Poche de Saint-Nazaire

résistance allemande pendant la Seconde Guerre mondiale dans l'ouest de la France

La poche de Saint-Nazaire est, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, du mois d'août 1944 au 11 mai 1945, une zone de résistance des troupes allemandes repliées autour de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique, alors Loire-Inférieure), de part et d'autre de l'estuaire de la Loire. Formée autour du port de Saint-Nazaire et de sa base sous-marine, elle s'étend jusqu'à La Roche-Bernard au nord, Saint-Omer de Blain et Cordemais au nord-est, Frossay au sud-est et Pornic au sud.

Elle se crée lorsque des troupes allemandes de l'ouest de la France se replient sur cette zone fortifiée, qu'ils appellent Festung St. Nazaire (« forteresse de Saint-Nazaire »), au moment où les troupes alliées, débarquées en Normandie le 6 juin, libèrent les grandes villes de Rennes et de Nantes en août 1944. Sur le plan stratégique, elle a comme les autres poches de l'Atlantique (Royan et Lorient), pour but d'empêcher les Alliés d'utiliser un grand port, ici celui de Saint-Nazaire, ainsi que celui de Nantes.

Ayant pour objectif principal Paris (libérée le 24 août), et au-delà, Berlin, les Alliés ne cherchent pas à éliminer immédiatement cette « forteresse », que les Français appellent « la poche », se contentant de la mettre en état de siège. Ce n'est que le , jour de la capitulation du Troisième Reich à Berlin, qu'est signé à Cordemais l'acte de reddition des troupes allemandes de la poche, une cérémonie officielle ayant lieu le 11 mai à l'hippodrome de Bouvron.

Contexte modifier

 
Carte de l'avancée américaine du 1er au 14 août 1944.

Après la bataille de Normandie et la percée d'Avranches, les Alliés libèrent très rapidement l'ouest de la France pendant la première quinzaine d’août 1944 (Rennes le , Nantes le 12, Rezé le 29). Les troupes allemandes se replient alors sur les festungen, les forteresses dont Hitler avait ordonné la construction dès janvier 1944 autour des grands ports de l'Atlantique, de la Manche et de la mer du Nord (en fait un renforcement des fortifications déjà existantes avec le mur de l'Atlantique), en prévision du futur débarquement allié en Europe du Nord-Ouest[2]. Le but était de mettre en échec ce débarquement en empêchant les Alliés de s'emparer d'un grand port nécessaire pour ravitailler les troupes débarquées[2].

Des poches de résistance allemandes sont ainsi formée dans les différentes festugen de la façade atlantique à Saint-Malo, Brest, Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle et Royan (bloquant l'entrée du port de Bordeaux), les soldats allemands de ces régions s'y repliant. La poche de Saint-Nazaire accueille aussi des militaires allemands provenant du sud de la Loire, à la suite de la libération de la Vendée et du Poitou par des groupes issus de la résistance intérieure française[3].

Par ses instructions du aux généraux Jodl et Warlimont, Hitler demande à ses troupes de « les défendre jusqu’au dernier homme ». Constituées en forteresse, elles pourraient, selon lui, redevenir des points d’appui non négligeables sur l’Atlantique dans l’hypothèse où les armes secrètes (Wunderwaffen) seraient mises au point à temps pour retourner la situation en faveur de l’Allemagne nazie. Il pense qu'elles permettront également d'immobiliser un nombre important de soldats alliés[2].

Mais avec la construction de deux ports artificiels sur la côte du Calvados et une grande capacité de débarquement de matériels et d'approvisionnement directement sur les plages, puis à peine trois semaines après le débarquement, avec la prise du port de Cherbourg et sa remise en état partiel dès mi-juillet, les Alliés déjouent ce plan[2].

Après la percée d'Avranches, les Américains livrent bataille et s'emparent de la festung Saint-Malo (mais de l'île de Cézembre qui bloque son port seulement le 8 septembre) puis de celle de Brest. Mais elle ne tombe que le après de longs et durs combats avec d'importantes pertes parmi les troupes américaines et de dégâts dans la ville et le port. Le haut commandement allié décide alors le 7 septembre de ne pas chercher à conquérir les autres ports de la façade atlantique, le prix à payer n'en vaut plus la peine[2]. Il privilégie une avancée rapide vers l'Allemagne. La fin de la bataille de Normandie puis le débarquement de Provence et la rapide progression des Alliés provoquent la fuite des armées allemandes du sud-ouest de la France. Le front s'est rapidement déplacé vers le nord-est, rendant moins pertinent la prise des ports atlantiques. Mais surtout avec la montée en puissance du port de Cherbourg, la Libération de Marseille ouvrant l'axe logistique Rhône-Saône peu de temps après le débarquement de Provence, la libération du Havre qui s'annonce et la prise du port d'Anvers (même si les Allemands tiennent encore les bouches de l'Escaut ouvrant sur la mer du Nord), les Alliés espèrent en avoir fini avec le goulot d'étranglement d'approvisionnement de leurs troupes[2].

Les Alliés vont se contenter alors d'un blocus de ces forteresses qui seront plus tard appelées poches de l'Atlantique. Les troupes pour assurer ce blocus seront largement fournies par des bataillons des Forces françaises de l'intérieur, récemment endivisionnés dans l'armée française de la Libération. Ainsi hors FFI, moins d'un soldat allié sera immobilisé face à quatre soldats allemands[2].

Délimitation de la zone occupée par les Allemands modifier

La poche a pour centre la ville de Saint-Nazaire avec sa base sous-marine.

Au nord de la Loire, la ligne de front inclut la presqu'île guérandaise, avec les stations balnéaires de Pornichet et de La Baule et les ports de pêche du Croisic et de La Turballe, jusqu'à Pénestin, puis suit la rive gauche de la Vilaine jusqu'au confluent avec l'Isac (canal de Nantes à Brest), puis la rive gauche de l'Isac jusqu'à Blain (35 km au nord de Nantes), incluant le sud de cette commune. Elle descend alors vers le sud, incluant Bouvron, Malville et Cordemais et laissant à l'est Fay-de-Bretagne et Le Temple-de-Bretagne.

Au sud de la Loire, elle inclut les communes estuariennes de Frossay, Paimboeuf et Corsept (d'est en ouest), les communes intérieures de Saint-Viaud, Arthon-en-Retz (La Sicaudais) et Saint-Père-en-Retz et les communes littorales de Saint-Brevin-les-Pins, Saint-Michel-Chef-Chef, La Plaine-sur-Mer, Préfailles, Sainte-Marie-sur-Mer et Pornic (du nord au sud).

Les forces allemandes modifier

Elle compte de 26[2] à 28 000 soldats, sous le commandement du général d'aviation Junck. La base sous-marine reste sous le commandement de l'amiral Mirow (de).

Moyens d'artillerie modifier

Le secteur défensif côtier de la poche s'étire sur environ 50 km de littoral[4], de Pornic à l'embouchure de la Vilaine (Pénestin).

Pour défendre l'entrée de la Loire, les Allemands ont deux puissantes batteries d'artillerie :

Entre ces deux batteries se trouvent des pièces de calibre plus modeste, notamment

Ils disposent également d'une défense antiaérienne (flak), constituée de 80 pièces de gros calibre réparties en une vingtaine de batteries[6].

Au total, les Allemands disposent de 700 canons de toutes sortes (fixes, mobiles et DCA), avec une densité plus forte autour de la base sous-marine, des installations portuaires et du terrain d'aviation[6].

Ceinture antichar autour de Saint-Nazaire modifier

Plus près de Saint-Nazaire, on trouve une ceinture de fossés antichar.

Au nord de l'estuaire, la ceinture antichar part du fort de l'Ève (sur l'estuaire, à la pointe de l'Ève, entre la plage de Saint-Marc-sur-Mer (commune de Saint-Nazaire) et la plage de Port Charlotte), se dirige vers le nord, puis oblique vers l'est au sud de la Brière (lieudits Grand et Petit Marsac, commune de Saint-Nazaire), englobant ensuite Trignac, Montoir-de-Bretagne et Donges (sur l'estuaire).

Au sud de la Loire, la ceinture antichar inclut Paimbœuf à l'est et Saint-Brevin[7] à l'ouest.

Les forces alliées modifier

Face aux Allemands, on trouve des éléments de la 66e division d'infanterie américaine (général Kramer), de la Brigade Charles Martel (général Chomel), des bataillons FFI de Nantes, etc.

Les forces françaises seront de 11 800 hommes en octobre 1944, 15 100 en janvier 1945 et 17 780 en avril 1945[2].

Situation des Français à l'intérieur de la poche modifier

La poche compte aussi près de 130 000 civils, dont l'ancienne population de Saint-Nazaire. La ville de Saint-Nazaire comptait, début 1943, 36 000 habitants environ. En raison des bombardements importants de la part des alliés, une décision d'évacuation de la ville avait été prise en février 1943. Les réfugiés avaient été accueillis en bonne partie dans la presqu'île guérandaise (et se sont retrouvés enfermés dans la poche de Saint-Nazaire). D'autres avaient trouvé refuge dans la région nantaise ou au-delà. La ville de Saint-Nazaire est officiellement vide, mais dans les faits, cent ou deux cents habitants environ y vivaient encore[8].

En octobre 1944, un assez grand nombre de civils enfermés dans la poche (femmes et enfants) sont autorisés à quitter la poche pour gagner le territoire libéré, ce qui soulage les Allemands d'autant de bouches à nourrir.

D'autres convois sont organisés par la suite par la Croix-Rouge.

Les trains quittent la poche non loin de Cordemais. Une trêve très provisoire est observée entre les belligérants lors de leur trajet. Les réfugiés, une fois arrivés à Nantes, sont soumis à un contrôle dans les locaux du lycée Clemenceau, en partie occupé par l'armée américaine après la libération de Nantes.

Par ailleurs, d'autres habitants de la poche la quittent par leurs propres moyens, notamment sur ses limites est et sud : par exemple, une partie des habitants de Fession (Saint-Omer-de-Blain) quittent leurs fermes, constamment sous le feu des mortiers américains à la fin de , et partent vers l'est à travers les lignes, bien qu'elles soient minées.

Entre novembre 1944 et février 1945, les Allemands évacuent peu à peu les alentours du front est (Fession et Saint-Gabriel à Saint-Omer, d'autres lieux-dits à Bouvron et Fay-de-Bretagne) ; leurs habitants sont invités à se replier à l'intérieur de la poche où à la quitter dans le cadre des trains de civils formés par la Croix-Rouge.

Les opérations militaires modifier

Après plusieurs raids lancés en septembre et octobre contre les troupes FFI de l'autre côté de la Vilaine, les Allemands effectuent au début du mois de novembre un nouveau coup de main dans le secteur oriental[9].

À part un petit débarquement effectué en décembre à la pointe de Pen Lan en Morbihan, les opérations les plus importantes sont menées en Pays de Retz dans le Sud Loire, où s'étendent des terres fertiles pouvant être utiles pour le ravitaillement[9].

Les Allemands s'emparent de Frossay en octobre et fin décembre, à la suite de violents combats, du village de La Sicaudais. Ils s'opposent au 2e bataillon FFI de la Vienne qui cède une bande de près de 100 km2. Le front se stabilise grâce à l'intervention du 8e régiment de cuirassiers[10].

Les Américains, quant à eux, délogent les Allemands de la forêt du Gâvre, les forçant à repasser sur l'autre rive du canal de Nantes à Brest et s'emparent du bourg de Blain[11].

En , grâce à des agents secrets vivant à l'intérieur de la forteresse, la Résistance avertit le commandement de l'imminence d'une attaque allemande près du canal de Nantes à Brest[11].

Au cours du mois de mars, l'artillerie américaine parvient à couler plusieurs cargos qui font la navette entre les forteresses de Lorient et de Saint-Nazaire, posant ainsi des problèmes de ravitaillement aux Allemands[12].

En avril, les Allemands redoublent d'agressivité et harcèlent sans cesse les positions alliées avec leur puissante artillerie. Ainsi, le des accrochages se produisent entre trois patrouilles franco-américaines et les Allemands causant trois morts et plus d'une vingtaine de blessés (et la perte de trois chars) côté allié et la perte de 33 hommes (morts ou blessés) côté allemand[13] (à cette même période, sur le front de l'Ouest, les troupes alliées ont déjà largement envahi l'Allemagne et atteint l'Elbe).

Rémy Desquesnes évalue à 500 tués, blessés ou prisonniers les pertes du côté des Alliés[14].

La reddition (8 mai 1945) modifier

La signature de la reddition de la poche a lieu à Cordemais, au lieu-dit « Les Sables » sur la route menant à Saint-Étienne-de-Montluc, le , le jour même de la capitulation de l'Allemagne, en milieu de journée. Cordemais est sur la limite Est de la poche de Saint-Nazaire, vers Nantes[15]. Cette commune était aussi le lieu de passage des trains pour l'évacuation des civils empochés.

Le , la cérémonie de la reddition se déroule à l'hippodrome du Grand Clos à Bouvron, à partir de 10h[16]. Au cours de cette cérémonie, le général Hans Junck remet son arme au général américain Herman Frederick Kramer et déclare « conformément à la capitulation signée à Reims le 8 mai, j’en remets entre vos main les forces armées allemandes qui étaient sous mes ordres à Saint-Nazaire. En symbole de cette reddition , je vous remets mon arme personnelle. Elle n’est pas chargée et la sécurité est mise ». Cette reddition se fait en présence du général Chomel, du préfet de la Loire-Inférieure, Alexandre Vincent, et de détachements français et américains[16]. Puis le général Kramer remet au préfet les pouvoirs civils sur le territoire englobé dans l'ex-poche allemande. Vers midi, le préfet et les généraux français Chomel et américain Foster procèdent à la mise en place de leur PC à La Baule[16]. L'ultime partie du territoire occupée par les Allemands en France est libérée, 24 heures après la libération de la poche de Lorient et 3 jours après la capitulation définitive du pouvoir nazi[16]. En 1945, les autorités regroupent au cimetière militaire allemand de Pornichet les sépultures des soldats allemands tués.

Le 23 juillet 1945, le général de Gaulle, qui préside le gouvernement provisoire de la République française, atterrit sur le terrain d'aviation d'Escoublac, et se rend à Saint-Nazaire où il prononce un discours, après un bain de foule, puis parcourt les rues de la ville, en grande partie détruite par les bombardements alliés[17].

Mémoire de la poche modifier

En 1949, un monument en forme de croix de Lorraine est érigé à Bouvron pour commémorer la signature de l'acte de reddition.

Depuis 1997, le Grand Blockhaus (Batz-sur-Mer) héberge le musée de la poche de Saint-Nazaire.

Notes et références modifier

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Michel Alexandre Gautier, Poche de Saint-Nazaire. Neuf mois d'une guerre oubliée, Geste éditions, 2015, 424 p.
  • Janine et Yves Pilven Le Sévellec, Les délaissés de la Libération. La vie de tous les jours dans la poche de Saint-Nazaire, Ouest Éditions, Nantes, 1995 (ISBN 2-908261-44-8).
  • Dominique Bloyet, Saint-Nazaire. La Poche, Éditions CMD, Montreuil-Bellay, 1998.
  • Éric Rondel, Lorient, Saint-Nazaire. Les poches de l'Atlantique, Éditions Astoure, 2001 (ISBN 2-84583-037-8).
  • Luc Braeuer, L’incroyable histoire de la poche de Saint-Nazaire, Batz-Sur-Mer, 2003.
  • Daniel Sicard, La Poche de Saint-Nazaire, Nantes, Éditions Siloë, .  
  • (de)Stefan Noack, Die Belagerung der französischen Hafenstadt Saint Nazaire. Autobiografische und literarische Auseinandersetzungen der deutschen Nachkriegszeit, Bachelorarbeit an der Freien Universität Berlin, 2010.
  • Rémy Desquesnes, Les poches de résistance allemandes sur le littoral français : août 1944 - mai 1945, Rennes, éd. Ouest-France, coll. « Histoire », , 127 p. (ISBN 978-2-7373-4685-9).  
  • Stéphane Simonnet, Les poches de l'Atlantique : Les batailles oubliées de la Libération Janvier 1944 - mai 1945, Tallandier, , 314 p. (ISBN 979-10-210-0492-4)

Articles connexes modifier

Liens externes modifier