En mathématiques, une P-matrice ou matrice P est une matrice carrée réelle dont les mineurs principaux sont strictement positifs. Certains auteurs[1] qualifient ces matrices de totalement strictement positives.

Les P-matrices interviennent dans l'étude des problèmes de complémentarité linéaire.

Une notion voisine est celle de P0-matrice.

Notations modifier

On note

  •   l'ensemble des   premiers entiers,
  •   le produit de Hadamard de deux vecteurs   et  , qui est défini par   pour tout indice  ,
  •   la sous-matrice de   formée de ses éléments avec indices de ligne dans   et indices de colonne dans  .

Définitions modifier

La notion de P-matrice peut se définir de différentes manières, bien sûr équivalentes.

P-matrice — On dit qu'une matrice carrée réelle   est une P-matrice si l'une des propriétés équivalentes suivantes est vérifiée :

  1. tous les mineurs principaux de   sont strictement positifs : pour tout   non vide,  
  2. pour tout vecteur   non nul il existe une matrice diagonale   à coefficients positifs tel que  ,
  3. pour tout   non vide, les valeurs propres réelles de   sont strictement positives.

On note   l'ensemble des P-matrices d'ordre quelconque. On appelle P-matricité la propriété d'une matrice d'appartenir à  

Le nom de ces matrices a été proposé par Fiedler et Pták (1966)[2]. L'équivalence entre les définitions 1 et 2 est due à Fiedler et Pták (1962)[3].

Propriétés immédiates modifier

De la définition 1, on déduit que

  •   si, et seulement si,  ,
  • si   est symétrique, alors   si, et seulement si,   est définie positive,
  •   est un ouvert de  .

De la définition 2, on déduit que

  • si   est définie positive, alors  

Autres propriétés modifier

Complémentarité linéaire modifier

Un problème de complémentarité linéaire consiste à trouver un vecteur   tel que   et   Dans cette définition,       est le transposé de   et les inégalités doivent se comprendre composante par composante. Ce problème est parfois noté de manière compacte comme suit

 

Existence et unicité de solution modifier

L'importance des P-matrices dans les problèmes de complémentarité linéaire vient du résultat d'existence et d'unicité suivant[4].

P-matrice et problème de complémentarité linéaire — Pour une matrice  , les propriétés suivantes sont équivalentes :

  •  ,
  • pour tout vecteur  , le problème de complémentarité linéaire   a une et une seule solution.

Dès lors, si  , il existe un vecteur   tel que l'une des deux situations exclusives suivantes a lieu :

  • soit   n'a pas de solution,
  • soit   a plus d'une solution.

On ne peut cependant pas affirmer que, pour une matrice  , même symétrique et non dégénérée, il existe un vecteur   tel que la première des deux situations ci-dessus ait lieu. Ainsi

 

n'est pas une P-matrice, mais le problème   a une solution quel que soit  

Caractérisation algorithmique modifier

La complémentarité linéaire offre une autre caractérisation des P-matrices, en termes d'une propriété d'un algorithme de résolution de ces problèmes, l'algorithme de Newton-min. Celui-ci est bien défini lorsque la matrice   est non dégénérée. Pour une telle matrice et un vecteur   donnés, on peut associer à un ensemble d'indices  , un nœud noté   qui est l'unique solution   du système linéaire

 

On a noté   le complémentaire de   dans  . Brièvement, l'algorithme de Newton-min est celui de Newton semi-lisse pour résoudre l'équation linéaire par morceaux

 

qui est équivalente au problème  . Dans la version qui importe dans le résultat ci-dessous, l'algorithme de Newton-min détermine d'abord, au point courant  , l'ensemble d'indices

 

et calcule ensuite l'itéré suivant  . On a la caractérisation suivante[5]]).

P-matrice et algorithme de Newton-min — Pour une matrice   non dégénérée, les propriétés suivantes sont équivalentes :

  •  ,
  • quel que soit  , l'algorithme de Newton-min décrit ci-dessus ne cycle pas entre deux nœuds lorsqu'il est utilisé pour résoudre  .

Résolution en temps polynomial ? modifier

On ne connait pas d'algorithme permettant de résoudre le problème   en temps polynomial lorsque  , mais certains ont proposé des arguments en faveur de cette possibilité[6],[7],[8].

Vérifier la P-matricité modifier

Vérifier qu'une matrice donnée dans   est une P-matrice est un problème co-NP-complet[9].

Une manière évidente de vérifier la P-matricité d'une matrice   donnée est de calculer ses   mineurs principaux (test des mineurs principaux), ce qui requiert   opérations. Rump (2003[10]) a montré que, quel que soit   non vide, on peut trouver une matrice   telle que   et   pour tout   non vide et différent de  , si bien que le test des mineurs principaux ne peut négliger aucun mineur.

Tsatsomeros et Li (2000[11]) ont proposé un test, fondé sur le complément de Schur, qui réduit le nombre d'opérations à  . Le test requiert toujours ce nombre exponentiel d'opérations si la matrice est une P-matrice, mais peut en demander beaucoup moins si  , car un seul mineur négatif suffit pour montrer cette non-appartenance.

Rump (2003) a proposé le premier test qui ne demande pas nécessairement un nombre exponentiel d'opérations pour vérifier la P-matricité.

Exemples modifier

  1. Une matrice de Cauchy   est une matrice réelle carrée dont l'élément   est donné par
 

 . Une matrice de Cauchy est une P-matrice si   et si les suites   et   sont strictement croissantes[12]. En particulier, une matrice de Hilbert est une P-matrice (c'est une matrice de Cauchy avec   pour tout  ).

  1. Considérons la matrice circulante     définie par
     
    ou de manière plus précise par   si  ,   si   et   sinon. Alors[13]
    • si   est pair, alors   si, et seulement si,  ,
    • si   est impair, alors   si, et seulement si,  .
  2. Considérons la matrice circulante     définie par
     
    ou de manière plus précise par
     
    Alors[13]   si   ou si  .

Annexes modifier

Notes modifier

  1. Définition 1.12, page 20, chez Berman et Shaked-Monderer (2003).
  2. (en) M. Fiedler et V. Pták, « Some generalizations of positive definiteness and monotonicity », Numerische Mathematik, vol. 9,‎ , p. 163–172.
  3. (en) M. Fiedler et V. Pták, « On matrices with nonpositive off-diagonal elements and principal minors », Czechoslovak Mathematics Journal, vol. 12,‎ , p. 382–400.
  4. (en) H. Samelson, R. M. Thrall et O. Wesler, « A partition theorem for the Euclidean n-space », Proceedings of the American Mathematical Society, vol. 9,‎ , p. 805–807.
  5. (en) I. Ben Gharbia et J.Ch. Gilbert, « An algorithmic characterization of P-matricity », SIAM Journal on Matrix Analysis and Applications,‎ (lire en ligne).
  6. (en) W. Morris, « Randomized pivot algorithms for P-matrix linear complementarity problems », Mathematical Programming, vol. 92A,‎ , p. 285–296 (DOI 10.1007/s101070100268)
  7. (en) N. Megiddo, « A note on the complexity of P-matrix LCP and computing an equilibrium », Technical Report RJ, IBM Research, Almaden Research Center, 650 Harry Road, San Jose, CA, USA, vol. 6439, no 62557,‎ .
  8. (en) D. Solow, R. Stone et C.A. Tovey, « Solving LCP on P-matrices is probably not NP-hard », Unpublished note,‎ .
  9. (en) G. E. Coxson, « The P-matrix problem is co-NP-complete », Mathematical Programming, vol. 64,‎ , p. 173–178 (DOI 10.1007/BF01582570)
  10. Théorème 2.2 de Rump (2003).
  11. (en) M.J. Tsatsomeros et L. Li, « A recursive test for P -matrices », BIT, vol. 40,‎ , p. 410–414.
  12. Exemple 1.7, page 20, chez Berman et Shaked-Monderer (2003).
  13. a et b (en) I. Ben Gharbia, J.Ch. Gilbert (2012). Nonconvergence of the plain Newton-min algorithm for linear complementarity problems with a P-matrix. Mathematical Programming, 134, 349-364. doi lien Zentralblatt MATH

Articles connexes modifier

Bibliographie modifier

  • (en) A. Berman et N. Shaked-Monderer, Completely Positive Matrices, River Edge, NJ, USA, World Scientific, .
  • (en) R. W. Cottle et J.-S. Pang, R. E. Stone, The linear complementarity problem, Philadelphia, PA, USA, SIAM, coll. « Classics in Applied Mathematics 60 », .
  • (en) R. A. Horn et Ch. R. Jonhson, Topics in Matrix Analysis, New York, NY, USA, Cambridge University Press, .
  • (en) S. M. Rump, « On P-matrices », Linear Algebra and its Applications, vol. 363,‎ , p. 237–250.