Marthe Pelletier, née Marthe Roux, tenait un salon littéraire et artistique à Montparnasse dans les années 1900-1920, avec ses sœurs Léone Ricou (« Madame L.R. », muse de Brancusi) et Isabelle Dugas, où elles recevaient les plus grands artistes. En 1915-1917, elle fut la « muse » des poètes Apollinaire et Ungaretti. Durant la guerre de 1939-1945, à Paris et à Lyon, elle fut une figure de la Résistance, dans les réseaux Les Petites Ailes et Combat.

Marthe Pelletier
Marthe Pelletier vers 1950.
Naissance
Décès
Nom de naissance
Lucie Marthe Ernestine ROUX
Autres noms
Marthe Roux
Nationalité
Française
Activité
Famille
Père
Albert Auguste Roux
Mère
Marie Justine Deleuze

Biographie modifier

Jeunesse, entre Paris et l’Ardèche modifier

Marthe Pelletier, née Lucie Marthe Ernestine Roux (Marthe Roux), naît le , dans le 18e arrondissement de Paris. Ses parents sont Albert Auguste Roux, né à Burzet (Ardèche) et mort à Paris en 1893, à 47 ans), commerçant photographe à Joyeuse (Ardèche), puis journaliste au Petit Journal, à Paris, et Marie Justine Deleuze, née à Rosières (Ardèche), morte à Paris en 1928. Elle a deux sœurs : Elise Roux, dite Léone Ricou (1875-1928) et Isabelle Roux, épouse Dugas (1884-1956), et un frère, François Roux. En 1893, à la mort du père, la famille retourne brièvement en Ardèche, où Isabelle reste et se marie en 1903. Puis la mère revient à Paris avec Léone et Marthe et s’installe à proximité de Montparnasse (5e arrondissement de Paris)[1][source insuffisante].

Le Salon artistique et littéraire de sa sœur Léone Ricou modifier

Dans les années 1910-1920, Marthe reçoit avec sa sœur Léone Ricou, dans leur Salon du 270 Bd Raspail à Paris, les artistes peintres, écrivains, poètes : Jacques Villon, Marcel Duchamp, Albert Gleizes, Max Jacob, Pablo Picasso , Julio Gonzalez, Modigliani, André Derain, Brancusi, Ungaretti, Gino Severini, Giovanni Papini, Kees Van Dongen, Francisco Durrio de Madron, Ignacio Zuloaga, Jean Metzinger, Joan Miro, Supervielle, Maurice de Vlaminck, Fernand Léger, Matisse, Jean-Joseph Crotti, Henry de Waroquier. Tous tombent sous la charme de Marthe qui les séduit par sa drôlerie, sa conversation, sa liberté d’esprit. Amusé, l'austère Brancusi la surnomme « son petit oiseau »[2].

Marthe, amour d’Ungaretti modifier

A la même époque, Marthe est également courtisée par le poète italien Giuseppe Ungaretti (1888-1970) durant son séjour en France, dans les années 1915-1916. Il lui dédie des poèmes et lui écrit des lettres passionnées. Lors d’une permission à Paris, Ungaretti remet à Marthe 8 poèmes du recueil Les Pierreries ensoleillées, où il évoque son amour, bref instant de grâce au milieu des souffrances des combats. Dans le recueil La Guerre, Ungaretti désigne Marthe comme la « ragazza tenue », la frêle jeune fille[3].

Marthe, courtisée par Apollinaire modifier

Pendant la première guerre mondiale Marthe est infirmière volontaire à Paris (hôpital Bd des Invalides) avec les sœurs du peintre Julio Gonzalez. En 1911, Marthe a rencontré Guillaume Apollinaire dans les cafés de Montparnasse, qu’elle fréquentait avec ses amis cubistes. Le , Marthe assistait au mariage de son amie Jeanne, fille du poète Paul Fort avec le peintre Gino Severini, dont Apollinaire fut le témoin. Apollinaire et Marthe commencent à s’écrire. Elle est amoureuse de lui, mais Apollinaire reste réservé. Elle lui rend visite à Passy, il cède à son insistance d’avoir une photographie de lui. Séduit par son charme, il lui dédie certains de ses poèmes, et notamment il compose avec son prénom l’acrostiche qui sert d’envoi à son recueil L’Hérésiarque et Compagnie[4]. Elle se réjouit d’être pour lui « une petite muse ». Quand Apollinaire rentre blessé de la guerre, elle le soigne à l’hôpital, à la suite de la trépanation qu’il doit subir. Il lui dédicace une aquarelle, le Brigadier masqué[5]. Mais il se fiance à une autre qu’il épouse en 1918, juste avant de mourir de la grippe espagnole. Marthe assiste à ses obsèques au cimetière du Montparnasse.Les lettres de Marthe à Apollinaire, écrites entre 1916 et 1918, témoignent de la passion qu’elle lui vouait et de son espoir de le revoir en vie. L’ensemble de ces lettres a été mis aux enchères à la Salle des ventes de Drouot en 2012[6].

Marthe, épouse et mère modifier

Rencontre et mariage avec Louis-Robert Pelletier, journaliste modifier

Marthe se marie à 31 ans, le (Paris 5e) avec Louis-Robert Pelletier(1889-1941), qu’elle a connu lors de ses visites au Groupe de Puteaux, chez les Duchamp ou à L’Abbaye de Créteil, dirigée par le poète Mercereau. En 1918, de retour de la guerre avec le grade de capitaine, plusieurs fois blessé, couvert de citations et décorations, Louis-Robert Pelletier s’était ré-engagé dans la guerre du Rif, au Maroc. Démobilisé en 1920, il rentre à Paris et rencontre Marthe. Les témoins du mariage sont Alexandre Mercereau, homme de lettres et Yvonne Villon née Duchamp (mariée à Jean-Joseph Crotti en 1916). Le couple s’installe dans l’appartement où vivait Louis-Robert Pelletier, 93 rue du Bac (Paris 7e)[7][source insuffisante].

La vie bourgeoise au 93 rue du Bac modifier

Installés rue du Bac, Marthe et Louis-Robert Pelletier connaissent une vie aisée. Ils élèvent leurs deux fils : Étienne, (1922-1944) et Robert (1929-2014), recevant les personnalités politiques et militaires qui forment l’entourage professionnel de Louis-Robert Pelletier ainsi que les amis artistes de l’entourage de Marthe, dont Picasso qui vint dîner, mais dut passer par l’escalier de service que le concierge lui enjoignit d’emprunter, le prenant pour un ouvrier avec sa casquette et son accent espagnol[8].

Louis-Robert, énigmatique et impénétrable modifier

Durant les années 1922-1936, Marthe suit de près les activités multiples, et parfois périlleuses, de son mari. Il est à la fois, homme politique : secrétaire de section du Parti communiste français en 1920, mais en est exclu en 1922 sur ordre de Trotski ; membre du Cabinet du ministre des Finances Joseph Caillaux en 1925 ; homme de lettres, poète, romancier, journaliste ; militaire : agent de renseignements au Deuxième Bureau, en mission à Berlin en 1923, puis surveillé par la Sûreté générale, qui le soupçonnait d’être un agent double au service des Bolcheviques. À partir de 1936, la famille part s’installer à Meaux et Louis-Robert Pelletier fait des allers-retours pour travailler à Paris, à l'agence de presse Prima Presse puis au journal Paris Soir dont il devient rédacteur en chef[9].

Une famille héroïque dans la Résistance modifier

Louis-Robert et Étienne, résistants fusillés modifier

Dès la défaite de 1940, Louis-Robert s’est engagé dans la résistance au grade de commandant, avec d’autres membres du Deuxième Bureau. Chargé de renseigner son réseau, dirigé par le colonel Mermet, sur les mouvements de troupes allemandes, à Pougues-Les-Eaux puis à Paris, il est dénoncé par son chauffeur militaire et arrêté en novembre 1940. Emprisonné et torturé, il est jugé par le tribunal militaire allemand, condamné à mort, fusillé par les Allemands le à 52 ans. À l’exode, Marthe et ses deux fils étaient partis se réfugier dans la Nièvre, à Pougues-Les-Eaux, chez ses beaux-parents Pelletier qui tiennent un hôtel. Mais après l’arrestation de son mari et à la suite du démantèlement du réseau de la Baronne de Terline, les Allemands perquisitionnent l’hôtel, et Marthe part alors se réfugier à Lyon avec Robert, âgé de onze ans. Son fils Étienne est arrêté par les Allemands au même moment, puis relâché faute de preuves. Elle écrit régulièrement à son mari, incarcéré à la prison du Cherche-Midi, puis à Fresnes, qui lui répond ainsi qu’à leurs fils en leur cachant sa condamnation à mort[10][source insuffisante]. Elle apprend son décès des mois plus tard, par le curé de sa paroisse à Lyon, qui lui remet alors les dernières lettres écrites par son mari. En 1942, Étienne, lycéen en préparation de Saint-Cyr à Lyon, prend le maquis pour échapper au STO, puis entre dans le réseau Alliance. Trahi par un infiltré, il est arrêté avec ses amis, déporté au camp de Struthof et à la forteresse de Rastatt, il est fusillé par les Allemands près du pont de Kehl (Allemagne) à 22 ans le .

Marthe et son fils Robert, résistants internés modifier

À Lyon, Marthe entre dans la résistance, dans le réseau « Les Petites Ailes », devenu en novembre 1941 « Combat ». Le , elle est arrêtée par la police française pour propagande antinationale et internée à la prison Montluc. Son fils Robert, âgé de douze ans, est également interné, dans une prison pour enfants de Lyon, pour distribution de tracts. Ils sont libérés au bout de quelques semaines. Restée seule à Lyon avec son fils Robert, sans ressources, hébergée dans des appartements réquisitionnés pour les réfugiés, elle obtient du Maréchal Pétain que lui soit attribuée une pension de veuve de militaire. À la libération, Marthe apprend la mort de son fils Étienne, fusillé en novembre 1944. La même année, ses beaux-parents étaient décédés à Pougues-Les-Eaux. Durant les années suivantes, elle se consacre sans relâche à bâtir le dossier d’accusation du traître Henri Dupré, qui avait dénoncé son mari et beaucoup d’autres résistants, obtenant sa condamnation à mort et son exécution (fusillé en 1951), au terme d’un long procès devant la Cour de justice de Paris.

Le retour à Paris, sa famille, ses amis modifier

Cité Pigalle, le retour à la paix modifier

Après la guerre, elle reste à Lyon pendant que son fils Robert poursuit ses études ; il obtient le baccalauréat, puis une licence d’histoire à la faculté de Lyon ; il part ensuite pour une année d’études à l’Université de Syracuse aux États-Unis. À la demande de Marthe, c’est Marcel Duchamp qui accueille Robert à sa sortie du bateau à New York. Revenu en France en 1952, Robert poursuit ses études à Sciences Po Paris et s’installe avec sa mère dans un appartement qu’ils achètent Cité Pigalle dans le 9e. Elle revoit ses amis : les Derain, Gleizes, le peintre Jacques Villon, la peintre Roberta Gonzalez, mais déplore dans une lettre à Brancusi que tant de leurs amis soient morts. Intéressée par l’art, fréquentant de nombreux artistes depuis l’époque du célèbre salon de sa sœur Léone Ricou, Marthe Pelletier avait constitué une collection d’œuvres acquises auprès des peintres amis de la famille ou offerts en cadeau, par amitié ou gratitude pour son hospitalité. En rentrant à Paris après la guerre, elle tente, sans succès de récupérer les biens qu’elle avait mis au garde-meuble pendant l’exode, ou emportés à Pougues-Les-Eaux pour les mettre à l’abri chez ses beaux-parents, et que les Allemands auraient pillées en perquisitionnant lors de l’arrestation de son mari[11].

Son fils Robert Pelletier, famille et carrière modifier

Son fils Robert s’est marié en 1956 avec Monique Cessenat, professeur agrégée d’histoire, rencontrée à la faculté de Lyon. Marthe a eu 5 petits-enfants (Étienne-1957, Patrick-1959, Louis-1960-2015, Diane-1966, Delphine-1969), avec lesquels elle déjeunait tous les dimanches dans leur appartement de la place de Breteuil et passait les vacances en Vendée. Dans les années 1960-1990, Marthe a eu la fierté de suivre la prestigieuse carrière de son fils Robert, qui devient directeur général des affaires économiques du Conseil national du Patronat Français, membre du Conseil économique et social européen, Secrétaire général de l’Association Française des Etablissements de Crédit. Il enseigne également à l’École nationale d'administration. Économiste reconnu, spécialiste des questions monétaires, il écrit des articles dans Le Monde[12].

La collection d’art de Louis-Robert et Marthe Pelletier modifier

Dans les années 1970-1980, Marthe présente une demande d’indemnisation à un organisme, devant la Commission des Experts pour l’application de la Loi fédérale allemande[13] du aux victimes des spoliations mobilières en France. Afin de prouver qu’elle possédait des œuvres d’art de valeur, elle produit une estimation du commissaire-priseur maître Maurice Rheims, qui était responsable des dommages de guerre. Elle apporte également une attestation d’un expert d’une galerie d’art, qui avait entendu parler des œuvres par ses amis Vanderpyl et Maurice de Vlaminck. Il certifiait être venu rendre visite aux Pelletier à Meaux en 1938 et y avoir vu : « un ensemble de peintures et aquarelles de la plus haute qualité ». Il énumère ainsi : un « Nu couché » par Modigliani (grand ami de Marthe et fidèle du salon de sa sœur Léone), ainsi que des œuvres de Vlaminck, Dufy, Villon, Derain, Chagall. La plupart de ces œuvres n’ont pas réapparu au sortir de la guerre, volées ou disparues dans la tourmente. A cette époque, le courage exceptionnel de Marthe Pelletier au milieu de ces dramatiques épreuves est publiquement reconnu, ce qui lui a valu la Médaille de la Résistance et le grade de chevalier de la Légion d’honneur. Marthe Pelletier est décédée le 20 décembre 1981 à Neuilly-sur-Seine, à 91 ans, entourée de sa famille. Elle est enterrée au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine. Son mari est inhumé à proximité, dans le Carré des fusillés. Une mention est inscrite en souvenir de son fils Étienne Pelletier, dont le corps avait été jeté dans le Rhin. Au 93 rue du Bac, lors d'une cérémonie, la Mairie de Paris a fait apposer une plaque rappelant que ces Résistants ont habité l'immeuble[14][source insuffisante].

Décoration modifier

Notes et références modifier

  1. Actes de naissance familiaux.
  2. Listes d'invités du Salon de Léone Ricou, citées par Louise Pelletier
  3. Poésies d'Ungaretti
  4. Apollinaire, L’Hérésiarque et Compagnie, Paris.
  5. Collection famille Pelletier.
  6. Prix de cession du lot de lettres 15,000 euros.
  7. Acte de mariage Roux Pelletier.
  8. Cité par Louise Pellietier, source familiale
  9. Rapports de surveillance sur Louis-Robert Pelletier
  10. Archives de la famille de Robert Pelletier.
  11. Correspondance de Marthe Pelletier
  12. Robert Pelletier, « Le ralentissement des investissements productifs », Le Monde,‎
  13. Commission des Experts pour l’application de la Loi fédérale allemande.
  14. Archives de la famille Pelletier.
  15. Ordre de la Libération - base des médaillés de la Résistance française, « Fiche Marthe Pelletier née Roux » (consulté le )

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Guillaume Apollinaire, l’Hérésiarque et compagnie, 1902-1920, Biblio, Poche.
  • Guy Krivopissko, La vie à en mourir, Lettres de fusillés (1941-1944), coll. Points.
  • George Opresco, Un Chapitre peu connu de la vie sociale et artistique du Paris de la « Belle Époque », gazette des Beaux-Arts, juillet-août 1968.