Massacre de Kamenets-Podolski

Massacre de Kamenets-Podolski
Coordonnées 48° 41′ 00″ nord, 26° 35′ 00″ est
Géolocalisation sur la carte : Ukraine
(Voir situation sur carte : Ukraine)
Massacre de Kamenets-Podolski

Entre le 27 et le , environ 23 600 Juifs sont massacrés à la périphérie de la ville ukrainienne de Kamenets-Podolski.

Cette exécution marque un changement d’échelle dans la politique de massacre de masse menée sur le front Est à partir de la fin du mois de . Ces massacres sont supervisés par les Einsatzgruppen, unités de tuerie mobiles rattachées au RSHA et à la SS.

La particularité des événements qui ont eu lieu à Kamenets-Podolski s'explique par le fait qu'il s'agit du premier massacre de grande ampleur qui a lieu (ou, en plus des hommes en âge de porter des armes, femmes, enfants et vieillards sont également massacrés) mais aussi par l'origine des Juifs qui sont exécutés. En effet, beaucoup venaient de Hongrie, dont le gouvernement avait décidé de déporter des milliers de Juifs étrangers ou apatrides sans même que l'Allemagne nazie ne lui en fasse la suggestion[1].

Historique modifier

Contexte modifier

Provenance nationale des Juifs du massacre modifier

 
Carte de la déportation des juifs pendant l'été 1941.

Entre 1938 et 1941, la Hongrie de l'amiral Miklós Horthy, qui avait perdu beaucoup de territoires à la suite de la Première Guerre mondiale, annexe des territoires qu'elle considère siens. Au total, sur près de 5 400 000 habitants supplémentaires, environ 324 250 sont Juifs, ces derniers étant principalement concentrés dans l'Est (Ruthénie subcarpathique, région auparavant tchécoslovaque et formant dorénavant en Hongrie, une entité territoriale hors du droit commun des comitats) et le Nord-Ouest du pays. De plus, il est estimé qu'au début de la guerre, environ 35 000 Juifs Polonais, Allemands, Autrichiens ou Tchécoslovaques fuyant l'armée nazie, cherchèrent refuge en Hongrie. Or, la Hongrie est un État officiellement antisémite, dont la législation comprend des mesures de définition du statut des juifs, et de discrimination à leur égard. Le gouvernement ne s'en prend pas encore aux juifs ayant une nationalité hongroise antérieure à la première guerre mondiale, mais cherche dans un premier temps à se débarrasser de ces juifs considérés comme étrangers.

Été 1941, début d'une importante vague de massacres antisémites modifier

Cette occasion se présenta durant l'été 1941. L'Allemagne, passant outre les accords secrets de non-agression signés le 23 août 1939 avec l'URSS, déclenche l'invasion de l'Union soviétique le 22 juin 1941 (opération Barbarossa).

Les progrès de la Wehrmacht sont fulgurants sur tout le front Est, et très vite elle prend le contrôle d'une vaste région allant des Pays Baltes jusqu'au sud de l'Ukraine. Dans cette zone vivent environ quatre millions de Juifs, même s'il est estimé qu'environ un million et demi d'entre eux ont fui devant les armées allemandes[2]. Pendant la progression allemande, de nombreux pogroms et massacres antisémites se déclenchent spontanément dans l'ensemble des régions conquises.

En , Reinhard Heydrich, chef de la Police de Sécurité, de la Gestapo et de la Kriminal Polizei reçoit de Göring l'ordre de procéder aux « préparatifs de la solution finale ». Si la « question juive » restait alors floue (notamment quant au sort des femmes et des enfants), les massacres des communautés juives, jusqu'alors spontanés, commencent à être organisés, rationalisés et supervisés sur le front Est. Si toutes sortes de soldats allemands sont appelés à participer à l'élimination de Juifs dans les mois qui suivent, certaines troupes sont spécialement affectées à cette tâche, notamment les quatre Einsatzgruppen, littéralement « groupes d'intervention », qui sont en réalité des unités mobiles d'extermination.

En Hongrie, le bureau national de contrôle des étrangers propose alors un plan d’expulsion des « indésirables »[3]. L'objectif est de chasser les Juifs étrangers, principalement ceux alors localisés en Carpatho-Ruthénie, et de les livrer aux autorités allemandes situées en Galicie, à l'Est de l'Ukraine. Après une négociation avec la Gestapo, Horthy soumet le le décret d’expulsion des juifs « de nationalité douteuse »[3]. Celui-ci dispose que tout Juif étant dans l'incapacité d'attester de sa nationalité hongroise, qu’il soit de Budapest, de Ruthénie ou des Carpates, sera raflé et remis aux autorités allemandes en Galicie. Lors des arrestations, les autorités sont peu regardantes quant à la nationalité des victimes. Il est ainsi attesté qu'un certain nombre de Juifs ayant la nationalité hongroise furent tout de même déportés.

Déroulement du massacre modifier

Déportation vers Kamenets-Podolski modifier

Entre le et le , au moins 16 000 juifs sont déportés par train jusqu'à la frontière puis en camion hors de Hongrie. La majorité d'entre eux est rassemblée à Kamenets-Podolski où ils sont entassés par les Allemands et la police locale dans le quartier juif où se trouvent déjà des milliers de Juifs locaux. Les conditions sont exécrables, devenant un peu plus lamentables à chaque arrivée de camion de déportés. Il est prévu d'exterminer un maximum de Juifs depuis la fin du mois de juillet surtout qu’Hitler déclare implicitement que dorénavant, les femmes et les enfants juifs doivent aussi être massacrés. Pourtant, la Wehrmacht ne sait dans un premier temps pas quoi faire de tant de Juifs.

L’armée allemande tente de faire valoir auprès de sa hiérarchie et des autorités hongroises les difficultés générées par cet afflux. La Wehrmacht demande qu'ils soient renvoyés en Hongrie mais Horthy refuse catégoriquement.

Conférence de Vinnitsa, décision d'un massacre modifier

 
Monument rendant hommage aux victimes à Kamenets-Podolski.

Un rapport de l’Einsatzgruppe C du rend compte des frictions entre les autorités allemandes et hongroises, liées aux afflux massifs de Juifs. La conférence de Vinnitsa, le , a justement pour but de résoudre ce problème. « Le HSSPF Friedrich Jeckeln est mandaté pour cela et se rend à Kamenets-Podolski »[4].

Appuyé par l’unité de la gendarmerie ukrainienne, le bataillon de police 320 et les hommes de sa compagnie, il entre dans la ville ukrainienne à la fin du mois d’août. Les Juifs sont prévenus qu’ils seront expulsés de la ville et déplacés vers une destination inconnue. Jeckeln, à la tête du commandement des bataillons de l’Einsatzgruppe C et de la gendarmerie ukrainienne, renforcé par des soldats hongrois, rassemblent 23 600 Juifs. Ils les font marcher jusqu’à la sortie de la ville où se trouvent différents cratères résultant de la destruction de dépôts de munitions par les Soviétiques lors de leur retraite, qui feront office de fosses communes.

Le massacre dure trois jours pleins, du 27 au . Les Juifs doivent se déshabiller selon un rituel déjà bien rodé par les exécuteurs, avant d’être assassinés par balles au fond des fosses. Mais beaucoup, seulement blessés, sont enterrés vivants. Jeckeln réussit à tenir la promesse qu’il avait faite à Vinnitsa d’en terminer avant le 1er septembre.

Dans le rapport d’activité du groupe d’intervention C, en date du , ces « opérations » tiennent en une phrase de conclusion : « à Kamenets-Podolski, 23 600 Juifs ont été abattus en trois jours par un kommando du haut dirigeant de la SS et de la Police »[5]. Par ailleurs, après le massacre de Kamenets-Podolski, « la Wehrmacht coopéra systématiquement avec les Einsatzgruppen et les forces de police pour détruire les communautés juives »[6].

Notes et références modifier

  1. Il s'agissait principalement de réfugiés (juifs autrichiens et polonais) et de Juifs qui avaient été hongrois jusqu'en 1918, mais qui étaient devenus citoyens tchécoslovaques, roumains ou yougoslaves en application du Traité de Trianon, et n'étaient pas redevenus hongrois lorsque par les Arbitrages de Vienne, la Hongrie d'Horthy avait recouvré les territoires où ils vivaient : voir Michael Prazan, livre Einsatzgruppen, les commandos de la mort nazis, Seuil, 2012, et documentaire Einsatzgruppen, les commandos de la mort, France Télévision, 2009.
  2. Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, Paris, Gallimard, , 3e éd., 1098 p. (ISBN 978-2-07-032710-2, OCLC 919742901), p. 1661-1662, p. 252
  3. a et b Michaël Prazan, Einsatzgruppen : les commandos de la mort nazis, Paris, Editions Points, coll. « Points. Histoire » (no 464), (1re éd. 2010), 613 p. (ISBN 978-2-7578-5154-8, OCLC 910879639), p. 166
  4. Michaël Prazan, Einsatzgruppen : les commandos de la mort nazis, Paris, Editions Points, coll. « Points. Histoire » (no 464), (1re éd. 2010), 613 p. (ISBN 978-2-7578-5154-8, OCLC 910879639), p. 167
  5. Ibid.
  6. Timothy Snyder (trad. de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat), Terres de sang : l'Europe entre Hitler et Staline [« Europe between Hitler and Stalin »], Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », , 707 p. (ISBN 978-2-07-013198-3), p. 319.

Bibliographie modifier

Liens modifier