Loi de Morrie

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La loi de Morrie est l'identité trigonométrique suivante :

Richard Feynman en 1984, quelques années avant sa mort. Il se souvenait encore de cette curiosité apprise pendant l'enfance.
.

Le nom de cette « curiosité » est dû au physicien Richard Feynman, qui la tient d'un ami d'enfance, Morrie Jacobs.

Cette identité est intrigante parce qu'aucun des facteurs du produit n'est rationnel, mais que le produit l'est[1],[2],[3].

Histoire modifier

Dans son enfance, Richard Feynman avait l'habitude d'échanger des anecdotes mathématiques avec ses amis. C'est l'un d'eux, nommé Morrie Jacobs, qui lui a fait connaître cette égalité. Il s'en est ensuite souvenu toute sa vie, de même que les circonstances dans lesquelles il en a appris l'existence (dans le magasin de cuir du père de Morrie). Il y fait référence dans une lettre à Morrie datée du [4].

Après la mort de Feynman en 1988, James Gleick raconte cet épisode en 1992 dans Genius, la biographie qu'il a écrite du physicien[5].

En 1996, Beyer et al. appellent cette égalité « Morrie Jacobs's identity »[6] (litt. « identité de Morrie Jacobs »). En 1998, Anderson l'appelle « Morrie's Law » (litt. « loi de Morrie »)[7]. En 2011, Nahin l'appelle « Jacobs-Feynman equality »[8] (litt. « égalité de Jacobs-Feynman »).

Identités similaires modifier

En radians, la loi de Morrie s'exprime ainsi :

 .

Elle utilise la fonction cosinus, mais des identités similaires existent pour d'autres fonctions trigonométriques, sans toutefois que le membre de droite soit rationnel comme avec le cosinus :

  ;
  • l'identité pour la fonction tangente (qu'on obtient en divisant l'identité pour la fonction sinus par la loi de Morrie) est[9] :
 .

Généralisations modifier

Première généralisation modifier

La loi de Morrie est le cas particulier, où   et  , de l'identité plus générale[6] :

 
avec   et  [10].

La curiosité tient au fait que si on choisit  , le membre de droite vaut ±1 (on le montre en remplaçant le dénominateur   par   ou  ), et l'égalité devient alors[11] :

 .

On en tire les identités suivantes :

   
   [12]
 

   [13]

  (loi de Morrie)

   [14]  [12]

Deuxième généralisation modifier

La première généralisation est elle-même le cas particulier, où  , de l'identité plus générale[11] :

 
avec  .

En effet, en choisissant   le membre de gauche devient  , ce qui permet de retrouver la première généralisation.

Autres généralisations modifier

Il existe diverses autres généralisations de la loi de Morrie, citées notamment dans un livre d'exercices de trigonométrie de 1930[15],[16], telles que :

 

dont la loi de Morrie est le cas particulier où  .

Démonstrations modifier

Preuve algébrique modifier

La preuve de la loi de Morrie s'appuie sur la formule de l'angle double pour la fonction sinus :

 

qui permet de trouver l'expression de   et, par suite, de  ,   ...  [6],[15] :

 

En multipliant toutes ces expressions les unes avec les autres, on obtient :

 .

Dans la partie droite de l'expression, les numérateurs et dénominateurs intermédiaires s'éliminent deux à deux, ne laissant que le premier dénominateur   et le numérateur final   (on dit qu'il s'agit d'un produit télescopique[12]), ainsi qu'une puissance de 2 au dénominateur (  car il y a   termes) ; il vient alors :

 ,

ce qui est équivalent à la première généralisation de l'identité.

Preuves géométriques modifier

 
Preuve géométrique utilisant un ennéagone.

Pour démontrer les identités de la forme   avec  , une preuve géométrique utilisant un polygone régulier à   côtés peut être utilisée.

Ainsi, pour démontrer la loi de Morrie (  et  ), une telle preuve utilisant un ennéagone régulier (9 côtés) a été publiée en 2008[17], puis une autre en 2015[18].

Cette dernière s'appuie sur l'ennéagone   ci-contre, de côté 1. Soient  ,  ,   et   les milieux de  ,  ,   et  , respectivement.

On montre que  ,  , et  .

  est rectangle en  , donc  . Or   car   est milieu de  , donc :

 .

  est rectangle en  , donc  . Or   car   est milieu de  , donc :

 .

  est rectangle en  , donc  . Or   car   est milieu de  , donc :

 .

Or   car ce sont des côtés de l'ennéagone, et en remplaçant   et   par les expressions ci-dessus, on obtient :

 , d'où la loi de Morrie.

Les auteurs de cette preuve ont par la suite publié, en 2016, une preuve géométrique de l'identité où   et  , en utilisant un heptagone régulier (7 côtés)[19].

De même, l'identité où   et   peut être prouvée en utilisant un pentagone régulier (5 côtés)[20].

Références modifier

  1. Anderson 1998, p. 85.
  2. Brouwer 2017.
  3. Van Brummelen 2020, p. 79 [lire en ligne].
  4. Gleick 1992, p. 450 [lire en ligne] : « [p. ]47 IF A BOY NAMED MORRIE JACOBS: Feynman to Morris Jacobs, 27 January 1987, CIT ». Le sigle CIT signifie que la lettre est conservée dans les archives du California Institute of Technology à Pasadena (cf. « Acknowledgments », p. 441 [lire en ligne], et « Notes - Abbreviations », p. 445 [lire en ligne]), où Feynman a été chercheur et enseignant.
  5. Gleick 1992, p. 47 [lire en ligne] : « He and his friends traded mathematical tidbits like baseball cards. If a boy named Morrie Jacobs told him that the cosine of 20 degrees multiplied by the cosine of 40 degrees multiplied by the cosine of 80 degrees equaled exactly one-eighth, he would remember that curiosity for the rest of his life, and he would remember that he was standing in Morrie's father's leather shop when he learned it. »
  6. a b et c Beyer, Louck et Zeilberger 1996.
  7. Anderson 1998, p. 86.
  8. (en) Paul J. Nahin, Number-Crunching : Taming Unruly Computational Problems from Mathematical Physics to Science Fiction, Princeton et Oxford, Princeton University Press, , 376 p. (ISBN 978-0-691-14425-2, DOI /10.1515/9781400839582), p. 12, Challenge Problem 1.2 [lire en ligne].
  9. a et b (en) Eric W. Weisstein, CRC Concise Encyclopedia of Mathematics (en), Chapman & Hall / CRC, , 2e éd., 3242 p. (ISBN 1-58488-347-2), « Trigonometry Values Pi/9 », p. 3057–3058 [lire en ligne], et éditions suivantes, notamment en ligne : (en) Eric W. Weisstein, « Trigonometry Angles--Pi/9 », sur MathWorld.
  10. (en) Dennis S. Bernstein, Scalar, Vector, and Matrix Mathematics : Theory, Facts, and Formulas, Princeton et Oxford, Princeton University Press, , 1547 p. (ISBN 978-0-691-15120-5 et 978-0-691-17653-6), p. 244–245, fact 2.16.17 [lire en ligne].
  11. a et b (en) Philip Feinsilver (Southern Illinois University Carbondale), « Numeration, Trigometric Identities, and Cantor-Type Distributions », 28th Annual Mathematics Symposium, Bowling Green (Kentucky), Western Kentucky University, -, p. 4–6.
  12. a b et c Van Brummelen 2020, p. 80 [lire en ligne].
  13. Moreno et García-Caballero 2016, p. 214.
  14. Van Brummelen 2020, p. 81 [lire en ligne].
  15. a et b Tee 1999.
  16. (en) Clement V. Durell et Alan Robson, Advanced Trigonometry, George Bell & Sons, (lire en ligne), exercice XII.b, 24, 25, 29, 30 et 31, p. 225–226, et réponses p. 322.
  17. Miles et Pritchard 2008.
  18. Moreno et García-Caballero 2015.
  19. Moreno et García-Caballero 2016.
  20. Van Brummelen 2020, p. 81 [lire en ligne] et fig. 49, p. 82 [lire en ligne].

Bibliographie modifier

Source primaire :

Sources secondaires centrées :

Généralisations :

Preuves géométriques :