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Valery Larbaud – Clarté nouvelle

Désormais, Joanny aurait trois heures éblouissantes dans sa journée, si éblouissantes qu'elles éclaireraient toutes les autres heures d'une clarté nouvelle. C’était de une heure à deux heures et de quatre heures à six heures de l’après-midi.

Jamais ses réveils n’avaient été plus joyeux. Comme l’été s’avançait, l’aube paraissait une heure au moins avant que le tambour donnât le Signal du lever. Éveillé avant tout le monde, Joanny regardait le jour grandir ; encore engourdi, les idées confuses, il sentait du bonheur au fond de lui, quelque part en lui, il ne savait pas au juste où ; puis il se demandait pourquoi la vie était si belle, et sa conscience, en se réveillant tout à fait, lui disait : « Fermina Màrquez ».

Valery Larbaud (29/08/1881-02/02/1957) – Fermina Màrquez (éd. Fasquelle, 1911) (ch. XI)

s:août 2011 Invitation 1

Théophile Gautier – La malédiction des sauterelles

Ce nuage différait des autres nuages ; il était vivant, il bruissait et battait des ailes, et s'abattait sur la terre non en grosses gouttes de pluie, mais en bancs de sauterelles roses, jaunes et vertes, plus nombreuses que les grains de sable au désert libyque ; elles se succédaient par tourbillons, comme la paille que disperse l'orage ; l'air en était obscurci, épaissi ; elles comblaient les fossés, les ravines, les cours d'eau, éteignaient sous leurs masses les feux allumés pour les détruire ; elles se heurtaient aux obstacles et s'y amoncelaient, puis les débordaient. Ouvrait-on la bouche, on en respirait une ; elles se logeaient dans les plis des vêtements, dans les cheveux, dans les narines ; leurs épaisses colonnes faisaient rebrousser les chars, renversaient le passant isolé et le recouvraient bientôt ; leur formidable armée, sautelant et battant de l'aile, s'avançait sur l'Égypte, des Cataractes au Delta...

Théophile Gautier (30/08/1811-23/10/1872) – Le roman de la momie (1858)

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s:août 2011 Invitation 2

Walter Scott – Le tournoi

Se débarrasser des étriers et de son cheval tombé fut pour le templier à peine l’affaire d’un instant, et, hors de lui à cause de sa disgrâce et des acclamations dont elle fut accueillie par les spectateurs, il tira son épée et la brandit en défiant son vainqueur.

Le chevalier Déshérité s’élança de son cheval et tira aussi son épée ; mais les maréchaux du camp poussèrent leurs chevaux entre eux, et leur rappelèrent que les lois du tournoi ne permettaient pas, dans le cas présent, ce genre de combat.

– Nous nous retrouverons, je l’espère, dit le templier en lançant un regard courroucé à son adversaire, et dans un endroit où il n’y aura personne pour nous séparer.

– Si nous ne nous revoyons pas, dit le chevalier Déshérité, la faute n’en sera pas à moi ; à pied ou à cheval, à la lance ou à la hache ou à l’épée, je suis également disposé à te faire raison.

Walter Scott (15/08/1771-21/09/1832) - Ivanohé (1820) - (Chapitre VIII)

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s:août 2011 Invitation 3

Valery Larbaud – Clarté nouvelle

Désormais, Joanny aurait trois heures éblouissantes dans sa journée, si éblouissantes qu'elles éclaireraient toutes les autres heures d'une clarté nouvelle. C’était de une heure à deux heures et de quatre heures à six heures de l’après-midi.

Jamais ses réveils n’avaient été plus joyeux. Comme l’été s’avançait, l’aube paraissait une heure au moins avant que le tambour donnât le Signal du lever. Éveillé avant tout le monde, Joanny regardait le jour grandir ; encore engourdi, les idées confuses, il sentait du bonheur au fond de lui, quelque part en lui, il ne savait pas au juste où ; puis il se demandait pourquoi la vie était si belle, et sa conscience, en se réveillant tout à fait, lui disait : « Fermina Màrquez ».

Valery Larbaud (29/08/1881-02/02/1957) – Fermina Màrquez (éd. Fasquelle, 1911) (ch. XI)

s:août 2011 Invitation 4

Rabîndranâth Tagore – Le Seigneur des Saisons

Où règne le Printemps, ce Seigneur des Saisons, une musique mystérieuse se fait entendre.
Là des torrents de lumière coulent en tous sens.
Peu d’hommes peuvent atteindre à ce rivage,
où des millions de Krishnas se tiennent les mains croisées ;
où des millions de Vishnus sont prosternés ;
où des millions de Brahmanes lisent les Védas ;
où des millions de Shiva sont perdus dans la contemplation.
Là des millions d’Indra et d’innombrables demi-dieux ont le ciel pour demeure.
Là des millions de Saraswatis, déesses de la musique, jouent sur la Vina.
Là mon Seigneur se révèle à Lui-même et le parfum du santal et des fleurs flotte dans les profondeurs de l’espace.

Rabindranath Tagore (6/05/1861-7/07/1941) - Poèmes de Kabir (1915), (Partie XI, trad. de H. Mirabaud-Thorens, NRF)

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s:août 2011 Invitation 5

Marina Tsvetaïeva - Je disparaîtrai un jour

Il en tomba combien dans cet abîme
Béant dans le lointain !
Et je disparaîtrai un jour sans rimes
Du globe, c’est certain.
Se figera tout ce qui fut, - qui chante
et lutte et brille et veut :
Et le vert de mes yeux et ma voix tendre
Et l’or de mes cheveux.
Et la vie sera là, son pain, son sel
Et l’oubli des journées.
Et tout sera comme si sous le ciel
Je n’avais pas été ! [...]
– Écoutez-moi ! – Il faut m’aimer encore
Du fait que je mourrai.

Marina Tsvetaïeva (1892-31/08/1941) - Tentatives de jalousie et autres poèmes (1913) (trad. Ève Malleret, éd. La Découverte, 1986, p. 79).