Martyrs de Kantara

Saints martyrs orthodoxes

Martyrs de Kantara
Image illustrative de l’article Martyrs de Kantara
Saints, martyrs
Décès mai 1231 
Nicosie, Chypre
Nationalité chypriote
Vénéré à Chypre
Vénéré par Église orthodoxe
Fête 19 mai

Les martyrs de Kantara sont treize moines orthodoxes du monastère de Kantara à Chypre, persécutés puis exécutés en à la demande du pape Grégoire IX et sous la direction de son émissaire André. Après un procès d'inquisition pour avoir refusé l'utilisation du pain azyme pour l'eucharistie, ils sont enfermés, torturés puis brûlés vifs. L'un d'entre eux meurt en prison avant l'exécution.

Ils sont vénérés dans l'Église orthodoxe et plus particulièrement dans l'Église de Chypre comme martyrs le 19 mai. L'histoire de leur martyre est en partie retracée grâce à un texte hagiographique datant des années 1270 appelé la Narration des Treize Martyrs.

Histoire modifier

Sources modifier

L'événement et l'éxecution des treize moines sont connus en partie par un texte rédigé vers 1270[1], appelé la Narration des Treize Martyrs[2] ainsi que par des lettres échangées entre le patriarche de Constantinople Germain II et le pape Grégoire IX, où ils abordent l'événement[2]. Des sources dominicaines postérieures mentionnent aussi les événements, notamment en attaquant les treize moines[3].

Hormis ces sources, il existe d'autres occurrences, relativement nombreuses, dans la littérature de la période. L'événement et le martyre sont considérés comme historiques par les historiens, bien que les récits hagiographiques doivent parfois être remis en cause[4].

Contexte modifier

Richard Coeur de Lion conquiert Chypre des mains de l'usurpateur byzantin Isaac Doukas Comnène[5] puis, après une série de pérégrinations, vend l'île à Guy de Lusignan[6]. Après la fondation du royaume de Chypre, une hiérarchie religieuse catholique parallèle à la hiérarchie orthodoxe pré-existante s'installe. Aidés par le pouvoir royal et soutenus par les papes successifs, ils s'engagent dans une entreprise de conversions, pressions religieuses et luttes d'influences visant les communautés orthodoxes de l'île[5].

Ils sont aidés par l'exil forcé d'une grande majorité des évêques orthodoxes de l'île, ce qui ne laisse généralement que les monastères orthodoxes en première ligne, parmi lesquels se distinguent le monastère de Machairas et le monastère de Kantara, pour résister contre le pouvoir royal et papal[5].

Grégoire IX est connu comme étant un pape particulièrement intransigeant et violent ; en 1231, la même année que la mort des moines, il publie la bulle Excommunicatus, où il confirme que la peine à donner aux hérétiques est la mort[3].

Persécution et exécutions modifier

Le pape Grégoire IX prend des mesures pour convertir l'île au catholicisme, il ordonne qu'aucun poste ne soit donné à quiconque ne reconnaîtrait pas les pratiques latines[5]. Puis, il envoie un émissaire dominicain sur l'île, André, qui s'engage dans une politique de persécutions visant les orthodoxes de l'île[5],[7].

Entre 1231 et 1233, une série de persécutions s'abat sur le clergé orthodoxe de Chypre[2]. En particulier, treize moines du monastère de Kantara sont persécutés pour leur refus d'utiliser du pain azyme pour l'eucharistie[2],[3],[8],[9]. Cet élément montre que le point de conflit est la question liturgique, principalement[5]. Ils subissent un procès d'inquisition pour hérésie, puis sont enfermés pendant trois ans[1],[10] par la haute-cour du royaume, composée de barons francs et de clercs catholiques[11].

Les moines sont ensuite torturés[3], au moins une fois en public[1]. L'un d'entre eux meurt lors de l'emprisonnement et n'est pas exécuté[1].

Sur l'ordre direct de Grégoire IX[3], qui instruit à l'archevêque catholique de l'île, Eustorge, de les considérer comme des hérétiques[1], ils sont tués[2],[12],[13],[14] en étant brûlés vifs[5],[10],[15]. L'exécution a lieu en mai 1231[3]. Leurs os sont ensuite mélangés à ceux d'animaux pour éviter de produire des reliques[16].

Conséquences modifier

Le patriarche de Constantinople, Germain II, envoie une lettre au pape Grégoire IX pour pointer sa responsabilité, et celle de Henri de Chypre, dans les exécutions[2]. Le pape lui répond qu'il s'agit de « schismatiques », mais accepte de revenir en arrière sur la question de l'utilisation du pain azyme[2].

La mort des martyrs sert de catalyseur au ressentiment populaire, qui gagne en ampleur, et qui désire le rejet des autorités latines occupant l'île et de leur hiérarchie religieuse catholique[17],[18],[19]. En particulier, le récit de la Narration compare les inquisiteurs catholiques aux grands-prêtres persécutant Jésus, Henri de Chypre à Ponce Pilate et le dominicain André à Caïphe[17],[18]. En réalité, cela renforce plutôt les orthodoxes, qui, avec ces martyrs, deviennent plus fermes sur leurs positions[20].

Les monastères deviennent les lieux de résistance orthodoxes de l'île ; les tensions restent violentes et tendues entre les deux communautés jusqu'à 1260, où le pape Alexandre IV publie la Bulla Cypria, qui cherche une position de cohabitation, même si très en faveur de l'Église catholique[21] et permet de faire un peu reculer les tensions[5].

Postérité modifier

Recherche scientifique modifier

Le fait que certains chercheurs catholiques occidentaux, comme Louis de Mas Latrie, évitent de mentionner l'événement dans leurs études sur l'histoire de Chypre est critiqué dans les études plus récentes, par exemple chez A. Nicolaou-Konnari[22].

Vénération religieuse modifier

Les treize moines sont considérés saints martyrs de l'Église orthodoxe[23], particulièrement dans l'Église de Chypre, où ils sont fêtés le [24],[25].

Références modifier

  1. a b c d et e Chrysovalantis Kyriacou, Orthodox Cyprus under the Latins, 1191-1571: society, spirituality, and identities, Lexington Books, coll. « Byzantium », (ISBN 978-1-4985-5115-1 et 978-1-4985-5117-5)
  2. a b c d e f et g (en) Costas P. Kyrris, « Cypriot identity, Byzantium and the Latins, 1192–1489 », History of European Ideas, vol. 19, nos 4-6,‎ , p. 563–573 (ISSN 0191-6599 et 1873-541X, DOI 10.1016/0191-6599(94)90037-X, lire en ligne, consulté le )
  3. a b c d e et f Pope Gregory IX (1227-1241): power and authority, Amsterdam University Press, coll. « Church, faith and culture in the Medieval West », (ISBN 978-90-485-5460-7 et 978-94-6372-436-4)
  4. Chris Schabel, « Two Small Texts on the Wider Context of the Martyrdom of the Thirteen Monks of Kantara in Cyprus, 1231 », Polyptychon / Πολύπτυχον. Homenaje a Ioannis Hassiotis / Αφιέρωμα στον Ιωάννη Χασιώτη,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. a b c d e f g et h L. Voisin, « L'« ANCIENNE » OU LA « NOUVELLE ROME » : LES MONASTÈRES GRECS SOUS DOMINATION LATINE ENTRE ROME ET CONSTANTINOPLE (13 e -15 e SIÈCLES) », Chronos, no 28,‎ , p. 7 (lire en ligne, consulté le )
  6. « Cyprus History: Cyprus under Richard I - cypnet.co.uk », sur www.cypnet.co.uk (consulté le )
  7. (en) Chris Schabel, « Martyrs and Heretics, Intolerance of Intolerance: the Execution of Thirteen Monks in Cyprus in 1231 », Greeks, Latins, and the Church in Early Frankish Cyprus,‎ , p. 14 (lire en ligne, consulté le )
  8. (en) Nickiphoros I. Tsougarakis et Christopher Schabel, « Of burning monks, unidentified churches and the last Cistercian foundation in the East: Our Lady of Camina in the principality of Achaia », Journal of Medieval History, vol. 41, no 1,‎ , p. 60–87 (ISSN 0304-4181 et 1873-1279, DOI 10.1080/03044181.2014.979326, lire en ligne, consulté le )
  9. (en) Thomas Devaney, « Spectacle, Community and Holy War in Fourteenth-Century Cyprus », Medieval Encounters, vol. 19, no 3,‎ , p. 300–341 (ISSN 1570-0674 et 1380-7854, DOI 10.1163/15700674-12342140, lire en ligne, consulté le )
  10. a et b Achille Auteur du texte Emilianidès, Histoire de Chypre (3e édition mise à jour) / par Achille Emilianidès,..., (lire en ligne)
  11. Pedro Bádenas, « Le choc des mentalités pendant l’occupation Franque de Chypre », dans Le partage du monde : Échanges et colonisation dans la Méditerranée médiévale, Éditions de la Sorbonne, coll. « Byzantina Sorbonensia », , 335–344 p. (ISBN 979-10-351-0598-3, lire en ligne)
  12. (el) Φίλιππος Κώστα Φιλίππου, « Σχέσεις Ορθοδόξων και Λατίνων στην Κύπρο κατά την περίοδο της Φραγκοκρατίας. Ιστορικοκανονική θεώρηση.: », Τμήμα Ποιμαντικής και Κοινωνικής Θεολογίας,‎ , pages (DOI 10.26262/HEAL.AUTH.IR.134739, lire en ligne, consulté le )
  13. (en) Tassos Papacostas, « Byzantine Nicosia », BYZANTINE NICOSIA 650-1191,‎ (lire en ligne, consulté le )
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  20. (en) Elizabeth Jeffreys et Fiona K. Haarer, Proceedings of the 21st International Congress of Byzantine Studies: London, 21-26 August, 2006, Ashgate Publishing, Ltd., (ISBN 978-0-7546-5740-8, lire en ligne)
  21. (en) Justine M. Andrews, « Santa Sophia in Nicosia: the Sculpture of the Western Portals and Its Reception », Comitatus: A Journal of Medieval and Renaissance Studies, vol. 30, no 1,‎ (ISSN 0069-6412, lire en ligne, consulté le )
  22. Angel Nicolaou-Konnari, « « La France de Chypre » de Louis de Mas Latrie », Cahiers du Centre d’Études Chypriotes, vol. 43, no 1,‎ , p. 505–521 (DOI 10.3406/cchyp.2013.1082, lire en ligne, consulté le )
  23. (en) « The 13 Holy Martyrs of Kantara in Cyprus: Defenders of Leavened Bread in the Eucharist » (consulté le )
  24. (el) Konstantinos Theofanous, « Οι 13 μάρτυρες της Καντάρας », sur Εκκλησία της Κύπρου,‎ (consulté le )
  25. (el) Konstantinos Theofanous, « Οι δεκατρείς Οσιομάρτυρες της Ιεράς Μονής Καντάρας », sur Εκκλησία της Κύπρου,‎ (consulté le )

Bibliographie modifier

  • Συναξαριστής Νεομαρτύρων, Γ Έκδοση, Θεσσαλονίκη, 1996. (gr)
  • Ιστορία της Κύπρου,Β ἔκδοση, Κλεάνθη Π. Γεωργιάδη, Λευκωσία. Η κατεχόμενη γη μας, Υπουργείο Παιδείας, Λευκωσία, 1993. (gr)
  • SAINTS MARTYRS du Monastère de Kantara  à Chypre