Les neurones miroirs sont une catégorie de neurones du cerveau qui présentent une activité aussi bien lorsqu'un individu exécute une action que lorsqu'il observe un autre individu (en particulier de son espèce) exécuter la même action, ou même lorsqu'il imagine une telle action, d'où le terme miroir. Ils sont connus pour être à l'origine du bâillement[1]. Il existe également des neurones échos.

Diagramme illustrant la problématique d'une personne amputée d'un bras, qui est remplacé par une image en miroir : le cerveau reçoit une image artificielle du membre fantôme et met en jeu les neurones miroirs.

En neurosciences cognitives, les neurones miroirs joueraient un rôle dans la cognition sociale, notamment dans l'apprentissage par imitation, mais aussi dans les processus affectifs, tels que l'empathie. Le professeur Ramachandran les appelle neurones empathiques[2].

Les neurones miroirs sont considérés comme une découverte majeure en neurosciences. Si, pour certains chercheurs[3], ils constituent un élément central de la cognition sociale (depuis le langage jusqu'à l'art, en passant par les émotions et la compréhension d'autrui), pour d'autres[4], ces conclusions restent très hypothétiques quant au rôle de ces neurones dans ces processus psychologiques. Le rôle de ces neurones pour la cognition sociale humaine aurait ainsi été largement surévalué [5].

L'engouement du public et des chercheurs pour ces neurones depuis les années 1990 a suscité de nombreuses publications, grisées par la tentation scientiste se réduisant à une approche biologisante et donnant un rôle central à ce concept simple pour expliquer des comportements sociaux complexes, faisant de ces neurones les responsables principaux, à tort, de la compréhension des émotions, de l'empathie, de l'autisme, des addictions, des phénomènes d'hystérie collective[6],[7].

Découverte modifier

L'identification de neurones miroirs au cours des années 1990 est due à l'équipe de Giacomo Rizzolatti, directeur du département de neurosciences de la faculté de médecine de Parme[8],[9].

Ils ont d'abord été observés dans le cortex prémoteur ventral du singe macaque rhésus (aire F5) mais aussi, par la suite, dans la partie rostrale du lobule pariétal inférieur[10]. Ce type de neurones a également été trouvé chez certains oiseaux où ils sont activés à la fois lors du chant et lorsque l'animal écoute un congénère chantant[11].

Chez l'humain, il existe depuis une preuve directe de l'existence de neurones miroirs[12]. Jusqu'alors, étant donné les nombreuses homologies entre les cerveaux des différents primates, il était admis que de tels neurones devaient aussi exister chez l'espèce humaine. En outre, par imagerie cérébrale fonctionnelle (tomographie par émissions de positons ou imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, par exemple), il est possible d'observer dans certaines régions du cortex cérébral (notamment autour de l'aire de Broca, homologue à l'aire F5 du singe, et au niveau du cortex pariétal inférieur) une activation à la fois quand l'individu produit une action et lorsqu'il observe un autre individu exécuter une action plus ou moins similaire. Mais, étant donné la résolution spatiale de ces techniques, rien ne permettait d'affirmer que ces activations provenaient exactement des mêmes neurones et non pas de deux populations de neurones entremêlées[13]. Par précaution, on utilisait donc parfois les termes « système miroir » ou « système de neurones miroirs » plutôt que « neurones miroirs » pour désigner ces aires fonctionnelles.

Propriétés fonctionnelles des neurones miroirs modifier

La particularité de ces neurones tient au fait qu'ils déchargent des potentiels d'action pendant que l'individu exécute un mouvement (c'est le cas pour la plupart des neurones du cortex moteur et prémoteur) mais aussi lorsqu'il est immobile et voit (ou même entend) une action similaire effectuée par un autre individu, voire seulement quand il pense que ce dernier va effectuer cette action. Les neurones miroirs sont donc définis par deux propriétés :

  • leur caractère « miroir » : le fait qu'ils réagissent aussi bien aux actions de soi que d'autrui ;
  • leur sélectivité : chaque neurone ne répond qu'à un seul type d'action, mais ne répond pas (ou peu) quand il s'agit d'un autre geste. Par exemple, un neurone sensible à un mouvement de préhension de la main ne réagira pas si l'individu effectue un autre geste (comme une extension des doigts) ou si cet autre geste est effectué par un autre individu. En outre, il existe une autre classe de neurones miroirs qui sont peu sensibles au geste en particulier, mais à la finalité de l'action (par exemple saisir une tasse de café du côté de l'anse ou du côté opposé à celle-ci)[14].

Rôle des neurones miroirs modifier

Désir modifier

Dans la lignée de la pensée girardienne, les chercheurs Vittorio Gallese, Andrew Meltzoff, Scott Garrels et le Français Jean-Michel Oughourlian ont travaillé dans le cadre de l'Université Stanford sur l'imitation et les découvertes en psychologie génétique et neurosciences, pour expliquer la confirmation du désir mimétique chez l'homme par l'existence des neurones miroirs.

En , Jean-Michel Oughourlian intervient à l'Université Interdisciplinaire de Paris pour présenter le lien entre désir et neurones miroirs[15],[16],[17].

Empathie modifier

Un certain nombre de chercheurs (comme les psychologues Frans de Waal[18], Jean Decety[19] et Vittorio Gallese[20]) ont supposé que les neurones miroirs jouaient un rôle important dans l'empathie, c'est-à-dire dans la capacité à percevoir et reconnaître les émotions d'autrui, notamment sur la base du fait qu'un système miroir semble exister pour les émotions. Par exemple, la partie antérieure du lobe de l'insula, est active aussi bien quand la personne éprouve du dégoût que lorsqu'elle voit quelqu'un exprimant du dégoût. Cela éclaire d'un jour nouveau le phénomène connu de contagion émotionnelle et les effets de masse.

Le système miroir des émotions permettrait donc de simuler l'état émotionnel d'autrui dans notre cerveau et, par conséquent, de mieux identifier les émotions éprouvées par les individus de notre entourage. Les neurones miroirs seraient également impliqués dans la contagion motrice déclenchant une contagion émotionnelle via un processus de pré-empathie, précurseur de l'empathie véritable, dite aussi empathie secondaire ou empathie imaginative (la pré-empathie, ou empathie primaire, concernant des jeunes enfants et se mettant progressivement en place entre 2 et 7 ans, à mesure qu'ils acquièrent toutes sortes d’autonomies)[21].

Dans sa conférence TED[22], le docteur Vilayanur S. Ramachandran les surnomme pour cette raison « neurones de Gandhi ».

Il a été avancé que l'éloignement de la zone principale des neurones miroirs et de l'hippocampe pouvait suggérer qu'une communication bien conduite influerait, par empathie, de manière bénéfique sur les troubles psycho-comportementaux des patients atteints de la maladie d'Alzheimer[23].

Autisme modifier

Des anomalies du fonctionnement du système miroir auraient été retrouvées chez des personnes autistes[24],[25]. Cependant cette hypothèse a été réfutée[26].

Notes et références modifier

  1. « Question de la semaine : Pourquoi bâiller est-il contagieux ? », Sciences et Avenir,‎ (lire en ligne, consulté le )
  2. Exemple de présentation documentaire dans « les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau » (consultation en ligne des parties concernées 4/5 et 5/5).
  3. « [Les neurones miroirs] sont les promoteurs du langage, ils expliquent pourquoi nous parlons avec nos mains. Ils rendent compte de l'expression des émotions ; ils sont le mécanisme de notre compréhension d'autrui », in Les neurones miroirs, de Giacomo Rizzolatti et Corrado Sinigaglia, Éditions Odile Jacob, traduit par Marilène Raiola, Paris 2007.
  4. Olivier Morin, « No evidence of human mirror neurons », (consulté le )
  5. « Qui veut la peau des neurones miroirs? », Le Temps,‎ (lire en ligne, consulté le )
  6. Florence Rosier, « Qui veut la peau des neurones miroirs? », sur letemps.ch,
  7. (en) Gregory Hickok, The Myth of Mirror Neurons: The Real Neuroscience of Communication and Cognition, W. W. Norton & Company, (lire en ligne), p. 288
  8. Rizzolatti, G. et al. (1996) Premotor cortex and the recognition of motor actions Cognit. Brain Res. 3, 131–141.
  9. Les neurones miroirs, G Rizzolatti, L Folgassi, V Gallese, Pour la Science, Janvier 2007, p 44-49.
  10. (en) V. Caggiano, L. Fogassi, G. Rizzolatti et coll, « Mirror neurons differentially encode the peripersonal and extrapersonal space of monkeys », Science, no 324,‎ , p. 403-406.
  11. (en) R. Mooney, « Precise auditory–vocal mirroring in neurons for learned vocal communication », Nature, Nature Publishing Group, vol. 451, no 7176,‎ , p. 305–310 (ISSN 1476-4687, DOI 10.1038/nature06492, lire en ligne, consulté le ).
  12. Christian Keysers et Valeria Gazzola, « Social Neuroscience: Mirror Neurons recorded in Humans », Current Biology, vol. 20, no 8,‎ , R353–354 (PMID 21749952, DOI 10.1016/j.cub.2010.03.013, lire en ligne).
  13. (en) Dinstein I, Thomas C, Behrmann M, Heeger DJ, « A mirror up to nature », Curr Biol, vol. 18, no 1,‎ , R13–8 (PMID 18177704, DOI 10.1016/j.cub.2007.11.004).
  14. (en) Kilner & Lemon, « What we know currently about Mirror Neurons », Current Biology,‎ , p. 1057-1062 (lire en ligne)
  15. Mars 2010. Jean-Michel Oughourlian au programme d'UIP TV. Désir mimétique, neurosciences et théorie des neurones miroirs [1].
  16. Mars 2010. Jean-Michel Oughourlian, Maintien à domicile et AIzheimer.
  17. Jean-Michel Oughourlian interviewé dans le journal CLÉS. Vos neurones sont des miroirs. [2].
  18. Preston, S. D., & de Waal, F.B.M. (2002) Empathy : its ultimate and proximate bases. Behav. Brain Sci., 25, 1-72.
  19. Decety, J. (2002). Naturaliser l’empathie [Empathy naturalized]. L'Encéphale, 28, 9-20.
  20. Gallese, V., & Goldman, A.I. (1998). Mirror neurons and the simulation theory. Trends in Cognitive Sciences, 2, 493-501.
  21. Alain Rabatel, « Récit et mobilité empathique », Pratiques, nos 181-182,‎ (DOI 10.4000/pratiques.5655).
  22. Les neurones qui ont formé la civilisation, http://www.ted.com/talks/vs_ramachandran_the_neurons_that_shaped_civilization.html (janvier 2010).
  23. Jean-Pierre Polydor, Alzheimer : mode d'emploi : le livre des aidants, Le Bouscat, L'Esprit du temps, 2009, 350 p. (ISBN 978-2-84795-171-4).
  24. Les miroirs brisés de l'autisme, V Ramachandran, L Oberman, Pour la Science, janvier 2007, p 50-57.
  25. présentation dans le documentaire vidéo (consultation en ligne des parties concernées 4/5.
  26. « Autisme : les neurones miroirs hors de cause », sur Pourlascience.fr, Pour la Science (consulté le ).

Voir aussi modifier

Liens internes modifier

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