Station d'épuration des eaux usées d'Aïre

usine à Vernier (canton de Genève)
Station d'épuration des eaux usées d'Aïre
Installations
Type d'usine
Superficie
10 hectares[1]
Fonctionnement
Opérateur
Effectif
120 employés[1] (2017)
Date d'ouverture
1967, 2003
Production
Produits
Localisation
Situation
Coordonnées
Carte

La Station d'épuration des eaux usées d'Aïre est la principale station d'épuration (STEP) du canton de Genève, mise en service en 1967 et reconstruite en 1998-2003. Elle est située dans une boucle du Rhône à Aïre, commune de Vernier. Depuis 2013, elle produit du biogaz.

« Les exégètes considèrent la Verseuse (le bâtiment administratif) comme « un exemple évocateur du courant brutaliste de l’architecture d’après-guerre à Genève » et lui confèrent « une valeur exceptionnelle » »[2].

Historique modifier

Contexte modifier

En 1953, un arrêté fédéral introduit la protection des eaux contre la pollution dans la constitution (article 24quater), adopté en votation le . Une loi fédérale sur la protection des eaux entre en vigueur le . Le canton de Genève se doit de préserver la qualité de l’eau du Rhône, il débute un plan d’assainissement en 1958 et adopte la loi genevoise sur les eaux le . La station d’épuration d’Aïre est terminée en , cinq ans après la mise en service des collecteurs de concentration des eaux usées de part et d’autre de la partie genevoise du Léman, deux ans après la réalisation des collecteurs situés au long du Rhône et de l’Arve menant à la station de pompage de Saint-Jean. D'autres constructions font partie de ce vaste chantier : les usines de destruction des ordures ménagères à Villette, Richelien et aux Cheneviers (1966), et des stations d’épuration locales à Villette, Hermance, nant d’Aisy, plaine de l’Aire et au Grand-Saconnex. Le coût total est d’environ 210 millions de francs, dont 60 millions pour la station d’Aïre. Le résultat est que le canton de Genève atteint en 1968 un taux de 98 % d’épuration des eaux usées (un record suisse)[3].

Construction et architecture modifier

Le complexe industriel a été conçu par l'architecte genevois Georges Brera, sous la responsabilité de son jeune collaborateur Peter Böcklin[4], et réalisée de 1964 à 1967. Il a fallu trouver des solutions appropriées car il n'existait alors aucun exemple architectural d'installation où les eaux usées viennent d'une station de pompage, puis sont distribuées au sein d'un complexe industriel.

Georges Brera intègre les installations dans une boucle du Rhône, où se trouvait une décharge publique[2], et crée un sentier au long du fleuve. Les bassins de décantation, les collecteurs et réacteurs sont ordonnés dans un grand rectangle fonctionnel. Le bâtiment administratif est un peu à l'écart, dans l'axe de l'accès, il domine le fleuve et apparaît comme un repère dans le paysage.

 
« La Verseuse ».

Selon Franz Graf, « la STEP d’Aïre se distingue par sa qualité architecturale. (…) l’immeuble administratif, le complexe des ateliers et le volume de traitement des boues, dit « Porteous », (affichent) un langage plastique très soigné, qui tire parti de l'expression du béton brut de décoffrage, avec une référence manifeste et parfaitement maîtrisée à l’architecture corbuséenne »[4]. Le « Porteous » tient son nom de la méthode de traitement des boues pratiquée dans ses murs.

Les formes architecturales du bâtiment administratif dit « La Verseuse » ont d’autres similitudes avec les constructions de Le Corbusier de la même période : les pilotis qui le soutiennent, les brise-soleil qui donnent à la façade sa plastique et le toit à caractère sculptural. Ce bâtiment est situé sur une pente et compte six niveaux côté Rhône soutenus par des pilotis, et trois niveaux du côté de l’entrée. Le rez-de-chaussée est libre et vitré, il permet une vue traversante. Les brise-soleil délimitent les étages. Les escaliers sont insérés dans deux tours rondes qui renforcent la plastique générale. La salle de conférences située sur le toit s’ouvre sur le fleuve et un mur posé de biais est là spécialement pour accueillir une fresque[2]. Les matériaux utilisés sont principalement le béton (murs en béton brut, escaliers en béton bouchardé, dallettes pour les sols de l’entrée) ; le bois pour la barrière dans la tour d’escalier et pour les casiers dans les couloirs ; le linoleum pour les sols, « qui n’a pas bougé depuis cinquante ans »[2].

Les grands sites industriels et d'approvisionnement étaient et sont rarement considérés comme des éléments constitutifs du paysage. Cette station d'épuration se situe ainsi d'une certaine manière dans la tradition d'architectes novateurs comme Claude-Nicolas Ledoux ou Tony Garnier[réf. nécessaire].

 
Monument.

Dans un article de 1989, Paolo Fumagalli montre qu’avec les choix formels de l'architecte, « les années soixante se présentent ici dans leur pleine maturité : clarté architectonique et fidélité aux canons du Moderne, emphase des volumes, caractère modulaire des structures de chaque bâtiment ainsi que cohérence et sensibilité avec lesquelles chacun des divers corps de bâtiment s'insère dans ce site sensible, celui des rives du Rhône ». Ce même article site Georges Brera qui s’exprime dans une brochure publiée lors de l’inauguration : « Il était nécessaire, écrit Brera, de trouver une échelle commune aux différents ouvrages, et seul l'emploi d'un même matériau, de structure d'échelle correspondante, pouvait assurer une unité à ces éléments disparates », et « Si la recherche d'une échelle commune entre les constructions a été la préoccupation majeure de cette réalisation, la volonté de se lier à la configuration du terrain, d'incorporer les bâtiments dans le site et les rideaux de verdure actuels ou futurs n'a pas été négligée »[5].

À l’entrée du site, sur une petite élévation, se trouve un monument constitué de plusieurs murs en béton, incurvés, imbriqués, avec une plaque de bronze portant cette citation de Paul Claudel : « Tout ce que le cœur désire peut toujours se réduire à la figure de l'eau » (Positions et propositions)[6].

Problèmes olfactifs modifier

Le voisinage (Le Lignon, Onex, Lancy, Aïre, Loëx) se plaint des odeurs nauséabondes en provenance de la station. Le Conseil d’État assure que l’on étudie les moyens d’y remédier au moins dès 1972. Des mesures sont effectivement prises, mais en 1973 on évalue à (un maximum) de 20 millions de francs si on veut « réellement éliminer une nuisance devenue intolérable ». En 1975, le Grand Conseil adopte un crédit de 9 600 000 francs. On affirme en 1985 que « l’installation est maintenant réputée inodore », après des travaux ayant coûté près de 15 millions de francs. Un crédit de 30 millions de francs est voté par le Grand Conseil en 1993 pour le « remplacement de l’installation de conditionnement thermique et de déshydratation des boues ». En 1990 et 1995, des travaux provoquent temporairement le dégagement d’odeurs. Un programme de modernisation et d’agrandissement est en cours en 1995[7].

Raccordements de communes modifier

Une convention est signée en 1989, avec les communes françaises d’Archamps, Bossey et Collonges-sous-Salève, qui seront raccordées au réseau suisse. Les eaux usées de ces communes sont donc désormais traitées à la station d’Aïre. Les communes du Grand-Saconnex (Genève) et de Ferney-Voltaire (France) sont raccordées en 1997[8].

Reconstruction modifier

 
Installations.

Un crédit de 243 millions de francs est adopté en 1996 par le Grand Conseil pour l’extension et l’adaptation de la station d’épuration[9].

La station est reconstruite en 1998-2003. Depuis 2013, elle produit du biogaz[10].

L’assainissement et la rénovation du bâtiment des ateliers ont été achevés en 2009[11].

Réaffectations et occupation modifier

Deux bâtiments ne sont plus utilisés par la STEP à la suite des travaux de reconstructions : le bâtiment de traitement des boues (« Porteous ») et le bâtiment administratif (« La Verseuse »)[12]. En 2018, les projets de réaffectation vont dans le sens de lieux d’expositions et ateliers d’artistes[13], ou - concernant Porteous – d’un lieu de détention pour les détenus en fin de peine[2].

Fin , le collectif « Prenons la Ville » occupe le bâtiment de Porteous, abandonné depuis plus de vingt ans. Ce nouveau squat genevois soulève des questions politiques. Le Conseil administratif de Genève soutient une affectation culturelle du lieu, « et donc l’occupation », de même que la gauche et les verts, les syndicats et les milieux culturels. D'autre part le Conseil d'État a décidé au printemps déjà une utilisation dans le cadre de sa politique carcérale[14],[15]. Une nouvelle décision du Conseil d’État en affecte le bâtiment Porteous au Département de la cohésion sociale, pour la création d’un centre destiné à des projets culturels. Selon le magistrat socialiste responsable de ce département, Thierry Apothéloz, « ce magnifique bâtiment est très intéressant pour y monter un projet culturel ambitieux ». En mars, les occupants acceptent de libérer les lieux, considérés par l’État comme dangereux. Ils restent engagés pour « faire accepter un projet alternatif, non-marchand et participatif ». Concernant la Verseuse, le Conseil d’État envisage d’y accueillir le Département de la sécurité, tandis que la ville de Vernier voudrait qu’il soit consacré à la culture[16],[17].

Galerie modifier

Caractéristiques modifier

Les eaux usées viennent de la station de pompage de Saint-Jean, qui donne de l'altitude aux eaux usées de la ville pour qu'elles puissent s'écouler dans le collecteur général jusqu’à Aïre.

En 2009, la station consomme 27 721 MWh. Sa capacité de traitement exprimée en « équivalent-habitant » (60 g de DBO5 par jour) est de 600 000 pour 402 852 habitants raccordés, sa charge polluante tient compte en outre des activités économiques aussi raccordées. En 2009, la charge polluante moyenne monte à 722 428 et la station est donc à 120 % de sa capacité[11].

La station traite les eaux usées de la ville de Genève, de 24 communes du canton et d’une partie de la région transfrontalière. Elle traite l’ensemble des boues produites par toutes les stations d’épuration du canton et produit près de 8 millions de m3 de biogaz, utilisé pour les besoins en énergie thermique de la station, l’excédent étant injecté dans le réseau de gaz naturel. En 2018, plus de 445 000 habitants sont raccordés (dont 39 000 en France voisine[1]) et plus de 80 % des eaux usées de la région genevoise sont traitées à Aïre. Pas moins de 2 000 litres d'eaux usées arrivent chaque seconde dans la station[10].

Bibliographie modifier

Architecture modifier

  • (de) Christa Zeller, Schweizer Architekturführer ; Band 3: Westschweiz, Wallis, Tessin, Zurich, Werk Verlag, 1996 (ISBN 3-909145-13-2)
  • (de) P. Fumagalli, « Eine Funktion organisieren, eine Form finden, Abwasserreinigungsanlage Aïre-Genf », Werk, Bauen und Wohnen, nos 7/8 « Die 60er Jahre in der Schweiz = Les années 60 en Suisse = The 60ies in Switzerland »,‎ (ISSN 0257-9332, lire en ligne, consulté le )
    Résumés en français et en anglais.
  • (de) Florian Aigle, Hans Girsberger, Olinde Rangs (éditeurs), Architekturführer Schweiz, Zurich, Architecture Artemis. Réédition complétée, 1978 (ISBN 3-7608-8004-5)

Eaux usées modifier

  • Eaux usées : l’assainissement au quotidien, Le Lignon, Services industriels de Genève, , 31 p. (lire en ligne) – Dont un plan avec les 8 stations d’épurations et les 32 stations de pompage
  • Assainissement des eaux usées : Rapport d’exploitation 2009, Le Lignon, Services industriels de Genève, , 32 p. (lire en ligne)
  • Yves Maystre, « L’épuration des eaux usées est-elle vraiment utile et nécessaire ? », Journal de Genève, no 226,‎ , p. 11, 14-15 (lire en ligne)
    Avec une adresse de François Perrot (conseiller d'État) et un plan d’ensemble. L’auteur est alors ingénieur chef de la division de l’assainissement.
  • G. K., « Le programme d’assainissement des eaux s’achèvera début 1967 », Journal de Genève, no 179,‎ , p. 6 (lire en ligne) – Avec plan d’ensemble

Notes et références modifier

  1. a b et c Xavier Lafargue, « Le géant de l’épuration des eaux usées se cache au pied des tours du Lignon », Tribune de Genève,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  2. a b c d et e Christian Bernet, « Porteous, un vaisseau fantôme sur le Rhône », Tribune de Genève,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  3. Maystre 1967.
  4. a et b Franz Graf, Histoire matérielle du bâti et projet de sauvegarde : Devenir de l'architecture moderne et contemporaine, Lausanne, PPUR Presses polytechniques, , 484 p. (ISBN 978-2-88074-993-4, lire en ligne), p. 390.
  5. Fumagalli 1989.
  6. A.R., « Imposante inauguration de la station d’épuration des eaux usées à Aïre », Journal de Genève,‎ , p. 11 (lire en ligne, consulté le ).
  7. Archives du Journal de Genève des 11 novembre 1972, 26 juin 1973, 17 mars 1975, 25 septembre 1981, 7 avril 1995.
  8. Archives du Journal de Genève des 13 septembre 1989 et du 6 décembre 1996.
  9. Archives du Journal de Genève du 6 décembre 1996.
  10. a et b « STEP by STEP la station d’Aïre fête ses 50 ans », sur ww2.sig-ge.ch, Services industriels de Genève, (consulté le ).
  11. a et b Rapport d’exploitation 2009.
  12. Laurent Guiraud, « Porteous, un vaisseau fantôme sur le Rhône », Tribune de Genève,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  13. « Prix SIA Master Architecture 2017 : « La STEP d’Aïre : un nouveau lieu de création et de diffusion artistique à Genève » : Un projet de Thierry Buache : Un diplôme de Master de l'École polytechnique fédérale de Lausanne », sur www.espazium.ch, TRACÉS, (consulté le ).
  14. Éric Lecoultre, « Révolte douce à Porteous : L’ancienne station d’épuration située à Vernier, au bord du Rhône, est occupée depuis plus de trois semaines », Le Courrier,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  15. Roderic Mounir, « Alternatives : La culture réinvestit le bâti », Le Courrier,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  16. Rachad Armanios, « Porteous sera un centre culturel », Le Courrier,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  17. « Accord trouvé sur Porteous », Le Courrier,‎ .

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier