Notation en indice abstrait

La notation en indice abstrait est un système de notation présentant des similarités avec la convention de sommation d'Einstein et destinée comme cette dernière à l'écriture du calcul tensoriel.

Motivation modifier

Cette notation, due au mathématicien Roger Penrose, a pour but l'écriture pratique d'équations dans lesquelles interviennent des tenseurs ou des champs tensoriels. Il s'agit à la fois :

  • de bénéficier de la simplicité d'écriture permise par la convention de sommation d'Einstein ;
  • de ne pas dépendre contrairement à la convention d'Einstein d'un choix de base particulier (et donc arbitraire).

Aussi la notation en indices abstraits ne raisonne-t-elle jamais sur les composantes des tenseurs.

Définition modifier

Les indices abstraits peuvent se penser comme des éléments d'un alphabet fini   que l'on va utiliser pour étiqueter des espaces vectoriel et des tenseurs.

Copies d'espaces vectoriels modifier

À partir d'un espace vectoriel   sur le corps commutatif   (en général   ou  ) de dimension  , on peut former des copies de   étiquetées par un indice abstrait :  ,  ,  ,  , etc. Les espaces duaux respectifs sont notés  ,  ,  ,  , etc. Si   on peut lui faire correspondre naturellement un élément de   noté  , un élément de   noté  , etc. De même si  , on peut lui faire correspondre naturellement un élément de   noté  , un élément de   noté  , etc.

Copies d'espaces de tenseurs modifier

En généralisant si   est un tenseur de l'espace formé par produit tensoriel  , on peut en définir l'équivalent dans la copie  . Cet équivalent est noté  . Bien sûr il est possible de définir les tenseurs équivalents  ,  ,  , etc.

Remarque : Pour des raisons qui vont être expliquées ci-après, on s'abstient d'utiliser plusieurs fois le même indice. Des expressions comme   ou   sont donc dépourvues de sens. À noter que par contre   possède bien un sens, mais que celui-ci est différent de celui présenté dans le présent paragraphe.

Ordres des indices modifier

Soit deux tenseurs   et   tels que pour tout vecteur   de   et tout vecteur   de   on a   . Ces deux tenseurs ont un fonctionnement quasi identique. L'ordre des paramètres n'a finalement que très peu d'importance puisque les indices agissent comme des étiquettes garantissant que l'évaluation est faite correctement. On souhaiterait donc pouvoir voir   et   comme de simples conventions d'écriture d'un même tenseur et pouvoir écrire  . Il est possible pour cela de considérer l'espace union   et d'y définir la relation d'équivalence   telle que deux tenseurs   et   sont équivalents si   . On note alors   l'espace quotient dans lequel tout se passe comme si on avait oublié l'ordre des paramètres des tenseurs. Seul leur étiquetage par des indices abstraits est dès lors pertinent. On peut alors considérer que  , que   et que   .

De même on peut par exemple former les espaces vectoriels :

 

Remarque : On voit ici pourquoi il est important de ne pas utiliser deux fois le même indice au sein d'un même tenseur. Le faire rendrait la désignation des paramètres ambigüe.

Remarque : Soit un tenseur   admettant entre autres une écriture   et encore une écriture   (on a donc le droit d'écrire  ). Il est important de comprendre qu'en revanche les symboles   et   désignent a priori des tenseurs différents, bien qu'ils appartiennent tous les deux à  . Il s'agit en effet de copies de   indexées par des indices abstraits différents : on a respectivement   et  . Lorsqu'on quotiente l'espace union   par la relation d'équivalence   afin de forger  , les tenseurs   et   ne se retrouvent pas (sauf cas particulier) dans la même classe d'équivalence. Par ailleurs, une écriture telle que   est dépourvue de signification puisqu'elle ne saurait représenter une copie valable du tenseur non indexé  .

Remarque : Si dans l'exemple précédent  ,   et   peuvent être considérés comme des conventions d'écriture d'un même tenseur indexé, il doit cependant rester clair que  ,   et   sont des objets différents.

Opérations modifier

Substitution d'indices modifier

Soit l'espace de tenseurs   et un indice   indexant l'espace en question. Si   est un autre indice non utilisé, on peut faire correspondre à tout élément de   sa copie obtenue en substituant   à  . Ainsi à   on fait correspondre sa copie   par substitution de   à  . Les substitutions peuvent être également être faites en parallèle. Ainsi   est obtenu par substitution des indices   à  .

Somme modifier

Si deux tenseurs appartiennent au même espace  , leur somme est définie. Ainsi pour   et  , éléments de  , la somme   est un tenseur de  .

Produit par un scalaire modifier

Le produit d'un tenseur de   par un scalaire est défini. Ainsi pour   et  , le produit   est un tenseur de  .

Produit tensoriel modifier

Soit un tenseur de   et un tenseur de  , ces espaces n'ayant pas d'indices en commun. On définit leur produit tensoriel, élément de   . En cas d'indices commun il suffit simplement d'opérer une substitution d'indices préalable.

Par exemple si l'on considère   et  , il existe un tenseur   tel que  . On note plus simplement :  

Contraction modifier

Soit un tenseur de  , un indice supérieur (par exemple  ) et un indice inférieur (par exemple  ) de cet espace. On note la contraction de ce tenseur sur les indices   et   en substituant à   et   un même indice  . Le tenseur obtenu appartient à  .

Par exemple si l'on considère  , il existe un tenseur   formé par contraction de   et  . Ce tenseur appartient à l'espace   (et pas à   comme on pourrait être tenté de le croire, un tel espace n'étant de toute façon pas défini).

Remarque : L'indice utilisé pour la contraction n'a aucune importance (dans la mesure où il n'est pas utilisé ailleurs). Seul sa position compte. On peut même utiliser un des deux indices de départ. De fait on a :  

Remarque : Le tenseur   appartient également à l'espace   mais sauf cas particulier   .

Produit contracté modifier

Le produit contracté se note simplement en combinant les deux notations précédentes comme dans l'équation   .

Symétrisation et antisymétrisation modifier

On note   l'ensemble des permutations de  . Pour  , on note   sa signature. Dans ce paragraphe on suppose que le corps   est de caractéristique nulle (dans le cas contraire le terme   pourrait être indéfini).

Symétrisation modifier

Soit le tenseur contravariant  , on définit son symétrisé, noté  , par :

 

Ainsi par exemple  .

Il en va évidemment de même pour des tenseurs covariants :

 

L'opération de symétrisation peut également s'accomplir sur un sous-ensemble d'indices et reste possible si le tenseurs présente à la fois des indices covariants et contravariant. Ainsi   . On peut même effectuer plusieurs symétrisations à la fois, comme dans  , symétrisé de   sur les sous-ensembles d'indices  ,   et  

Remarque : Il est possible d'exclure des indices au moyen des symboles || comme dans  

Remarque : Cette opération permet de définir simplement la notion de tenseur symétrique sur certains de ses indices (et donc également de tenseur totalement symétrique). Par exemple   est symétrique sur   et   si et seulement si   .

Antisymétrisation modifier

De façon tout à fait similaire, on définit l'antisymétrisé de   par :

 

Ainsi par exemple  .

L'antisymétrisé de   est de même :

 

Les mêmes possibilité et conventions que la symétrisation s'appliquent. Ainsi   . On peut également utiliser symétrisations et antisymétrisations en même temps, comme dans  .

Remarque : Cette opération permet de définir simplement la notion de tenseur antisymétrique sur certains de ses indices (et donc également de tenseur totalement antisymétrique). Par exemple   est antisymétrique sur   et   si et seulement si   .

Compatibilité avec les autres opérations modifier

Il n'est pas possible de symétriser ou d'antisymétriser des indices provenant de différents tenseurs utilisées dans une somme. Ainsi la notation   n'a aucun sens. En revanche si l'on note  , on a bien  .

Le choses se passent beaucoup mieux avec un produit.   est un tenseur valide égal à  

De même symétrisation et antisymétrisation sont compatibles avec les contractions dans la mesure où les contractions sont réalisées en dernier.   est le résultat de multiples symétrisations et antisymétrisations de   définissant un tenseur   suivi de contractions multiples :  

Espace muni d'une forme bilinéaire symétrique modifier

Abaissement d'indice modifier

Si   est naturellement muni d'une forme bilinéaire symétrique  , une nouvelle opération est permise. En effet   en tant que tenseur (2-covariant symétrique) admet des copies indexées  ,  ,   ... On peut à partir d'un tenseur de   possédant au moins un indice supérieur (par exemple  ), contracter ce dernier avec un indice d'une copie de   (par exemple  ). Le résultat est un tenseur de   ou, après substitution de l'indice   à  , de  . D'où le nom d'abaissement d'indice.

On peut par exemple à partir de   former le tenseur  . En pratique on conserve le même nom pour le tenseur et on écrit plus simplement  . De même on peut former le tenseur   obtenu par abaissement du second indice ainsi que le tenseur   obtenu par abaissement des deux indices.

Remarque : Conserver le même symbole pour le tenseur n'introduit pas d'ambigüité puisqu'en tant qu'élément de  ,   n'admet en effet aucune copie indexée dans  ,   ou  .

Remarque : On voit ici pourquoi il peut être important de conserver l'ordre relatif des indices inférieur et supérieur. Une notation telle que   plutôt que   ne permettrait pas de savoir où positionner les indices abaissés par rapport à l'indice  .

Elévation d'indice modifier

Si l'on a plutôt naturellement une forme bilinéaire   sur  , c'est l'opération inverse qui est valide. Grâce aux copies  ,  ,  , ... on peut élever un indice sur le même principe (produit contracté avec une de ces copies et éventuelles substitutions d'indice). Par exemple le tenseur   permet de définir les nouveaux  ,  ,  ,  ,  ,   et  .

Forme bilinéaire symétrique non dégénérée modifier

Si la forme bilinéaire symétrique   sur   est non dégénérée, elle induit naturellement une forme bilinéaire symétrique   sur  . Ce fait rend possible à la fois l'abaissement et l'élévation d'indice de manière compatible : abaisser un indice grâce à   puis l'élever grâce à   permet de retrouver le tenseur initial (de même pour une élévation suivie d'un abaissement). En conservant les conventions définies précédemment, si  ,  ,  , ... sont des copies indexées de  , on peut noter  ,  ,  , ... les copies indexées de  .

Remarque : On a    est le tenseur correspondant à l'endomorphisme identité de   (correspondant au symbole de Kronecker dans la convention d'Einstein).

Copies de fibrés vectoriels modifier

Si   est une variété différentielle de dimension  , on peut en chaque point   définir des copies indexées de l'espace tangent  , notées  ,  ,  ,   ... et de même des copies de l'espace cotangent  , notées  ,  ,  ,   ... Comme précédemment on va pouvoir pouvoir former les espaces de tenseurs indexés  .

Le but est ici bien évidemment de généraliser ces notions ayant un sens au point   en définissant des fibrés vectoriels munis d'indices   dont les sections seront des champs de tenseurs indexés. Cette extension naturelle induit une généralisation de toutes les opérations vues jusqu'à présent (substitution d'indice, combinaison linéaire, produit tensoriel, contraction, symétrisation, antisymétrisation) pour les champs de tenseurs. À cela s'ajoutent des opérations propres aux champs.

Dérivée de Lie modifier

Soit   un champ vectoriel (sans indice). Soit par exemple   un champ de tenseur muni d'indice. La dérivée de Lie de   suivant   est un champ de tenseur muni des mêmes indices et noté  . Ce champ est égal à la copie indexée par   de  , la dérivée de Lie du champ de tenseur   suivant  .

Remarque : On note que le champ obtenu possède les mêmes indices que le champ soumis à la dérivation. En effet l'opérateur   est un endomorphisme sur l'espace vectoriel des sections de tout fibré vectoriel formé par produit tensoriel des fibrés tangent et cotangent. Pour cette raison, on n'utilise pas de copie avec indices pour le champ vectoriel  . Une notation   donnerait en effet l'impression de rajouter un indice. Par ailleurs comme seul un champ de vecteur a du sens ici, la présence de l'indice n'apporterait aucune information nouvelle.

Dérivée extérieure modifier

Toute  -forme différentielle peut être vue comme un champ de tenseurs  -covariant   antisymétrique (donc vérifiant  ). La dérivée extérieure   ajoutant un indice, on définit les copies indexées  ,      , ... Ceci permet donc d'écrire la dérivée extérieure indicée par   de   comme  .

Remarque : Il ne faut bien entendu pas lire la notation   comme un produit tensoriel entre   et  , ce qui n'aurait aucun sens puisque   n'est pas un tenseur.

Dérivée covariante modifier

Soit   un champ vectoriel (sans indice). Soit par exemple   un champ de tenseur muni d'indice. Pour un opérateur de dérivée covariante donné noté  , la dérivée covariante de   suivant   est un champ de tenseur muni des mêmes indices. On pourrait choisir de le noter   de manière similaire à la dérivée de Lie. Cependant le caractère tensoriel des dérivées covariantes permet de les voir plus généralement comme opérations ajoutant un indice. La dérivée covariante indexée par   de   est un champ de tenseur muni des mêmes indices ainsi que de l'indice   et notée  . On peut comme pour la dérivée extérieure définir les copies avec indices  ,  ,  ,   ...

Remarque : Avec cette notation, choisir une direction de dérivation (par exemple celle donnée par le champ vectoriel   dans l'énoncé précédent) revient alors à calculer la contraction   de   avec une copie indexée de  .

Remarque : Une notation similaire   pour la dérivée de Lie est impossible du fait même du caractère non tensoriel de  , c'est-à-dire du fait qu'on n'a pas contrairement aux dérivées covariantes   pour   champ scalaire sur  .

Remarque : La dérivée extérieure   peut se définir à partir d'une dérivée covariante   par   pour toute forme différentielle  . On démontre qu'une telle formule est indépendante du choix de   comme le présuppose l'unicité de  .

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Bibliographie modifier

  • Roger Penrose, The Road to Reality: A Complete Guide to the Laws of the Universe, 2004, pp 239-243.
  • Roger Penrose et Wolfgang Rindler, Spinors and space-time, volume I, two-spinor calculus and relativistic fields.

Liens externes modifier