image reste intacte, mais se met ensuite à se détruire puis à se couvrir d'un fond noir, sur lequel apparaissent les mots « You are my Shepherd » (« Tu es mon berger », rappel du Psaume 23 (22)).

Notes du créateur modifier

Romeo Castellucci explique dans le programme du spectacle que l'« on passe de la scatologie à l'eschatologie[1] ». En prenant pour point de départ la paronomase entre les mots scatologie (les matières fécales) et eschatologie (la fin des temps en théologie), il relie le plus trivial au plus sacré.

Il développe le rapprochement qu'il a mis en scène :

« L'incontinence du père est une perte de substance, une perte de soi. Elle est à mettre en regard avec le projet terrestre du Christ qui passe par la "kenosis" - du verbe grec kénoô : se vider -, c'est-à-dire par l'abandon de sa divinité pour intégrer pleinement sa dimension humaine, au sens le plus concret du terme. C'est le moment où le Christ entre dans la chair de l'homme en mourant sur la croix. Depuis sa crucifixion, Dieu s'est abaissé jusque dans notre misère la plus triviale : il nous précède dans la souffrance en général, et dans celle de la chair en particulier[1]. »

Il a plus tard précisé : « Les excréments dont le vieux père incontinent se souille ne sont que la métaphore du martyre humain comme condition ultime et réelle. Le visage du Christ illumine tout ceci par la puissance de son regard, et interroge chaque spectateur en profondeur[2]. »

Représentations modifier

Le spectacle est représenté pour la première fois le au Theater der Welt 2010 qui a lieu à Essen, sur une musique de Scott Gibbons, avec Gianni Plazzi, Sergio Scarlatella, Dario Boldrini, Silvia Costa et Silvano Voltolina[3].

Il est ensuite présenté du mercredi 20 au mardi à l'Opéra-Théâtre d'Avignon[4],[5].

Il est repris du 20 au au Théâtre de la Ville de Paris, puis du 2 au au 104 à Paris[6].

En Italie, il est représenté lors du festival Màntica – Esercizi di voce umana, à Cesena au théâtre Comandini, du 16 au [7]. Il tourne ensuite à Milan du 24 au [8], puis à Bologne au théâtre Testoni di Casalecchio les 17 et [9].

Il est joué à Zagreb le lors du festival Eurokaz[10]. En 2015, il est représenté en novembre à Vidy, à Lausanne en Suisse[11], et du 9 au au Centre dramatique national Besançon Franche-Comté[12].

La pièce est représentée le au Quartz de Brest, et le au théâtre des Quinconces du Mans[13].

Réception modifier

Accueil critique modifier

L'accueil critique est très favorable, tout en soulignant le caractère provocateur du spectacle : pour Le Monde, « Le metteur en scène italien livre un spectacle beau et cru[1] », pour Les Trois Coups, le spectacle, « poignant », est « Une conversation spirituelle, intime, et si dérangeante qu’elle se poursuit bien après[14]. »

La critique de Télérama remarque que « Castellucci évite tout naturalisme. Décale la représentation de tout pathos. Face au visage du Christ, c'est la capacité d'amour de chacun d'entre nous qui est ici interpellée, qu'on soit chrétien ou pas, la capacité de soulager la souffrance. […] De la déchéance, Castelluci fait naître le sublime. Miracle de l'incarnation. Y a-t-il autre art que le théâtre pour atteindre la grâce en risquant le pire[4] ? »

La critique de France Culture décrit ce spectacle du festival d'Avignon comme « un de ses moments les plus extrêmes ». « Avec ce travail, l’italien pousse encore plus loin les limites du supportable en maniant avec force des images qui ne cessent de se heurter et de creuser la faille en chacun de nous. […] Ce que fait Castellucci est difficile, exige beaucoup, pousse chacun dans ses retranchements. Est-ce du théâtre encore ? pas sûr. Et pourtant, il n’y a qu’au théâtre que ceci peut arriver[5]. »

Le critique du Temps salue « un spectacle qui laisse sans voix, terrasse et bouleverse », « une performance stupéfiante, qu’on a le droit de trouver insupportable[11]. »

Manifestations d'intégristes religieux modifier

Lorsque le spectacle est repris à Paris au Théâtre de la Ville en , il est perturbé par des manifestations de chrétiens intégristes qui jugent l'œuvre « blasphématoire[6],[15] ». Ces actions sont menées par les groupes d'extrême droite Civitas et Renouveau français[2]. Leurs membres jettent de l'huile de vidange et des œufs sur les spectateurs[15]. Des policiers sont mis en place pour assurer la sécurité[6], et plusieurs arrestations ont lieu, quinze personnes sont déférées pour « entrave à la liberté d'expression[16] ». En plus des intégristes catholiques, certains groupes islamistes tels que Forsane Alizza et le Centre Zahra, étaient présents[17],[18]. En décembre de la même année, des intégristes religieux manifestent contre une autre pièce de théâtre jouée à Paris, Golgota picnic.

Pascal Wintzer, administrateur apostolique du diocèse de Poitiers et président de l'Observatoire Foi et Culture de la conférence des évêques de France publie en une note aux évêques de France, dans laquelle il déplore ces manifestations, ajoutant : « Si elles veulent exprimer la révolte de certains face à ce spectacle, elles blessent les relations que l’Eglise catholique s’est toujours efforcée d’entretenir avec les arts et les artistes[19]. »

En , la préfecture de la Sarthe interdit la scène jouée par des enfants dans la pièce, après avoir reçu des protestations de catholiques intégristes[20]. La façade du théâtre des Quinconces du Mans est couverte de tags et des catholiques intégristes appellent à manifester contre la pièce[21].

Notes et références modifier

  1. a b et c Fabienne Darge, « Castellucci arrête le Christ à Avignon », sur Le Monde, (consulté le ).
  2. a et b Marion Cocquet, « À qui déplaît le "visage du fils de Dieu" ? », sur Le Point, (consulté le ).
  3. (en) Yaron Abulafia, The Art of Light on Stage : Lighting in Contemporary Theatre, Londres, Routledge, , 272 p., p. 147.
  4. a et b Fabienne Pascaud, « Le Père, le Fils et Castellucci transforment la merde en or au Festival d'Avignon », sur Télérama, (consulté le ).
  5. a et b Joëlle Gayot, « "Sur le concept du visage du fils de Dieu" par Romeo Castellucci », sur France Culture, (consulté le ).
  6. a b et c Joëlle Gayot, « Romeo Castellucci / Emmanuel Demarcy-Mota », sur France Culture, (consulté le ).
  7. (it) Francesca Leoni, « Sul concetto di spiritualità. Klp intervista Romeo Castellucci », sur KLP teatro, (consulté le ).
  8. (it) Lucia Cominoli, « A Bologna il contestato Sul concetto di volto nel figlio di Dio », sur Bandiera Gialla, (consulté le ).
  9. (it) « “Spettacolo blasfemo”: bufera cattolica contro l’opera di Castellucci di scena a Milano », sur il Fatto Quotidiano, (consulté le ).
  10. (it) « Sul concetto di volto nel Figlio di Dio », sur Istituto italiano di cultura Zagabria, (consulté le ).
  11. a et b Alexandre Demidoff, « L'homme blessé selon Romeo Castellucci bouleverse à Vidy », sur Le Temps, (consulté le ).
  12. « Sur le concept du visage du fils de Dieu », sur Centre dramatique national Besançon Franche-Comté, (consulté le ).
  13. Frédérique Guiziou et Florence Lambert, « Sur le concept du visage du fils de Dieu. Une pièce "émouvante" qui a déchaîné les passions », sur Ouest-France, (consulté le ).
  14. Laura Plas, « Sul concetto di volto nel Figlio di Dio, de Romeo Castellucci, Théâtre de la Ville à Paris », sur Les Trois Coups, (consulté le ).
  15. a et b Armelle Heliot, « Romeo Castellucci : la pièce qui fait scandale », sur Le Figaro, (consulté le ).
  16. Armelle Heliot et Flore Galaud, « 220 arrestations en 7 jours suite à une pièce de théâtre », sur Le Figaro, (consulté le ).
  17. « Forsane Alizza, un groupe dissous en février », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  18. « Catholiques intégristes : l'agit-prop de Civitas », sur L'Obs, (consulté le )
  19. Mgr Pascal Wintzer, « A propos du spectacle de Romeo Castellucci Sur le concept du visage du fils de Dieu », sur Conférence des évêques de France, (consulté le ).
  20. « Une pièce de théâtre de Romeo Castellucci censurée par la préfecture de la Sarthe après des protestations de catholiques intégristes », sur Le HuffPost, (consulté le ).
  21. Rudy Guilmin, « Déjà amputée d'une scène, la pièce de théâtre désormais cible de militants catholiques », sur France Bleu, (consulté le ).

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Pietro d'Oriano, « Le Concept du visage du fils de dieu, de Romeo Castellucci », La Règle du jeu,‎ (lire en ligne, consulté le )
  • Francine Di Mercurio, « Le scandale des violences esthétiques de Romeo Castellucci », Les Chantiers de la Création, no 6,‎ (ISSN 2430-4247, lire en ligne, consulté le )

Liens externes modifier