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Jean Follain - Au pays

Ils avaient décidé de s’en aller
au pays
où la même vieille femme
tricote sur le chemin
où la mère
secoue un peu l’enfant
lui disant à la fin des fins
te tairas-tu, te tairas-tu ?
Puis dans le jeu à son amie
la fillette redit tu brûles
et l’autre cherche si longtemps
si tard – ô longue vie –
que bientôt les feuilles sont noires.

 

Jean Follain (29/08/1903-10/03/1971 - Exister , (Territoire) (Éditions Gallimard, 1969. Page 112)

s:août 2013 Invitation 1

Charlotte Delbo – Agonies

Vous qui avez pleuré deux mille ans
un qui a agonisé trois jours et trois nuits
quelles larmes aurez-vous
pour ceux qui ont agonisé
beaucoup plus de trois cents nuits et beaucoup plus de trois cents journées
pleurerez-vous
ceux-là qui ont agonisé tant d’agonies
et ils étaient innombrables
Ils ne croyaient pas à résurrection dans l’éternité
Et ils savaient que vous ne pleureriez pas

Charlotte Delbo (10/08/1913-01/03/1985) - Aucun de nous ne reviendra (éd. Gonthier, 1965)

s:août 2013 Invitation 2

Albert Samain - Je rêve de vers doux ...

Je rêve de vers doux et d'intimes ramages,
De vers à frôler l'âme ainsi que des plumages,
De vers blonds où le sens fluide se délie
Comme sous l'eau la chevelure d'Ophélie,
De vers silencieux, et sans rythme et sans trame
Où la rime sans bruit glisse comme une rame,
De vers d'une ancienne étoffe, exténuée,
Impalpable comme le son et la nuée,
De vers de soir d'automne ensorcelant les heures
Au rite féminin des syllabes mineures.
De vers de soirs d'amour énervés de verveine,
Où l'âme sente, exquise, une caresse à peine...
Je rêve de vers doux mourant comme des roses.

Albert Samain (03/04/1858-18/08/1900) - Au jardin de l'infante (1893)

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s:août 2013 Invitation 3

Jean Follain - Au pays

Ils avaient décidé de s’en aller
au pays
où la même vieille femme
tricote sur le chemin
où la mère
secoue un peu l’enfant
lui disant à la fin des fins
te tairas-tu, te tairas-tu ?
Puis dans le jeu à son amie
la fillette redit tu brûles
et l’autre cherche si longtemps
si tard – ô longue vie –
que bientôt les feuilles sont noires.

 

Jean Follain (29/08/1903-10/03/1971 - Exister , (Territoire) (Éditions Gallimard, 1969. Page 112)

s:août 2013 Invitation 4

Stuart Merrill – Refrains mélancoliques

O l’ineffable horreur des étés somnolents
Où les lilas au long des jardins s’alanguissent
Et les zéphyrs, soupirs de sistres indolents,
Sur les fleurs de rubis et d’émeraude glissent !

Car les vieilles amours s’éveillent sous les fleurs,
Et les vieux souvenirs, sous le vent qui circule,
Soulèvent leurs soupirs, échos vagues des pleurs
De la mer qui murmure en le lent crépuscule.

Stuart Merrill (01/08/1863-01/12/1915) - Les Gammes , 1887

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s:août 2013 Invitation 5

Boris Vian - Boum boum

Il n'ajouta pas qu'à l'intérieur du thorax, ça lui faisait comme une musique militaire allemande, où l'on n'entend que la grosse caisse.

– N'est-ce pas qu'elle est jolie ? demanda Alise.

Chloé avait les lèvres rouges, les cheveux bruns, l'air heureux et sa robe n'y était pour rien.

– Je n'oserai pas ! dit Colin.

Et puis il lâcha Alise et alla inviter Chloé. Elle le regarda. Elle riait et mit la main droite sur son épaule. Il sentait ses doigts frais sur son cou Il réduisit l'écartement de leur deux corps par le moyen d'un raccourcissement du biceps droit, transmis, du cerveau, le long d'une paire de nerfs crâniens choisie judicieusement.

Chloé le regarda encore. Elle avait les yeux bleus. Elle agita la tête pour repousser en arrière ses cheveux frisés et brillants, et appliqua, d'un geste ferme et déterminé, sa tempe sur la joue de Colin.

Il se fit un abondant silence à l'entour, et la majeure partie du reste du monde se mit à compter pour du beurre.

Boris Vian (1920 - 23/6/1959) – L'Écume des jours (éd. J.J. Pauvert, 1963 – ch. XI)