Pedro Lemebel

écrivain chilien
Pedro Lemebel
Pedro Lemebel en 2011.
Biographie
Naissance
Décès
Voir et modifier les données sur Wikidata (à 62 ans)
SantiagoVoir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
Pedro Segundo Mardones LemebelVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Formation
Liceo Manuel Barros Borgoño (d) (jusqu'en )
Instituto Pedagógico (d) (pédagogie) (jusqu'en )Voir et modifier les données sur Wikidata
Activités
Père
Pedro Mardones Paredes (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Mère
Violeta Elena Lemebel (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
Membre de
Chilean Writers' Society (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Partenaire
Francisco Casas Silva (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Genres artistiques
Distinctions
Liste détaillée
Bourse Rhodes ()
Prix Anna-Seghers ()
Prix José-Donoso (d) ()
Bourse GuggenheimVoir et modifier les données sur Wikidata
Œuvres principales
Tengo miedo, torero (d)Voir et modifier les données sur Wikidata

Pedro Lemebel, né à Santiago du Chili le et mort le dans la même ville, est un auteur et artiste plasticien chilien.

Biographie modifier

Jeunesse et études modifier

Pedro Lemebel nait en 1952 à Santiago. Il grandit au Zanjón de la Aguada, un bidonville de la capitale[1], au sein d'une famille partisane de Salvador Allende. Diplômé d'un lycée professionnel[2], il est ensuite le premier de sa famille à entrer à l'université, où il étudie la pédagogie appliquée à l'art[1]. Après quoi, il enseigne dans deux lycées à partir de 1979. Il est cependant renvoyé de son poste quelques années plus tard compte tenu du fait qu'il est « visiblement homosexuel »[2],[1]. Pedro Lemebel commence alors à gagner sa vie en tant que vendeur ambulant de livres d'occasion, de cartes postales ainsi que d'objets artisanaux[1].

Début de carrière littéraire et engagement contre la dictature modifier

Fréquentant le Coordinador Cultural, Pedro Lemebel fait à cette époque la rencontre de nombreux artistes opposés à la dictature d'Augusto Pinochet et de gauche, parmi lesquels la poétesse féministe Carmen Berenguer[1] et l'écrivaine Diamela Eltit. Il se lance en littérature en rédigeant des « contes »[2], lorsqu'il commence à assister à l'atelier littéraire de Pía Barros (es). En 1986, ces premières histoires sont réunies dans le recueil Incontables[1]. La même année, il lit, travesti, son poème-manifeste Hablo por mi diferencia[Note 1] à un rassemblement de gauche. Malgré cela, et bien qu'il soit aussi ami avec Gladys Marín, présidente et secrétaire générale du Parti communiste du Chili, Pedro Lemebel n'intègre jamais tout à fait les cercles de gauche du fait de l'homophobie qui y règne alors[2],[3].

Las Yeguas del Apocalipsis modifier

En 1987, Pedro Lemebel et Francisco Casas, un autre « homosexuel pauvre », fondent le duo Las Yeguas del Apocalipsis (Les Juments de l'Apocalypse)[2]. Proches des travailleurs du sexe de Santiago, Las Yeguas dénoncent à travers des performances les violences commises à leur encontre ainsi que l'indifférence dans laquelle meurent alors les personnes LGBT malades du sida. Bien qu'il ne disparaisse officiellement qu'en 1998, le duo commence à partir de 1991 à espacer de plus en plus ses apparitions. En effet, fortement médiatisées car scandaleuses, leurs performances se voient rapidement réduites à ce seul aspect et donc dépolitisées. Au-delà cependant du fait qu'elles ont le sentiment de ne plus arriver à faire entendre leur discours critique, Las Yeguas refusent par ailleurs de participer à ce qu'elles considèrent être une mise en scène hypocrite de la tolérance du nouveau régime chilien à l'égard des personnes LGBT. Aussi, tandis que Francisco Casas se lance dans l'art audiovisuel, Pedro Lemebel choisit de son côté de se focaliser sur l'écriture[4].

Suite de la carrière littéraire modifier

À partir de 1990, Pedro Lemebel collabore à la revue Página Abierta, où il publie son Manifesto ainsi que ses premières « chroniques »[1]. Il fait paraitre en 1995 La esquina es mi corazón et, l'année suivant, Loco afán : Crónicas de sidario, le premier recueil de ses chroniques, alors consacrées au sida et aux conditions de vie des travestis. Son roman Tengo miedo torero, publié en 2001, après avoir été un succès au Chili, est traduit en plusieurs langues, faisant connaître Pedro Lemebel à l'international[2].

Il meurt le 23 janvier 2015 d'un cancer du larynx[5].

Caractéristiques de l’œuvre littéraire modifier

L’œuvre littéraire de Pedro Lemebel se compose majoritairement de chroniques, d'abord publiées dans des journaux ou lues à la radio, puis rassemblées dans des recueils. Elle comprend également cependant des contes (Incontables) ainsi qu'un roman (Tengo miedo torero).

Traversée par l'homosexualité, son œuvre est rapprochée par le chercheur Lionel Souquet de celle d'autres auteurs hispano-américains tels que Reinaldo Arenas, Copi, Manuel Puig, Juan Pablo Sutherland (es) et Fernando Vallejo. Ainsi, contrairement aux auteurs du Boom latino-américain, Pedro Lemebel et les autres mettent en scène « des figures d'homosexuels de manière explicitement sexuée et sexuelle » et « tâchent de construire une homosexualité contestataire » à travers des écrits qualifiés de « kitsch  » et « camp », nourris de culture populaire et marqués par leur condition de marginaux[6].

Tengo miedo torero modifier

Tengo miedo torero est l'unique roman de Pedro Lemebel. Selon Lionel Souquet, il s'agit d'un hommage au roman El beso de la mujer araña, paru en 1976, de Manuel Puig[7].

Influence modifier

Dans le champ littéraire modifier

L'œuvre de Pedro Lemebel a influencé, tant sur la forme que sur le fond, nombre d'auteurs contemporains de langue espagnole, parmi lesquels Félix Bruzzone (es), Rita Indiana, Efraim Medina Reyes et Paul B. Preciado.

Pour Eduardo Peña Cardona, Tengo miedo torero est par ailleurs « peut-être l’œuvre qui a amorcé les mouvements des "TransLiteraturas ultracontemporáneas" en Ibéro-Amérique »[8].

Dans le champ politique chilien modifier

Selon l'anthropologue Fernanda Carvajal, il se pourrait que les relations entretenues par Pedro Lemebel avec des personnalités de la gauche politique chilienne aient contribué à « exposer l'homophobie » des partis qui la composent, voire à y « jeter une base politique en matière de politiques féministes et lgbt »[1].

Œuvre littéraire modifier

 
Pedro Lemebel en 2005.
  • (es) Incontables, Seix Barral, , 100 p.
  • (es) La esquina es mi corazón, Santiago du Chili, Seix Barral, (1re éd. 1995)
  • (es) Loco afán : Crónicas del sidario, Santiago, LOM,
  • (es) De perlas y cicatrices, Santiago, LOM,
  • Je tremble, ô Matador [« Tengo miedo torero »] (trad. de l'espagnol par Alexandra Carrasco), Paris, Denoël, coll. « Et d'ailleurs », (1re éd. 2001) (ISBN 2-207-25358-9)
  • (es) Zanjón de la Aguada, Santiago, Seix Barral,
  • (es) Adiós mariquita linda, Sudamericana,
  • (es) Serenata cafiola, Santiago, Planeta,
  • (es) Háblame de amores, Santiago, Seix Barral, (ISBN 978-9562476621)
  • (es) Poco hombre, Las afueras, , 344 p. (ISBN 978-84-124802-7-6)
  • (es) Mi amiga Gladys, Santiago, Seix Barral, , 100 p.
  • (fr + es) « Manifeste (Je parle par ma différence) » [« Manifesto (Hablo por mi diferencia) »] (trad. Bernard Banoun), la mer gelée, Éditions Vanloo « amour »,‎

Bibliographie en français modifier

  : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Henri Billard, « Amour et culture populaire : armes de lutte politique dans le roman Je tremble, Ô Matador de Pedro Lemebel », dans Mariannick Guennec (dir.), Entre jouissance et tabous, les représentations des relations amoureuses et des sexualités dans les Amériques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, (ISBN 978-2-7535-3968-6), p. 125-132
  • Fernanda Carvajal, « Les traces de Pedro Lemebel : Entretien avec Fernanda Carvajal », Cultures & Conflits, nos 105-106 « Politiques de la nuit »,‎ , p. 191-204 (lire en ligne).  
  • Stéphanie Decante Arya, « Chroniques et travestissements génériques dans l’œuvre de P. Lemebel », dans M. Soriano (comp.), Genre(s), formes et identités génériques. Actes du Colloque International des 22, 23 juin 2001, Montpellier, Université Montpellier III, p. 315-323
  • (fr + es) María A. Semilla Durán (dir.), L'écriture de Pedro Lemebel / La escritura de Pedro Lemebel : Nouvelles pratiques identitaires et scripturales / Nuevas prácticas identitarias y escriturales, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, , 144 p. (ISBN 978-2-86272-597-0)
  • Romain Frezzato, « Les mots tordus de Pedro Lemebel : Tengo miedo torero / Je tremble, ô Matador », sur Dictionnaire du Genre en Traduction, (consulté le )
  • Isabelle López García, (Radio)graphie de la mémoire dans Tengo miedo torero de Pedro Lemebel, Montpellier, Université Paul Valéry-Montpellier III (mémoire de DEA sous la direction de Milagros Ezquerro), 2003
  • Isabelle López García, La question du genre dans les chroniques de Pedro Lemebel, Paris, Université Paris-Sorbonne (thèse de doctorat sous la direction de Milagros Ezquerro), 2007 [lire en ligne]
  • Isabelle López García, « Du pré-texte à l'épitexte en passant par l'hypotexte du premier recueil des chroniques lémébéliennes : ou L'errance générique dans La esquina es mi corazón. Crónica urbana de Pedro Lemebel », Les Ateliers du SAL, no 1 « Le texte et ses liens II »,‎ , p. 90-97 (lire en ligne)
  • Isabelle López García, « Les chroniques comme lieu de mémoire de la violence au Chili : De perlas y cicatrices de Pedro Lemebel », sur crimic-sorbonne.fr, (consulté le )
  • Isabelle López García, « Du genre pornographique aux signes épidémiques du corps dans Loco afán de Pedro Lemebel », Lectures du genre, no 07 « Genre, canon et monstruosités »,‎ , p. 14-19 (lire en ligne [PDF])
  • Isabelle López García, « Mutation dans le genre, recyclage et resignification : Le neobarrocho lémébélien », dans Laurent Aubague, Jean Franco et Alba Lara-Alengrin (dir.), Les littératures d'Amérique latine au XXe siècle : Une poétique de la transgression ?, Paris, L'Harmattan, coll. « Recherches Amériques latines », , p. 301-312
  • Carolina Navarrete Higuera, La construction des subjectivités dans les chroniques de Pedro Lemebel, Lyon, Université Lumière-Lyon 2 (thèse de doctorat sous la direction de María A. Semilla Durán), , [lire en ligne]
  • Eduardo Peña Cardona, Tremblements et travestissements dans le roman Je tremble, ô Matador de Pedro Lemebel, Caen, Université de Caen-Normandie (mémoire de master 2), 2022 [lire en ligne (page consultée le 9 juillet 2023)]  
  • Alejandra Peña Morales, « Las Yegas del Apocalipsis à contre-courant de la Transition : « A nosotros se nos anuló desde la democracia » », América. Cahiers du CRICCAL,‎ , p. 57-65 (lire en ligne).  
  • Lionel Souquet, « Homosexualité et révolution : Puig, Lemebel et les "aléas" de la figure de l'homosexuel dans Fresa y chocolate », Les Langues Néo-Latines, no 343,‎ , p. 165-182
  • Lionel Souquet, « Ligne de fuite néo-picaresque dans l’autofiction hispano-américaine : Arenas, Copi, Lemebel, Vallejo », dans Michèle Ramond, Eduardo Ramos-Izquierdo et Julien Roger (dir.), Hommage à Milagros Ezquerro : Théorie et fiction, Mexico / Paris, Rilma 2 / Adehl, , 645 p. (ISBN 978-2-918185-06-2), p. 601-622
  • Lionel Souquet, « Réalisme "folle" dans l'autofiction hispano-américaine : Arenas, Lemebel, Vallejo », Hispanística, no XXX « Dire le réel, culture hispanique contemporaine »,‎ , p. 177-194
  • Lionel Souquet, « Représentations de la ville informelle dans la littérature hispano-américaine : Santiago du Chili vu par Lemebel et Sutherland », Márgenes, vol. 10, no 12 « Informal bis »,‎ , p. 15-22
  • Lionel Souquet, « "Politique sexuelle" et "sexe non-humain" dans la littérature hispano-américaine postmoderne : Arenas, Copi, Lemebel, Puig, Sutherland, Vallejo », dans Mariannick Guennec (dir.), Entre jouissance et tabous : Les représentations des relations amoureuses et des sexualités dans les Amériques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, (ISBN 978-2-7535-3968-6), p. 133-144.  
  • Lionel Souquet, « Homos, folles, trav, trans et "barbarie destructrice" chez Arenas, Copi, Lemebel, Puig, Sutherland et Vecchio », Babel. Littératures plurielles, no 37 « Lo "trans-" y la ficción hispanoamericana contemporánea »,‎ , p. 127-152
  • Lionel Souquet, « Théâtre et performance queer chez cinq artistes hispano-américains : Copi, Puig, Lemebel, Lechedevirgen Trimegisto, Freidel », Skén&graphie, no 7 « Scènes queer contemporaines »,‎ , p. 51-70

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Ce poème-manifeste a fait l'objet de plusieurs traductions, dont certaines sont accessibles en ligne : « Je parle depuis ma différence », sur Trou Noir, (consulté le ).

Références modifier

  1. a b c d e f g et h Carvajal 2017
  2. a b c d e et f « Je parle depuis ma différence - Hablo por mi diferencia », sur Trou Noir, (consulté le )
  3. Gonzalo León, « Francisco Casas: “Pedro Lemebel no era comunista” », sur La Tercera, (consulté le )
  4. Peña Morales 2022
  5. (en) « Chilean writer Pedro Lemebel dies », sur latino.foxnews.com,
  6. Peña Cardona 2022, p. 8
  7. Souquet 2015
  8. Peña Cardona 2022, p. 60-61

Liens externes modifier