Madugu Mohamman Mai Gashin Baki

Mohamman Mai Gashin Baki ou Madugu Mohamman Mai Gashin Baki, c’est-à-dire ‘’Mohamman à la moustache’’ en langue haoussa est un madugu (chef de caravane et commerçant) haoussa, né aux environs de 1828 et mort, selon les estimations, entre 1914–1918. Il fut le guide et le compagnon de voyage de l’explorateur Eduard Flegel. Mohamman Mai Gashin Baki effectue des voyages dans la région sahélienne du Soudan Central, notamment aux alentours du fleuve Niger, du lac Tchad et du Nord du Cameroun, entre 1844 et 1884[1]. Il est célèbre pour son récit autobiographique publié en Allemagne en 1885[2].

Madugu Mohamman Mai Gashin Baki
Photographie de Madugu Mai Gashin Baki, prise à Berlin lors du voyage en Allemagne avec Flegel en 1884.
Biographie
Naissance
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Nationalité
Activités
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Biographie modifier

Né vers 1828 dans l’émirat de Kano, au nord du Nigéria actuel, d’un père almajiri, c’est-à-dire étudiant coranique, haoussa et d’une mère Jukun, Mohamman fait son premier voyage commercial à l’âge de 16 ou 17 ans, en tant que compagnon d’un marchand itinérant, avant de se lancer dans une carrière de commerçant de longues distances[1].

Vie professionnelle modifier

Son parcours professionnel le voit progresser de simple farke (marchand itinérant), à abokin jaji (ami du chef de caravane), jusqu’à être désigné comme madugu lui-même et prendre alors la tête d’une caravane. Le groupe professionnel des madugai (chefs de caravane) était au cœur du commerce transsaharien et transrégional en Afrique de l’ouest au XIXe siècle[3],[4]. Dans le Sahel et le Sahara central dans le milieu aride ou semi-aride, le savoir-voyager et la capacité à savoir de prendre contact et négocier avec les autorités politiques de la région font du métier des madugu une nécessité indispensable pour effectuer un voyage[5].

Pendant les quarante premières années de son activité professionnelle, ses voyages le mènent dans la région sud du Sahel central, dans les régions de Kano, à l’Est à Adamawa, à Bauchi, dans le Bornou, vers Eggan, au bord du fleuve Niger et à Ilorin. Au cours de ses pratiques commerciales il se trouve, selon son récit, à plusieurs reprises face à des populations hostiles. Au cours de ses voyages il se marie plusieurs fois, en 1851 avec Eisa Kaugi Jikan Sarki, une femme issue d’une famille noble du Bornou, dans la ville de Kukawa où ils vivent ensemble pendant cinq ans ; puis en 1860 avec une jeune femme appelée Nana, à Kano ; et enfin en 1862 ou 1863 avec une femme appelé Aisatu, à Eggan[6].

En 1863–1864, après avoir accru sa renommée et son expérience dans le domaine du commerce de longue distance, il est choisi comme madugu pour une caravane depuis Eggan vers Tibati à travers Kontscha[7]. Parmi les marchandises échangées par Madugu Mohamman pendant sa carrière se trouvent notamment des esclaves, de l’ivoire, des minéraux, des étoffes, des noix de kola, des perles et des cauris, coquillages servant comme monnaie d’échange[6]. L’historien Canadien Paul Lovejoy, dans ses recherches sur l’histoire économique de l’Afrique de l’Ouest, utilise le récit biographique sur Madugu Mohamman combiné à des enquêtes orales auprès de familles de commerçants et de madugu pour souligner l’importance de l’activité commerciale liée aux noix de kola dans la région[8].

Collaboration avec des voyageurs européens modifier

À partir des années 1880, Madugu Mohamman s’associe de plus en plus avec des voyageurs et des commerçants européens installés dans la région dans des postes commerciaux. C’est ainsi qu’il rencontre l’explorateur allemand E.R. Flegel (1855–86) en février 1882. Madugu Mohamman accompagne l’explorateur allemand et lui sert comme guide dans ses voyages dans la vallée de la rivière du Bénoué, entre 1882–1884[9]. La correspondance de Flegel montre la volonté de l’explorateur d’installer un poste de recherche scientifique et de commerce allemande dans la région, pour répondre à la présence de la United African Company britannique et la Société française d’Afrique équatoriale[10].

Voyage en Europe modifier

En 1884, Madugu Mohamman part avec Flegel en Allemagne, pour des raisons incertaines. Il est possible, selon M.B. Duffill dans l'introduction de l'édition critique du manuscrit de Mohaman mai gashin baki, que le madugu ait voyagé en Allemagne en tant que représentant commercial de l’Adamawa, avec l’approbation de souverains Peuls de la région. Duffill évoque aussi la possibilité que Flegel l’ait invité pour promouvoir une expédition coloniale auprès du public et la communauté des marchands allemands[9]. En Allemagne, Flegel et Madugu Mohamman sont reçus par le kaiser Guillaume Ier et le chancelier de l’Empire Otto von Bismarck, et Flegel reçoit du soutien à ses activités dans la forme d’un bateau à vapeur et 40 000 marks de la part de l’Afrikanische Gesellschaft et du Deutsche Kolonialverein pour mener une entreprise scientifique et commerciale dans le Bénoué[11].

Retour en Afrique de l'ouest modifier

Après le voyage en Allemagne, Madugu Mohamman s’installe à Bakundi, dans la vallée du fleuve Taraba, d’où il base son activité commerciale dans la région et aide Flegel à établir, pour une courte période, un comptoir commercial allemand en 1885. Selon Walter Watts, un agent de la Royal Niger Company écrivant en 1907, Madugu Mohamman aurait aussi travaillé pour la compagnie britannique[12]. À la fin du siècle, après la consolidation de la présence des britanniques et des allemands dans la région, le commerce de longue distance devient dangereux. C’est à cette époque que Madugu Mohamman arrête le commerce et devient intermédiaire, restant à Bakundi pour exercer le métier. Il meurt entre 1914 et 1918, selon les estimations[13].

Rédaction et publication de son autobiographie modifier

Dans les années 1880, au cours de leur voyage vers l'Allemagne, Flegel recueille le récit de vie de Madugu Mohaman Mai Gashin Baki dans lequel celui-ci évoque son parcours de formation, ses différents voyages et les caravanes auxquelles il a participé. Le texte est publié en allemand en 1885, avant d'être redécouvert, traduit et publié en anglais par Mark Dufill et David Henige et de devenir une source importante pour les études africaines sur les réseaux commerciaux et l'histoire économique et sociale du Sahel au XIXe siècle.

Notes et références modifier

  1. a et b Flegel 1985, p. 6.
  2. (de) Eduard Flegel, Lose Blätter aus dem Tagebuche meiner Haussa-Freunde und Reisegefährten : übersetzt, eingeleitet, mit allgemeinen Schilderungen des Volkscharakters und der socialen Verhältnisse der Haussa's sowie mit kurzer Lebensgeschichte des Mai gasin baki versehen, Hambourg, L. Friederichsen & Co, (lire en ligne)
  3. (en) Stephen Baier, « Trans-Saharan Trade and the Sahel: Damergu, 1870–1930 », The Journal of African History, vol. 18, no 1,‎ , p. 37–60 (ISSN 0021-8537 et 1469-5138, DOI 10.1017/S002185370001522X, lire en ligne, consulté le )
  4. (en) Abdulkarim Umar Dan Asabe, Comparative Biographies of Selected Leaders of the Kano Commercial Establishment, MA thesis Bayero University,
  5. Camille Lefebvre, « Ce que l’itinéraire nous dit du voyage. Listes d’itinéraire, voyage et imaginaire spatial au Soudan central au XIXe siècle », Afriques. Débats, méthodes et terrains d’histoire, no 02,‎ (ISSN 2108-6796, DOI 10.4000/afriques.835, lire en ligne, consulté le )
  6. a et b Flegel 1985.
  7. Flegel 1985, p. 7-14.
  8. Paul E. Lovejoy, Caravans of Kola: the Hausa kola trade ; 1700 - 1900, Ahmadu Bello Univ. Pr, coll. « Ahmadu Bello University History Series », , 100-112 p. (ISBN 978-0-19-575693-7)
  9. a et b Duffill, "Introduction", in Flegel 1985, p. 1-2.
  10. Adelberger 2000, p. 16.
  11. Adelberger 2000, p. 18.
  12. Duffill, Introduction, in Flegel 1985, p. 3.
  13. Flegel 1985, p. 43-44.

Sources primaires modifier

Eduard Robert Flegel, Lose Blätter aus dem Tagebuche meiner Haussa-Freunde und Reisegefährten: übersetzt, eingeleitet mit allgemeinen Schilderungen des Volkscharakters und der sozialen Verhältnisse der Haussaś sowie mit kurzer Lebensgeschichte des Mai gasin baki versehen, Hambourg, L. Friederichsen & co, 1885, 47 p.

Eduard Robert Flegel, ''Die West-Sudan-Expedition: Berichte von E.R. Flegel, April-Juli 1885.'' Mittheilungen der Afrikanischen Gesellschaft in Deutschland, 1883–85, 4: 397–403.

Eduard Robert Flegel, ''Die Expedition im westlichen Sudan: Bericht von Herren E.R. Flegel.’’ Mittheilungen der Afrikanischen Gesellschaft in Deutschland'', 1886–1889, 5: 19–26.

Eduard Robert Flegel, ‘’Die Flegel’sche Expedition.’’ Mittheilungen der Afrimanischen Gesellschaft in Deutschland, 1883–85, 4: 18–29, 133–45.

Eduard Robert Flegel, Der Handel im Niger-Benuegebiet und seine voraussichtliche Zukunft, 1890 :43–59.

Georg Gürich, ‘’Die Expedition im westlichen Sudan: Bericht von Dr. Georg Gürich.’’ Mittheilungen der Afrikanischen Gesellschaft in Deutschland, 1886–1889, 5: 43–68.

Paul Staudinger, Im Herzen der Hausaländer, Berlin, 1889.

Richard Semon,’’Die Expedition im westlichen Sudan: Bericht von DR. Richard Semon.’’ Mittheilungen der Afrikanischen Gesellschaft in Deutschland, 1886–89, 5: 26–43.

Bibliographie modifier

(en) Jörg Adelberger, « Eduard Vogel and Eduard Robert Flegel: The Experiences of Two Nineteenth-Century German Explorers in Africa », History in Africa, vol. 27,‎ , p.1-29 (DOI 10.2307/3172104).

E.R. Flegel (trad. M.B. Duffill), The Biography of Madugu Mohamman Mai Gashin Baki, Los Angeles, Crossroads Press, .

Lefebvre, Camille. “Ce que l’itinéraire nous dit du voyage. Listes d’itinéraire, voyage et imaginaire spatial au Soudan central au XIXe siècle.” Afriques, no. 2, 2010, pp. 1–30, https://doi.org/10.4000/afriques.835.

Lovejoy, Paul E. “Kola in the History of West Africa.” Cahiers d’études africaines, vol. 20, no. 1, 1980, p. 97–, https://doi.org/10.3406/cea.1980.2353.

Lovejoy, Paul E. ‘’Caravans of kola: the Hausa kola trade, 1700–1900. X, 181 pp. Zaria: Ahmadu Bello University Press, 1980.

Liens externes modifier