Ségurant, le chevalier au dragon

roman français en prose du 13e siècle

Ségurant, le Chevalier au Dragon est un roman français médiéval en prose qui, datant du XIIIe siècle, se rattache au cycle arthurien. Longtemps oublié, parce qu’il n’existe pas à l’état de manuscrit complet, il a pu refaire surface grâce au travail d’un archiviste paléographe, Emanuele Arioli, qui l’a redécouvert et reconstitué.

Ségurant et le dragon décapité, illustration d'un Armorial de la Table ronde de la fin du XVe siècle (Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 4976, folio 5v).

La reconstitution du roman modifier

Après avoir retrouvé sa trace dans un manuscrit de la bibliothèque de l'Arsenal, conservant les Prophéties de Merlin[1], Emanuele Arioli a rassemblé des fragments subsistants des aventures de Ségurant le Brun[2], le Chevalier au Dragon[3] dans des bibliothèques et archives européennes. Il a ainsi pu réunir, en l'espace de 10 ans, vingt-huit manuscrits en France, Italie, Allemagne, Belgique, Suisse et États-Unis qui lui ont permis de reconstituer ce roman oublié[3].

La plus ancienne version connue de ce roman a été écrite en Italie, en langue française, entre 1240 et 1273. Plusieurs continuations et réécritures ont vu le jour entre la fin du XIIIe siècle et la fin du XVe siècle. Les manuscrits aussi s'échelonnent sur plusieurs siècles et proviennent de France, d'Italie et des Flandres ; certains sont très sobres, d'autres richement illustrés[3]. Cet ensemble romanesque, qui eut un grand succès, circula en Italie, France, Grande-Bretagne et Espagne[3].

Le personnage de Ségurant modifier

 
Armorial de la Table ronde : Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 4976, folio 6r. Une courte biographie du héros et ses armoiries.

Le personnage de Ségurant est mentionné à la fin du Moyen Âge dans les Armoriaux de la Table Ronde, qui recensent les chevaliers de la cour du roi Arthur « au temps qu'il jurèrent la queste du sainct graal le Jour de la penthecoste  [sic] » précise le folio 2 du Ms. 4976 conservé à la Bibliothèque de l'Arsenal[4]. Ainsi, dans le folio 6r de cet Armorial, « Ségurant le Brun, fils d’Hector le Brun » est décrit comme très grand, presque un géant. Ses cheveux étaient d’un brun tirant sur le noir. Le visage avenant, le corps bien proportionné. De tempérament doux et paisible, il était plutôt solitaire. Sa force était démesurée, et son appétit insatiable. Toujours d'après ce folio 6r de l'Armorial, il a tué un dragon « hydeux  [sic] et terrible » peu avant d’être adoubé, et ses armes portent un dragon de sable (noir) avec une langue de sinople (vert), sur champ d’or[5].

Le roman de Ségurant reprend de nombreux lieux et personnages des légendes arthuriennes, s'inspirant particulièrement des romans médiévaux Lancelot en prose et Tristan en prose[2].

Son nom peut être rapproché du latin securus, « protégé, sûr », mais aussi de noms à connotations germaniques et nordiques comme Sigurd et Siegfried, deux chasseurs de dragons, avec lesquels, d'après Emanuele Arioli, Ségurant aurait un lien[3].

Les aventures de Ségurant modifier

Ségurant le Brun[2], fils d’Hector le Jeune, est né sur l’île de Non Sachante, île sauvage sur laquelle son grand-père, Galehaut le Brun, et le frère de celui-ci, Hector le Brun, avaient fait naufrage, alors qu’ils fuyaient Vertiger, l'usurpateur du trône de Logres.

 
Miniature figurant Morgane répandant ses enchantements sur le Val sans Retour, extrait du Lancelot en prose, vers 1494, Bibliothèque Mazarine.

Le jeune Ségurant prouve d'abord sa valeur dans une chasse aux lions, puis après avoir été adoubé par son grand-père, quitte son île natale pour défier son oncle Galehaut sur lequel il l'emporte dans une joute[2]. Sa renommée parvient à la cour du roi Arthur qui organise un tournoi en son honneur à Winchester[2] où l'ensemble des chevaliers de la Table Ronde peuvent admirer ses exploits[6]. Mais la fée Morgane, redoutant que le chevalier l'empêche de s'emparer du trône de Logres[6], fait apparaître au cours du tournoi un dragon — qui n'est autre que le diable lui-même[6] — que le héros, abandonnant le tournoi, est contraint de pourchasser[7]. Le tournoi est suspendu et les spectateurs attendent le retour du héros qui, après avoir traversé un mur de feu, s'est lancé dans une poursuite qui le conduit vers d’autres aventures qui font l'objet de différentes versions, dont l'une des plus tardives scelle l’histoire en imaginant la mort du dragon[6].

D'autres versions complètent l'histoire du chevalier : tout le monde attend le retour du héros jusqu'à ce qu'une envoyée de Morgane persuade Arthur que Ségurant n'était qu'un mirage dû à Morgane et à l’enchanteresse Sibylle[6] ; quand la cour d'Arthur apprend que deux cents chevaliers de l'Île Non Sachant se mettent en quête du héros, une nouvelle envoyée de Morgane persuade les chevaliers de la Table Ronde que ce sont des magiciens et les dissuade ainsi de rejoindre cette quête[8]. Ségurant est alors ramené au rang des êtres de légende et relégué dans le monde de l’illusion[8].

Même si on y retrouve l'univers de la légende du roi Arthur, le personnage diffère des autres héros arthuriens, par l'absence de la quête du Graal et son désintérêt pour les règles de l’amour courtois, ce qui fait de lui un héros profane et atypique[7],[9]. Le roman se distingue également par une dimension comique qui annonce l'évolution ultérieure du genre vers la parodie dont l'aboutissement est Don Quichotte[7],[9].

Raison possible d'une disparition modifier

Avant de tomber dans l'oubli les aventures de Ségurant eurent une certaine célébrité, ce que prouvent les différentes versions en circulation jusqu'au XVe siècle. Mais c'est dans un recueil des Prophéties de Merlin en français datant de 1272-1273 —  une série de prophéties politiques intercalées entre divers épisodes de la légende arthurienne[10] — qu'Emanuele Arioli a découvert l'existence du personnage de Ségurant. Les Prophéties de Merlin, un large ensemble d’œuvres littéraires prophétiques rédigées par différents auteurs qui les attribuent à l'enchanteur Merlin, ont circulé dans toute l'Europe et ont eu un énorme succès. Or, au milieu du XVIe siècle, dans le cadre de la reprise en main de l'Eglise catholique et de la lutte contre la Réforme protestante, le Concile de Trente les met à l'Index : étude et interprétations en sont interdites[11], ce qui non seulement met un point d'arrêt à cette production littéraire, mais fait aussi tomber dans l'oubli les épisodes arthuriens qui y sont consignés.

Adaptations en bande dessinée et en livre illustré modifier

Après avoir traduit le roman qu'il a découvert en français moderne (aux éditions des Belles Lettres), Emanuele Arioli l'a adapté en bande dessinée avec le dessinateur Emiliano Tanzillo aux éditions Dargaud[12]. Il a réalisé également un livre illustré pour enfants au Seuil Jeunesse[13].

Notes et références modifier

  1. « Ms. 5229 de la Bibliothèque de l'Arsenal ».
  2. a b c d et e Arioli 2019, p. 286.
  3. a b c d et e Arioli 2019, p. 530.
  4. Armorial de la Table ronde (Ms-4976) (lire en ligne).
  5. Armorial (Ms-4976), présentation de Ségurant le brun (lire en ligne), p. 13.
  6. a b c d et e Arioli 2019, p. 287.
  7. a b et c Justine Dockx, « Ségurant ou le Chevalier au Dragon, découverte d’une œuvre et d’un héros singuliers », Acta fabula,‎ (lire en ligne  ).
  8. a et b Arioli 2019, p. 288.
  9. a et b « Le Cours de l’histoire », sur France-Culture, .
  10. « Les Prophéties de Merlin », BnFc (consulté le )
  11. Les évêques devront veiller avec soin à ce que on ne lise point les livres traitant de l’astrologie judiciaire, et à ce que l'on ne garde point en sa possession ceux où l’on ose affirmer comme « devant certainement arriver les choses futures contingentes, les cas fortuits ou toute action qui dépend de la volonté humaine. » (De libris prohibilis. Regula IX. Sacro Sancta Concilia. phil.labbe, tome14, p.954. Concile de Trente). — Merlini Angli liber obscurarum prædictionum prohibetur. (Index librorum prohibit a patribus Concilii tridentini. Édit. Sotomaior, 1667. En Myrdhinn, p.340.)
  12. « Le Chevalier au Dragon », sur Éditions Dargaud (consulté le ).
  13. « Bande dessinée – L’énigme genevoise d’un chevalier de la Table ronde », sur Tribune de Genève, (consulté le ).

Bibliographie modifier

Traduction modifier

Texte en ancien français modifier

  • Emanuele Arioli, Ségurant ou Le chevalier au dragon, t. I : Version cardinale, Honoré Champion, coll. « Classiques français du Moyen Âge », , 404 p. (ISBN 978-2-7453-5053-4).
  • Emanuele Arioli, Ségurant ou le chevalier au dragon, t. II : Versions complémentaires et alternatives, Honoré Champion, coll. « Classiques français du Moyen Âge », , 289 p. (ISBN 978-2-7453-5055-8).

Recherche modifier

Ouvrages modifier

  • Emanuele Arioli, Ségurant ou le Chevalier au dragon : étude d’un roman arthurien retrouvé (XIIIe – XVe siècles), Paris, Honoré Champion, coll. « Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge » (no 126), , 538 p. (ISBN 2745351370, lire en ligne).
  • Emanuele Arioli, Ségurant ou le Chevalier au Dragon : Roman arthurien inédit (XIIIe – XVe siècles), Paris, Académie des inscriptions et belles-lettres, coll. « Histoire litteraire de la France » (no 45), , 194 p. (ISBN 978-2-87754-337-8).
  • Nathalie Koble, Les prophéties de Merlin en prose : Le roman arthurien en éclats, Honoré Champion, coll. « Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge » (no 92), , 590 p. (ISBN 978-2-7453-1829-9).

Articles modifier

  • Emanuele Arioli, « Un héros aux mille visages : Ségurant le Brun, Sicurano lo Bruno, Segurades el Brun, Severause le Brewse… », dans Christine Ferlampin-Ache, Arthur en Europe à la fin du Moyen Âge : Approches comparées (1270-1530), Paris, Garnier, (ISBN 978-2-406-09871-3), p. 71-87.
  • (en) Emanuele Arioli, « A Medieval Robinsonade : Ségurant or the Knight of the Dragon », dans Emmanuele Peraldo, 300 Years of Robinsonades, Cambridge Scholars Publishing, (ISBN 978-1-5275-4724-7), p. 31-41
  • Nathalie Koble, « Un nouveau Ségurant Le Brun en prose ? : Le Manuscrit de Paris, Arsenal, Ms 5229, un roman arthurien monté de toutes pièces », dans Danielle Bohler (dir.), Le Romanesque aux XIVe et XVe siècles, Presses Universitaires de Bordeaux, coll. « Eidôlon », (ISBN 979-10-300-0527-1), p. 69–94.
  • Emanuele Arioli, « Comment recréer un roman qui n’existe plus ? : Le cas de Ségurant ou le Chevalier au Dragon », dans Florian Besson, Julie Pilorget et Viviane Griveau-Genest (dirs.), Créateurs, créations, créatures au Moyen Âge, Paris, Sorbonne Université Presses, (ISBN 979-10-231-0652-7), p. 285-293.

Adaptations modifier

Documentaire modifier

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier