Sarraounia

reine africaine (fin XIXe siècle)
Sarraounia
Nom de naissance Mangou (ou Mangu)
Naissance Date inconnue
Décès Date inconnue
Lougou (région de Matankari)
Activité principale
Reine du village de Lougou

Sarraounia est le nom donné à une reine africaine (Niger) qui a régné sur les Azna, une communauté d'Afrique de l'ouest, à la fin du XIXe siècle, dans le sud-ouest du Niger actuel. « Sarraounia » (également orthographié sarauniya ou saraouniya) n'est pas un nom, mais un titre — « reine », en langue haoussa — donné à la chef politique et religieuse du village de Lougou (ou Lugu)[1], situé sur le territoire de la commune de Dan-Kassari, à une vingtaine de kilomètres de Matankari. Selon les quelques éléments dont on dispose à son sujet, la sarraounia de Lougou se serait appelée Mangu[2] (ou Mangou)[1].

On se souvient d'elle du fait de la résistance que sa communauté opposa à la mission Voulet-Chanoine : à une époque où de nombreux royaumes d'Afrique de l'Ouest capitulaient sans combattre face aux Français, la communauté de Sarraounia livra bataille aux troupes coloniales commandées par les capitaines Voulet et Chanoine, en .

Personnage méconnu, Sarraounia connaît une nouvelle postérité à partir des années 1980, où elle est réinventée et mythifiée sous les traits d'une héroïne africaine, voire d'un symbole du panafricanisme.

Biographie modifier

Les données historiques relatives à Sarraounia sont rares, et principalement liées à l'affaire de la mission Voulet-Chanoine ; elles se mélangent en outre à des éléments venus de la tradition orale africaine. L'épisode de l'affrontement entre les guerriers Aznas et la colonne commandée par les capitaines Voulet et Chanoine est notamment relaté dans le livre de souvenirs publié en 1930 par un des membres de l'expédition, le général Joalland (lieutenant à l'époque des faits). Ce dernier décrit Sarraounia comme une « vieille sorcière » qui aurait délibérément défié les Français alors que ceux-ci s'approchaient de son village, en leur adressant un message injurieux dans lequel elle promettait de leur barrer la route et se vantait de l'invincibilité de ses guerriers. Le , les troupes françaises arrivent en vue de Logou, où les guerriers de Sarraounia leur font face. Selon le récit de Joalland, les Français dispersent sans difficulté leurs adversaires avec quelques salves d'armes à feu ; ils sont cependant contraints de livrer ensuite bataille pour déloger les indigènes de la brousse où ces derniers se sont réfugiés, car les troupes françaises doivent camper à côté. Du fait de la résistance des guerriers de Lougou, l'affaire se révèle coûteuse pour les Français, auxquels elle vaut quatre morts, six blessés et la perte d'environ 7 000 cartouches[3].

Les Aznas se retranchent dans la forêt puis, quelques semaines plus tard, après le départ des Français, reprennent possession de Lougou[1], que les troupes coloniales ont incendié et laissé en ruines. Selon les récits parvenus jusqu'à nous, Sarraounia aurait été emmenée de force par ses guerriers pendant la bataille. Désespérée de n'avoir pu protéger sa tribu, elle aurait ensuite, selon la légende, tenté de se donner la mort en se jetant dans un brasier, mais en aurait été empêchée. La tradition rapporte qu'après son décès, un « jujubier symbole d'éternité [aurait] poussé sur sa tombe »[2].

Postérité et légende modifier

Les archives du ministère de la guerre font état de la résistance des habitants de Lougou, mais ne mentionnent pas le rôle tenu par Sarraounia. C'est principalement le patrimoine oral qui fait ensuite de la reine une figure populaire dans certaines régions du Niger, exaltant sa résistance contre les Français et lui prêtant des pouvoirs magiques. L'affrontement de Lougou est relaté dans un passage du livre Le Grand capitaine (1976), récit romancé que Jacques-Francis Rolland consacre à la mission Voulet-Chanoine ; l'auteur y présente « la Sarraounia » comme une « reine-sorcière » dont les incantations fanatisaient les guerriers de sa tribu et inquiétaient les auxiliaires de l'armée coloniale. Mais c'est surtout à partir de 1980 que l'écrivain nigérien Mamani Abdoulaye popularise Sarraounia — jusque-là un simple personnage de folklore ignoré de l'historiographie — en lui consacrant un roman (Sarraounia : Le drame de la reine magicienne) qui fait d'elle une figure de l'imaginaire collectif nigérien et, plus largement, africain[1].

Mamami — qui dit avoir pris la décision d'écrire son livre en réaction à celui de Rolland, qui lui avait paru méprisant — signe un roman destiné à donner la version africaine de l'histoire de la colonisation. Lorsque Joalland, témoin de l'évènement, parle de Sarraounia comme d'une vieille sorcière, Mamani la décrit comme une femme jeune et belle, semblable à une redoutable guerrière amazone ; il fait d'elle un symbole politique, en lui prêtant un discours aux accents panafricanistes. La figure de Sarraounia, mythifiée par ce récit romancé, devient a posteriori un symbole de la lutte contre la colonisation[4].

Personnage peu connu avant 1980, elle devient, sur la base de sa réinvention littéraire, un symbole de fierté africaine et de résistance nationale, et fait par la suite son entrée dans les manuels scolaires d'Afrique francophone[2],[1]. Elle est entre autres l'héroïne d'un film adapté du roman de Mamani, réalisé par Med Hondo, et apparaît dans diverses œuvres de fiction.

Sources primaires imprimées modifier

Témoignages modifier

  • Paul Joalland (général), Le Drame de Dankori : mission Voulet-Chanoine - mission Joalland-Meynier, Paris, Nouvelles Éditions Argo (NEA), , 256 p.

Bibliographie modifier

Études et essais modifier

  • Elara Bertho, « Sarraounia, une reine africaine entre histoire et mythe littéraire (Niger, 1899-2010) », Genre & Histoire [En ligne], 8 | Printemps 2011, mis en ligne le , consulté le . URL : http://genrehistoire.revues.org/1218
  • Aissata Sidikou, « De l'oralité au roman : Sarraounia ou la reine contre l'empire », The Romanic Review, vol. 93, n° 4, .
  • Antoinette Tidjani Alou, « Sarraounia et ses intertextes : Identité, intertextualité et émergence littéraire », Sud Langues, revue électronique internationale des sciences du langage, n° 5, http://www.sudlangues.sn/spip.php?article91
  • Ousamane Tandina, « Sarraounia an epic ? », Research in African Literature, vol. 24, n° 2, 1993, p. 13-23.
  • Denise Brahimi et Anne Trevarthen, préf. de Catherine Coquery-Vidrovitch, Les femmes dans la littérature africaine : portraits, Paris / Abidjan / Paris, Karthala / Centre d'édition et de diffusion africaines (CEDA) / Agence de la Francophonie-ACCT, 1998, 238 p., (ISBN 2-86537-838-1) (Karthala) - (ISBN 2-86394-307-3) (CEDA)
  • Muriel Mathieu, La mission Afrique centrale, Paris, L'Harmattan, coll. « Racines du présent », , 281 p. (ISBN 2-7384-4008-8, lire en ligne).
  • Nicole Moulin, Boubé Namaïwa, Marie-Françoise Roy, Bori Zamo, Lougou et Saraouniya, Paris, L'Harmattan - Tarbiyya Tatali, 2017, 232 p., (ISBN 978-2-343-10550-5).
  • (en) Bertrand Taithe, The Killer Trail : a Colonial Scandal in the Heart of Africa, Oxford, Oxford University Press, , XII-324 p. (ISBN 978-0-19-923121-8, présentation en ligne), [présentation en ligne].

Littérature modifier

Bandes dessinées modifier

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier

Notes et références modifier

  1. a b c d et e Elara Bertho, « Sarraounia, une reine africaine entre histoire et mythe littéraire (Niger, 1899-2010) », Genre et Histoire, no 8,‎ (DOI https://doi.org/10.4000/genrehistoire.1218, lire en ligne, consulté le )
  2. a b et c Addo Mahamane, « Sarauniya Mangu : réintégrer une héroïne de la lutte anti-coloniale dans l'historiographie nigérienne », dans Odile Goerg et Anna Pondopoulo (dir), Islam et sociétés en Afrique subsaharienne à l'épreuve de l'histoire, Karthala, (ISBN 978-2-8111-0583-9, lire en ligne  ), p. 157-171
  3. Général Joalland, Le drame de Dankori, Argo, 1930, page 58-59
  4. Antoinette Tidjani Alou, Sarraounia et ses intertextes, Revue électronique internationale de sciences du langage, 2001