Réaction contrôlée par la diffusion

Une réaction chimique contrôlée par la diffusion (ou limitée par la diffusion) est une réaction qui est tellement rapide que sa vitesse de réaction est égale au taux de transport des réactifs à travers le milieu réactionnel, le plus souvent une solution liquide[1]. Aussitôt que les réactifs se rencontrent, ils réagissent. Le processus de réaction implique la diffusion des réactifs jusqu'à ce qu'ils se rencontrent dans les bonnes proportions stœchiométriques et forment un complexe activé qui est capable de passer aux produits réactionnels. La vitesse observée d'une réaction chimique égale généralement la vitesse de l'étape la plus lente, dite l'étape cinétiquement déterminante. Aux réactions contrôlées par la diffusion, la formation des produits à partir du complexe activé est beaucoup plus rapide que la diffusion des réactifs, et alors la vitesse dépend de la fréquence des collisions.

Le contrôle par la diffusion est rare en phase gazeuse, où les vitesses de diffusion des molécules sont généralement très élevées. Le contrôle par la diffusion est plus probable en solution où la diffusion des réactifs est plus lente à cause du nombre supérieur des collisions avec des molécules de solvant. Les réactions avec formation facile du complexe activé et formation rapide des produits sont les plus susceptibles au contrôle par la diffusion. Sont candidats pour le contrôle par la diffusion les réactions avec catalyse, soit homogène, enzymatique ou hétérogène avec réactifs en phases différentes.

Un test classique pour dépister le contrôle par la diffusion est de vérifier si la vitesse de réaction est augmentée par le remuement ou par l'agitation mécanique. Si oui, la réaction est très probablement contrôlée par la diffusion aux conditions données.

Application à la catalyse enzymatique modifier

 
Figure 1.(a) Le modèle de Alberty-Hammes-Eigen, et (b) le modèle de Chou. Ici E indique l'enzyme dont le site actif est coloré en rouge, tandis que le substrat S est en bleu.

La théorie d'une réaction contrôlée par la diffusion est d'abord utilisée en 1958–1963 par Robert Alberty, Gordon Hammes, et Manfred Eigen afin de prévoir la limite supérieure des vitesses des réactions entre une enzyme et son substrat[2],[3]. Selon leur estimation[2],[3], cette limite supérieure est de 109 M−1 s−1.

En 1972, Chou et Jiang mesurent la vitesse de déshydratation de l'acide carbonique (H2CO3) catalysée par l'enzyme anhydrase carbonique, et obtiennent une constante de vitesse expérimentale de deuxième ordre vers 1,5 × 1010 M−1 s−1[4], c'est-à-dire un ordre de grandeur plus vite que la limite supérieure estimée selon le modèle simplifié de Alberty, Hammes, et Eigen[2],[3].

Pour expliquer ce désaccord, le professeur Kuo-Chen Chou et ses collaborateurs proposent un modèle qui tient compte du facteur spatial et du facteur de champ de force entre l'enzyme et son substrat. Avec ce modèle, ils trouvent une limite supérieure qui peut atteindre 1010 M−1 s−1[5],[6],[7], et peut expliquer quelques vitesses de réaction étonnamment élevées dans la biologie moléculaire[4],[8],[9],[10]. Cette nouvelle limite supérieure de Chou et collaborateurs pour une réaction entre enzyme et substrat est discutée et analysée davantage dans une série d'études subséquentes[11],[12],[13].

Une comparaison détaillée est élaborée entre le modèle simplifié de Alberty-Hammes-Eigen (Figure 1a) et le modèle de Chou (Figure 1b) en ce qui concerne le calcul de la vitesse de réaction enzyme-substrat avec contrôle par la diffusion, ou bien la limite supérieure de vitesse d'une réaction enzyme-substrat[14].

Références modifier

  1. Peter William Atkins et Julio de Paula, Chimie physique (4e édn. française, de Boeck 2013), p. 839-842 (ISBN 978-2804166519)
  2. a b et c (en) Robert A. Alberty et Gordon G. Hammes, « Application of the Theory of Diffusion-controlled Reactions to Enzyme Kinetics », Journal of Physical Chemistry, vol. 62, no 2,‎ , p. 154–9 (DOI 10.1021/j150560a005)
  3. a b et c (en) Manfred Eigen et Gordon G. Hammes, Advances in Enzymology and Related Areas of Molecular Biology, , 1–38 p. (ISBN 978-0-470-12270-9, OCLC 777630506, DOI 10.1002/9780470122709.ch1), « Elementary Steps in Enzyme Reactions (as Studied by Relaxation Spectrometry) »
  4. a et b (en) Seymour H. Koenig et Rodney D. Brown, « H2CO3 as Substrate for Carbonic Anhydrase in the Dehydration of HCO3 », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 69, no 9,‎ , p. 2422–5 (PMID 4627028, PMCID 426955, DOI 10.1073/pnas.69.9.2422, JSTOR 61783, Bibcode 1972PNAS...69.2422K)
  5. (en) Kuo-Chen Chou et Shou-Ping Jiang, « Studies on the rate of diffusion-controlled reactions of enzymes. Spatial factor and force field factor », Scientia Sinica, vol. 27, no 5,‎ , p. 664–80 (PMID 4219062)
  6. (en) Kuo-Chen Chou, « The kinetics of the combination reaction between enzyme and substrate », Scientia Sinica, vol. 19, no 4,‎ , p. 505–28 (PMID 824728)
  7. (en) TT Li et KC Chou, « The quantitative relations between diffusion-controlled reaction rate and characteristic parameters in enzyme-substrate reaction systems. I. Neutral substrates », Scientia Sinica, vol. 19, no 1,‎ , p. 117–36 (PMID 1273571)
  8. (en) Arthur D. Riggs, Suzanne Bourgeois et Melvin Cohn, « The lac represser-operatorinteraction: III. Kineticstudies », Journal of Molecular Biology, vol. 53, no 3,‎ , p. 401–17 (PMID 4924006, DOI 10.1016/0022-2836(70)90074-4)
  9. (en) Kasper Kirschner, Ernesto Gallego, Inge Schuster et David Goodall, « Co-operative binding of nicotinamide-adenine dinucleotide to yeast glyceraldehyde-3-phosphate dehydrogenase: I. Equilibrium and temperature-jump studies at pH 8.5 and 40 °C », Journal of Molecular Biology, vol. 58, no 1,‎ , p. 29–50 (PMID 4326080, DOI 10.1016/0022-2836(71)90230-0)
  10. (en) P.R. Gardner, D.P. Gardner et A.P. Gardner, « Globins Scavenge Sulfur Trioxide Anion Radical », Journal of Biological Chemistry, vol. 290,‎ , p. 27204-27214 (PMID 26381408, DOI 10.1074/jbc.M115.679621)
  11. (en) Kuo Chen Chou et Guo Ping Zhou, « Role of the protein outside active site on the diffusion-controlled reaction of enzymes », Journal of the American Chemical Society, vol. 104, no 5,‎ , p. 1409–13 (DOI 10.1021/ja00369a043)
  12. (en) T.A.J. Payens, « Why are enzymes so large? », Trends in Biochemical Sciences, vol. 8,‎ , p. 46 (DOI 10.1016/0968-0004(83)90382-1)
  13. (en) Guozhi Zhou, Ming-Tat Wong et Guo-Qiang Zhou, « Diffusion-controlled reactions of enzymes: An approximate analytic solution of Chou's model », Biophysical Chemistry, vol. 18, no 2,‎ , p. 125–32 (PMID 6626685, DOI 10.1016/0301-4622(83)85006-6)
  14. (en) Guo-Qiang Zhou et Wei-Zhu Zhong, « Diffusion-Controlled Reactions of Enzymes », European Journal of Biochemistry, vol. 128, nos 2–3,‎ , p. 383–7 (PMID 7151785, DOI 10.1111/j.1432-1033.1982.tb06976.x)