Oscillococcinum

préparation homéopathique

L'Oscillococcinum est une préparation homéopathique[1],[2], propriété des laboratoires Boiron, commercialisée prétendument pour soulager les symptômes de la grippe. Elle n'apporte aucun bénéfice autre que celui qu'apporterait une pilule de sucre[3]. Elle a le statut de médicament en France[4] et en Suisse[2]. Elle ne prévient ni ne soigne en aucun cas la grippe. C'est une préparation populaire, notamment en France et en Russie.

L'oscillococcinum est constitué de globules de sucre imprégnés de la solution homéopathique.
Un Canard de Barbarie, espèce dont le foie et le cœur sont utilisés dans la préparation de l'Oscillococcinum.

La préparation fut définie au début du XXe siècle, par le médecin Joseph Roy, qui crut découvrir, lors de son service militaire, un nouveau micro-organisme qu'il nomma « oscillocoque » ; l'existence de cette bactérie n'a jamais été confirmée, et on sait aujourd'hui que la grippe est due non pas à une bactérie mais à un virus (Influenzavirus).

L'Oscillococcinum est préparé à partir d'autolysat de foies et de cœurs de canards de Barbarie[5].

Les études cliniques pratiquées à ce jour, randomisées en double aveugle et utilisant la comparaison avec un groupe témoin recevant un placebo, ont pu établir sans équivoque l'inefficacité de cette préparation ou de ses équivalents[6],[7]. De même, l'existence de l'« oscillocoque » n'a jamais pu être prouvée a posteriori. Les prescripteurs de cette préparation homéopathique n'expliquent pas ce que serait son mode d'action, ni le lien avec les organes de canards utilisés pour sa préparation.

Historique modifier

La recette de l'oscillococcinum a été élaborée au début du XXe siècle par le médecin homéopathe français Joseph Roy.

Joseph Roy est, à 27 ans, médecin militaire pendant la Première Guerre mondiale, lorsqu'il est confronté à l'épidémie de grippe espagnole de 1918. En observant le sang des malades au microscope, Roy croit observer un micro-organisme constitué de deux grains de taille différente et présentant un mouvement oscillatoire rapide. Il lui donne le nom d'« oscillocoque[8] » [9].

Dans les années suivantes, Roy dit observer l'oscillocoque dans de très nombreuses pathologies : cancers (dans les tumeurs), maladies vénériennes (syphilis et blennorragie), infections diverses (tuberculose, oreillons, varicelle, rougeole ou herpès), et même dans des cas d'eczéma et de rhumatismes chroniques[10]. Pour Roy, l'oscillocoque apparaît comme un germe universel. Pour utiliser sa découverte à des fins préventives et curatives, Roy choisit une source de culture du germe : le foie et le cœur des canards de Barbarie[10].

Dans les années 1920, Roy réalise diverses expériences sur des animaux. Il injecte une préparation contenant selon lui des oscillocoques, qu'il affirme provenir de malades de la grippe, à des rats qui décèdent, soit à court terme d'infections présentant les symptômes de la grippe, soit à plus long terme de tumeurs. Il injecte aussi une préparation d'oscillocoques provenant de patients atteints de cancer à des rats et des lapins qui meurent de grippes. Roy collabore avec Léon Vannier (fondateur des laboratoires homéopathiques de France), à qui il remet en 1925 ce qu'il affirme être une souche d'oscillocoques. Roy préconise des dynamisations de Korsakov. Vannier injecte sa préparation à des malades atteint de cancer et affirme constater des réactions dont les symptômes sont comparables à ceux de la grippe, ainsi qu'une aggravation générale de leur état[11].

Roy confie sa recette aux Laboratoires Homéopathiques Modernes, fondés en 1933 par René Baudry et Henri Boiron, qui commercialisent en exclusivité le médicament sous le nom Oscillococcinum[8]. La commercialisation est poursuivie depuis 1967 par les laboratoires Boiron, issus de la fusion des Laboratoires Homéopathiques Modernes avec les Laboratoires Homéopathiques Jean Boiron et les Laboratoires Homéopathiques Henri Boiron[8]. L'indication du médicament « contre la grippe » est alors remplacée par « contre les affections grippales », aucun effet n'ayant jamais été mis en évidence contre cette maladie.

Au début du XXIe siècle, tant les opposants à l'homéopathie que ses défenseurs admettent que l’oscillocoque n'existe pas. Les observations de Joseph Roy n'ont en effet jamais été reproduites[12] et le docteur Curé, médecin homéopathe spécialiste de l'oscillococcinum, affirme que le micro-organisme n'a pas été identifié par la microbiologie moderne[11].[source secondaire nécessaire] Le médicament est d'ailleurs présenté par son fabricant comme un autolysat de foie et de cœur de canard, sans aucune mention de la présence d'oscillocoque. La grippe étant due non à une bactérie, mais à un virus trop petit pour être vu avec un microscope optique, Joseph Roy ne peut donc pas avoir observé l'agent infectieux à l'origine de la grippe, qui sera identifié par Richard Shope en 1931[13],[14]. Les laboratoires Boiron n'indiquent pas l'Oscillococcinum comme étant un médicament contre la grippe mais contre les « états grippaux »[12],[15]. Bien que ceci soit caractéristique des indications homéopathiques, qui visent un ensemble de symptômes plutôt qu'une maladie, certains voient une raison médicale dans cette modification récente des indications[8],[15] : le médicament serait un simple placebo, plus adapté selon eux à des cas de rhinopharyngite (rhume bénin, maladie spontanément résolutive sans médication), qu'à des cas de grippe.

Caractéristiques modifier

Oscillococcinum se présente sous la forme de granules à faire fondre sous la langue.

Les granules Oscillococcinum sont constitués de sucre et du liquide obtenu en diluant une part de préparation de foie et de cœur de canard dans 10400 parts d'eau et en l'agitant (en la « dynamisant », dans le langage des homéopathes)[16].

L'efficacité d'Oscillococcinum n'est pas démontrée au-delà de l'effet placebo, et il n'a en particulier aucun effet sur le virus de la grippe. Étant donné le taux de dilution extrême, le mode de préparation exclut la présence de la moindre molécule des composants initiaux dans la quasi-totalité des doses produites (selon toute vraisemblance, la totalité).

Comme pour tout produit homéopathique, son autorisation de mise sur le marché en France n'a exigé aucune preuve d'efficacité, seulement une preuve d'innocuité. Depuis janvier 2021, il n'est plus remboursé par le système d'assurance santé en France (il était remboursé à 15 % en 2020, et à 30 % auparavant).

Comme dans de nombreux pays, Oscillococcinum est en vente libre en France, accessible sans prescription médicale. Puisqu'en France, il a ce statut et qu'il n'est pas remboursable, le laboratoire peut fixer le prix librement et faire la promotion (publicité télévisée par exemple).

Le prix de l'Oscillococcinum est environ 50 % plus élevé que celui des autres médicaments anti-grippaux[17][source secondaire nécessaire] et cependant Oscillococcinum affiche en France, où il est l'un des médicaments homéopathiques les plus vendus[1], un certain succès commercial, aidé par une publicité importante alors que la plupart des médicaments allopathiques[Quoi ?] contre le rhume n'ont pas le droit d'en faire. En 1996, il représentait plus de 50 % des ventes d'antigrippaux en France[15]. Le produit reste peu connu dans les pays anglo-saxons.

Oscillococcinum a été conçu à l'origine selon les principes de l'homéopathie, à partir de ce qui a été présenté comme la source d'un micro-organisme qui aurait été découvert par Joseph Roy, l'oscillocoque, mais jamais identifié depuis. Certains homéopathes considèrent donc que l'Oscillococcinum n'est pas prescrit de façon homéopathique[11]. L'Oscillococcinum est une préparation qui n'est plus brevetée du fait de son âge. Des préparations identiques sont vendues sous le nom générique Anas barbariae ou sous d'autres noms de marque (par exemple Influococcinum[18] qui est commercialisé en Suisse), à des dilutions identiques ou parfois différentes et/ou associées avec d'autres remèdes homéopathiques et ayant la même indication.[source secondaire nécessaire]

À l'origine, comme le rapporte le Docteur Curé[11], Joseph Roy, et surtout Léon Vannier et Paul Chavanon, ont conçu l'Oscillococcinum en respectant les principes de l'homéopathie. Ces médecins ont réalisé des expériences sur les effets de la prise d'oscillocoques chez des animaux et des malades, en faisant varier le taux de dilution des préparations. Le Docteur Curé voit dans ces expériences une ébauche de pathogénésie, l'élément principal permettant les prescriptions homéopathiques.

Cependant, l'existence de l'oscillocoque n'étant pas avérée, le médicament actuel dénommé Oscillococcinum est simplement une préparation dynamisée de foie et de cœur de canard, pour laquelle aucune pathogénésie n'a été réalisée.

Études d'efficacité modifier

Aucune étude n'a jamais pu démontrer une quelconque efficacité d'Oscillococcinum, au-delà de l'effet placebo. Les laboratoires Boiron n'ont jamais eu besoin d'apporter la preuve de l'efficacité de leur produit pour obtenir une autorisation de mise sur le marché, puisque les règles appliquées aux médicaments homéopathiques diffèrent des autres médicaments ; peu d'études cliniques testant l'efficacité de ce médicament ont vu leurs résultats publiés. Une synthèse publiée en 2006 fait l'analyse critique de 7 articles, et conclut que la qualité scientifique des études concernant l'Oscillococcinum est relativement faible, que leurs résultats ne permettent pas de conclure à un effet préventif de ce produit[19]. Une synthèse publiée en 2005 conclut que la popularité d'Oscillococcinum dans certains pays, notamment en France, en tant que médicament préventif de la grippe, n'est pas justifiée par les résultats des études cliniques[1]. En 2015, une nouvelle synthèse fournit encore les mêmes conclusions : l'Oscillococcinum n'a fait ses preuves ni pour la prévention ni pour le traitement de la grippe et des états grippaux[20]. Une enquête réalisée en 2019 au Québec montre qu'environ un tiers des pharmaciens recommandent ce produit, un tiers délivre un message ambigu, un tiers le déconseille formellement, et que la majorité de la profession en reconnaît l'inefficacité[21].

Début , en pleine épidémie de coronavirus, en réaction à un tweet de Hans-Peter Portmann, un homme politique suisse qui prétendait que l'oscillococcinum serait efficace contre le coronavirus, le laboratoire Boiron affirme que ses produits ne sont pas recommandés pour le « traitement ou la prévention des symptômes liés au coronavirus »[22],[23].

Opposition modifier

Contre la grippe, les recommandations officielles de l'Institut de veille sanitaire[24] consistent d'une part en la vaccination, notamment pour les populations à risque de complications, et d'autre part, en des mesures d'hygiène simples (comme le lavage des mains). Le vaccin contre la grippe est obtenu à partir de virus inactivés ou atténués ou d'éléments antigéniques. Le vaccin contre la grippe saisonnière est modifié chaque année de façon à protéger contre les souches en vigueur ; le taux de protection offert par la vaccination est variable mais très supérieur au placebo, autour de 88 %[25].

En , des citoyens américains se regroupent en recours collectifs afin de poursuivre en justice les laboratoires Boiron pour fraude et publicité mensongère à l'égard de leur produit Oscillococcinum[26],[27]. Boiron présentait en effet ce dernier produit aux États-Unis comme un remède contre les symptômes des états grippaux (« flu-like symptoms »). En , le groupe a préféré payer 12 millions de dollars pour éteindre l’action plutôt que de devoir démontrer l'efficacité de son produit[28].

Notes et références modifier

  1. a b et c (en) van der Wouden JC, Bueving HJ et Poole P, « Preventing influenza: an overview of systematic reviews », Respiratory Medicine, Elsevier, vol. 99, no 11,‎ , p. 1341-1349 (ISSN 0954-6111 et 1532-3064, PMID 16112852, DOI 10.1016/J.RMED.2005.07.001) 
  2. a et b « Fiche produit d'Oscillococcinum », sur le site du Compendium suisse des médicaments.
  3. Hugo Jalinière, « L'homéopathie ? Pas plus efficace qu'une pilule de sucre... », sur sciencesetavenir.fr, (consulté le ).
  4. « Fiche info - OSCILLOCOCCINUM, granules en récipient unidose - Base de données publique des médicaments », sur base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr (consulté le )
  5. « OSCILLOCOCCINUM », sur vidal.fr, (consulté le )
  6. Vickers AJ, Smith C, « Homoeopathic Oscillococcinum for preventing and treating influenza and influenza-like syndromes » Cochrane Database Syst Rev. 2004;(1):CD001957
  7. (en) Guo R, Pittler MH, Ernst E, « Complementary medicine for treating or preventing influenza or influenza-like illness » Am J Med. 2007 Nov;120(11):923-929.e3
  8. a b c et d OSCILLOCOCCINUM - Le joli grand canard, Michel Rouzé, Science et pseudo-sciences, numéro 202, mars-avril 1993
  9. « Oscillococcinum, le nom de la dose »
  10. a et b « Oscillococcinum : Le petit canard a grandi / Afis Science - Association française pour l’information scientifique », sur Afis Science - Association française pour l’information scientifique (consulté le )
  11. a b c et d Dr Nicole Curé « Oscillococcinum : un remède de choc » Cahiers du Groupement Hahnemannien du Docteur P. Schmidt, publié sous la direction du Docteur J. Baur, 29e série, no 10, 1992
  12. a et b The True Story of Oscillococcinum, Jan Willem Nienhuys, 27 août 2003, homeowatch.org
  13. (en) K Shimizu, « History of influenza epidemics and discovery of influenza virus », Nippon Rinsho, vol. 55, no 10,‎ , p. 2505–201 (PMID 9360364)
  14. « Ce que contiennent vraiment les médicaments homéopathiques contre la grippe », sur sante.lefigaro.fr, (consulté le )
  15. a b et c Michel Rouzé « OSCILLOCOCCINUM : Le petit canard a grandi » Science et pseudo-sciences, numéro 221, mai-juin 1996
  16. (en) Jan Willem Nienhuys, « The True Story of Oscillococcinum », sur quackwatch.org, (consulté le ).
  17. [PDF]Bulletin Officiel de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes, février 2006.
  18. [1],hirslanden.oddb.org/fr
  19. (en) Andrew Vickers et Claire Smith, « Homoeopathic Oscillococcinum for preventing and treating influenza and influenza-like syndromes », Cochrane Database of Systematic Reviews, Cochrane,‎ (ISSN 1469-493X et 1361-6137, OCLC 43206752, PMID 16855981, DOI 10.1002/14651858.CD001957.PUB3) 
  20. (en) Robert T Mathie, Joyce Frye et Peter Fisher, « Homeopathic Oscillococcinum® for preventing and treating influenza and influenza-like illness », Cochrane Database of Systematic Reviews, Cochrane, vol. 1,‎ , p. CD001957 (ISSN 1469-493X et 1361-6137, OCLC 43206752, PMID 25629583, PMCID 6726585, DOI 10.1002/14651858.CD001957.PUB6) 
  21. « Du sucre contre la grippe », plus.lapresse.ca, consulté le 14 mars 2019.
  22. « Coronavirus : un nouveau paradoxe pour l’homéopathie », sur Association française pour l'information scientifique, (consulté le ).
  23. « Coronavirus : le laboratoire Boiron confirme que l'homéopathie n'est pas "une solution miracle" pour soigner le Covid-19 », sur francetvinvo.fr, (consulté le ).
  24. « Institut de veille sanitaire », sur sante.fr via Wikiwix (consulté le ).
  25. (en) « Effectiveness of Influenza Vaccine in Health Care Professionals : A Randomized Trial », sur assn.org, JAMA Network, (consulté le ).
  26. Les laboratoires Boiron s'en prennent à un blogueur amateur sur Droit-médical.com
  27. [PDF] http://www.courthousenews.com/2011/08/05/SnakeOil.pdf
  28. Benoît Thelliez, « Guerre mondiale contre l’homéo », sur Le Pharmacien de France, (consulté le )

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

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Liens externes modifier