Quatrain

poème de quatre vers

Un quatrain est une strophe de quatre vers[1], qui peut être soit un poème indépendant, soit une strophe d'un poème plus long. Le quatrain se prête à de très nombreuses combinaisons en jouant sur les mètres et sur les rimes, ce qu’ont su exploiter tous les poètes, notamment Paul Verlaine dans Fêtes galantes. Il se révèle d’un emploi extrêmement varié tout au long de l’histoire littéraire malgré son apparente simplicité, ce qui fait de lui la strophe de base de la poésie française.

Le mot correspond au genre du robāʿi, un poème de quatre vers très utilisé dans la littérature persane. Ce genre est particulièrement connu grâce aux Robâ‘iyât du poète Omar Khayyâm. Fernando Pessoa a aussi adopté cette forme.

Combinaisons métriques modifier

Les quatrains isométriques modifier

Ils comportent un seul type de vers ou des vers libres pour certains.

Alexandrins modifier

Les alexandrins sont des vers de douze syllabes.

Les ingénus

Le soir tombait, un soir équivoque d'automne :
Les belles, se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme, depuis ce temps, tremble et s'étonne.

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

Décasyllabes modifier

Les décasyllabes sont des vers de dix syllabes.

Clair de lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

Octosyllabes modifier

Les octosyllabes sont des vers de huit syllabes.

Cortège

Un singe en veste de brocart
Trotte et gambade devant elle
Qui froisse un mouchoir de dentelle
Dans sa main gantée avec art.

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

Heptasyllabes modifier

Les heptasyllabes sont des vers impairs de sept syllabes.

En sourdine

Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera,
Voix de notre désespoir,
Le rossignol chantera.

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

Pentasyllabes modifier

Les pentasyllabes sont des vers impairs de cinq syllabes.

L’éternité

Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.

— Rimbaud, Derniers vers, 1872

Autres modifier

D’autres quatrains existent encore, pairs ou impairs : tétrasyllabes (quatre syllabes) comme « Charleroi » de Verlaine dans le recueil Romances sans paroles), ennéasyllabes (neuf syllabes) comme « Art poétique » de Verlaine dans le recueil Jadis et naguère), etc.

Les quatrains hétérométriques modifier

Les quatrains hétérométriques ont des vers possédant un nombre de syllabes différents. Les combinaisons sont extrêmement variées, en voici quelques-unes :

8/8/12/8 syllabes modifier

Dans la grotte

    Là ! Je me tue à vos genoux !
    Car ma détresse est infinie,
Et la tigresse épouvantable d'Hyrcanie
    Est une agnelle au prix de vous.

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

6/6/6/4 syllabes modifier

À Clymène

Puisque ta voix, étrange
Vision qui dérange
Et trouble l'horizon
  De ma raison.

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

12/6/12/6 syllabes modifier

Le Lac

Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices
      Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
      Des plus beaux de nos jours !

— Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, 1820

6/6/2/6 syllabes modifier

Ballade à la lune

C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
    La lune
Comme un point sur un i.

— Alfred de Musset, Premières poésies (1829-1835), paru en 1887

12/3 syllabes modifier

Au moment de rentrer en France

Et, peut-être, en ta terre où brille l’espérance,
         Pur flambeau,
Pour prix de mon exil, tu m’accorderas, France,
         Un tombeau.

— Victor Hugo, Les Châtiments, paru en 1853

Vers libres modifier

Pour vivre ici

Je fis un feu, l'azur m'ayant abandonné,
    Un feu pour être son ami,
Un feu pour m'introduire dans la nuit d'hiver,
      Un feu pour vivre mieux.

— Paul Éluard, Premiers Poèmes, 1918

Combinaisons des rimes modifier

Genre des rimes modifier

Alternance classique rime masculine/rime féminine modifier

Le faune

Un vieux faune de terre cuite
Rit au centre des boulingrins,
Présageant sans doute une suite
Mauvaise à ces instants sereins.

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

Rimes uniquement masculines modifier

En sourdine

Calmes dans le demi-jour
Que les branches hautes font,
Pénétrons bien notre amour
De ce silence profond.

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

Rimes uniquement féminines modifier

Mandoline

Les donneurs de sérénades
Et les belles écouteuses
Échangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

Rimes uniquement masculines ou féminines avec alternance strophique modifier

Par exemple avec la première strophe masculine et la seconde féminine :

L’amour par terre

Le vent de l'autre nuit a jeté bas l'Amour
Qui, dans le coin le plus mystérieux du parc,
Souriait en bandant malignement son arc,
Et dont l'aspect nous fit tant songer tout un jour !

Le vent de l'autre nuit l'a jeté bas ! Le marbre
Au souffle du matin tournoie, épars. C'est triste
De voir le piédestal, où le nom de l'artiste
Se lit péniblement parmi l'ombre d'un arbre. [...]

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

Disposition des rimes modifier

Rimes plates ou suivies modifier

De forme A/A féminine/B/B masculine[2]

À Clymène

Mystiques barcarolles,
Romances sans paroles,
Chère, puisque tes yeux,
Couleur des cieux, [...]

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

Rimes croisées modifier

De forme A masculine/B féminine/A masculine/B féminine[2]

Clair de lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques. [...]

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

Rimes embrassées modifier

A féminine/B/B masculine/A féminine[2],[1]

Les Ingénus

Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés ! — et nous aimions ce jeu de dupes. [...]

— Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

Utilisation dans différents types de poème modifier

Quatrain isolé modifier

Le quatrain peut être utilisé seul : il constitue alors un petit poème complet comme l’illustrent de nombreux exemples depuis le Moyen Âge. En voici quelques-uns :

Plaisant et désabusé chez François Villon modifier

Le quatrain que feit Villon quand il fut jugé à mourir

Je suis François, dont il me poise
Né de Paris emprès Pontoise
Et de la corde d'une toise
Saura mon col que mon cul poise

— François Villon, Œuvres complètes, 1873

Mystérieux chez Nostradamus modifier

Le lyon ieune le vieux surmontera,
En champ bellique par singulier duelle :
Dans cage d'or les yeux luy creuera,
Deux classes vne, puis mourir, mort cruelle.

— Nostradamus, Les Prophéties, 1555, Centurie I, quatrain 35

En forme d’épigramme chez Voltaire modifier

L'autre jour au fond d'un vallon,
Un serpent piqua Jean Fréron ;
Que croyez-vous qu'il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva.

— Voltaire, Anecdotes sur Jean Fréron, 1776

Poème de circonstance comme chez Mallarmé : dédicace à Hérédia modifier

À motif que sa flûte file
Le Faune heureux le dédia
Sur hollande au bibliophile
Et haut rimeur Hérédia

— Stéphane Mallarmé

En contrerime modifier

Forme formalisée et baptisée par Paul-Jean Toulet : quatrain combinant rimes embrassées (A/B/B/A) et structure métrique croisée (généralement 8/6/8/6), qui donne au poème une impression de déséquilibre systématique. Les poèmes du recueil comportent deux, trois ou quatre strophes ; une seule fois le quatrain est autonome :

LXII

Me rendras-tu, rivage basque,
Avec l’heur envolé
Et tes danses dans l’air salé,
Deux yeux, clairs sous le masque.

— Paul-Jean Toulet, Les Contrerimes, 1929

Suggestif chez Prévert modifier

L’automne

Un cheval s’écroule au milieu d’une allée
Les feuilles tombent sur lui
Notre amour frissonne
Et le soleil aussi.

— Jacques Prévert, Paroles, 1946

Dans des poèmes courts modifier

Il est très utilisé dans des poèmes plutôt courts, de huit à vingt vers, avec une certaine préférence pour le poème de quatre quatrains (proche visuellement du sonnet sans ses contraintes) comme « L'albatros » de Charles Baudelaire dans Les Fleurs du mal ou « Elle était déchaussée, elle était décoiffée » de Victor Hugo dans Les Contemplations’’ ).

Dans des poèmes longs modifier

Le quatrain se présente souvent dans de longs poèmes isostrophiques (uniquement des quatrains) :

Booz endormi

Booz s'était couché de fatigue accablé ;
Il avait tout le jour travaillé dans son aire ;
Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ;
Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.

— Victor Hugo, La Légende des siècles, Première série, I. D’Ève à Jésus, 1859

Autres exemples célèbres : « Le Bateau ivre » d'Arthur Rimbaud, 1871 ; « Liberté » de Paul Éluard, 1942 ; Je vous salue ma France... de Louis Aragon, 1943 ; etc.

On trouve parfois l’association de quatrains isométriques et hétérométriques comme dans « À Villequier » de Victor Hugo dans Les Contemplations’’, 1856, ou Le Lac d'Alphonse de Lamartine dans Méditations poétiques, 1820.

On le trouve plus rarement dans de longs poèmes hétérostrophiques comme dans « Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres » de Charles Péguy dans La Tapisserie de Notre-Dame, où des quatrains sont associés à des quintils :

Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres

Tour de David, voici votre tour beauceronne.
C'est l'épi le plus dur qui soit jamais monté
Vers un ciel de clémence et de sérénité,
Et le plus beau fleuron dedans votre couronne.

Un homme de chez nous a fait ici jaillir,
Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix
Plus haut que tous les saints,
plus haut que tous les rois,
La flèche irréprochable et qui ne peut faillir...

— Charles Péguy, La Tapisserie de Notre-Dame, 1913

Utilisation dans des poèmes à forme fixe modifier

Dans le rondeau (première strophe) modifier

Le temps a laissié son manteau

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s'est vestu de brouderie,
De soleil luyant, cler et beau. [...]

— Charles d'Orléans

Comme envoi de la petite ballade en octosyllabes modifier

Ballade des dames du temps jadis

Prince, n’enquerez de sepmaine
Où elles sont, ne de cest an,
Qu’à ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d’antan !

— François Villon, Le Grand Testament, 1461

Comme strophe régulière dans le pantoum modifier

Harmonie du soir

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir,
Valse mélancolique et langoureux vertige !

— Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857

Dans le sonnet modifier

Les sonnets comportent deux quatrains dans les deux premières strophes que complètent un sizain ou deux tercets :

XXXI

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son age !

Quand reverray-je, helas, de mon petit village
Fumer la cheminee, et en quelle saison
Reverray-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ? [...]

— Joachim du Bellay, Les Regrets, 1558

Bibliographie modifier

Références modifier

  1. a et b « QUATRAIN : Définition de QUATRAIN », sur www.cnrtl.fr (consulté le )
  2. a b et c « Poésie : les rimes (versification) », sur www.bacfrancais.com (consulté le )

Articles connexes modifier

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