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Alexandre Dumas - Le jeune d’Artagnan

Un jeune homme… – traçons son portrait d’un seul trait de plume : — figurez-vous don Quichotte à dix-huit ans, don Quichotte décorcelé, sans haubert et sans cuissard, don Quichotte revêtu d’un pourpoint de laine dont la couleur bleue s’était transformée en une nuance insaisissable de lie-de-vin et d’azur céleste. Visage long et brun ; la pommette des joues saillante, signe d’astuce ; les muscles maxillaires énormément développés, indice infaillible auquel on reconnaît le Gascon, même sans béret, et notre jeune homme portait un béret orné d’une espèce de plume ; l’œil ouvert et intelligent ; le nez crochu, mais finement dessiné ; trop grand pour un adolescent, trop petit pour un homme fait, et qu’un œil peu exercé eût pris pour un fils de fermier en voyage, sans sa longue épée qui, pendue à un baudrier de peau, battait les mollets de son propriétaire quand il était à pied, et le poil hérissé de sa monture quand il était à cheval.

Alexandre Dumas (24/07/1802-5/12/1870) - Les Trois Mousquetaires (1849) (ch. I)

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s:juillet 2012 Invitation 1

Percy Bysshe Shelley - Quand la lampe est brisée

Quand la lampe est brisée
La lumière gît morte dans la poussière -
Quand le nuage est dispersé
La gloire de l'arc-en-ciel se dissipe.
Quand le luth est rompu
Les douces mélodies ne sont plus en mémoire ;
Quand les lèvres ont parlé
Les accents aimés sont bien vite oubliés.

Percy Bysshe Shelley (4/08/1792-8/07/1822) - Posthumous Poems, 1824 (trad. Robert Ellrodt, Édition bilingue Actes Sud, 2006)

Texte original : When the lamp is shattered, //The light in the dust lies dead;//When the cloud is scattered,//The rainbow's glory is shed;//When the lute is broken,//Sweet tones are remembered not;//When the lips have spoken,//Loved accents are soon forgot.

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s:juillet 2012 Invitation 2

Alexandre Dumas - Le jeune d’Artagnan

Un jeune homme… – traçons son portrait d’un seul trait de plume : — figurez-vous don Quichotte à dix-huit ans, don Quichotte décorcelé, sans haubert et sans cuissard, don Quichotte revêtu d’un pourpoint de laine dont la couleur bleue s’était transformée en une nuance insaisissable de lie-de-vin et d’azur céleste. Visage long et brun ; la pommette des joues saillante, signe d’astuce ; les muscles maxillaires énormément développés, indice infaillible auquel on reconnaît le Gascon, même sans béret, et notre jeune homme portait un béret orné d’une espèce de plume ; l’œil ouvert et intelligent ; le nez crochu, mais finement dessiné ; trop grand pour un adolescent, trop petit pour un homme fait, et qu’un œil peu exercé eût pris pour un fils de fermier en voyage, sans sa longue épée qui, pendue à un baudrier de peau, battait les mollets de son propriétaire quand il était à pied, et le poil hérissé de sa monture quand il était à cheval.

Alexandre Dumas (24/07/1802-5/12/1870) - Les Trois Mousquetaires (1849) (ch. I)

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s:juillet 2012 Invitation 3

Kirsty Gunn – Tout le reste n'est que eau

Là-haut derrière la plage la pluie aplatissait l'herbe sèche ; les champs de lupins miroitaient et leur jaune, sur ce fond gris pâle, ressemblait à de la peinture fraîche.

Sous la pluie nous pouvions enlever nos vêtements,rallier la plage et pénétrer dans le lac en un seul mouvement régulier et continu. Il n'y avait pas moyen de dire où se terminait la terre, où commençaient les vagues. Le sable et l'eau se fondaient l'un dans l’autre, embrouillés par la brume. Rien d'autre n'existait à cette époque que ces deux enfants. Regardez-les. Ils sont deux et ils ont toute la plage pour eux, la blancheur des nuages et de l'eau qui tourbillonne à leurs pieds tandis qu'ils dansent, qu'ils dansent en rond, qu'ils dansent en rond à l'infini... À chaque tour qu'ils font ils rapetissent, ils s'éloignent, ils rapetissent de plus en plus dans le lointain jusqu'à ce qu'on ne puisse plus les voir du tout.

Kirsty GunnPluie (Grande-Bretagne, 1994 – trad fr. Christian Bourgois éditeur, 1996) (dernière page)

s:juillet 2012 Invitation 4

René Bazin - Crépuscule

Le corps endolori et penché en avant, leur outil sur l'épaule, ils considéraient l'horizon rouge au-dessus du Marais, et les nuages que le vent poussait vers le soleil en fuite. C'était un soir lamentable. Autour d'eux, des guérets, des terres nues, des haies dévastées, des arbres sans feuilles, de l'ombre et du froid qui tombaient du ciel. Et ils avaient bien fait deux cents mètres, avant que le fils se décidât à parler comme si la réponse devait être trop dure, pour le père qui suivait le même chemin de travail.

– Oui, dit-il, le temps de la vigne est fini dans nos contrées : mais elle pousse ailleurs.

– Où donc, mon Driot ?

Dans les demi-ténèbres, l'enfant étendit sa main libre, au-dessus de la Fromentière noyée en bas dans l'ombre. Le geste allait si loin, par-delà le Marais et par-delà la Vendée, que, sous ses habits de grosse laine, Toussaint Lumineau sentit le froid du vent.

– Les autres pays, dit-il, qu'est-ce que ça nous fait, mon Driot, pourvu qu'on vive dans le nôtre ?

René Bazin (26/12/1853-20/07/1932) - La terre qui meurt (1898) (page 199)

s:juillet 2012 Invitation 5

Georges Rodenbach – La promenade

Quel trouble de sentir le frisson, contre soi,
Le frisson d’une robe
Et de voir un pied fin qui, comme avec émoi,
Se montre et se dérobe.

Oh ! l’heure inoubliable où le long des chemins
Sans presque rien nous dire,
Rien qu’à nous regarder, qu’à nous chercher les mains
Et rien qu’à nous sourire,

Nous avons tous les deux, sans aveu ni serment,
Subi la même envie
Et, dans le soir qui meurt, rêvé naïvement
Que c’était pour la vie !

Georges Rodenbach (16/07/1855-25/12/1898) - La Jeunesse blanche, 1913


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